CA Paris, 1re ch. - C, 15 mai 2008, n° 06/17874
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
SAINT JAMES (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Périé
Conseillers :
M. Matet, M. Hascher
Avoués :
SCP DUBOSCQ-PELLERIN, SCP BERNABE- CHARDIN- CHEVILLER
Avocats :
Me Sexer, Me Gicquel
Suivant accord transactionnel du 9 mars 1998, M. LE FORESTIER et la société SAINT JALMES se sont engagés à permettre une cession du groupe HUIT aux meilleurs conditions et à gérer les sociétés composant le groupe en bon père de famille, et en contrepartie MM. E...et la société DE BOTHAN se sont engagés à céder au groupe LF leur participation dans le groupe HUIT pour un prix en partie déterminé et en partie variable reposant notamment sur les résultats.
Les parties étant en désaccord sur l'exécution du protocole, lequel renfermait une clause compromissoire en son article 12, ont engagé la procédure arbitrale.
Suivant sentence du 13 décembre 2004, le tribunal arbitral composé de M. LECLERCQ, président, de MM. HOVASSE et STOUFFLET, arbitres, statuant à titre provisionnel, a :
- condamné M. LE FORESTIER et la société SAINT JALMES à payer à MM. D...N et la société DE BOTHAN la somme de 143 736, 37 € , à charge pour eux de se la répartir en référence aux termes du protocole conclu le 9 mars 1998 et au prorata de leurs cessions d'actifs qui y sont énumérés,
- dit que dans la mesure où la société GLOBAL VIEW INVEST aura exécuté à son profit les engagements pris par elle dans la convention du 28 août 2004, M. LE FORESTIER et la société SAINT JALMES rétrocéderont à MM. E...et à la société DE BOTHAN les sommes suivantes
186 946, 88 € avant le 30 octobre 2005
186 946, 88 € avant le 30 octobre 2006
386 356, 88 € avant le 30 octobre 2007
49 852, 50 € ultérieurement.
Suivant une deuxième sentence du 2 septembre 2005, le tribunal arbitral a :
- confirmé les condamnations prononcées par la sentence du 13 décembre 2004,
- condamné MM. E...et la société DE BOTHAN à souscrire au profit de la société GLOBAL VIEW INVEST la garantie prévue à leur charge, et ce sous astreinte de 1 000 € par jour de retard après la mise en demeure qui leur sera faite par ministère d'huissier de justice,
- condamné solidairement M. LE FORESTIER et la société SAINT JALMES à payer à MM. E...et la société DE BOTHAN la somme de 2 021 € et à les contre- garantir en cas d'appel de la garantie qu'ils auront souscrite au profit de la société GLOBAL VIEW INVEST pour un montant supérieur à la moitié de ce qu'ils auront reçu au titre de la rétrocession fixée par la sentence du 13 décembre 2004,
- condamné M. A...et la société SAINT JALMES à supporter 3 / 4 des frais et honoraires d'arbitres résultant de la procédure d'arbitrage ; condamné MM. E...et la société DE BOTHAN à supporter le solde.
Suivant une troisième sentence rectificative et interprétative, du 17 décembre 2005, le tribunal arbitral a. :
- dit que dans le dispositif de la sentence du 13 décembre 2004, les mots : " dans la mesure où la société GLOBAL VIEW INVEST aura exécuté à son profit les engagements pris par elle dans la convention du 28 août 2004, M. A...et la société SAINT JALMES rétrocéderont à M M. E...et à la société DE BOTHAN les sommes suivantes :
186 946, 88 € avant le 30 octobre 2005
186 946, 88 € avant le 30 octobre 2006
386 356, 88 € avant le 30 octobre 2007
49 852, 50 € ultérieurement. "
Seront rectifiés selon la formulation suivante :
" dans la mesure où la société GLOBAL VIEW INVEST aura exécuté à son profit les engagement s pris par elle dans la convention du 28 août 2004, M. A...et la société SAINT JALMES rétrocéderont à MM. E...et à la société DE BOTHAN les sommes suivantes :
186 946, 88 € entre le 30 octobre 2005, et le 28 avril 2006,
186 946, 88 € entre le 30 octobre 2006, et le 28 avril 2007,
386 356, 88 € entre le 30 octobre 2007, et le 28 avril 2008,
49 852, 50 € ultérieurement, après mainlevée ou caducité de la contre- garantie résiduelle de 5 % ".
