CA Saint-Denis de la Réunion, ch. com., 27 août 2025, n° 24/00896
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
Autre
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SARL [9] spécialisée dans les travaux d'assainissement et d'électricité à Mayotte pour les collectivités locales, administrations, promoteurs privés et sociétés d'économie mixte, a été créée le 9 décembre 2003 et avait pour gérant, dès sa création, M. [B] [O] [E] [X]. Son capital social de 8 000 euros était réparti par parts égales entre M. [B] [X] et son épouse, Mme [H] [C].
En conséquence d'une cession de parts en date du 20 décembre 2014, M. [X] en est devenu l'associé unique. Aux termes d'un procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 8 mars 2016, M. [Z] [Y] a été nommé gérant. Il a démissionné le 19 avril 2018, date à laquelle M. [X] a repris la gérance.
Le 7 août 2017, M. [X] a créé la société [10], holding, avec un apport en nature représentant 399 parts sur les 400 parts sociales composant le capital de la société [9].
Par déclaration au greffe du tribunal mixte de commerce de Mamoudzou en date du 1er février 2019, M. [X] déclarait l'état de cessation des paiements de sa société.
Par jugement du 7 juin 2019, le tribunal mixte de commerce rejetait la demande d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire au motif que la liste des salariés n'était pas certifiée sincère et véritable et que l'inventaire sommaire du matériel n'était ni signé, ni certifié.
Par jugement du 22 novembre 2019, le même tribunal rejetait une nouvelle demande d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire sur nouvelle déclaration de cessation des paiements du dirigeant du 9 septembre 2019 au motif d'une absence d'un état sommaire des biens de la société.
A la suite du changement de siège social de la société [9], M. [X] déclarait l'état de cessation des paiements de sa société le 19 juin 2020 au greffe du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion qui, par jugement du 24 juin 2020, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [9] et désigné la SELARL [F] prise en la personne de Maître [V] [F] en qualité de liquidateur judiciaire. La date de cessation des paiements était fixée provisoirement au 24 décembre 2018.
Par ordonnance du 31 mai 2022, le juge-commissaire désignait le cabinet [7] aux fins d'établir un rapport faisant notamment état d'anomalies comptables ayant eu un impact sur la situation comptable de la société [9].
Par acte de commissaire de justice du 21 juin 2023, la SELARL [F], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [9], a fait assigner devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion M. [X] à l'audience du 27 septembre 2023 aux fins de voir engager sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif et le voir condamner au comblement du passif à hauteur de la somme de 690 000 euros.
Le rapport du juge-commissaire a été rendu le 20 novembre 2023 aux termes duquel celui-ci estime que les fautes de gestion pointées par le liquidateur judiciaire au travers du remboursement du compte courant d'associé du dirigeant, du défaut de licenciement des salariés et des relations irrégulières entre la société [9] et la société [11] n'ont pas manqué d'aggraver ou générer directement du passif social.
Par jugement contradictoire du 26 juin 2024, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion a :
- déclaré recevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif formée par la SELARL [F] en qualité de mandataire judiciaire de la société [9],
- condamné M. [X] à payer la somme de 140 000 euros à la SELARL [F], prise en la personne de Maître [V] [F], en qualité de mandataire judiciaire de la société [9],
- condamné M. [X] à payer à la SELARL [F], prise en la personne de Maître [V] [F], en qualité de mandataire judiciaire de la société [9], la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [X] au paiement des dépens,
- dit qu'en application de l'article R.651-3 du code de commerce, le jugement rendu sera communiqué par le greffe à Mme la procureure de la République.
