CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 10 juillet 2025, n° 24/16717
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
EXAIL (SAS)
Défendeur :
SAFRAN ELECTRONICS & DEFENSE (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Me De Maria, Me Poindessault, Me Sikyurek, Me Filhol, Me BOCCON GIBOD, Me Reynaud
1. La cour est saisie du recours en annulation contre une sentence arbitrale (ci-après la " Sentence Partielle ") intitulée " Partial Award " rendue à Paris le 23 juillet 2024, par le tribunal arbitral composé de Monsieur [J] [C], Président, le professeur [M] [Y] et Monsieur [P] [G], dans le cadre d'une procédure ad hoc, dans un litige opposant la société Exail (anciennement Photonetics, puis iXsea, puis iXblue, ci-après " Exail "), à la société Safran Electronics & Defense (ancienemment SFIM Industries, ci-après " SED ").
2. Le magistrat en charge de la mise en état de cette affaire est saisi d'un incident par lequel Exail sollicite l'exequatur de la Sentence Partielle.
3. Le différend à l'origine de la Sentence Partielle concerne un contrat de concession de licence et de savoir-faire dénommé License and Know-how Agreement conclu entre Photonetics et SFIM Industries le 12 août 1993, modifié par avenant du 12 mai 2011, portant sur des gyroscopes à fibres optiques (en anglais " fiber-optic gyroscope ", ci-après les " FOG ") utilisant la technologie de Photonetics devenue Exail, en contrepartie du paiement d'une somme forfaitaire de 8 millions de francs, d'une part, et de redevances, d'autre part (le contrat étant ci-après dénommé la " Licence ").
4. Le 6 juin 1994, par " lettre additive ", les droits conférés par la Licence ont été étendus aux filiales à 100% de SED.
5. De multiples litiges sont nés entre les parties relatifs à la mise en 'uvre du contrat et trois procédures arbitrales ont été initiées en application de la clause compromissoire prévue à l'article IX de la Licence :
- La première a été initiée le 29 juin 2018 par SED devant un premier tribunal ad hoc ;
- La deuxième a été initiée le 13 juillet 2018 par Exail devant un tribunal arbitral CCI ;
- La troisième initiée par SED le 17 août 2021 devant un second tribunal ad hoc, qui a donné lieu à la Sentence Partielle et dans le cadre de laquelle Exail a formé des demandes reconventionnelles.
6. Par la Sentence Partielle du 23 juillet 2024, le second tribunal ad hoc a statué en ces termes :
" Based on the foregoing findings and reasons, the Tribunal, having duly deliberated:
1. Dismisses Claimant's claims in the Arbitration;
2. Declares that, with respect to the sales involving end-users located within the EEC, that the fiber optic gyros incorporated in SED Germany's products and product lines listed below qualify as "Products" according to Article I(B) of the License:
i. FOG(FMU)-3S family including 3S and 3S NG products and their derivatives,
ii. FOG-1S/RGU family including 1S, (P)1S-R, 1S-BCM, 1S-BCM1, 1S-A, RGU, RGU-A400M products and their derivatives,
iii. FOG-2P-S family and its derivatives,
iv. FOG-2M-A5 family including 2M-A5 and 2M-A5/D products and their derivatives,
v. FOG(FMU)-3M family including 3M and 3M-T products and their derivatives,
vi. FOG(FMU)-3E family including 3E and 3E-AP products and their derivatives,
vii. FOG(FMU)-3L family including 3L, 3L-B, P3L products and their derivatives,
viii. FOG(FMU)-3N family including 3N, 3N-E, 3NT-E, 3N-A, 3N-M10, 3N-M20, products and their derivatives,
ix. FOG(FMU)-200 family including P200, P200-A, P201 and P201-A products and their derivatives,
x. FOG(FMU)-300 family including P300, P301, P301-A and P301-B products and their derivatives,
xi. FOG(FMU)-500 family including 500, 500EW, P500, 500-E, 520-E, 504 products and their derivatives.