MM. E...et la société DE BOTHAN ont formé un recours en annulation à l'encontre des trois sentences. Puis, les recourants se sont désistés de leur recours contre la sentence provisoire du 13 décembre 2004.
Ils prient la Cour d'annuler les sentences des 2 septembre et 17 décembre 2005, au visa l'article 1484 du code de procédure civile au motif que le tribunal arbitral a violé le principe de la contradiction, a méconnu sa mission en ne statuant pas en équité et en confirmant une précédente décision, et en statuant extra petita.
Ils demandent l'annulation de la sentence interprétative car les arbitres ont été au delà de la simple interprétation sans avoir reçu mission des parties d'aménager l'exécution de la sentence.
Enfin, ils sollicitent la condamnation in solidum de M. A...et la société SAINT JALMES au paiement à chacun d'eux de la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. A...et la société SAINT JALMES, qui n'ont pas accepté le désistement du recours contre la sentence provisoire, concluent au rejet des recours et demandent de condamner MM. E...et la société DE BOTHAN à leur payer la somme de 30 000 € pour procédure abusive et celle de 12 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur ce, la Cour
Considérant que l'article 1492 du code de procédure civile définit, indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la loi applicable au fond ou à l'arbitrage, ou encore du siège du tribunal arbitral, l'arbitrage international à l'aide d'un critère exclusivement économique selon lequel il suffit que le litige soumis à l'arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul Etat ; qu'en l'espèce, le litige a pour origine le protocole d'accord signé entre les parties le 9 mars 1998 auquel se rattache la clause compromissoire tendant au règlement des difficultés nées de différentes restructurations survenues au sein d'un groupe français, le groupe HUIT ; que la cession des parts des sociétés du groupe à la société GLOBAL VIEW INVEST de droit tunisien n'influe pas sur le caractère international du litige puisque le protocole vise à régler les différends nés entre MM. E...et la société DE BOTHAN et M. A...et la société SAINT JALMES et qu'au demeurant l'instance arbitrale a été engagée bien avant que la cession des actions à la société tunisienne, créée quelques semaines plus tôt, n'intervienne le 28 août 2004 ; que, d'ailleurs, si MM. E...et la société DE BOTHAN écrivent que l'arbitrage est international, ils font valoir des moyens d'annulation, comme M. A...et la société SAINT JALMES y répondent, au seul visa des dispositions de l'article 1484 relatives à l'arbitrage interne ; que, par suite, ce recours en matière d'arbitrage interne est régie par les dispositions de l'article 1484 du code de procédure civile ;
Sur le recours contre la sentence arbitrale du 13 décembre 2004
Considérant que MM. E...et la société DE BOTHAN s'étant désistés de ce recours, ce désistement est parfait en l'absence de recours incident de M. A...et la société SAINT JALMES ;
Sur le recours contre la sentence arbitrale du 2 septembre 2005
Sur le premier moyen d'annulation, le tribunal arbitral n'a pas respecté le principe de la contradiction (article 1484 4o du code de procédure civile)
MM. E...et la société DE BOTHAN font valoir que pour rejeter la fraude qu'ils imputaient à M. A..., le tribunal arbitral s'est fondé sur les mandats de gestion confiés à ce dernier, alors que ces mandats n'ont jamais été communiqués au cours de la procédure d'arbitrage. Ils disent que les arbitres ayant statué au vu de pièces qui ne leur ont pas été communiquées ont violé le principe de la contradiction.
