CA Riom, 2 avril 2025, n° 23/00524
RIOM
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Corsetti (SRL)
Défendeur :
Préfac Béton Environement (SAS)
Selon bon de commande du 17 juillet 2013 la SAS Préfac Béton Environnement (Préfac) a acquis auprès de la société Corsetti une machine FLEXIMATIC LCM 155 moyennant un prix de 230 000 euros, destinée à la fabrication automatique d’éléments en béton.
Le prix a été intégralement réglé et la machine a été livrée le 11 décembre 2013. Le montage a été réalisé par la société Corsetti et s’est achevé le 16 mai 2014. À partir du 3 juillet 2014, la machine a présenté des pannes. La société Corsetti est intervenue le 15 juillet 2014 et le 21 juillet 2014 pour réparations. L’inspecteur du travail a par ailleurs contrôlé l’entreprise et a imposé un contrôle de bruit concernant cette machine. Les résultats du contrôle ont révélé qu’elle produisait un bruit anormalement élevé.
Se plaignant de nombreux dysfonctionnements, la société Préfac a saisi le juge des référés aux fins d’expertise judiciaire. Par ordonnance du 28 juillet 2015, rectifiée le 6 octobre 2015, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Moulins a ordonné une expertise et désigné M. [T] pour y procéder. L’expert a déposé son rapport le 28 août 2018 en indiquant que la machine n’était pas utilisable en l’état; qu’elle était affectée de désordres consécutifs à des défauts de conception et n’était pas susceptible de remise en état. Il a par ailleurs précisé que les désordres étaient présents à la mise en service de la machine en mai 2014.
À défaut d’accord amiable, la société Préfac a fait assigner la société Corsetti devant le
Tribunal de commerce de Cusset pour obtenir la résolution du contrat de vente ainsi que la condamnation de la société Corsetti à lui rembourser le prix de vente et à venir récupérer à ses frais la machine ainsi qu’à lui verser une somme de 142 272 euros à titre de dommages et
intérêts.
Par jugement du 19 octobre 2021, le Tribunal de commerce s’est déclaré compétent pour connaître du litige; a déclaré la Convention de Vienne applicable et débouté la société Corsetti dans sa demande de prescription. Par jugement du 21 février 2023, ce même Tribunal a ordonné la résolution du contrat de vente; condamné la société Corsetti à rembourser le prix de vente et à venir récupérer à ses frais la machine sous astreinte. Il a également condamné la société Corsetti à payer à la société Préfac la somme de 140 000 euros à titre de dommagesintérêts ainsi qu’une somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
La société Corsetti a relevé appel de ces jugements suivant déclaration du 22 mars 2023.
Par ordonnance du 22 février 2024, la demande d’arrêt de l’exécution provisoire a été rejetée par le premier président de la Cour d’appel de Rion.
Par ordonnance du 23 mai 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de radiation de l’appel pour défaut d’exécution.
Par conclusions notifiées le 5 février 2025, la société Corsetti demande à la Cour:
- d’infirmer le jugement
- de constater la prescription de l’action intentée par la SARL PREFAC
- à titre subsidiaire déclarer l’appel recevable et bien fondé et en conséquence infirmant le jugement:
- débouter la société PREFAC de l’intégralité de ses demandes
Infirmant le jugement déféré:
- de condamner la société Préfac à lui verser la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et y ajoutant de condamner la société Préfac à lui verser la même somme titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel
- de condamner la société Préfac en tous les dépens de première instance et d’appel.
L’appelante ne soulève plus l’incompétence du juge français mais fait valoir qu’en l’absence de dispositions spécifiques sur la prescription prévue par la Convention de Vienne, la prescription est régie par la loi italienne et plus spécifiquement l’article 1495 du Code civil italien. Ce délai étant d’une année et la livraison de la machine ayant été effectué le 11 décembre 2013 elle soutient que l’assignation en référé comme l’assignation au fond étaient tardives.
Elle assure que rien ne permet de soutenir que les parties auraient eu la volonté de soumettre le contrat à la loi française.
