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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 21 janvier 2010, n° 08/17575

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Agence Immobilière Durand (SA)

Défendeur :

C.I.F.F. (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Périé

Conseillers :

Mme Bozzi, Mme Guihal

Avocats :

SCP Goirand, SCP Cervesi, SCP Guizard, Smadja et Associés (SARL)

CA Paris n° 08/17575

20 janvier 2010

Par acte sous seing privé du 18 juillet 1990, la société IMCO aux droits de laquelle se trouve la société CIFF et la société AGENCE IMMOBILIÈRE DURAND (AID) ont conclu un contrat de société en participation (SEP) ayant pour objet l'acquisition afin de rénovation ou de destruction pour reconstruction d'un immeuble, 11bis-13 et 15 rue Delambre à Paris 14ème.

L'opération projetée ayant échoué, une transaction est intervenue entre la banque du Crédit Chimique, prêteur de deniers, et la société IMCO, gérant de la SEP et, par acte du 1er août 1994, l'immeuble a été vendu par IMCO à la société Commerciale Vernet, filiale de la banque.

Des difficultés étant survenues relativement au paiement de la TVA , AID a demandé la mise en oeuvre de la procédure arbitrale prévue par les statuts de la SEP et un compromis d'arbitrage a été signé entre les parties le 11 janvier 2007.

Le tribunal arbitral ad hoc composé de Mme L. de Costil, président, Philippe C. et Michel Rouger, arbitres, a rendu plusieurs sentences avant dire droit, les 25 juin et 5 novembre 2007, 10 janvier et 14 février 2008 et ordonné une mesure d'expertise confiée à M. K..

Par sentence à Paris du 6 juin 2008, le tribunal arbitral pareillement composé statuant en ouverture du rapport de M. K.

Dit AID bien fondée dans ses demandes de mise à la charge de CIFF du montant -109.974 € - correspondant aux intérêts moratoires appliqués à sa part de TVA, ainsi que du montant -10.095 € - des dépôts de garantie conservés.

Valide les calculs opérés par l'expert tels qu'établis dans la 3ème hypothèse de son rapport, laquelle intègre les décisions ci-dessus et arrête le solde entre les parties à F.8.120.350,63 (somme juste dans les chiffres de la page 58 du rapport, erronée de F.1.000 en plus page 59), soit 1.238.047 € chacune, somme pour laquelle AID sera condamnée au paiement à CIFF ès qualités de gérante de la SEP.

Condamne AID au paiement à CIFF de 115.000 € de dommages-intérêts, et CIFF au paiement à AID de 30.000 € au même titre.

Rejette les autres demandes et fixe les honoraires de l'expert à 42.900 € HT et les frais d'arbitrage à 75.000 € HT montants partagés à parts égales.

Par sentence à Paris du 19 décembre 2008, le tribunal arbitral saisi par AID d'une demande d'interprétation de la sentence du 6 juin 2008 et de réparation des erreurs et omissions l'affectant s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de rectification d'erreur invoquée par AID concernant le paiement de la TVA en relevant que la mesure sollicitée n'est ni la rectification d'une erreur ni la réparation d'une omission de statuer mais peut s'analyser comme un recours en révision, a dit AID mal fondée en sa demande de rectification de l'omission de statuer concernant la date de liquidation des comptes de la SEP et a rectifié l'erreur matérielle affectant la conversion de 8.123.550,63 € [en réalité francs] ramenant le montant de la condamnation à 1.237.939,47 € et a ordonné l'exécution provisoire.

La société AID a formé un recours en annulation contre chacune de ces sentences (RG08/17575 et 09/547)).

Elle invoque trois moyens d'annulation : le tribunal arbitral ne s'est pas conformé à la mission qui lui avait été conférée (article 1484 3° du CPC), le principe de la contradiction n'a pas été respecté (article 1484 4° du CPC ) et la nullité de l'article 1480 du CPC tirée du défaut de motivation (article 1484 5° du CPC).

Par conclusions du 20 octobre 2009, elle prie la cour de prononcer la nullité des deux sentences et subsidiairement, (...) pour le cas où par impossible, la Cour ne croirait pas devoir prononcer la nullité des sentences arbitrales entreprises, dire et juger que par application des articles 1491, 594 et 595 du Code de procédure civile, la société AID est recevable et fondée à solliciter la révision des dites sentences et faisant droit à la dite demande de révision, dire et juger que :

-Eu égard aux statuts de la SEP et aux dispositions des articles 1844-7 et 1844-8 du code civil la dissolution de la SEP DELAMBRE est acquise depuis le 18 juillet 1992 et qu'ayant réalisé son objet par la vente de l'immeuble intervenue le 1er août 1994, c'est à cette date que les comptes de liquidation doivent être arrêtés.

