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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 5, 31 mai 2011, n° 11/06242

PARIS

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Carrefour (SA)

Défendeur :

Coop Atlantique (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Daudret

Avoués :

SCP Duboscq et Pellerin, SCP Baufume Galland Vignes

Avocats :

Me Grandjean, Me Beccaria

CA Paris n° 11/06242

30 mai 2011

La société COOP ATLANTIQUE (COOP) est une société coopérative de consommateurs, qui exploite principalement des hypermarchés et supermarchés, notamment sous les enseignes "CARREFOUR", "CHAMPION" et "CARREFOUR MARKET", aux termes de contrats d'enseignes conclus avec la SA CARREFOUR.

Outre les contrats d'enseigne précités, les deux sociétés ont établi des relations d'affaires qui prennent la forme d'une filiale commune, CARCOOP, constituée sous la forme d'une SAS et détenue à parité par chacune d'elles. Au sein de cette filiale, les relations entre les associés sont régies par les statuts de la SAS et par un "Contrat de Partenariat et de Management", conclu en 1985, modifié par un avenant de 1986.

L'article 9 du contrat de partenariat, tel qu'amendé par l'avenant de 1986, stipule que "dans le cas où une ou plusieurs personnes physiques ou morales, concurrentes ou non du groupe Carrefour ou du Groupe SGCC (devenu Coop Atlantique) viendraient à prendre le contrôle de l'un de ces deux groupes (...), l'autre groupe aurait la faculté de demander à celui, objet de cette prise de contrôle, de lui céder sa participation dans la société Carcoop".

Invoquant le fait que CARREFOUR avait été l'objet d'une prise de contrôle par la société BLUE CAPITAL et ses affiliés, dans les conditions requises pour l'application de l'article 9 du contrat de partenariat, COOP a demandé au tribunal arbitral, saisi en application de la clause compromissoire contenue dans le contrat de partenariat, de juger que, du fait de cette prise de contrôle, elle était fondée à exercer la faculté qui lui était offerte par l'article 9 dudit contrat, de demander à CARREFOUR de faire céder par ses filiales, CARREFOUR FRANCE et EUROMARCHE, les titres que celles ci détenaient dans le capital de CARCOOP et de CARCOOP FRANCE.

Par sentence du 13 décembre 2010, le tribunal arbitral, statuant en qualité d'amiable compositeur, a :

1 - dit que les parties désigneraient un ou plusieurs experts indépendants ou, en cas de désaccord, le ou les feraient nommer par justice,

2 - dit que le ou les experts auraient pour mission de déterminer une valeur globale de référence qui servirait de base aux opérations de séparation,

3°- dit que le ou les experts devraient évaluer les titres des sociétés CARCOOP et CARCOOP FRANCE,

4 - dit que le ou les experts, ou certains d'entre eux, devraient auditer et évaluer chacun des six hypermarchés appartenant aux structures communes,

5 - dit que CARREFOUR SA serait tenue de faire, elle même ou toute autre société de son groupe qu'elle désignerait, l'acquisition de tous les titres détenus par COOP dans les sociétés CARCOOP et CARCOOP FRANCE, à la valeur déterminée par les experts,

6 - dit que le prix de la cession des titres mentionnés ci dessus serait consigné pour moitié au plus tard dans les trois mois suivant le jour de la signature des actes de cession et que l'autre moitié serait versée au jour de la réalisation de la vente des trois hypermarchés par les sociétés CARCOOP et CARCOOP FRANCE à COOP,

7- dit que CARREFOUR choisirait les trois hypermarchés qu'elle devrait faire vendre par les sociétés CARCOOP et CARCOOP FRANCE à COOP, à la valeur déterminée par les experts,

8- dit que le choix de ces trois hypermarchés devrait être opéré de telle sorte que le partage en valeur soit le plus proche possible d'un partage égal de la valeur globale de référence,

9- dit que le complément, s'il y a lieu, serait versé, au jour de la réalisation de la vente des trois hypermarchés par les sociétés CARCOOP et CARCOOP FRANCE à COOP, sous forme de soulte, soit par COOP soit par CARREFOUR ou toute société de son groupe qu'elle désignerait, selon que la valeur reçue par l'un ou par l'autre serait supérieure à la moitié de la valeur globale de référence,

10- dit que COOP s'engagerait irrévocablement, au jour du contrat de cession des titres CARCOOP et CARCOOP FRANCE, à acheter aux sociétés CARCOOP et CARCOOP FRANCE, les trois hypermarchés (fonds de commerce et murs), choisis par CARREFOUR,

11- dit que COOP pourrait substituer tout tiers de son choix dans l'acquisition des fonds de commerce et des murs des hypermarchés lui revenant, directement auprès des sociétés CARCOOP et CARCOOP FRANCE,

12 - dit que ni COOP, ni le ou les substitués, ni un ou des éventuels sous acquéreurs, n'auraient l'obligation de maintenir ces trois hypermarchés sous enseigne CARREFOUR,

13 - dit que les cessions tant des titres que des hypermarchés (fonds de commerce et murs) seraient consenties selon les garanties d'actif et de passif usuelles en pareille matière.