Répondant aux arguments développés par l’intimé, elle se prévaut d’un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 6 décembre 2017 aux termes duquel il est jugé que la loi italienne s’applique et que la prescription court à compter de la livraison dès lors que l’acheteur n’a pas été dans l’impossibilité d’agir dans le délai d’un an de l’action visée à l’article 1495 du Code civil italien. Elle soutient que l’intimé a eu connaissance des vices dans le délai d’un an de la prescription de la loi italienne.
À titre subsidiaire et au fond, elle indique à la date du 1er août 2014 l’intimé a décidé délibérément de ne plus utiliser la machine achetée qui pouvait parfaitement fonctionner. Elle assure être toujours intervenue immédiatement et de façon réactive à la demande de son client et que c’est à la seule initiative de la société Préfac que le dialogue contractuel a été rompu. Elle affirme ainsi qu’en arrêtant brutalement de se servir de la machine à compter du mois de juillet 2014, sans lui laisser d’autre choix que de la reprendre et en rompant le dialogue nécessaire à l’optimisation des capacités du matériel vendu, la société Préfac porte l’entière responsabilité de la situation qu’elle a elle-même créée.
Elle conteste le fait que la machine puisse être affectée de défauts de conception et affirme que les problèmes proviennent d’une part de l’absence d’implication et de formation des opérateurs de la société Préfac et d’autre part de l’attitude de cette société. Elle voit dans l’action de son co-contractant une stratégie pour obtenir la résiliation d’un contrat dont elle ne souhaite plus après avoir constaté qu’elle ne sera pas en mesure de rentabiliser son investissement.
En réponse et par conclusions notifiées le 21 janvier 2025, la société Préfac demande à la Cour:
- de confirmer la décision déférée
Y ajoutant
- de condamner la société Corsetti à lui payer la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires pour la période courant de 2020–2024 à parfaire au jour de l’arrêt à intervenir
- de condamner la société Corsetti à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Elle soutient que la société Corsetti n’est pas recevable à invoquer la prescription dès lors que ce moyen n’a pas été soulevé devant le juge des référés; qu’en tout état de cause l’appelante reste tenue à la garantie contractuellement prévue ainsi qu’à la garantie légale.
S’agissant de la garantie contractuelle, elle indique que la durée fixée par le contrat pour dénoncer l’existence d’un vice de la chose n’est pas un délai de prescription ou de forclusion mais un délai de dénonciation. Elle rappelle que les défauts ont été dénoncés moins d’un an après la mise en route intervenue le 16 mai 2024, date confirmée par l’expert judiciaire. Par suite, elle soutient que l’assignation en référé formalisée par un acte de transmission du 28 avril 2015 et notifié par les autorités italiennes le 6 mai 2015 ne doit pas être considérée comme tardive. Elle formule les mêmes observations s’agissant de l’assignation au fond.
S’agissant de la garantie légale, elle sollicite l’application de la Convention de Vienne qui constitue un droit uniforme sur les ventes internationales de marchandises et le droit substantiel français qui s’impose au juge. Cette Convention prévoit un délai de déchéance de deux ans (article 39) qui constitue un délai butoir de dénonciation et non un délai de prescription.
Dans l’hypothèse où la Cour estimerait que l’article 39 de la Convention de Vienne ne prévoit
pas expressément de délai pour agir, elle l’invite à se fonder sur les «principes généraux» ou à défaut «vers la loi applicable en vertu des règles du droit international privé.»
Elle affirme qu’en application de l’article 3 du Règlement CE 593/2008 Rome I, le contrat est
régi par la loi choisie par les parties et qu’en l’espèce les parties ont entendu choisir la loi française.
Dans le cas où il en serait jugé autrement, elle indique que le règlement prévoit que le juge désigne souverainement la loi qui présente les liens les plus étroits avec la situation. Elle fait valoir que le bon de commande est rédigée en français que le vendeur a livré et monté la machine en France et procédé à sa mise en route de sorte que le contrat s’est exécuté principalement en France.
Elle en conclut que le délai de prescription est quinquennal par référence à l’article L 110-4 du Code de commerce français.