-C'est à tort et par erreur qu'il a été retenu dans la sentence du 6 juin 2008 que :

.jamais le gérant de la SEP n'a reçu le montant de la TVA payée par le cessionnaire, alors qu'il est établi par les pièces versées aux débats, le rapport de l'expert et la notification de redressement fiscal que la société IMCO (aujourd'hui dénommée CIFF) a perçu la dite TVA, soit 7.400.000 euros [en réalité francs] et qu'elle a encaissé cette somme sur son compte personnel ouvert dans les livres de la Banque Générale du Commerce et non pas sur celui ouvert à la Banque du Phénix et du Crédit Chimique comme l'imposait l'ouverture de crédit,

.la banque avait perçu le prix de vente TTC de l'immeuble social alors qu'elle n'a appréhendé que le prix HT,

.chacun des associés devait supporter la charge de la moitié de la dite TVA, soit 3.720.000 francs pour la part incombant à la société AID, alors que l'acquéreur de l'immeuble ayant payé l'intégralité de la TVA, il incombait à la société IMCO de la reverser au Trésor public sans imputation aucune sur le compte courant des associés.

En conséquence, renvoyer les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, afin que les comptes de liquidation de la société en participation DELAMBRE soient établis, à la date qui sera fixée par la Cour et en fonction de son appréciation des demandes de la société AID, telles que précisées dans son recours en révision.

Elle demande la condamnation de CIFF au paiement des frais d'expertise diligentée par M. K. et à lui verser 50.000 € au titre de l'article 700 du CPC.

Par conclusions du 5 novembre 2009, CIFF demande à la cour de dire irrecevables tant le recours en annulation de la sentence arbitrale du 6 juin 2008 que le recours en révision de la sentence du 19 décembre 2008", et ce, en application des articles 1484 et 1491 du Code de procédure Civile, de débouter AID de toutes ses prétentions et de la condamner à lui payer, en application des articles 1382 du code civil et 700 du CPC, 50.000 € de dommages-intérêts et, à titre d'indemnité de procédure, 50.000 € dans le corps des conclusions et 5.000 € dans la partie de celles-ci prise comme dispositif.

SUR QUOI,

Considérant que les recours connexes sont joints ;

Sur le recours en annulation de la sentence du 6 juin 2008:

Sur le premier moyen d'annulation : le tribunal arbitral ne s'est pas conformé à la mission qui lui avait été conférée (article 1484 3° du CPC):

AID fait valoir que dans son dernier mémoire après expertise CIFF a demandé sa condamnation à lui payer 1.698.011,54 € selon le quatrième cas de figure déterminé par l'expert alors que le tribunal arbitral a retenu la troisième hypothèse ; que lié par les écritures de CIFF le tribunal arbitral dont la mission est définie par la convention des parties et strictement par leurs prétentions ne pouvait retenir la troisième hypothèse.

Considérant que la mission de l'arbitre, définie par la convention d'arbitrage, est délimitée principalement par l'objet du litige, tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties ;

Qu'en reprochant au tribunal arbitral d'avoir, pour statuer sur la demande de paiement dont il était saisi, retenu le troisième plutôt que le quatrième cas de figure déterminé par l'expert chargé de donner son avis sur les comptes entre les parties, se borne à critiquer la motivation des arbitres et invite ainsi la cour à réviser au fond la sentence, ce qui est interdit au juge de l'annulation ;

Que le premier moyen est rejeté ;

Sur le deuxième moyen d'annulation : le principe de la contradiction n'a pas été respecté (article 1484 4° du CPC):

AID dit que CIFF a sciemment versé aux débats une copie tronquée de l'acte de vente du 1er août 1994 puisque la dernière page de cet acte qui fait apparaître les mentions manuscrites relatives au paiement de la TVA par l'acquéreur de l'immeuble n'a pas été produite et que, si le tribunal arbitral avait appliqué l'article 16 du CPC qui impose aux arbitres de faire observer et d'observer en toute circonstance le principe de la contradiction et exigé en conséquence de la société CIFF la production d'une copie certifiée conforme par le notaire de l'acte de vente et des pièces comptables faisant apparaître le versement des sommes payées par l'acquéreur de l'immeuble, la solution du litige aurait été différente.