Le tribunal a considéré que :
- l'insuffisance d'actif certaine et incontestable en son montant s'élevait à la somme de 581 143,12 euros,
- les remboursements que M. [X] s'était octroyé alors que la viabilité de l'entreprise était largement compromise constituaient des paiements préférentiels effectués à son profit et au détriment des autres créanciers et caractérisaient une faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif en privant la société d'une partie de sa trésorerie au détriment de ses créanciers,
- aucune faute de gestion ne pouvait en revanche être retenue au titre de la facturation de prestations par la société [10] dans le cadre de la convention d'assistance conclue entre les deux sociétés ni au titre de la prestation ainsi réalisée, et il en était de même concernant la date de licenciement des salariés qui a été réalisée dans le délai légal,
- en passant des écritures comptables destinées à pallier son inertie dans la préservation de l'actif de son entreprise, M [X] avait cherché à maquiller un détournement d'actif qui avait privé la société de la possibilité de bénéficier dans le cadre de la liquidation judiciaire du produit de ces actifs, la faute de gestion ainsi caractérisée ayant nécessairement contribué à l'insuffisance d'actif,
- au regard des fautes de gestion retenues, des efforts personnels réalisés en sa qualité de dirigeant, la somme de 140 000 euros devait être retenue à titre de sanction personnelle.
Par déclaration du 12 juillet 2024, M. [X] a interjeté appel de cette décision en intimant la Selarl [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [9] et la procureure générale.
L'affaire a été fixée à bref délai par ordonnance du 20 août 2024 et renvoyée à l'audience du 20 novembre 2024 en vue de la fixation des dates de clôture et d'audience de plaidoirie. L'appelant a signifié la déclaration d'appel et l'avis de fixation aux intimés par acte d'huissier distincts du 27 août 2024 à la Selarl [F] ès qualités et du 28 août 2024 au parquet général.
L'appelant a notifié ses conclusions par voie électronique le 17 septembre 2024 et l'intimé le 14 octobre 2024.
Le dossier a été communiqué au ministère public qui, selon son avis du 7 mai 2025, communiqué aux parties par voie électronique le 12 mai 2025, a requis la confirmation de la décision critiquée précisant que la motivation du tribunal qui a examiné chacune des fautes qui lui était soumise n'appelle aucune critique.
Par ordonnance du 20 novembre 2024, la procédure a été clôturée avec effet différé au 7 mai 2025 et l'affaire fixée à l'audience du 21 mai 2025 à l'issue de laquelle la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe le 27 août 2025.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS
Dans ses dernières conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 14 avril 2025, M. [X] demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel et statuant à nouveau, de :
- juger que le liquidateur judiciaire de la société [9] échoue à administrer la preuve de l'existence de fautes de gestion imputables et ayant contribué à l'insuffisance d'actif,
- juger que l'insuffisance d'actif alléguée n'est pas établie et qu'à tout le moins elle est indéterminée en l'état,
- débouter le liquidateur judiciaire de la SARL [9] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- statuer sur les dépens comme de droit.
L'appelant fait valoir que :
- des créances sont encore en cours de recouvrement ce qui rend l'insuffisance d'actif incertaine en son principe,
- le remboursement de son compte courant d'associé en 2018 ne constitue pas une faute de gestion dans la mesure où, en premier lieu, il procédait régulièrement depuis de nombreuses années au financement de la trésorerie sociale via son compte courant d'associé ce qui donnait lieu à des remboursements sans intérêts, ce droit au remboursement permanent devant être respecté quelle que soit la situation financière de la société, en second lieu, en tant que caution des engagements bancaires, il a assumé personnellement le remboursement de ses dettes sociales, en troisième lieu cette décision résulte de la décision d'un associé créancier et non d'une décision de gestion prise par le dirigeant, aucune faute ne peut lui être reprochée en tant que gérant de la société,
- la convention d'assistance conclue avec [10] ne présente aucun caractère anormal et porte sur des opérations courantes d'assistance à la gestion de la société non soumises aux exigences de l'article L.223-20 du code de commerce, elle a permis à la société de disposer de ressources externes via la société [10] et ainsi de réaliser des économies substantielles, de plus, les deux salariés étaient dûment déclarés, dès lors les relations entre les deux sociétés étaient claires et comptabilisées de manière réciproque dans les comptes sociaux de la société d'une part et la société tierce d'autre part, aucune faute de gestion n'a ainsi été commise à ce titre,
- c'est le refus du tribunal de commerce mahorais de prononcer la liquidation judiciaire de la société à deux reprises qui a contraint à ce que les salariés restent embauchés alors que la société n'avait plus d'activité, aucune faute de gestion ne peut lui être reprochée à ce titre,
- il en est de même en ce qui concerne le retard dans la déclaration de l'état de cessation des paiements,
- il n'a pas détourné d'actif dans la mesure où les matériels de bureau et de transports ont été inventoriés puis vendus et qu'il en est de même d'un lot de marchandises diverses, le stock n'était donc pas nul,
- s'il a pris la décision de déprécier les valeurs d'actif au cours de l'exercice 2019 afin de présenter une situation de cessation des paiements au tribunal de Mamoudzou et qu'une procédure collective soit ouverte, l'arrêt de l'activité de la société a nécessairement eu pour conséquence la dépréciation du stock et les salariés qui n'étaient plus payés ont détourné du matériel, dès lors ces écritures de dépréciation ne constituent pas une faute de gestion mais ont été passées pour présenter une image fidèle de la situation de la société,
- il a formalisé dès le 11 janvier 2019 une déclaration de cessation des paiements, il n'est donc pas entendable qu'il lui soit reproché de ne pas avoir tout mis en 'uvre pour sauver son entreprise lorsqu'il a décidé d'en arrêter l'activité, il ne peut lui être reproché dans ce contexte aucune faute de gestion.