3. Declares, with respect to the sales to end-users located within the EEC, that Claimant is in breach of its obligations under the License Agreement and the Supplemental Agreement of 6 June 1994 due to sales by SED and/or SED Germany of "Products" from the product lines listed below made outside of the scope authorized by Article II(A)(3) of the License Agreement and/or without complying with the license recognition obligation provided for under Article II(D) of the License :
a) As to sales made outside of the scope authorized by Art II(A)(3) of the License Agreement :
FOG-2P-S family and its derivatives,
FOG(FMU)-200 family including P200, P200-A, P201 and P201-A products and their derivatives,
FOG(FMU)-300 family including P300, P301, P301-A and P301-B products and their derivatives,
FOG(FMU)-500 family including 500, 500EW, P500, 500-E, 520-E, 504 products and their derivatives;
b) As to sales made without complying with the license recognition obligation provided for under Art II(D) of the License Agreement:
FOG(FMU)-3S family including 3S and 3S NG products and their derivatives,
FOG-1S/RGU family including 1S, (P)1S-R, 1S-BCM, 1S-BCM1, 1S-A, RGU, RGU-A400M products and their derivatives,
FOG-2P-S family and its derivatives,
FOG-2M-A5 family including 2M-A5 and 2M-A5/D products and their derivatives,
FOG (FMU)-3M family including 3M and 3M-T products and their derivatives,
FOG(FMU)-3E family including 3E and 3E-AP products and their derivatives,
FOG(FMU)-3L family including 3L, 3L-B, P3L products and their derivatives,
FOG(FMU)-3N family including 3N-A, 3N-M10, 3N-M20, products and their derivatives,
FOG(FMU)-200 family including P200, P200-A, P201 and P201-A products and their derivatives,
FOG(FMU)-300 family including P300, P301, P301-A and P301-B products and their derivatives,
FOG(FMU)-500 family including 500, 500EW, P500, 500-E, 520-E, 504 products and their derivatives;
4. Orders Claimant to pay to Respondent EUR 1,400,000 in arbitration costs ;
5. Reserves its decisions on the other pending prayers for relief for Phase Two of the Arbitration, including the quantum of damages, the termination of the License Agreement, and the injunctive relief. "
Traduction produite par la demanderesse :
" Sur la base des constatations et des motifs qui précèdent, le Tribunal, après en avoir dûment délibéré :
1. Rejette les demandes du demandeur dans le cadre de l'arbitrage ;
2. Déclare que, en ce qui concerne les ventes impliquant des utilisateurs finaux situés dans la CEE, les gyroscopes à fibre optique incorporés dans les produits et lignes de produits de SED Germany énumérés ci-dessous sont qualifiés de " Produits " conformément à l'article I(B) de la Licence :
i. Famille FOG(FMU)-3S, y compris les produits 3S et 3S NG et leurs dérivés,
ii. Famille FOG-1S/RGU comprenant les produits 1S, (P)1S-R, 1S-BCM, 1S-BCM1, 1S-A, RGU, RGU-A400M et leurs dérivés,
iii. Famille FOG-2P-S et ses dérivés,
iv. Famille FOG-2M-A5, y compris les produits 2M-A5 et 2M-A5/D et leurs dérivés,
v. Famille FOG(FMU)-3M comprenant les produits 3M et 3M-T et leurs dérivés,
vi. Famille FOG(FMU)-3E comprenant les produits 3E et 3E-AP et leurs dérivés,
vii. Famille FOG(FMU)-3L comprenant les produits 3L, 3L-B, P3L et leurs dérivés,
viii. Famille FOG(FMU)-3N comprenant les produits 3N, 3N-E, 3NT-E, 3N-A, 3N-M10, 3N-M20 et leurs dérivés,
ix. Famille FOG(FMU)-200 comprenant les produits P200, P200-A, P201 et P201-A et leurs dérivés,
x. Famille FOG(FMU)-300 comprenant les produits P300, P301, P301-A et P301-B et leurs dérivés,
xi. Famille FOG(FMU)-500 comprenant les produits 500, 500EW, P500, 500-E, 520-E, 504 et leurs dérivés.