À titre subsidiaire et sur l’application de la loi italienne, elle fait valoir que le délai de prescription de la loi italienne est incompatible avec la CVIM car son application conduirait à priver un acheteur de son droit d’agir en justice alors qu’il a dénoncé les défauts de la marchandise conformément à l’article 39 de la CVIM. Elle ajoute que la jurisprudence la doctrine italienne considère que le délai de prescription prévue par l’article 1495 alinéa 3 du Code civil italien n’est pas compatible avec le délai de dénonciation de deux ans prévus à l’article 39 § 2 de la CVIM et qu’il doit en conséquence être écarté ou à tout le moins adapté.
Elle fait valoir qu’il ne s’est pas écoulé un an entre la date du rapport d’expertise et la date d’expédition de l’assignation au fond par huissier de justice français.
Sur le fond, et au visa des articles 35 et 49 de la Convention de Vienne elle sollicite la résolution du contrat en faisant valoir que la machine est affectée de plusieurs désordres qui empêchent son fonctionnement
Il sera renvoyé pour l’exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 février 2025.
Motivation:
I - Sur la prescription de l’action:
Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir:
La société Préfac soutient que la société Corsetti n’est «plus légitime» à soulever la prescription de l’action.
Toutefois, aux termes de l’article 123 du Code de procédure civile les fins de non-recevoir peuvent être présentées en tout état de cause, y compris en cause d’appel.
La société Corsetti est donc recevable à se prévaloir d’une éventuelle prescription.
Sur la loi applicable:
Le Tribunal a jugé que la Convention de Vienne était applicable au présent litige et rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Corsetti.
Le Règlement (CE) N°593/2008 du parlement européen et du conseil du 17 juin 2008 dit Rome I s’applique dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles relevant de la matière civile ou commerciale.
L’article 3 du règlement prévoit que le contrat est régi selon la loi choisie par les parties.
Ces dispositions permettent donc de choisir la loi applicable. Il existe cependant des conventions portant loi uniforme en matière contractuelle. Ainsi la Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises signée à Vienne le 11 avril 1980 (ci-après CVIM).
L’article 7 de ladite Convention dispose que
«les questions concernant les matières régies par la présente Convention et qui ne sont pas expressément tranchées par elle seront réglées selon les principes généraux dont elle s’inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé.»
L’article 39 de la Convention de Vienne qui dispose
«L’acheteur est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne le dénonce pas au vendeur, en précisant la nature de ce défaut dans un délai raisonnable à partir du moment où il l’a constaté ou aurait dû le constater. Dans tous les cas, l’acheteur est déchu du droit de se prévaloir d’un défaut de conformité s’il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, à moins que ce délai ne soit incompatible avec la durée d’une garantie contractuelle.»
Ainsi que le souligne la société Préfac cet article prévoit un délai butoir de dénonciation et non un délai de prescription.
En l’absence de disposition sur la prescription dans la CMIV et en application des dispositions de l’article 7.2 de la Convention il convient de déterminer la loi applicable en vertu des règles de droit international privé soit en application du règlement dit Rome I. En l’espèce, il n’existe aucune convention dérogatoire permettant de considérer que les parties ont entendu soumettre, pour ce qui ne relève pas de la CMIV, le litige aux dispositions de la loi française.
Par ailleurs, et contrairement à ce que soutient la société Préfac, le fait que la machine (qui devait être montée pour être utilisable) ait été livrée et montée en France, ou encore le fait que pour l’information du contractant.
Selon l’article 4 a) du règlement dit Rome I,
«1. A défaut de choix exercé conformément à l’article 3 et sans préjudice des articles 5 à 8, la loi applicable au contrat suivant est déterminée comme suit:
a) le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle; (...)
3. Lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique.
4. Lorsque la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 ou
2, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits.»
En l’espèce, la société Corsetti est une société de droit italien ayant son siège social à [Localité 3] (Italie). La société Préfac Béton Environnement a son siège social en France à [Localité 1].