Par ses seules et uniques conclusions notifiées par voie électronique le 14 octobre 2025 la SELARL [F] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
- débouter M. [X] de sa demande de condamnation aux frais irrépétibles et aux dépens,
- le débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris le droit de timbre pour un montant de 225 euros.
L'imitée fait valoir que :
- si des recouvrements sont en cours, ils sont soumis à aléas et ne permettront pas, à terme, d'apurer l'ensemble des dettes, en conséquence, l'insuffisance d'actif est certaine et s'élève à 690 778,81 euros, en outre, les dossiers évoqués par l'appelant ne sont pas complets et ne permettront pas que les recouvrements soient menés à bien,
- l'appelant a commis quatre fautes ayant contribué à l'insuffisance d'actif :
en ayant procédé au remboursement de son compte courant d'associé préférentiellement aux autres créanciers et plus particulièrement les salariés, plaçant ainsi la société en difficulté financière,
en passant une convention à l'insu du gérant en place en août 2017 ayant permis de facturer d'importante prestations à la société [9] au profit de la société [10] et ayant donné lieu à la rémunération de salariés pour l'accomplissement de prestations d'assistance, qui, en réalité, ont été embauchés ultérieurement à la facturation de certains frais, cette convention ayant eu pour but de régulariser des flux financiers injustifiés entre les deux entités,en ne procédant pas aux procédures de licenciement des salariés lors de l'arrêt de l'activité de la société, en ayant laissé détourner et se déprécier l'actif de la société
- ces fautes ont eu pour conséquence d'assécher la trésorerie pour les deux premières, de creuser un important passif pour la troisième et de distraire les actifs ou de réduire considérablement le gage commun des créanciers pour la quatrième,
- s'il a injecté des fonds personnels dans la société, l'appelant les a très rapidement et en totalité récupérés en 2018, les efforts invoqués à ce titre ont ainsi été brefs et peu intenses, de même le cautionnement offert à la banque s'est limité à la somme de 36 000 euros, dès lors sa condamnation à hauteur de 140 000 euros au titre du comblement de passif est justifiée.
A l'audience, le ministère public a sollicité la confirmation du jugement déféré en tous points conformément à son avis écrit notifié aux parties le 12 mai 2025.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
Aux termes de l'article L651-2 du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par le dirigeant de droit ou de fait ayant contribué à la faute de gestion Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Il s'agit d'une action en responsabilité délictuelle qui suppose l'existence d'un préjudice pour la société, une insuffisance d'actif, la caractérisation de la commission de fautes de gestion excédant la simple négligence à la charge de la personne dont la responsabilité est recherchée et la démonstration d'un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif constatée.
- Sur l'insuffisance d'actif
L'insuffisance d'actif s'établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d'ouverture et le montant de l'actif de la personne morale débitrice tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire. Le passif postérieur non éligible au privilège de l'article L. 622-17 et le passif social postérieur ainsi que les frais liés à la procédure collective sont exclus du calcul, de même que ceux engendrés par une poursuite d'activité provisoire.
Le liquidateur peut exercer une action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors que celle-ci, même non chiffrée, est certaine en son principe et certaine pour un montant incontestable.