Le tribunal arbitral a ordonné l'exécution provisoire de la sentence, par application de l'article 515 du code de procédure civile.

La SA CARREFOUR a formé un recours en annulation contre cette décision le 3 février 2011.

Par acte du 28 mars 2011, elle a fait assigner COOP en référé, devant le Premier Président, afin de voir prononcer l'arrêt de l'exécution provisoire, sur le fondement des dispositions des articles "524 et 1479" du code de procédure civile.

Prétentions et moyens de CARREFOUR :

Dans son assignation, complétée par des écritures du 6 mai 2011, CARREFOUR fait valoir :

- que l'exécution provisoire n'était pas demandée,

- que cette exécution provisoire n'est pas motivée, qu'elle n'était ni nécessaire, ni compatible avec la nature de l'affaire,

- que l'exécution provisoire aurait pour elle des conséquences manifestement excessives,

. que l'affirmation de COOP, selon laquelle CARREFOUR souhaiterait mettre un terme au Partenariat est fausse,

. que l'obligation d'acquérir l'intégralité des titres CARCOOP détenus par COOP aurait, pour elle, des conséquences irréversibles, que la cour d'appel de Paris rejette le recours en annulation, ou annule la sentence,

. qu'il y aurait des conséquences manifestement excessives :

- à l'égard des tiers, que sont CARCOOP et CARCOOP FRANCE,

- à l'égard des salariés employés au sein des trois hypermarchés devant être cédés,

- à l'égard des partenaires commerciaux de CARCOOP et CARCOOP FRANCE,

- que l'argument de COOP selon lequel, compte tenu du calendrier de procédure fixé, la réalisation des étapes prescrites par la sentence serait impossible avant que la cour d'appel ne se prononce "confine à la tautologie",

- que l'aménagement de l'exécution provisoire, suggéré par COOP, tenant à l'ajout d'une condition suspensive dans les actes de cession des murs et des fonds des trois magasins devant être cédés, ne constitue pas un remède.

La société CARREFOUR demande de prononcer l'arrêt de l'exécution provisoire de la sentence du 13 décembre 2010 et de condamner COOP au paiement d'une indemnité de 30 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens du présent référé.

Prétentions et moyens de COOP :

Dans ses écritures du 19 avril 2011, reprises oralement à l'audience, COOP fait valoir:

- que CARREFOUR se refuse, depuis plus de trois mois, à toute collaboration de bonne foi à l'exécution de la sentence, notamment à la désignation d'un expert évaluateur, ceci dans un but dilatoire, dans le but d'acquérir les titres à un prix dérisoire,

- que la demande de CARREFOUR est manifestement infondée et sans objet, dès lors que la condition suspensive de la réalisation de tout transfert de propriété des fonds de commerce et des biens immeubles rend sans incidence irréversible, ni manifestement excessive, l'exécution provisoire de la sentence,

- que le caractère manifestement excessif des conséquences de l'exécution provisoire ne peut se déduire de l'appréciation de la régularité ou du bien fondé de la décision,

- qu'en matière de sentences arbitrales, l'arrêt de l'exécution provisoire ne doit être qu'exceptionnellement accordée, en cas de risque d'une particulière gravité,

- que les arguments de CARREFOUR relatifs à la régularité de la sentence sont inopérants,

- que les arguments relatifs aux prétendues conséquences à l'égard des tiers sont inopérants, seule devant être appréciée la situation de la partie condamnée,

- que les conséquences invoquées par CARREFOUR sont imaginaires, que si les conventions mettant en oeuvre les transferts de propriété des fonds de commerce et des biens immeubles devaient être conclues préalablement à la décision sur le recours en annulation, ces conventions seraient nécessairement soumises à la condition suspensive du rejet par la cour d'appel de Paris du recours en annulation formé par CARREFOUR contre la sentence arbitrale,

- que le calendrier de procédure (plaidoiries le 12 janvier 2012) permet d'envisager avec certitude qu'il ait été statué sur le recours en annulation de la sentence avant les transferts, le processus de réalisation de la cession, dont la finalité est le dénouement du partenariat entre CARREFOUR et COOP, étant nécessairement long,

- que la présente procédure a un caractère dilatoire, visant à retarder le processus de séparation et, ce faisant, à profiter de la dégradation de l'activité de CARCOOP devant conduire à la minoration du prix de rachat.

La société COOP demande de débouter CARREFOUR de sa demande de "suspension" de l'exécution provisoire, de lui donner acte de ce qu'elle s'est engagée à faire figurer dans tout acte translatif de propriété des fonds de commerce et des biens immeubles - ou tout autre acte lié à ces cessions - qu'elle viendrait à conclure ou à faire conclure par un tiers en exécution de ladite sentence, une clause prévoyant une condition suspensive dans l'attente de l'arrêt de la Cour sur le recours en annulation.

Elle sollicite, en outre, la condamnation de CARREFOUR au paiement de la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens.

