CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 29 septembre 2011, n° 10/10807
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
QUEBEC INC (Sté)
Défendeur :
TECHMAN HEAD (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Périé
Conseillers :
Mme Guihal, Mme Dallery
Avoués :
SCP SCP TAZE BERNARD B.B, SCP HARDOUIN
Avocats :
Me Barbier, Me Grousseau
La société TECHMAN HEAD (TMH), société par actions simplifiée unipersonnelle, exerce une activité d'étude et de fabrication de pièces dans l'industrie aéronautique.
Après un plan de redressement permettant l'apurement des passifs sur une durée de 10 ans arrêté par jugement du tribunal de commerce de Toulon du 16 janvier 1995, la société a connu de nouvelles difficultés au cours des années 2006 et 2007.
Le 13 août 2008, était signé un protocole de cession de la totalité des titres sociaux par les actionnaires de la société TMH au profit de la société FIM'S sous conditions suspensives moyennant notamment un prix provisoire de 1.240.000 € et un prix définitif fixé en fonction de l'évolution des capitaux propres de la société au titre de la période comprise entre le 31 décembre 2006 et la date de réalisation.
L'acte de cession des titres constatant le transfert de propriété intervenait le 12 octobre 2008. La somme de 900.000 € était versée aux cédants et celle de 340.000 € mise sous séquestre.
Les parties ne parvenant pas à s'entendre sur le prix définitif, les cédants ont proposé le 16 février 2009, de mettre en oeuvre la clause compromissoire stipulée à l'acte de cession.
Par sentence rendue à Paris le 31 mars 2010, le tribunal arbitral ad hoc, composé de MM. H. et L., arbitres, et de M. Kling, Président, statuant en dernier ressort, a notamment:
- décidé que la variation des capitaux propres de TMH entre le 31 décembre 2006 et le 12 octobre 2008 s'élève à 588.768 €, sans qu'il y ait lieu d'arrêter les comptes sociaux de référence, et qu'en conséquence le prix définitif de la totalité des titres sociaux de TMH, cédés à FIM'S le 12 octobre 2008 est fixé à 651.232 €,
- décidé qu'en conséquence la somme de 340.000 € mise sous séquestre devra être intégralement versée à la société TMH (ex FIM'S),
-. décidé que Monsieur S., Madame B., Monsieur T., Monsieur T. et la société 9134-7997 QUEBEC inc, in solidum devront restituer la somme de 248.768 € au titre de la réduction de prix des actions TMH, à la société TMH (ex FIM'S) en sus des fonds mis sous séquestre,
- décidé que les intérêts éventuellement perçus par le séquestre sur les 340.000 € qu'il a dû placer reviendront intégralement à TMH (FIM'S),
- condamné solidairement les cédants à verser à TMH (FIM'S) des intérêts au taux de l'intérêt légal, calculés à compter du 13 janvier 2009 sur la somme de 115.036,41 € mais qu'il n'y a pas lieu de verser d'autres intérêts.
Les 19 et 26 mai 2010, Monsieur S., Madame B., Monsieur T., Monsieur T. et la société 91346-7997 QUEBEC inc ont formé deux recours en annulation contre la
sentence enregistrés respectivement sous les numéros 10/10807 et 10/11156.
Par conclusions du 8 juin 2011, ils en poursuivent l'annulation, demandent d'inviter les parties à conclure au fond, de leur donner acte de ce qu'ils reprennent devant la Cour les moyens et demandes exposés dans leurs mémoires successivement soumis au collège arbitral, de débouter TMH (FIM'S) de ses demandes, en toute hypothèse, ils sollicitent la condamnation de TMH (FIM'S) à leur verser solidairement la somme de 50.000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'à lui rembourser l'intégralité des frais et honoraires qu'ils ont réglés.
Ils font valoir d'une part que les arbitres ont statué en dehors des termes de la convention d'arbitrage et en violation du principe de la contradiction sur le fondement des articles 1484 3°et 4° du code de procédure civile ainsi que 5 du code de procédure civile, en statuant ultra petita, d'autre part, que les arbitres ont statué en méconnaissance de leur mission sur le fondement de l'article 1484 3° du code de procédure civile, en ne se prononçant pas en droit et en dénaturant les données du litige. Sur les conséquences de l'annulation de la sentence, les recourants soutiennent que la qualification d'arbitrage international ne pouvant être retenue, la Cour devra se saisir de l'entier litige au fond.
