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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 23 février 2016, n° 15/06713

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

La Provence (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Hecq Cauquil, M. Mulliez

Avocats :

Me Guizard, Me Dupuy, Me Tissot, Me Reynaud

CA Paris n° 15/06713

22 février 2016

Exposé des faits

- signé par Madame DALLERY, conseillère, faisant fonction de présidente et par Madame PATE, greffier présent lors du prononcé.

M. Jean Pierre T., journaliste, a saisi la Commission arbitrale des journalistes dans le cadre de l'article L 7112-4 du code du travail pour déterminer l'indemnité lui revenant par application du premier alinéa de cet article en raison d'une ancienneté supérieure à quinze années dans la société La Provence.

Suivant décision rendue le 3 mars 2015, la Commission arbitrale des journalistes composée de MM. Pierre D. et René D. ainsi que de Mmes Dominique P. et Marie H., arbitres et de M. Pierre LYON CAEN, président, a fixé à 131.415 € le montant de l'indemnité de licenciement due à M. T. par la société La Provence, et, en tant que de besoin, a condamné cette dernière à payer la différence entre cette somme et celle déjà perçue, soit la somme de 73.266,17 €, outre intérêts de droit ainsi que la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société La Provence a formé un recours en annulation contre cette décision.

Aux termes de ses conclusions notifiées par le RPVA le 3 juin 2015, la société La Provence prie la cour d'annuler en toutes ses dispositions la sentence rendue.

Elle soutient en premier lieu que la constitution du tribunal arbitral est irrégulière, en second lieu que rien ne permet de considérer que la sentence a été rendue à la majorité des voix, en troisième lieu, que la décision viole les règles d'ordre public tenant au bénéfice du droit à un procès équitable, à un recours effectif ainsi qu'au principe de l'égalité de tous devant la loi.

Par des conclusions notifiées par le RPVA le 1er octobre 2015, M. Jean Pierre T. demande de débouter la société La Provence de son recours en annulation, de confirmer la décision rendue par la commission arbitrale des journalistes et de condamner celle ci au paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile , à lui verser la somme de 5.000 € à titre de dommages intérêts et 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Motifs

SUR QUOI,

Sur le premier moyen d'annulation pris de la constitution irrégulière du tribunal arbitral (article 1492 2° du code de procédure civile)

La Provence soutient que la composition de la Commission arbitrale des journalistes qui a siégé et qui a rendu la décision litigieuse était différente de celle qui avait été annoncée dans la convocation adressée aux parties puisque M. D. a siégé comme arbitre du collège salarié au lieu de Mme A. M. sans justification de cette désignation en lieu et place.

Considérant qu'il appartenait à La Provence de soulever le moyen tenant à l'irrégularité de sa composition devant la commission arbitrale ; que faute de l'avoir fait, la recourante y a implicitement mais nécessairement renoncé ; que ce moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le second moyen d'annulation pris de ce que la sentence n'a pas été rendue à la majorité des voix (1492 6° du code de procédure civile)

La Provence soutient que, bien que signée par tous les arbitres, la sentence ne précise pas qu'elle est rendue à la majorité des voix et que les délibérations étant secrètes, les parties n'ont aucun moyen de s'assurer du respect des dispositions de l'article 1480 du code de procédure civile prescrites à peine de nullité par celles de l'article 1483 du même code.

Considérant qu'aux termes de l'article 1480 du code de procédure civile, 'la sentence arbitrale est rendue à la majorité des voix. Elle est signée par tous les arbitres', que l'article 1483 prévoit que ces dispositions sont prescrites à peine de nullité;

Considérant cependant qu'il ne peut se déduire de l'absence de mention à cet égard, la preuve de ce que la sentence n'a pas été rendue à la majorité des voix alors que cette décision a été paraphée et signée par chacun des arbitres ainsi que par le président ce qui permet de présumer que la sentence a été prononcée à la majorité ; que ce moyen pris ne peut qu'être écarté ;

Sur le troisième moyen d'annulation pris de la contrariéré de la sentence à l'ordre public (1492 5° du code de procédure civile)