SUR QUOI,

Considérant que selon l'article 524, alinéa 1er, 2° du code de procédure civile, lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, elle peut être arrêtée en cas d'appel, par le premier président, si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ;

Considérant que l'article 1497 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, dispose : "Le premier président statuant en référé....peut : 1° Lorsque la sentence est assortie de l'exécution provisoire, arrêter ou aménager son exécution lorsqu'elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives" ;

Considérant qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du premier président, saisi d'une demande tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée par le juge arbitral, d'apprécier la régularité ou le bien fondé de la décision entreprise ;

Considérant que le prononcé de l'exécution provisoire relevant du pouvoir discrétionnaire du juge, ce dernier n'est pas tenu de motiver celui ci ;

Considérant que la société CARREFOUR ne démontre pas en quoi l'exécution des points 1° à 4°- précités du dispositif, en d'autres termes, la désignation d'experts, le déroulement des opérations d'expertise et d'évaluation des titres et des actifs des sociétés CARCOOP et CARCOOP FRANCE entraîneraient des conséquences manifestement excessives ;

Que si, comme le soutient CARREFOUR, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, cette règle ne peut que conduire à ne pas scinder l'exécution provisoire de la sentence arbitrale entre les différents chefs de dispositif ;

Considérant, sur l'obligation pour CARREFOUR d'acquérir des titres CARCOOP, qu'il résulte des pièces versées aux débats que, le 17 mars 2011, CARREFOUR annonçait à COOP son intention de solliciter la suspension de l'exécution provisoire, tout en préparant un entretien avec les représentants de COOP, qui s'est tenu le 21 mars suivant ;

Que lors de la réunion du 21 mars, CARREFOUR a proposé à COOP, notamment, de lui vendre la totalité de ses titres CARCOOP pour 45 millions d'euros (ceux ci lui ayant été proposés en février 2009, par COOP, "pour 140 millions d'euros, fondée sur une étude approfondie valorisant 100% de CARCOOP entre 280 et 300 millions d'euros") ;

Que force est de souligner la position contradictoire de CARREFOUR qui, tout en soutenant que la date d'évaluation des titres doit être la plus proche possible du transfert, a formulé une proposition de prix de rachat le 21 mars 2011, et d'un autre côté, s'est abstenue de désigner l'expert évaluateur requis par le tribunal arbitral, conduisant COOP à l'assigner devant le président du tribunal de commerce d'Evry, aux fins de voir désigner cet expert, en ses lieu et place ;

Considérant que cette proposition de rachat faite par CARREFOUR 7 jours avant de délivrer l'assignation en référé devant la présente juridiction, qui, si elle avait été acceptée, aurait scellé la vente des titres, rend non crédible la thèse de CARREFOUR, selon laquelle l'obligation pour elle d'acquérir les titres CARCOOP entraînerait des conséquences manifestement excessives ;

Considérant que CARREFOUR, rompue aux acquisitions de sociétés et transferts d'enseignes, ne saurait sérieusement soutenir ne pas être en mesure de gérer les conséquences d'un tel transfert, dût il être remis en question par la cour d'appel ;

Que la proposition de COOP, selon laquelle toute cession des fonds de commerce et des biens immeubles en application de la sentence arbitrale ne pourrait intervenir que sous la condition suspensive du rejet du recours en annulation formé contre cette sentence, permettrait, de toute évidence, d'atténuer les conséquences de l'obligation de rachat, étant observé que l'assujettissement de la conclusion ou des effets d'un contrat, en tout ou partie, à une condition suspensive relative à l'issue d'un litige en cours est usuel en matière de contrats commerciaux ;

Qu'il conviendra de donner acte à COOP de son engagement ;

Considérant que, dans ces conditions, il est superfétatoire de relever que l'exécution des autres dispositions de la sentence ne comporte aucune conséquence excessive, notamment la consignation de la moitié du prix d'acquisition par CARREFOUR ;

Que la demande d'arrêt de l'exécution provisoire sera rejetée ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société COOP les frais irrépétibles qu'elle a exposés pour la présente instance ;

Considérant que la société CARREFOUR, qui succombe, devra supporter les dépens du présent référé ;

PAR CES MOTIFS :

Rejetons la demande d'arrêt de l'exécution provisoire,

Donnons acte à la société COOP ATLANTIQUE de ce qu'elle s'engage à faire figurer dans tout acte translatif de propriété des fonds de commerce et des biens immeubles, ou tout autre acte lié à ces cessions, qu'elle viendrait à conclure ou à faire conclure par un tiers en exécution de la sentence rendue le 13 décembre 2010 par le tribunal arbitral ayant statué en qualité d'amiable compositeur dans le litige opposant les parties, une clause prévoyant une condition suspensive dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel de Paris sur le recours en annulation contre cette sentence,

Condamnons la SA CARREFOUR à payer à la société COOP ATLANTIQUE la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

Condamnons la SA CARREFOUR aux dépens du présent référé.

ORDONNANCE rendue par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

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