Il ne peut être déduit des circonstances de la cause que les parties ont entendu soumettre leurs relations à la loi française. La Cour observe sur ce point, que les documents contractuels ne comportent pas de clause attributive de compétence; le fait que l’offre ou le bon de commande soient rédigées dans la langue de l’acheteur n’a d’autre finalité que la parfaite information de ce dernier; enfin le fait de ne pas avoir soulevé de difficulté au stade de l’audience de référé ne caractérise pas le choix des parties, au stade du contrat, de soumettre celui-ci à la loi française.
Enfin, la machine devant être montée pour être utilisable, sa livraison et son montage sur le sol français n’emportent aucune adhésion des parties à la loi française.
Pour les mêmes raisons, il n’apparaît pas que le contrat présente des liens plus étroits avec la loi française.
Il convient en conséquence de faire application des dispositions de l’article 1495 du Code civil italien s’agissant de l’examen de la prescription.
Aux termes de l’article 1495 du Code civil italien:
«L’acheteur perd le droit à la garantie si les défauts ne sont pas signalés au vendeur dans huit jours à compter de la découverte, sauf disposition contraire des parties ou de la loi. Aucun rapport n’est nécessaire si le vendeur a reconnu l’existence du vice ou l’a caché. L’action est prescrite, dans chaque cas, dans un délai d’un an à compter de la livraison; mais l’acheteur, qui a accepté l’exécution du contrat, peut toujours faire valoir la garantie, à condition que le défaut a été signalé dans les huit jours suivant sa découverte et avant la fin de l’année suivant la livraison.»
La société Préfac soutient que l’application de ces dispositions conduisent à priver l’acheteur
de son droit d’agir en justice alors qu’il a dénoncé les défauts de la marchandise conformément à l’article 39 de la CMIV; que la jurisprudence et la doctrine italiennes considèrent que le délai de prescription de l’article 1495 du Code civil italien n’est effectivement pas compatible avec le délai de dénonciation de la CMIV et doit être écarté. Elle ajoute que ce délai est manifestement contraire au principe de droit international évoqué.Il est jugé que la contrariété à la conception française de l’ordre public en matière internationale doit s’apprécier en considération de l’application concrète, aux circonstances de la cause, de l’article 1495 du Code civil italien, désigné par la règle de conflit de lois mobilisée en l’absence de disposition spécifique sur la prescription prévue par la Conventionde Vienne sur la vente internationale de marchandises du 11 avril 1980, et qui fixe à un an, à compter de la livraison, l’action de l’acheteur en dénonciation des défauts de conformité de la chose vendue (Cass.com. 06/12/2017 N°16-15.674).
En l’espèce, la société Préfac a dénoncé les problèmes de conception et de conformité de la machine dès le 16 juillet 2014, soit (quelle que soit la date de livraison retenue) dans l’année de la livraison. Elle a adressé une mise en demeure à la société Corsetti le 9 décembre 2014.
La société Préfac avait donc la faculté d’agir dans les délais fixés par l’article 1495 du Code civil italien, de sorte que le moyen soulevé par la société Préfac est inopérant.
Sur la prescription:
La société Préfac indique qu’en vertu du droit italien, lorsque le vendeur s’est engagé à livrer le bien avec installation ou montage la livraison est réputée effectuée au moment où le bien a été installé ou monté par le vendeur.
La société Corsetti se rapporte à une interprétation littérale du Code civil italien qui prévoit expressément que le point de départ de la prescription est celui de la livraison.
En l’espèce, la machine a été livrée le 11 décembre 2013. Le bon pour commande daté du 17 juillet 2013 prévoit une livraison dans les 90 jours de la commande ainsi que le montage et la mise en route. Le paiement s’effectue selon les modalités suivantes: 30% à la commande, 65% dès la mise à disposition et 5% à montage et mise en route. La garantie contractuelle de 12 mois a pour point de départ la mise en route de la machine.Toutefois s’agissant d’une machine devant être montée, la livraison se confond avec la délivrance de la chose vendue, seule la délivrance du bien permettant au contrat de réaliser son utilité. La délivrance de la machine s’est opérée à la fin du montage. Par courrier du 16 juillet 2014, la société Préfac a rappelé que ce montage ne s’était achevé que le 16 mai 2014. Cette date n’a jamais été remise en cause dans le cadre des échanges postérieurs entre les deux sociétés et n’a pas été contesté lorsqu’elle a été évoquée par l’expert au cours de ses opérations et dans son rapport.