Par conclusions du 27 mai 2011, la société TMH dénommée dans le cadre du recours FIM'S demande à la Cour, à titre principal, de déclarer irrecevable et en tout état de cause mal fondé le recours en annulation, et, en cas d'annulation de la sentence arbitrale d'ordonner la réouverture des débat s'agissant d'un arbitrage interne, en tout état de cause de débouter les appelants de leurs demandes et de condamner chacun d'eux à lui verser 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI,
Sur la jonction
Considérant qu'il convient pour une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 10/10807 et 10/11156 ;
Sur la qualification de l'arbitrage en cause
Considérant que selon l'article 1492 du code de procédure civile devenu l'article 1504 du même code, Est international l arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ;
Considérant que contrairement à ce que soutiennent les parties, tel est le cas en l'espèce, puisqu'en effet, bien que l'opération de cession porte sur la société TMH de droit français dont le siège est à Toulon, l'un des cédants est une société de droit canadien de sorte que le litige soumis à l'arbitrage porte sur une opération qui ne se dénoue pas exclusivement sur le territoire français, le paiement du prix de cession entraînant nécessairement un mouvement de fonds transfrontaliers ;
Sur le moyen d'annulation pris de la méconnaissance par les arbitres de leur mission (article 1502 3° du code de procédure civile, désormais 1520 3° du même code)
Les recourants soutiennent que les arbitres ont méconnu leur mission :
- d'une part en prononçant une condamnation in solidum et une condamnation solidaire contre les cédants en l'absence de demande en ce sens de la société cessionnaire,
- d'autre part en ne statuant pas en droit et en dénaturant les données du litige, faisant valoir:
En premier lieu, que les arbitres:
- ne se sont pas prononcés sur le manquement du cessionnaire au devoir de cohérence, en violation de l'article 5 du code de procédure civile alors qu'ils ont sollicité à titre subsidiaire des arbitres à l'appui de leur demande dommages et intérêts qu'ils disent et jugent que leur consentement a été vicié par le comportement dolosif ou équipollent au dol de la société FIM'S ou que cette dernière a fautivement manqué à son obligation de cohérence'. A cet égard, ils exposent que FIM'S qui a été retenue au vu des ses offres successivement améliorées de façon substantielle, a prétendu après la signature de l'acte de cession, sous couvert de la clause destinée à corriger le prix convenu de la variation subie par les capitaux propres de TMH entre la signature des actes de cession et la prise effective du contrôle, que le prix devait être ramené à une valeur négative ou, au mieux pour les cédants à 21.000 €,
- ont violé sans le motiver le règlement intérieur national (RIN) relatif à la confidentialité des courriers échangés entre avocats, pour prendre en compte une nouvelle réduction de capitaux propres et condamner solidairement les cédants à l'intérêt légal depuis la date du courrier du 13 janvier 2009.
- ont usé d'une approche qui aurait pu être celle d'un amiable compositeur expressément rejetée par les parties dans l'acte de mission au lieu de statuer en droit sur l'ensemble des points en litige.
En second lieu, que si l'objet du litige comportait l'analyse de la variation des capitaux propres, celle ci ne pouvait sans dénaturation de la clause de fixation du prix conduire à retraiter les comptes sociaux de référence' visant le bilan arrêté au 31 décembre 2006, expression supposant nécessairement le caractère intangible de la situation nette en découlant comme ayant servi de référence à la fixation du prix provisoire.
En ce qui concerne la première branche du moyen,
Considérant que la mission des arbitres est essentiellement délimitée par l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions respectives des parties;
Considérant que si au terme de son mémoire du 21 décembre 2009, la société TMH (FIM'S) sollicite la condamnation des cédants à la restitution du prix provisoire encaissé excédant le prix définitif ainsi qu'au remboursement des intérêts et frais financiers divers supportés par l'acquéreur au titre des contrats de financement mis en oeuvre pour la partie du prix provisoire excédant le prix définitif, il n'est sollicité aucune condamnation solidaire ou in solidum des cédants ;
Qu'en conséquence, en décidant que Monsieur S., Madame B., Monsieur T., Monsieur T. et la société 91346-7997 QUEBEC inc in solidum devront restituer la somme de 248.768 € au titre de la réduction de prix des actions TMH, à la société TMH (ex FIM'S) en sus des fonds mis sous séquestre et en condamnant solidairement les cédants à verser à TMH (FIM S) des intérêts au taux de l'intérêt légal, calculés à compter du 13 janvier 2009 sur la somme de 115.036,41 €, les arbitres ont méconnu leur mission ;
