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Cass. 1re civ., 13 septembre 2017, n° 16-25.657

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Indagro (Sté)

Défendeur :

Ancienne maison Marcel Bauche (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Ortscheidt

Cass. 1re civ. n° 16-25.657

12 septembre 2017

Vu leur connexité, joint les pourvois n° U 16-25.657 et A 16-26.445 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 27 septembre et 15 novembre 2016), que la société Ancienne maison Marcel Bauche (Bauche) et la société Indagro ont conclu, le 13 décembre 2007, un contrat de vente d'urée en granulés à destination de deux Etats africains ; qu'invoquant le retard lors du déchargement du navire transportant la marchandise, la seconde a mis en oeuvre la convention d'arbitrage contenue au contrat et demandé le paiement de surestaries ; que deux ordonnances ont revêtu de l'exequatur, l'une, la sentence du 6 mai 2015 qui a condamné la société Bauche au paiement de diverses sommes à la société Indagro, l'autre, la sentence du 4 janvier 2016 sur les frais de la procédure ; que, par jugement du 12 mai 2016, le tribunal correctionnel a déclaré la société Indagro coupable du délit de corruption au motif qu'elle avait versé sans droit à un des salariés de la société Bauche des commissions illicites ;

Sur les trois moyens du pourvoi n° U 16-25.657, réunis :

Attendu que la société Indagro fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'exequatur, alors, selon le moyen :

1°/ que réserve faite du cas où le moyen est fondé sur un fait postérieur à la sentence arbitrale, ou encore du cas où le fait n'est porté à la connaissance de la partie qui peut l'invoquer que postérieurement à la sentence arbitrale, il incombe à la partie, qui a intérêt à se prévaloir de ce fait, de s'en prévaloir devant l'arbitre au cours de l'instance arbitrale ; qu'à défaut, elle est irrecevable à l'invoquer devant le juge appelé à se prononcer sur le bien-fondé de l'exequatur de la sentence arbitrale ; qu'il en va de même lorsqu'une partie, à même de faire valoir un fait, s'abstient d'accomplir les diligences nécessaires pour que l'arbitre en connaisse ; qu'en l'espèce, la société Indagro faisait valoir que l'arbitre avait subordonné l'examen de la corruption telle qu'elle pouvait être constatée par le juge correctionnel français à la constitution d'une garantie bancaire et que c'est à raison de l'absence de constitution de cette garantie que l'arbitre a décidé de rendre une décision sans attendre la décision du juge correctionnel français ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur cette circonstance à l'effet de déterminer si le moyen fondé sur la corruption était recevable devant la cour d'appel appelée à se prononcer sur le bien fondé de l'exequatur, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1466, 1520, 5°, et 1525 du code de procédure civile ;

2°/ qu'au cours de l'instance arbitrale, et le 25 février 2013, les parties sont convenues que la société Bauche paierait une somme de 1 000 000 US dollars à la société Indagro s'il s'avérait, dans le cadre de la procédure arbitrale, et conformément aux règles de la procédure arbitrale, que les faits de corruption ne sont pas établis ; que dans le cadre de la sentence arbitrale du 6 mai 2015, l'arbitre s'est fondé sur cet accord pour condamner la société Bauche envers la société Indagro ; qu'en s'abstenant de rechercher, si cet accord et son exécution ne s'interposaient pas entre les faits de corruption invoqués par la société Bauche et la sentence arbitrale, et si dès lors ils n'excluaient pas que la corruption puisse être invoquée dans le cadre de l'instance en exequatur, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1520, 5°, et 1525 du code de procédure civile ;

3°/ que le juge ne peut retenir une atteinte à l'ordre public que si cette atteinte est flagrante, concrète et effective ; que dans l'hypothèse de corruption, les juges du fond doivent distinguer le pacte de corruption et les contrats qui peuvent être par ailleurs conclus entre les parties ; que dans la mesure où l'instance arbitrale ne porte que sur l'exécution de l'un des contrats conclus, en dehors du pacte de corruption, le juge doit déterminer quelle a été l'incidence sur ce contrat du pacte de corruption ; qu'en l'espèce, s'il a retenu l'existence du délit de corruption, le tribunal correctionnel de Paris a formellement constaté que dans le cadre des contrats commerciaux conclus entre la société Indagro et la société Bauche, la preuve d'une surfacturation n'était pas rapportée ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur l'incidence du pacte de corruption à l'égard du contrat dont l'exécution était en cause dans l'instance arbitrale, sur la base des constatations effectuées par le juge correctionnel, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1520, 5°, et 1525 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, qu'après avoir énoncé que, lorsqu'il est soutenu qu'une sentence donne effet à un contrat obtenu par corruption, il appartient au juge de l'exequatur d'apprécier si la reconnaissance et l'exécution de la sentence viole la conception française de l'ordre public international, la cour d'appel, dont l'étendue du contrôle quant au respect de l'ordre public de fond ne pouvait être conditionnée par l'attitude d'une partie devant l'arbitre, n'était pas tenue de s'expliquer sur une circonstance tirée du non-renouvellement par la société Bauche de la garantie bancaire ;

Attendu, ensuite, qu'ayant énoncé que la vente litigieuse avait été conclue, à des conditions déséquilibrées au détriment de la société Bauche, par son salarié, en raison de sa corruption par la société Indagro, que l'illicéité de ce contrat avait été établie par le juge pénal et que la reconnaissance de la sentence permettrait à la société Indagro de retirer les bénéfices du pacte corruptif, elle a retenu, sans avoir à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, que ce pacte délictueux était à l'origine de la condamnation prononcée par l'arbitre ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision de ne pas reconnaître en France cette sentence violant la conception française de l'ordre public international ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° A 16-26.445, ci-après annexé :

Attendu que la société Indagro fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance d'exequatur de la sentence rendue le 4 janvier 2016 ;

Attendu que le pourvoi formé contre l'arrêt du 27 septembre 2016 étant rejeté, le moyen invoquant la cassation par voie de conséquence de l'arrêt du 15 novembre suivant est sans portée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Indagro aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette ses demandes et la condamne à payer à la société Ancienne maison Marcel Bauche la somme de 3 000 euros ;

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