3. Déclare, en ce qui concerne les ventes aux utilisateurs finaux situés dans la CEE, que le demandeur manque à ses obligations en vertu de l'accord de licence et de l'accord complémentaire du 6 juin 1994 en raison des ventes par SED et/ou SED Germany des "produits" des lignes de produits énumérées ci-dessous effectuées en dehors du champ d'application autorisé par l'article II(A)(3) de l'accord de licence et/ou sans respecter l'obligation de reconnaissance de la licence prévue à l'article II(D) de la licence :
a) En ce qui concerne les ventes effectuées en dehors du champ d'application autorisé par l'article II(A)(3) de l'accord de licence :
Famille FOG-2P-S et ses dérivés,
Famille FOG(FMU)-200, y compris les produits P200, P200-A, P201 et P201-A et leurs dérivés,
Famille FOG(FMU)-300 comprenant les produits P300, P301, P301-A et P301-B et leurs dérivés,
Famille FOG(FMU)-500 comprenant les produits 500, 500EW, P500, 500-E, 520-E, 504 et leurs dérivés ;
b) En ce qui concerne les ventes réalisées sans respecter l'obligation de reconnaissance de la licence prévue à l'article II(D) de l'accord de licence :
Famille FOG(FMU)-3S comprenant les produits 3S et 3S NG et leurs dérivés,
Famille FOG-1S/RGU comprenant les produits 1S, (P)1S-R, 1S-BCM, 1S-BCM1, 1S-A, RGU, RGU-A400M et leurs dérivés, la famille FOG-2P-S et ses dérivés,
Famille FOG-2M-A5 comprenant les produits 2M-A5 et 2M-A5/D et leurs dérivés,
Famille FOG (FMU)-3M comprenant les produits 3M et 3M-T et leurs dérivés,
Famille FOG(FMU)-3E comprenant les produits 3E et 3E-AP et leurs dérivés,
Famille FOG(FMU)-3L comprenant les produits 3L, 3L-B, P3L et leurs dérivés,
Famille FOG(FMU)-3N comprenant les produits 3N-A, 3N-M10, 3N-M20 et leurs dérivés,
Famille FOG(FMU)-200 comprenant les produits P200, P200-A, P201 et P201-A et leurs dérivés,
Famille FOG(FMU)-300 comprenant les produits P300, P301, P301-A et P301-B et leurs dérivés,
Famille FOG(FMU)-500 comprenant les produits 500, 500EW, P500, 500-E, 520-E, 504 et leurs dérivés.
4. Condamne la Demanderesse à verser à la Défenderesse 1 400 000 EUR au titre des frais d'arbitrage ;
5. Réserve ses décisions sur les autres demandes de réparation pendantes pour la Deuxième phase de l'Arbitrage, y compris le montant des dommages-intérêts, la résiliation du Contrat de Licence et la mesure d'injonction. "
7. Par déclaration du 25 septembre 2024, SED a formé un recours en annulation contre la Sentence Partielle.
8. Par conclusions d'incident notifiées le 29 janvier 2025, Exail a sollicité du magistrat en charge de la mise état qu'il accorde l'exequatur à ladite Sentence Partielle.
9. L'audience d'incident a été fixée au 22 mai 2025.
10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er avril 2025, Exail demande au conseiller de la mise en état de bien vouloir :
o JUGER la société EXAIL SAS recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et prétentions ;
EN CONSEQUENCE :
Sur les demandes tendant à l'exequatur de la Sentence Partielle :
o ACCORDER l'exequatur à la sentence arbitrale internationale intitulée " PARTIAL AWARD " rendue le 23 juillet 2024 à Paris, par le Tribunal arbitral composé de M. [J] [C], Président, de M. le Prof. [M] [Y] et de M. [P] [G], en toutes ses dispositions.
En tout état de cause :
o DEBOUTER la société Safran Electronics & Defense de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
o CONDAMNER la société Safran Electronics & Defense au paiement à la Société EXAIL SAS de la somme de 100.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
o CONDAMNER la société Safran Electronics & Defense au paiement des entiers dépens.
11. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 avril 2025, SED demande à la cour de bien vouloir :
1. Constater que l'arbitrage est interne ;
En conséquence :
2. Débouter la société EXAIL SAS (anciennement dénommée IXblue) de sa demande d'exequatur de la Sentence arbitrale (" PARTIAL AWARD ") rendue à Paris le 23 juillet 2024, par le tribunal arbitral composé du Professeur [M] [Y] (arbitre), Monsieur [P] [G] (arbitre), et Monsieur [J] [C] (Président) sur le fondement de l'article 1496 du Code de procédure civile ;
En tout état de cause
3. Condamner la société EXAIL SAS (anciennement dénommée IXblue) à verser à la société SAFRAN ELECTRONICS & DEFENSE la somme de 25.000 euros (vingt-cinq mille) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
