Cass. 1re civ., 6 juin 1978, n° 77-10.835
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Blis (Sté)
Défendeur :
RICHARD (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charliac
Rapporteur :
M. Ponsard
Avocat général :
M. Baudoin
Avocat :
M. Martin-Martinière
Sur les deux premiers moyens réunis :
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que plusieurs sociétés, aux droits desquelles s'est trouvée la société British Motor Corporation Europe (BMCE), devenue aujourd'hui la société de droit suisse British Leyland International Services (BLIS), avaient passé avec plusieurs sociétés françaises, aux droits desquelles est la société d'exploitation des établissements Richard, trois contrats de distribution pour la France de véhicules construits en Angleterre ; Que chacun de ces contrats, rédigé en anglais, comportait les clauses suivantes : « Tous différends survenant entre les parties au présent contrat relativement à l'interprétation de ses termes ou aux droits, obligations ou responsabilités en découlant pour l'une ou l'autre des parties, seront soumis à un... ou à deux arbitres... Le ou les arbitres ainsi nommés seront censés l'être au sens de l'English Arbitration Act de 1950... Le présent contrat sera interprété selon la loi anglaise » ; Que, les accords ayant été dénoncés par la société BMCE, cette dernière, devenue la société BLIS, a assigné devant le tribunal de commerce de Versailles la société Richard en paiement de diverses sommes qui lui étaient dues à la suite de la livraison de voitures et pièces de rechange ;
Que la société Richard a demandé reconventionnellement le paiement de 2 541 640 F en réparation du préjudice que lui aurait causé son cocontractant, entre le 1er octobre 1969 et le 30 septembre 1970, en n'honorant pas les commandes passées par l'importateur ; Que la société BLIS a soulevé l'incompétence du tribunal pour connaître de cette demande reconventionnelle et demandé que le litige en résultant soit soumis à l'arbitrage prévu aux contrats ;
Que la cour d'appel a rejeté cette prétention ; Attendu qu'il lui est fait grief d'abord d'avoir ainsi statué, alors que les conventions des parties avaient prévu l'application de la loi anglaise et que, si la procédure proprement dite relève de la loi du tribunal saisi, l'action en justice n'est que le mode d'exercice d'un droit, dont les conséquences doivent être appréciées conformément aux conventions des parties ; Attendu qu'il est encore fait grief à la cour d'appel d'avoir admis que, en assignant la société Richard devant le tribunal de son domicile, la société BLIS avait renoncé au bénéfice de la clause compromissoire, alors que, selon le pourvoi, d'une part, l'assignation ne mettait pas en cause l'interprétation des contrats, interprétation à laquelle s'appliquait la clause compromissoire et qui était rendue nécessaire par la demande reconventionnelle, et que, d'autre part, ces contrats stipulant que le fait par une partie de s'abstenir de se prévaloir à un moment de leurs dispositions ne pouvait être considéré comme une renonciation à l'un des droits découlant pour cette partie de ces contrats, la renonciation supposée à invoquer la clause sur les points qui faisaient l'objet de la demande principale ne valait pas renonciation à s'en prévaloir en ce qui concerne ceux qui faisaient l'objet de la demande reconventionnelle ;
Mais attendu, d'une part, que les parties à une convention d'arbitrage international ont nécessairement la possibilité de renoncer à son bénéfice et que le fait, par l'une d'elles, de présenter devant les tribunaux étatiques une demande au fond qui aurait dû être soumise à l'arbitrage vaut renonciation de la part de cette partie au bénéfice de la clause compromissoire, non seulement en ce qui concerne la demande présentée, mais encore quant aux demandes reconventionnelles rattachées au même contrat qui pourraient être présentées par l'autre partie ;
Qu'en l'espèce, ainsi que l'a relevé la cour d'appel, la demande principale se référait bien aux « droits, obligations ou responsabilités découlant » des contrats, auxquels devait s'appliquer la clause compromissoire ;
Qu'il en résulte que l'auteur de cette demande principale n'était plus fondé à opposer la clause compromissoire pour faire écarter la demande reconventionnelle de l'autre partie ;
Que, par ces motifs, substitués pour partie à ceux de l'arrêt attaqué, celui-ci se trouve légalement justifié quant à l'admission de la renonciation de la société BLIS à se prévaloir de la convention d'arbitrage ; Que le premier moyen et la première branche du second ne sont donc pas fondés ; Attendu, d'autre part, que la stipulation contractuelle dont fait état la seconde branche du deuxième moyen n'avait pas été invoquée devant les juges du fond ; Qu'à cet égard le moyen est donc nouveau, et que, mélange de fait et de droit, il est irrecevable devant la Cour de cassation ;
Sur le troisième moyen : Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt attaqué d'avoir, pour déclarer recevable la demande reconventionnelle, admis qu'elle se rattachait à la demande principale par un lien suffisant pour justifier leur examen par la même juridiction, alors que, selon le moyen, l'une portant sur le paiement de marchandises vendues et livrées par la société BLIS, et l'autre étant fondée sur une prétendue inexécution des obligations de cette société, il n'était pas conforme à une bonne administration de la justice que le jugement de la seconde retardât celui de la première, aucune compensation n'étant possible en l'état ; Mais attendu que la cour d'appel, qui n'a fait état que de manière surabondante de l'éventualité d'une compensation, a apprécié souverainement que le lien entre les deux demandes était suffisant pour justifier, en vertu de l'article 70 du nouveau code de procédure civile, la recevabilité de la demande reconventionnelle ;
Que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Et sur le quatrième moyen : Attendu qu'il est enfin reproché à l'arrêt attaqué d'avoir décidé qu'un jugement du 8 juin 1971 et un arrêt du 18 avril 1972, constatant l'applicabilité de la clause compromissoire à une demande précédemment formée en vertu des mêmes contrats, ne faisait pas obstacle à ce que, dans la présente instance, la juridiction étatique saisie se prononçât sur la demande reconventionnelle, au motif que ces décisions précédentes n'empêcheraient pas les parties de renoncer à s'en prévaloir, alors que, selon le moyen, l'assignation portait sur un objet différent, tant de celui de l'instance précédente que de celui de la demande reconventionnelle, et ne saurait impliquer renonciation à l'autorité de la chose jugée ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a admis que les décisions de 1971 et 1972 s'étaient bornées à constater l'applicabilité de la clause d'arbitrage au différend alors porté devant le tribunal de commerce de Paris, a admis à bon droit que l'autorité de la chose ainsi jugée n'empêchait pas, pour l'avenir, les parties de renoncer à se prévaloir de cette clause ;
Que le moyen n'est pas mieux fondé que les précédents ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 14 janvier 1977 par la cour d'appel de Paris.