La Provence soutient en premier lieu que le principe d'égalité de tous devant la loi posé par l'article 6 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen a été violé en ce que par l'effet combiné de l'article L 7112-3 du code du travail et de la décision de la Commission arbitrale, des indemnités très largement supérieures à celles que peuvent espérer pouvoir un jour percevoir les salariés non journalistes ont été allouées à l'ensemble de ses anciens journalistes et au cas particulier à l'intéressé auquel la Commission arbitrale a alloué une somme de 73.266,17 € de plus que ce qu'il avait déjà perçu au moment de son départ. A cet égard, elle fait valoir que si le Conseil constitutionnel a déclaré le 14 mai 2012 conforme à la constitution les articles L 7112-3 et L 7112-4 en raison de la nature particulière du travail des journalistes, la situation économique de la presse écrite est telle que la liberté de la presse est en danger en raison non des menaces qui pèseraient sur les journalistes mais de celles qui pèsent désormais sur les entreprises de presse, elle même ayant dû se résoudre au mois de mars 2015 à ouvrir un plan social pour l'emploi.

En second lieu, elle invoque la violation du droit à un procès équitable devant une juridiction indépendante et impartiale établie par la loi, posé par l'article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales. Elle fait valoir que les débats n'ont pas eu lieu en audience publique et que le principe d'impartialité des juges n'a pas été respecté, la Commission arbitrale des journalistes étant composé d'arbitres imposés par les organisations syndicales et patronales, non choisis par les parties et aucune possibilité de récusation n'étant prévue, enfin, qu'elle ne bénéficie pas du droit à un recours effectif, seul un recours en annulation lui étant ouvert dans des cas limitativement énumérés.

Considérant sur le moyen pris en sa première branche que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 14 mai 2012, qui a estimé que la nature particulière de leur travail plaçait les journalistes dans une situation différente de celle des autres salariés, et que l'article L 7112-3 du Code du travail propre à l'indemnisation des journalistes professionnels salariés, visait à prendre en compte les conditions particulières dans lesquelles s'exercent leur profession, a dit que le législateur, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, a pu instaurer un mode de détermination de l'indemnité de rupture du contrat de travail applicable aux seuls journalistes à l'exclusion des autres salariés ;

Considérant que la recourante qui se prévaut de l'inadéquation de cet article et de l'application qu'en a faite la Commission, à la situation économique des entreprises de presse en général et à la sienne en particulier en 2015, au nom de la liberté de la presse, invite la cour à un contrôle de constitutionnalité de la loi qui n'appartient qu'au Conseil Constitutionnel saisi le cas échéant suivant la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité ;

Que ce moyen pris en sa première branche ne peut qu'être rejeté ;

Considérant sur le moyen pris en sa deuxième branche, que la seule circonstance que la Commission arbitrale soit composée majoritairement des personnes désignées par des organismes professionnels d'employeurs et de salariés ne porte pas en elle même atteinte au principe de l'impartialité des juges et partant au droit à un procès équitable ;

Considérant qu'en tout état de cause, alors que selon l'article 1466 du code de procédure civile: ' la partie qui, en pleine connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir' la prétendue irrégularité de la composition de la Commission comme la prétendue absence de publicité des débats, non soulevées devant la Commission, ne peuvent qu'être rejetées ;

Considérant en outre que la recourante soutient à tort qu'elle serait dépourvue d'une faculté de récusation à l'égard des arbitres désignés alors qu'une telle faculté est ouverte conformément aux dispositions générales du code de procédure civile en la matière et qu'elle n'en a pas fait usage ;

Considérant enfin, que les décisions de cette Commission peuvent faire l'objet d'un recours en annulation lequel permet de vérifier que les principes du procès équitable ont été respectés par les arbitres ; qu'ainsi son droit à un recours effectif n'a pas été méconnu ;

Que le second moyen pris de la contrariété de la sentence à l'ordre public est rejeté en ses deux branches et partant le recours en annulation ;

Sur les autres demandes

Considérant que la preuve de l'abus par la recourante de son droit d'ester en justice n'est pas établie à l'appui de la demande de dommages intérêts présentée par M. T. ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu à amende civile ;

Considérant qu'en revanche, la société La Provence qui succombe, est condamnée à payer à M. T. la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

Rejette le recours en annulation ;

Condamne la société La Provence aux dépens et à payer à M. Jean Pierre T. la somme de

3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Rejette toute autre demande.

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