Considérant que les arbitres n'ont nullement fait référence dans leur sentence à des mandats écrits sur lesquels ils auraient fondé leur raisonnement mais se sont bornés, au vu des explications des parties au cours de la procédure arbitrale, à considérer que des mandats de gestion avaient été confiés à M. A...; que, par suite, les recourants ne caractérisent nullement le non respect du principe de la contradiction qu'ils invoquent ; que le premier moyen d'annulation est donc rejeté ;
Sur le second moyen d'annulation, le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée (article 1484 3o du code de procédure civile)
MM. E...et la société DE BOTHAN articulent que les arbitres, qui devaient statuer en amiables compositeurs, n'ont pas pris en considération l'équité pour écarter leurs demandes, et n'ont pas expliqué en quoi le rejet de la qualification de fraude serait conforme à l'équité. Ils disent que le tribunal arbitral se contente d'analyser les faits présentés par les parties à l'appui de leurs moyens sans contrôler si ces faits au regard de l'équité ne pouvaient constituer une fraude à leurs droits, qu'il a fait une application du prix fixé par le contrat de cession sans la confronter à l'équité, et a exclu la valeur de la SCI DU BIGNON des élément à prendre en considération pour déterminer le montant des rétrocessions sans référence à l'équité.
MM. E...et la société DE BOTHAN disent également que les arbitres en confirmant les condamnations prononcées par la sentence du 13 septembre 2004 se sont arrogés un pouvoir qui ne leur appartenait pas puisqu'ils ne disposent pas du pouvoir conféré aux seules cours d'appel de confirmer ou de réformer les sentences.
Enfin, ils soutiennent que les arbitres ont accordé plus que ce qui leur était demandé en subordonnant la condamnation bénéficiant aux consorts E... au versement du prix par la société GLOBAL VIEW INVEST et en assortissant d'une astreinte la condamnation dont ils sont l'objet.
Considérant que la sentence témoigne de la recherche d'une solution conforme à l'équité par les références répétées à l'équité dans les motifs (pages 14, 16,) et dans le dispositif (page 18) ; qu'en effet, le tribunal arbitral a rejeté l'imputation de fraude de M. A...en expliquant que les éléments invoqués par MM. E...et la société DE BOTHAN ne la démontrent pas, a repris dans le détail les arguments avancés par ces derniers et y a répondu précisément page 14, a pris en considération l'importance du rôle joué par M. A...pour assurer la survie du groupe, comme l'ont reconnue MM. E..., a dit que les faiblesses du groupe rendait délicate la cession, et a recherché si la vente par un établissement bancaire n'aurait pas été plus avantageuse pour MM. E...; que ce faisant, les arbitres ont bien confronté à l'équité les imputations de fraude ; que le tribunal arbitral en énonçant que " le prix des actions ne peut être utilement considéré comme anormalement disproportionné " et " qu'eu égard à la fréquence des crises qui ont affecté successivement le groupe, sa modeste notoriété, ses difficultés de positionnement commercial, son endettement, la situation continûment déficitaire de la plupart des filiales, mais sans négliger ses potentialités subsistantes, il n'apparaît aucunement anormal que l'acte de cessions ait retenu une valorisation correspondant au montant des capitaux propres, " a confronté la valorisation proposée dans les conclusions du rapport d'expertise en limitant l'emprise du droit sur le litige pour fixer le prix des actions ; qu'enfin, le tribunal arbitral en disant que la valeur de la SCI DU BIGNON a été comprise dans la valorisation d'une autre société n'a pas méconnu sa mission d'amiable compositeur ;
Considérant que MM. E...et la société DE BOTHAN ne peuvent soutenir sérieusement que le tribunal arbitral se serait arrogé un droit dévolu aux seules juridictions du second degré, car la confirmation des condamnations prononcées par la sentence du 13 décembre 2004 par les arbitres ne constitue qu'une expression visant à ne pas reprendre matériellement le détail des sommes énumérées dans la sentence provisoire, alors que le tribunal arbitral s'est employé dans les motifs de la sentence attaquée à expliquer en quoi les sommes sont dues en répondant précisément aux nouveaux arguments développés par les parties ;