4. Condamner la Demanderesse à l'incident au paiement des entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS.
12. Le magistrat chargé de la mise en état renvoie à ces conclusions pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
A. Sur la demande d'exequatur de la Sentence Partielle
i. Position des parties
13. Exail invoque que les conditions de l'exequatur de la Sentence Partielle prévues par l'article 1515 du code de procédure civile sont réunies dès lors que :
- Exail a établi l'existence de la Sentence Partielle par la production de la copie de celle-ci réunissant les conditions requises pour son authenticité, de sa traduction assermentée, de la copie de la convention d'arbitrage et de sa traduction ;
- L'absence de contrariété manifeste de la sentence partielle à l'ordre public international n'est pas contestée par SED ;
- Contrairement à ce qu'invoque SED, la procédure d'arbitrage ad hoc ayant donné lieu à la Sentence Partielle est sans conteste un arbitrage international dans la mesure où :
o L'arbitrage est international lorsqu'il met en cause les intérêts du commerce international, le litige arbitré devant porter sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État ;
o Un arbitrage siégeant en France et opposant des parties françaises est international dès lors que l'opération litigieuse crée un flux transfrontalier de biens, de services, de technologies ou de devises ;
o La référence à l'affaire [T] est inopérante eu égard à son caractère exceptionnel et au fait que l'objet du compromis était en l'espèce circonscrit ;
o La Licence implique des opérations transfrontalières puisqu'elle accorde le droit de fabriquer ou faire fabriquer des produits en utilisant la technologie d'Exail en Europe, accorde le droit de vendre, installer, entretenir, utiliser et maintenir le produit dans le " monde entier " et porte sur des brevets délivrés dans plusieurs pays ;
o L'avenant de 2011 accorde notamment à SED des droits de fabrication de produits sous Licence au Brésil, en Russie et en Inde ;
o Le litige concerne le transfert et la mise en 'uvre du savoir-faire par SED Allemagne, qui commercialise les produits fabriqués dans le monde entier et l'arbitrage a notamment pour but de constater la résiliation de la Licence, qui aurait pour effet d'interdire à SED Allemagne de fabriquer et commercialiser les produits sous licence.
- SED invoque le caractère interne de l'arbitrage de manière opportuniste et en parfaite contradiction avec sa position précédemment tenue dans le cadre de la procédure d'exequatur de la sentence rendue lors de la première procédure d'arbitrage ad hoc.
14. SED conclut au rejet de la demande au motif que l'arbitrage n'est pas international mais interne, de sorte que le recours en annulation introduit le 25 septembre 2024 contre la Sentence Partielle, qui n'est pas revêtue de l'exécution provisoire, en a suspendu l'exécution. Elle fait valoir que l'arbitrage est né d'un litige portant sur une opération se dénouant uniquement en France, de la même manière que dans l'affaire [T], dès lors que :
- Le litige est né de manquements à la Licence, dont l'objet est le transfert du savoir-faire entre deux parties françaises, rémunéré par des transferts de flux financiers internes à la France ;
- Le fait que certains des manquements reprochés à SED concernent sa filiale allemande est indifférent :
o L'objet de la Licence n'est pas la fabrication des FOGs par SED Allemagne ni la commercialisation de produits utilisant la technologie d'Exail, mais uniquement la réalisation du transfert de savoir-faire d'Exail à SED ;
o L'arbitrage n'implique aucune relation contractuelle entre Exail et un partenaire économique étranger ;
o Le fait que des produits fabriqués sous licence puissent être vendus à l'étranger n'était pas l'objet du contrat tel que défini par les parties.
- La sentence finale à venir ne pourra générer que d'éventuels flux circonscrits à la France, les conséquences indirectes de la sentence finale sur la fabrication par SED Allemagne des produits utilisant la technologie d'Exail étant indifférentes à la qualification de la nature de l'arbitrage.