Considérant que contrairement à ce que soutiennent les recourants, l'annulation de la solidarité des condamnations contenues dans la sentence ne rend pas celle ci inexécutable puisqu'en effet il en résulte une condamnation conjointe, par parts viriles, applicable à chacun des cédants en fonction de son nombre de parts ;
Que les arbitres ayant statué ultra petita, il y a lieu à annulation partielle de la sentence du chef de la solidarité des condamnations prononcées ; qu'à cet égard, si TMH demande de lui donner acte qu'à l'occasion de la signification de la sentence revêtue de l'exequatur, elle n'en a pas sollicité le paiement solidaire, elle n'a pas pour autant renoncé expressément au bénéfice de cette solidarité à l'encontre des cédants;
En ce qui concerne la seconde branche du moyen,
Considérant en premier lieu, sur l'omission de statuer en droit pris d'une part du défaut de réponse à l'obligation de cohérence, que les arbitres ont dit qu'il n'y avait lieu à quelconque indemnité au titre de dommages et intérêts ; que le paragraphe 14 de la sentence intitulé Sur le dol (p.41) qui motive cette décision, retient notamment Que l auditeur mandaté par l acquéreur n ait pas vérifié les méthodes de valorisation des stocks et des en cours est une négligence, voire une faute, compte tenu de l'importance de ces postes dans la société TMH, mais qu'il n'a pas été rapporté la preuve que cette omission avait été faite volontairement par l'auditeur pour permettre à l'acquéreur de contester ultérieurement lesdites méthodes en vue de baisser les prix ; que ce faisant, les arbitres qui n étaient pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ont implicitement mais nécessairement rejeté le manquement fautif à l'obligation de cohérence allégué pesant sur le cessionnaire à l'occasion de l'émission de ses offres successives ; que le grief fait aux arbitres de s'être limité à la recherche des éléments constitutifs d'un dol qui n'était pas invoqué tant était considérable le gouffre qui séparait les offres initiales et la réfection de prix ultérieurement réclamée' tend en réalité à une révision de la sentence interdite au juge de l'annulation ;
Considérant d'autre part, sur la violation alléguée de l'obligation de confidentialité qui aurait permis une nouvelle réduction de capitaux propres et qui aurait servi à fixer le point de départ de la condamnation solidaire des cédants à l'intérêt légal, que celle ci ne constitue pas un moyen d'annulation de la sentence au regard des dispositions de l'article 1520 3° du code de procédure civile ;
Considérant enfin que contrairement à ce que soutiennent les recourants, les arbitres ont statué en droit conformément à l'acte de mission du 11 septembre 2009 ; qu'ils ont ainsi motivé point par point leur sentence par un raisonnement à caractère juridique, sans égard à des considérations étrangères au droit ; qu'il en va ainsi notamment de la contestation relative aux cotisations sociales sur transactions avec les directeurs généraux', du raisonnement qui les conduit, après avoir examiné les éléments de preuve et s'être prononcé sur le caractère de salaire de ces sommes, à constater la nécessité d'une provision de 22.037 € et à subordonner la diminution des capitaux propres des comptes de référence de ce montant à la condition du versement effectif de ces indemnités ; qu'il en va de même de la position qu'ils adoptent sur la contestation relative aux dépenses de maintenance informatiques' comptabilisées en immobilisations ou encore sur l'absence de preuve de manoeuvres dolosives commises par les parties ;
Considérant en second lieu, qu'en soutenant que les arbitres ne pouvaient retraiter les comptes sociaux de référence' sans dénaturer les données de la clause de fixation du prix, les recourants invitent la Cour à une révision de la sentence interdite au juge de l'annulation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen d'annulation pris de la méconnaissance par les arbitres de leur mission, ne peut être accueilli en sa seconde branche ;
Sur le moyen d'annulation pris de la violation par les arbitres du principe de la contradiction (article 1502 3° du code de procédure civile, désormais 1520 3° du même code)
Les recourants reprennent sur ce fondement leur développement quant aux condamnations in solidum et solidaire prononcées contre les cédants en l'absence de demande en ce sens de la société cessionnaire.
Considérant que compte tenu de ce qui a été dit, le moyen d'annulation tiré de la violation du principe de la contradiction, est dépourvu d'objet ;
Sur les autres demandes
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties ;
Considérant que les demandes plus amples ou contraires des parties sont par ailleurs rejetées ;
PAR CES MOTIFS,
Prononce la jonction des procédures enrôlées sous les numéros 10/10807 et 10/11156 ;
Annule partiellement la sentence rendue à Paris le 31 mars 2010 par le tribunal arbitral en ce qu'elle assortit de la solidarité les condamnations qu'elle prononce ;
Rejette le surplus du recours et toutes autres demandes ;
Condamne la société TECHMAN HEAD aux dépens et admet la SCP TAZE BERNARD & BELFAYOL BROQUET, avoués, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.