Il en résulte que la société Préfac avait jusqu’au 16 mai 2015 pour engager une action à l’encontre de la société Corsetti. Par acte du 28 avril 2015, la société Préfac a assigné la société Corsetti en référé expertise devant le président du Tribunal de grande instance de Moulins.
L’expertise a été ordonnée par ordonnance du 28 juillet 2015 et le rapport déposé le 24 août 2018. La société Préfac a saisi le Tribunal de commerce de Cusset par une assignation du 8 août 2019.
La société Corsetti retient la date du 16 septembre 2019 pour affirmer que l’action est prescrite.
Cependant, aux termes du Règlement CE N° 1393/2007 du 13 novembre 2007 (article 9 abrogé par le Règlement UE 2020/1784 du 25 novembre 2020 (article 13), lorsque le droit d’un Etat membre exige qu’un acte soit signifié ou notifié dans un délai déterminé, la date à prendre en considération à l’égard du requérant est celle fixée par le droit de cet Etat membre.
Par application des dispositions de l’article 647-1 du Code de procédure civile français la date à prendre en considération est à l’égard de celui qui procède à l’acte, soit à l’égard de la société Préfac, la date d’expédition de l’acte par huissier de justice ou le greffe, ou, à défaut, la date de réception par le parquet compétent.
Il convient donc de retenir la date du 8 août 2019 et de constater que l’action de la société Préfac n’est pas prescrite.
II - Sur le fond:
L’examen du fond de la demande doit être fait au regard de la CMIV.
Cette Convention prévoit l’obligation pour le vendeur de livrer une marchandise conforme aux spécifications du contrat. Cette conformité matérielle est définie à l’article 35 de la CIMV qui dispose que le vendeur doit livrer des marchandises dont la quantité, la qualité et le type répondent à ceux qui sont prévus au contrat (…). A moins que les parties n’en soient convenues autrement, les marchandises ne sont conformes au contrat que si elle sont propres aux usages auxquels serviraient habituellement des marchandises du même type (a), ou si elles sont propres à tout usage spécial qui a été porté expressément ou tacitement à la connaissance du vendeur au moment de la conclusion du contrat sauf s’il résulte des circonstances que l’acheteur ne s’en est pas remis à la compétence ou à l’appréciation du vendeur ou qu’il n’était pas raisonnable de sa part de le faire (b).
La société Préfac se prévaut des dispositions de l’article 49 de ladite Convention qui dispose que l’acheteur peut déclarer le contrat résolu si l’inexécution par le vendeur de l’une quelconque des obligations résultant pour lui du contrat ou de la Convention constitue une contravention essentielle ou contrat.
Suivant l’article 25 de la CIMV une contravention au contrat commise par l’une des parties est essentielle lorsqu’elle cause à l’autre partie un préjudice tel qu’elle la prive substantiellement de ce que celle-ci était en droit d’attendre du contrat, à moins que la partie en défaut n’ait pas prévu un tel résultat et qu’une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation ne l’aurait pas prévu non plus.
La machine commandée à la société Corsetti est un modèle Fleximatic LCM 155.
Le bon de commande précise que cette machine a pour fonction la fabrication en automatique d’éléments de différentes formes et dimensions, avec ou sans emboitement à démoulage immédiat par retournement. Son cycle s’effectue avec un seul opérateur et la machine est conçue de manière à ce que «l’opérateur n’ait point de difficulté en son utilisation ni en place des moules.»
Il est spécifié que le type de vibrations de la machine permet d’obtenir une «vitesse d’exécution supérieure à celle mécanique traditionnelle, une meilleure compacité du béton et un haut niveau finissage du produit fabriqué.»
Il est également indiqué que l’entretien de la machine est réduit au strict minimum.