15. SED soutient par ailleurs qu'elle n'a pas méconnu le principe d'estoppel, faisant valoir que :
- Elle ne s'est pas contredite sur l'internationalité de l'arbitrage, la nature de l'arbitrage n'ayant pas été discutée dans la procédure d'annulation de la sentence rendue par le premier tribunal ad hoc ;
- Exail ne démontre pas dans quelle mesure les prétendues contradictions lui seraient préjudiciables ;
- La présente demande de SED intervient dans une procédure distincte de l'instance intentée aux fins d'annulation de la sentence partielle rendue par le premier tribunal ad hoc.
ii. Appréciation du magistrat en charge de la mise en état
16. Le magistrat en charge de la mise en état relève à titre liminaire que l'estoppel reproché par Exail à SED n'est pas invoqué comme fin de non-recevoir du moyen tiré de la nature interne de l'arbitrage mais comme un argument de fond au soutien du bien-fondé de la demande d'exequatur d'Exail.
' Sur la nature de l'arbitrage ayant donné lieu à la Sentence Partielle et le caractère suspensif du recours en annulation
17. En matière d'arbitrage international, l'article 1526 du code de procédure civile dispose que le recours en annulation formé contre la sentence n'est pas suspensif.
18. En application de l'article 1504 du code de procédure civile, est international l'arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international.
19. Il résulte de cette définition économique que l'arbitrage revêt un caractère international lorsque le différend soumis à l'arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul Etat, peu important la qualité ou la nationalité des parties, la loi applicable au fond du litige ou à la procédure ou le siège du tribunal arbitral.
20. En l'espèce, la Licence au c'ur du litige soumis au tribunal arbitral ayant rendu la Sentence Partielle a pour objet la concession par Exail à SED des droits et licences non-exclusifs et incessibles de faire et/ou fabriquer ou de faire faire et/ou fabriquer des Produits au sein de la Communauté économique européenne, et d'un droit non-exclusif et incessible de vendre, d'installer et d'entretenir, d'utiliser et de conserver des Produits dans le Territoire, ces droits et licences s'étendant aux modifications apportées au savoir-faire ou aux Produits (définies comme les " Améliorations ") (Article II de la Licence produites chacune des parties en pièce n°2).
21. Les Produits sont définis par la Licence comme désignant les gyroscopes à fibres optiques, ou toute partie ou pièce de ceux-ci, qui inclut ou est fabriqué en utilisant tout ou partie (i) du savoir-faire d'Exail ou (ii) au moins une des revendications au titre de l'un quelconque des Brevets listés en annexe de la Licence ou (iii) toute Amélioration y associée. Le Territoire désigne " le Monde ", la Licence précisant qu'en toute hypothèse l'utilisation d'un Produit par l'utilisateur final sera limitée à des applications spécifiques.
22. L'Annexe A, qui liste les brevets sous licence, énumère des brevets déposés en France, en Europe, au Canada, au Japon et aux Etats-Unis.
23. La Licence a également pour objet un transfert de savoir-faire, l'Article III régissant les conditions de mise à disposition par Exail de la documentation en matière de technologie des FOG et les modalités de formation des équipes de SED.
24. De manière concomitante à la conclusion d'une transaction mettant fin à certains litiges, l'Avenant à la Licence conclu le 12 mai 2011 (pièce SED n°6) a modifié les droits concédés notamment en étendant le champ des droits de fabrication et d'usage des Produits au Brésil, à la Russie et à l'Inde.
25. Le 6 juin 1994, par " lettre additive " à la Licence, les parties sont convenues que les droits accordés au concessionnaire " s'appliquent également aux fililales du licencié détenues à 100%, étant entendu que le licencié se porte garant du respect par ces filiales de l'ensemble des obligations auxquelles il est soumis au titre de l'accord ['] " (pièce SED n° 3).
26. Dans ses conclusions, SED décrit ainsi les demandes soumises au tribunal arbitral (§22) : " SED sollicitait du Tribunal ad hoc13, inter alia, (i) qu'il déclare que le prix mentionné à l'article III(B) de la Licence telle qu'amendée en 2011 correspond aux coûts encourus par Exail pour l'assistance technique, la formation et les visites sur site pour le transfert de technologie, facturés aux taux standards d'Exail, y compris les frais généraux et la marge de profit et de risque, dans la limite de 800 heures de travail, et (ii) qu'il fixe le prix du transfert conformément à l'article III(B) de la Licence, (iii) qu'il condamne Exail à indemniser SED pour les dommages causés par ses violations de la Licence, pour un montant à évaluer ultérieurement, (iv) qu'il juge que la résiliation de la Licence par Exail est abusive ; (v) qu'il ordonne à Exail d'indemniser SED pour les dommages causés par sa résiliation injustifiée de la Licence, à évaluer à un stade ultérieur ; et (vi) qu'il condamne Exail à payer tous les frais de SED pour la procédure d'arbitrage, y compris les frais d'arbitrage ainsi que les honoraires des avocats et des experts. "
27. Le magistrat en charge de la mise en état relève en outre que dans le cadre de la procédure devant la cour de céans portant sur la sentence arbitrale rendue dans la première procédure ad hoc, SED, sans invoquer le caractère international de l'arbitrage, a visé dans ses écritures les textes applicables à l'arbitrage international.