L'appelant conteste le caractère certain de l'insuffisance d'actif au motif que des recouvrements sont toujours en cours de réalisation.
Il résulte néanmoins de la liste des créances déposée le 15 avril 2021 qu'à cette date, l'actif de la société s'élevait à la somme de 120 072,13 euros, le passif à celle de 810 850,94 euros soit une insuffisance d'actif de 690 778,81 euros.
L'appelant produit une liste des créances clients établie à la date du 31 décembre 2019 pour un montant de 650 000 euros. Néanmoins, à la date à laquelle la cour d'appel statue, soit plus de cinq ans après, il ne justifie pas qu'elles aient fait l'objet d'un recouvrement effectif permettant de combler la totalité du passif. En outre, s'il produit une ordonnance rendue le 8 novembre 2024 par le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte au terme de laquelle le centre hospitalier de Mayotte a été condamné à verser la société environ 54 000 euros, il ne démontre pas que cette décision n'a pas fait l'objet d'un appel et que la créance a été définitivement recouvrée. En conséquence, l'actif dont il se prévaut n'est, à ce jour, ni réalisé ni réalisable.
Il résulte donc des éléments de la procédure que l'insuffisance d'actif est constituée de manière certaine et incontestable à la somme de 690 778,81 euros à la date à laquelle il est statué sur l'appel.
- Sur les fautes de gestions excédant une simple négligence et le lien de causalité
La faute de gestion susceptible d'engager la responsabilité pour insuffisance d'actif doit avoir été commise dans l'administration de la société, avant le jugement d'ouverture de la procédure collective et prouvée par le demandeur. Elle peut également résulter d'une abstention. Elle doit être imputable au dirigeant poursuivi, pour des faits commis durant l'exercice de ses fonctions et ne peut résulter d'une simple négligence. Un intérêt personnel n'est pas exigé.
En vertu du principe de proportionnalité, si plusieurs fautes de gestion sont retenues, il importe que chacune d'elles soit également justifiée.
Un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif. Si plusieurs fautes de gestion sont reprochées, le lien de causalité doit être établi pour chacune d'elles. La faute doit avoir seulement contribué à l'insuffisance d'actif. Il n'est pas nécessaire que la faute soit la cause directe et exclusive du dommage.
- sur le remboursement du compte courant d'associé
Si les associés ont droit au remboursement à tout moment de leur compte dit courant, c'est à la condition que ce remboursement ne constitue pas un paiement préférentiel au détriment des créanciers de l'entreprise. Commet une faute de gestion un dirigeant qui, connaissant l'état de cessation des paiements, utilise ses fonctions pour s'avantager en procédant au remboursement de son compte courant créditeur juste avant l'ouverture de la procédure collective.
Au regard de ce qui précède, il ne peut être considéré que la responsabilité de l'appelant ne saurait être engagée en tant que gérant du seul fait que les remboursements ont résulté de la décision d'un associé créancier, prise à l'issue d'une assemblée générale extraordinaire, car le cumul de ces deux fonctions lui imposait de ne pas user de sa connaissance de la situation de l'entreprise pour privilégier le règlement de sa dette par rapport aux autres créanciers. Il ne peut donc exciper, en l'espèce, ne pas pouvoir organiquement être condamné en tant que gérant pour une faute commise comme associé.
Le seul principe selon lequel son droit au remboursement était permanent et le fait que les différents versements et remboursements correspondaient au fonctionnement habituel de la société ne sauraient suffire à exclure la possibilité qu'il ait commis une faute de gestion en se remboursant préférentiellement aux autres créanciers alors qu'il savait la cessation des paiements inéluctable.
L'appelant reconnaît lui-même qu'il avait conscience de ce que la société connaissait des difficultés depuis l'année 2017 qui se sont ensuite accrues en raison d'une conjoncture économique perturbée en 2018 sur le territoire mahorais et de la démission de son directeur technique et de son magasinier. Ainsi le poste de la dette fournisseur avait doublé entre 2016 et 2017 et s'élevait à la somme de 858 650,49 euros au 31 décembre 2017. Si entre février et mai 2017 il a versé sur ledit compte la somme de 140 000 euros, il s'est néanmoins progressivement remboursé de la totalité de cette somme entre août 2017 et décembre 2018 alors que les difficultés étaient telles qu'il avait conscience de l'impossibilité de poursuivre l'activité de l'entreprise. Plus particulièrement, il s'est remboursé la somme totale de 44 500 euros par deux versements réalisés le 12 et le 19 décembre 2018 alors qu'il savait la cessation des paiements inéluctable ce qui est démontré par le fait qu'il a déclaré l'état de cessation des paiements le 11 janvier 2019 et saisi le tribunal mixte de commerce d'une demande de liquidation judiciaire le 1er février 2019.