L’expert, M. [T], retient que la machine n’est pas utilisable en l’état; qu’elle est affectée de désordres consécutifs à des défauts de conception:
- mauvais choix de la matière(acier) pour la pale de brassage du béton dans le tiroir. Ce composant, de par sa fonction, aurait dû être réalisé avec un acier résistant à l’abrasion, pour éviter une usure anormale telle que constatée;
- fiabilité insuffisante du système de préhension des plateaux. Lors de l’opération de retournement la pièce chute sur la machine et c’est un amoncellement de béton qu’il faut enlever manuellement donc arrêt de la production et pertes de temps
- cycle de fabrication trop long pour assurer une production journalière de 100 pièces. Bien que contractuellement non définie de manière claire, cette valeur de 100 pièces par jour a été acceptée par les parties
- capacité du tiroir trop importante pour la réalisation de «petites» pièces telles que le regard TEGRA 600, avec le système de vibration en place. Le travail en noyau vibrant serait plus adapté en évitant de compacter par vibration le béton en attente dans le tiroir et par conséquent, en supprimant les risques de blocage intempestifs de la machine. Ce système permettrait également de réduire le bruit émis par la machine.
La société Corsetti conteste l’existence de ces défauts et impute les difficultés à l’absence d’implication et de formation des opérateurs de la société Préfac, ainsi qu’à l’attitude de la société Préfac qui a brutalement cessé d’utiliser la machine et rompu le dialogue contractuel nécessaire à «l’optimisation des capacités du matériel vendu».
Il convient toutefois d’observer que les défauts relevés par l’expert sont sans rapport avec des problèmes d’optimisation, la machine devant d’abord être utilisable avant que son utilisation soit optimisable. Or l’expert indique en page 15/23 que la machine n’a, à aucun moment depuis sa mise en route, été en mesure d’assurer la production à laquelle elle était destinée et ce, malgré les interventions des techniciens de la société Corsetti.
L’argument suivant lequel l’expertise a été effectué 18 mois après l’arrêt de la machine sans que le traitement qui lui a été réservé par l’acheteur pendant cette période est sans portée dès lors que l’expert affirme que les désordres constatés ne peuvent en aucun cas être la conséquence d’une dégradation des performances de la machine au cours de ces 18 mois et qu’ils étaient présents à la mise en service.
Alors que la machine a été mise en service au mois d’avril 2014, la société Préfac réclamait encore le 15 septembre 2014 à son vendeur de «venir faire le nécessaire pour que la machine soit en conformité.» La société Corsetti est donc mal fondée à soutenir que la société Préfac a brutalement rompu les relations contractuelles et l’a privé de la possibilité d’intervenir alors que par ailleurs l’expert indique: «nous n’avons pas compris le changement d’attitude de M. Corsetti, très constructif au départ puis ne donnant aucune proposition quelques mois plus tard.»
La Cour observe que la société Corsetti n’apporte aucune contradiction technique aux conclusions de l’expert.
Cette dernière soutient que l’attitude de la société Préfac constitue une contravention essentielle au contrat de vente au sens de l’article 25 de la Convention de Vienne; qu’en la privant de la possibilité de continuer à l’accompagner, la société Préfac a rendu le contrat inutile.
L’article 25 de la CMIV dispose:
«Une contravention au contrat commise par l’une des parties est essentielle lorsqu’elle cause à l’autre partie un préjudice tel qu’elle la prive substantiellement de ce que celle ci était en droit d’attendre du contrat, à moins que la partie en défaut n’ait pas prévu un tel résultat et qu’une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation ne l’aurait pas prévu non plus.»
Le contrat portait sur la livraison d’une machine qui devait après installation, fournir les prestations attendues. «L’accompagnement» du vendeur ne constitue pas un élément substantiel que ce vendeur était en droit d’attendre et la société Préfac était légitime après plusieurs réclamations à engager une action judiciaire sans patienter plus avant, étant rappelé que les délais qui lui étaient impartis pour agir étaient restreints, les débats sur la recevabilité de l’action en attestant.
Le moyen tiré de la rupture anticipée du contrat sera donc écarté.