28. Il résulte de ce qui précède que le litige porte sur les conditions de mise en 'uvre et le respect par les parties de leurs obligations au titre d'un contrat de licence ayant pour objet de concéder des droits sur les produits Exail à l'international, et de transférer le savoir-faire technologique sur ces produits à SED, la Licence s'appliquant aux filiales à 100% de SED, dont SED se portait garant, étant souligné que le litige porte plus particulièrement sur les conditions de vente des produits par la filiale allemande de SED et sur la résiliation de la Licence.
29. En conséquence, le litige porte sur une opération qui se dénoue économiquement dans plusieurs Etats, de sorte que l'arbitrage ayant donné lieu à la Sentence Partielle est un arbitrage international au sens de l'article 1504 du code de procédure civile précité.
30. Par suite, SED est mal fondée à soutenir que, la Sentence Partielle n'étant pas assortie de l'exécution provisoire, le recours en annulation en a suspendu l'exécution.
' Sur la demande d'exequatur de la Sentence Partielle
31. L'article 1514 du code de procédure civile dispose que les sentences arbitrales sont reconnues ou exécutées en France si leur existence est établie par celui qui s'en prévaut et si cette reconnaissance ou cette exécution n'est pas manifestement contraire à l'ordre public international.
32. L'article 1515 du même code exige que l'existence d'une sentence arbitrale soit établie par la production de l'original accompagné de la convention d'arbitrage ou des copies de ces documents réunissant les conditions requises pour leur authenticité. Si ces documents ne sont pas rédigés en langue française, la partie requérante en produit une traduction.
33. Aux termes de l'article 1521 du code de procédure civile, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut conférer l'exequatur à la sentence, étant rappelé que, conformément à l'article 1526 du même code, le recours en annulation formé contre la sentence arbitrale n'est pas suspensif.
34. En l'espèce, Exail produit une copie de la Sentence Partielle (pièce Exail n°1) et une traduction assermentée de celle-ci (pièce Exail n° 1.1), ainsi qu'une copie de la convention d'arbitrage et de sa traduction (pièce Exail n°2).
35. Ces documents réunissent les conditions requises pour leur authenticité, qui ne sont au demeurant pas contestées et remplissent les conditions posées par l'article 1515 du code de procédure civile précité. L'existence de la sentence dont l'exequatur est sollicité est donc établie.
36. Il ne ressort par ailleurs des documents établissant l'existence de la Sentence Partielle aucune contrariété manifeste à l'ordre public international qui résulterait de la reconnaissance ou de l'exécution de celle-ci, étant souligné que le défendeur à l'incident n'invoque aucune contrariété manifeste à l'ordre public international de la sentence pour s'opposer à la demande d'exequatur.
37. Par suite, il sera fait droit à la demande d'Exail de conférer l'exequatur à la Sentence Partielle.
B. Sur les frais de l'incident
38. SED, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera tenue de supporter la charge des dépens de l'incident.
39. Elle sera par ailleurs condamnée à payer à Exail la somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs, le magistrat chargé de la mise en état :
1) Confère l'exequatur à la sentence arbitrale intitulée " Partial Award " rendue le 23 juillet 2024 à Paris, par le tribunal arbitral composé de Monsieur [J] [C], Président, le professeur [M] [Y] et Monsieur [P] [G] ;
2) Déboute la société Safran Electronics & Defense de toutes ses demandes ;
3) Condamne la société Safran Electronics & Defense aux dépens de l'incident ;
4) Condamne la société Safran Electronics & Defense à payer la somme de trente mille euros (30 000,00 euros) à la société Exail en application de l'article 700 du code de procédure civile.