Il a ainsi commis une faute de gestion exclusive d'une simple négligence dans la mesure où il avait parfaitement conscience de l'endettement de la société et de la nécessité que ses créanciers soient également désintéressés alors que l'état de cessation des paiements, qui a été fixé au 24 décembre 2018 par le jugement d'ouverture, était constitué. Cette faute a participé à l'insuffisance d'actif en ce que le remboursement de son compte-courant a participé a asséché la trésorerie et ainsi aggravé la situation financière de la société qui n'était plus à même de rembourser ses créanciers.
En revanche, comme l'a justement retenu le premier juge, les remboursements d'un montant de 24 000 euros effectués au profit de son ex-femme ne sauraient constituer une faute de sa part dans la mesure où il n'était pas gérant lorsqu'ils ont été effectués.
- sur les facturations par la société holding [10]
L'appelant produit la convention d'assistance intra-groupe signée le 9 août 2017. Si l'intimée en conteste la régularité au motif qu'elle n'a pas été signée par le gérant et considère qu'elle a été établie pour les besoins de la cause, il n'est, d'une part, pas démontré qu'il s'agit d'un faux, et, d'autre part, elle n'a pas été contestée par le gérant lors de sa signature ou de sa mise en 'uvre. En outre, en application des articles L.223-19 et L.223-20 du code de commerce, la société ne comprenant qu'un associé unique et la convention portant sur des opérations courantes s'agissant de prestations d'assistances dans les domaines administratifs, comptable, de gestion, en matière financière, d'assurance ou commerciale, il devait seulement en être fait mention au registre des décisions.
De plus le cabinet d'expert chargé par le mandataire judiciaire d'analyser la validité des comptes de la société n'a pas observé de mouvements inhabituels et a conclu sur ce point que le contrôle était satisfaisant. L'appelant démontre en produisant les factures émises par la société [10] et celles établies pas le précédent fournisseur de la société que les achats de matériel ont bien fait l'objet de facturations, qu'ils étaient en lien avec l'activité de la société et que les biens ont été acquis à meilleur prix qu'auparavant.
Enfin, s'agissant des prestations d'assistance, il est établi que deux salariés ont été embauchés dans ce cadre, le premier à compter du 19 mars 2018 et le second le 3 septembre 2018 qui intervenaient au sein des différentes sociétés filles de la holding [10]. Ainsi Mme [T] a été employée dans le cadre de prestations de facturation, de suivi des recouvrements des créances clients, et de gestion des dossiers contentieux pour un salaire de 1 500 euros. M. [J] a exercé en tant que responsable administratif et technique et a été délégué à Mayotte dès son embauche pour un salaire de 3 041 euros.
L'intimée ne démontre pas en quoi ces prestations d'assistance n'étaient pas justifiées par l'intérêt de la société alors que celle-ci était encore en activité, qu'il résulte de la procédure, et notamment de la liste des créances clients à recouvrer, que ce point posait difficulté, que le motif de la démission de M. [Y] de son poste de gérant était le manque de personnel d'encadrement. Pas plus qu'elle ne prouve que les rémunérations accordées à ces salariés étaient substantielles au regard de leurs missions, ni en quoi le retard dans l'enregistrement de la facturation de ces prestations dans la comptabilité constitue une faute, un rattrapage ayant été opéré.
L'appelant, en tant qu'associé majoritaire puis gérant de la société a fait un choix stratégique dans le but de sauver la société dont il n'est pas démontré qu'il en a aggravé le passif ou diminué l'actif. Aucune faute de gestion ne peut dès lors être lui reprochée quant à la signature de la convention intra-groupe et à sa mise en 'uvre.