Mais considérant qu'il n'est pas contesté que toutes les pièces dont les arbitres ont eu à connaître ont été communiquées aux parties et librement discutées ;

Que s'agissant particulièrement de l'acte de vente du 1er août 1994, AID l'a elle-même versé aux débats, ainsi qu'il ressort du bordereau des pièces communiquées annexé à son mémoire du 14 février 2007 ; que AID ne justifie donc pas qu'elle n'aurait pas eu connaissance de l'acte complet ;

Qu'elle avait donc toute possibilité d'en discuter contradictoirement le contenu au cours de la procédure d'arbitrage ;

Que s'agissant des pièces comptables, dont elle ne pouvait pas ignorer l'existence, il lui appartenait de les réclamer si elle l'estimait utile ;

Que le deuxième moyen est rejeté ;

Sur le troisième moyen d'annulation : le tribunal arbitral n'a pas motivé sa sentence (article 1484 5° du CPC) :

AID fait valoir qu'elle a demandé au tribunal arbitral de dire qu'au regard des statuts et des articles 1844-7 et 1844-8 du code civil la dissolution de la SEP DELAMBRE est acquise depuis le 18 juillet 1992 et qu'ayant réalisé son objet par la vente de l'immeuble intervenue le 1er août 1994, c'est à cette date que les comptes de liquidation doivent être arrêtés ; que les arbitres n'ont pas statué sur cette demande, affirmant seulement aux pages 9 et 10 de la sentence, sans aucune motivation, la date de la clôture des comptes sera celle à laquelle les parties y procéderont une fois la présente sentence rendue'.

Considérant sur ce point qu'il convient de renvoyer AID à la lecture des pages 9 et 10 de la sentence arbitrale III. Sur la date de clôture des comptes où les arbitres répondent précisément à sa demande tendant à voir juger que les comptes doivent être arrêtés à la date de vente de l'immeuble :

Qu'en réalité AID, mécontente de cette motivation, invite encore une fois la cour à effectuer un contrôle au fond de la sentence interdit au juge de l'annulation ;

Que le troisième moyen et partant le recours en annulation de la sentence du 6 juin 2008 sont rejetés ;

Sur le recours en annulation de la sentence du 19 décembre 2008:

Sur les deux moyens d'annulation ensemble : le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée et n'a pas motivé la sentence (article 1484 3° et 5° du CPC) :

AID reproche aux arbitres de s'être déclarés incompétents pour statuer sur la demande de rectification d'erreur matérielle concernant le paiement de la TVA et de l'avoir dite mal fondée dans sa demande de réparation d'omission de statuer concernant la date de liquidation des comptes de la

SEP en retenant, sur le premier point, que CIFF soutient à bon droit que la mesure sollicitée n'est ni la rectification d'une erreur matérielle ni la réparation d'une omission de statuer et que la demande peut s'analyser comme un recours en révision et, sur le second point, que CIFF soutient justement que la sentence du 6 juin 2008 a entièrement répondu aux demandes d'AID en exposant les motifs de leur rejet.

Considérant que ce faisant AID qui n'identifie pas en quoi le tribunal arbitral ne se serait pas conformé à sa mission ou n'aurait pas motivé sa décision, se borne, une fois de plus, à critiquer la motivation des arbitres dont elle est mécontente et invite la cour à réviser au fond la sentence ;

Que les moyens d'annulation et le recours en annulation de la sentence du 19 décembre 2008 sont rejetés ;

Sur le recours en révision :

Considérant qu'outre que le recours en révision est formé par citation selon l'article 598 du CPC applicable aux termes de l'article 1491 du même code en matière d'arbitrage interne, il n'est recevable qu'autant que la sentence est passée en force de chose jugée au moment où il est introduit ;

Qu'en conséquence le recours en révision est ici irrecevable, étant au demeurant observé que AID qui invoque à l'appui de ce recours le défaut de communication de la copie intégrale de l'acte de vente du 1er août 1994 et de l'extrait de la comptabilité du notaire a déjà fait valoir ces critiques dans le cadre du deuxième moyen rejeté (violation du principe de la contradiction) concernant le recours en annulation de la sentence du 6 juin 2008 ;

Sur la demande de dommages-intérêts :

Considérant que CIFF qui ne démontre pas que AID ait fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice est déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Sur les demandes au titre de l'article 700 du CPC:

Considérant que AID qui succombant supporte les dépens et dont la demande à ce titre est rejetée paie à CIFF 5.000 € ;

PAR CES MOTIFS:

JOINT les recours en annulation enregistrés au rôle général sous les numéros 08/17575 et 09/547 ;

REJETTE les recours en annulation des sentences des 6 juin et 19 décembre 2008 ;

DÉCLARE irrecevable le recours en révision ;

CONDAMNE la société AGENCE IMMOBILIÈRE DURAND à payer à la SARL CIFF 5.000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

REJETTE toute autre demande ;

CONDAMNE la société AGENCE IMMOBILIÈRE DURAND aux dépens et admet la SCP Michel Guizard, avoué, au bénéfice de l'article 699 du CPC.

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