Considérant que le tribunal arbitral en subordonnant la condamnation du paiement du prix par M. A...aux consorts E... à l'exécution par la société GLOBAL VIEW INVEST de ses propres engagements, s'est limité à organiser les modalités d'exécution du protocole d'accord conformément aux termes de sa mission dans leur lettre d'engagement de la procédure arbitrale MM. E...et la société DE BOTHAN indiquent qu'ils entendent poursuivre l'exécution du protocole... " et ses pouvoirs d'amiable compositeur lui conféraient la faculté de donner au règlement de ses condamnations entre parties une solution équitable ; que, par suite, le second moyen d'annulation sur les points précités est rejeté ;
Considérant que selon les énonciations de la sentence, dans l'acte de mission, les parties " dispensent les arbitres des dispositions du nouveau code de procédure civile " ; que, par suite, alors que ni la clause compromissoire ni l'acte de mission ne l'ont prévu, le tribunal arbitral en assortissant sa décision d'une astreinte qui n'a pas été demandée par l'une ou l'autre des parties dans les mémoires ne s'est pas conformé à sa mission ; que, par suite, il convient d'annuler partiellement la sentence en ce qu'elle condamne MM. E...et la société DE BOTHAN sous astreinte de 1 000 € par jour de retard après la mise en demeure qui leur sera faite par ministère d'huissier de justice ;
Sur le recours en annulation la sentence interprétative et rectificative du 17 décembre 2005
MM. E...et la société DE BOTHAN soutiennent que sous couvert d'interprétation les arbitres ont modifié la portée de la sentence arbitrale alors qu'ils n'avaient pas mission d'aménager l'exécution de la sentence.
Mais considérant que la sentence du 17 décembre 2005 n'apporte pas une modification à la sentence précédente, mais l'interprète seulement pour permettre de résoudre une difficulté matérielle consécutive à des dispositions qui ne s'articulaient pas, la date de rétrocessions par M. A...et la société SAINT JALMES et les dates de paiement des annuités par la société GLOBAL VIEW INVEST en vertu de ses propres obligations, dont les calendriers ne coïncidaient pas ; qu'en introduisant une plage plus étendue s'étendant jusqu'au 28 avril de l'année suivante, pour ces rétrocessions subordonnées à la réception des fonds à répartir, le tribunal n'a modifié aucun des droits à paiement consacrés par le sentence arbitrale au profit de MM. E...et la société DE BOTHAN et s'est borné à interpréter sa sentence ; que ce moyen et partant le recours en annulation contre la sentence du 17 décembre 2005 est rejeté ;
Sur la demande de dommages et intérêts et d'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que M. A...et la société SAINT JALMES n'établissent pas de circonstances particulières ayant fait dégénérer en abus le recours de MM. E...et la société DE BOTHAN ; qu'il convient de les débouter de leur demande de dommages et intérêts ;
Considérant que MM. E...et la société DE BOTHAN qui succombent sont condamnés aux dépens et leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile rejetée tandis qu'il convient de les condamner à payer à ce titre à M. A...et la société SAINT JALMES la somme de 12 000 € ;
Par ces motifs
Déclare parfait le désistement du recours en annulation de la sentence du 13 décembre 2004 de MM. E...et la société DE BOTHAN,
Annule partiellement la sentence du 2 septembre 2005 en ce qu'elle condamne MM. E...et la société DE BOTHAN sous astreinte de 1 000 € par jour de retard après la mise en demeure qui leur sera faite par ministère d'huissier de justice,
Rejette le recours en annulation de la sentence du 2 septembre 2005 pour le surplus,
Rejette le recours en annulation de la sentence interprétative et rectificative du 17 décembre 2005,
Déboute M. A...et la société SAINT JALMES de leur demande pour procédure abusive,
Condamne MM. E...et la société DE BOTHAN à payer à M. A...et la société SAINT JALMES la somme de 12 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne MM. E...et la société DE BOTHAN aux dépens et admet la SCP BERNABE- CHARDIN- CHEVILLER, avoués, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.