- sur le retard dans le licenciement des salariés
Si l'activité de la société a cessé à compter du mois de janvier 2019, l'appelant a saisi le tribunal mixte de commerce de Mayotte d'une demande de liquidation judiciaire dès le 1er février 2019 qui aurait permis que les licenciements puissent être organisés. Après deux rejets de cette demande par le tribunal, alors que la société était en état de cessation des paiements, il a été contraint de délocaliser le siège de l'entreprise pour voir rendu un jugement d'ouverture d'une procédure collective.
Il ne saurait lui être reproché une inertie coupable et de ne pas s'être soucié du sort des salarié de la société. Il n'est ainsi pas démontré qu'il a commis une faute de gestion au titre de la date de licenciement des salariés.
- sur le détournement ou la dépréciation de l'actif
S'agissant du stock, l'appelant excipe de ce que sa valeur retenue à hauteur de 345 000 euros par le bilan actif détaillé au terme de l'exercice comptable 2019 est manifestement inexacte au regard des chiffres des années précédentes. Il explique également avoir pris la décision avec son expert-comptable de la déprécier dans la mesure où, pendant le temps de la procédure collective, il allait fatalement perdre de la valeur et dans la perspective de donner une représentation réelle de la situation de cessation des paiements au tribunal mixte de commerce.
Les extraits des bilans et compte de résultat 2018 et 2019 et du grand livre 2018 et 2019 ainsi que le rapport de l'expertise des comptes de la société ordonnée par le juge commissaire mettent néanmoins en lumière que le stock a été évalué à la somme de 345 000 euros au 31 décembre 2018 et intégralement soldé au 31 décembre 2019 sous couvert d'opérations diverses qui ne peuvent concerner des ventes.
L'appelant, s'il conteste que le stock ait pu valoir cette somme, ne justifie pas de son montant ni de ce qu'il en est advenu, même déprécié, alors que la plainte déposée pour abus de confiance qu'il allègue ne portait pas sur le matériel le composant et que l'inventaire produit par l'intimée fait apparaître que la vente en vrac de matériel d'électricité, de plomberie, d'alarme, de mobilier, d'accessoire de bureau, d'un scooter et d'un chariot élévateur a rapporté seulement 12 000 euros.
De même, le poste d'outillage industriel était enregistré à hauteur de 97 193,18 euros au 1er janvier 2019 et il a été soldé au 31 décembre 2019 au moyen d'écritures comptables enregistrées avec la mention « cession (mise au rebut) ». Le matériel de transport a été évalué dans la comptabilité à la somme de 98 733,21 euros. Un véhicule non roulant et une remorque ont été vendus par le commissaire de justice en charge de l'inventaire pour une somme totale de 3 908,22 euros. Le dépôt de plainte pour abus de confiance susvisé a concerné trois véhicules non rendus par les salariés de la société après la cessation d'activité. Néanmoins la comptabilité mentionne que dix véhicules ont été mis au rebut et, par une écriture comptable, ce poste a été considéré comme totalement soldé.
Enfin, s'agissant des créances clients enregistrées pour un montant total de 656 123 euros au 1er décembre 2019, elles ont été enregistrées comme étant quasiment soldées par le jeu de deux écritures de régularisation pour créances douteuses pour ensuite faire l'objet de démarches de recouvrement.
Il résulte de ce qui précède que le stock, l'outillage et le matériel de transport évalués pour une somme totale de 540 886 euros au 1er décembre 2019 ont disparu de l'actif par le jeu d'écritures comptables le 31 décembre 2019 et n'ont pu être réalisés au cours de la procédure de liquidation judiciaire. Si aucun élément ne permet d'affirmer que le gérant a détourné cette part d'actif de la société, il n'apporte aucune explication ni aucun justificatif de nature à démontrer qu'il ne l'a pas laissé se déprécier et disparaître sans chercher activement à le protéger afin de pouvoir désintéresser au moins une partie des créanciers. Il a ainsi commis une faute de gestion.
L'appelant explique que lors de la cessation d'activité les salariés n'étant plus rémunérés, ils se sont certainement servis dans le stock, l'outillage et ont gardé certains véhicules. Cette analyse suffit à démontrer que le manquement caractérisé dépasse la simple négligence dans la mesure où, alors qu'il avait conscience du risque de vol il n'a justifié d'aucune démarche en vue de préserver et conserver l'actif de la société pendant les dix-huit mois qu'ont duré ses tentatives pour faire ouvrir une procédure de liquidation judiciaire par la juridiction mahoraise.
Cette faute a contribué à l'insuffisance d'actif dans la mesure où l'inertie du gérant a eu pour effet d'amoindrir le montant de l'actif de manière significative, faisant obstacle au droit de la communauté des créanciers de l'entreprise à être désintéressée.
Sur la sanction pécuniaire
Lorsque les conditions de l'action pour insuffisance d'actif sont réunies, le juge apprécie souverainement l'opportunité de la condamnation et le montant du passif mis à la charge du dirigeant ou de l'entrepreneur, le plafond de la condamnation étant égal au montant de l'insuffisance d'actif, et non à la totalité du passif, sauf en l'absence d'actif.
Par application du principe de proportionnalité, il peut être tenu compte de la situation particulière du dirigeant et de ses facultés contributives dans l'appréciation de la sanction. Ainsi, le comportement du dirigeant, ayant fourni des efforts pour tenter de sauver son entreprise, peut être pris en compte pour exclure toute sanction pécuniaire ou en réduire le montant.
En l'espèce, l'appelant a commis deux fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif en se remboursant le montant de son compte courant d'associé de manière préférentielle aux autres créanciers alors qu'il savait que la situation de la société était irrémédiablement compromise et en ne préservant pas une partie importante de l'actif.
Néanmoins, il résulte des pièces versées au dossier qu'il a souffert de problèmes de santé l'ayant empêché d'intervenir dans la société entre l'année 2017 et le début de l'année 2018, soit à la période à laquelle les difficultés financières se sont révélées. Le contexte économique sur le territoire mahorais marqué par d'importantes grèves en début d'année 2018 puis la démission du directeur technique et du magasinier en novembre 2018 ont aggravé la situation.
Dans ce contexte, il s'est porté, dans un premier temps, caution des engagements de la société auprès de la [5] à hauteur de 36 000 euros et d'une ouverture de crédit auprès de la [6] [Localité 8] pour un montant de 100 000 euros, et dans un second temps, il a injecté des fonds par le versement d'une somme de 140 000 euros en février et mai 2017, démontrant un investissement financier personnel afin de tenter de redresser la situation.
En outre, il a réalisé des démarches pour céder la société et ainsi lui permettre de survivre, faisant le constat que, résidant désormais à [Localité 8], il n'était pas en capacité de gérer cette structure à distance. Aucune offre de reprise ne s'étant concrétisée, il a rapidement réalisé des démarches afin de déclarer l'état de cessation des paiements et obtenir l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire qui lui a été refusé à deux reprises.
Il résulte de ces éléments que l'appelant, en sa qualité de gérant, a fourni des efforts personnels pour tenter de sauver l'entreprise face à un contexte extérieur peu aidant, qui doivent être pris en compte et justifient qu'aucune sanction financière ne soit prononcée à son encontre.
Le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il l'a condamné au paiement d'une somme de 140 000 euros au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif et le liquidateur judiciaire sera débouté de sa demande de condamnation pécuniaire.
Sur les autres demandes
Succombant à l'instance, la SELARL [F] sera condamnée à en régler les entiers dépens, de première instance et d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile sans que l'équité ne commande d'allouer une quelconque somme à l'appelant au titre des frais irrépétibles.
La SELARL [F] sera déboutée de sa prétention du même chef en ce qu'elle succombe et la décision déférée lui ayant alloué 1 500 euros à ce titre sera infirmée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré dans l'intégralité de ses dispositions soumises à la cour d'appel ;
Statuant à nouveau :
Déboute la Selarl [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL [9] de sa demande de condamnation pécuniaire de M. [B] [X] au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif ;
Condamne la SELARL [F] prise en la personne de Maître [V] [F] en qualité de liquidateur judiciaire aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Déboute M. [B] [X] et la SELARL [F] prise en la personne de Maître [V] [F] en qualité de liquidateur judiciaire de leurs prétentions respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Séverine LEGER, conseillère faisant fonction de présidente de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.