La société Corsetti invoque également les dispositions des articles 46, 49 et 51 de la Convention de Vienne en affirmant qu’au 1er août 2014, date de sa dernière intervention la machine fonctionnait et que la condition d’inexécution même partielle n’est pas accomplie.
Il résulte cependant des conclusions de l’expert que la remise en état de la machine ne peut être envisagée. Il est ainsi établi que la société Corsetti n’a pas satisfait à l’obligation de livrer une machine conforme aux engagements contractuels. Il sera rappelé que cette conformité s’apprécie au moment du transfert du risque (article 36.1)).
En considération de ces éléments, la société Préfac est bien fondée à solliciter, au visa des dispositions de l’article 49 de la CMIV, la résolution du contrat de vente, étant observé que la demande de résolution a été faite dans un délai raisonnable. Le jugement sera confirmé sur ce point.
III - Sur le préjudice et l’indemnisation:
La société Corsetti soutient au visa de l’article 74 de la CMIV que la société Préfac ne peut prétendre à des dommages et intérêts.
Cet article dispose que: «Les dommages-intérêts pour une contravention au contrat commise par une partie sont égaux à la perte subie et au gain manqué par l’autre partie par suite de la contravention. Ces dommages-intérêts ne peuvent être supérieurs à la perte subie et au gain manqué que la partie en défaut avait prévu ou aurait dû prévoir au moment de la conclusion du contrat, en considérant les faits dont elle avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance, comme étant des conséquences possibles de la contravention au contrat.»
Elle ajoute que la société Préfac ne produit aucune pièce comptable et ne justifie pas qu’elle continue de produire des pièces pour lesquelles elle aurait voulu s’équiper de la machine.
La société Préfac sollicite le règlement des sommes suivantes:
- préjudice de 2014 à 2018: 90.000 euros
- préjudice 2019: 50.000 euros
- préjudice 2020 à 2024: 250.000 euros (soit 50.000 euros par an à parfaire au jour de l’arrêt)
- Facture CERIB: 1.272 euros
Par des motifs que la Cour adopte, le Tribunal a rejeté la demande relative à la facture CERIB.
En l’espèce, l’expert a fait appel à un sapiteur, M. [X], pour évaluer le préjudice économique.
La société Préfac a indiqué que le mauvais fonctionnement de la machine avait entraîné sur
le premier semestre 2014 une perte de production et de matières estimée à 22.000 euros, du
1er juillet 2014 au 31 décembre 2015, un préjudice représenté par l’amortissement de la machine, les intérêts de l’emprunt souscrit, l’amortissement de l’extension des bâtiments dédiés à la machine, une perte de productivité sur la fabrication des couronnes du marché Wavin; pour les années suivantes le même préjudice renouvelé.
Il résulte de l’expertise que le préjudice de la société Préfac s’établit comme suit:
- Amortissement en frais financiers liés à la machine: le prix d’acquisition de la machine et des travaux de construction d’une fosse s’élèvent à 233.090 euros et s’amortissent sur 10 ans. Ce préjudice s’élève à 81.581 euros. S’y ajoutent les intérêts du prêt contracté pour l’achat de la machine: 13.268 euros.
- Amortissement du bâtiment spécifique: le coût de la construction s’est élevé à 67.649 euros. L’expert a retenu un amortissement sur 10 ans pour établir (en ne retenant que 25% de la surface du bâtiment utilisé pour la machine) et chiffré le préjudice à 5.919 euros auquel s’ajoutent les intérêts du prêt contracté pour le bâtiment (en appliquant les 25%) soit 639 euros.
- Main d’œuvre de production: en se basant sur un rendement (admis par les parties en expertise) de 100 couronnes par jour de travail de 7 heures, l’expert a retenu un surcoût de production (lié au fait que les couronnes produites nécessitent plus de main d’œuvre) de 69.928 euros pour les années 2014 à 2017.
Il en résulte un préjudice de 170.000 euros. Cependant, la résolution de la vente étant prononcée et la société Corsetti devant rembourser le coût de la machine, il convient comme l’a fait le Tribunal, de déduire le poste «amortissement de la machine» ce qui ramène le préjudice à la somme de 90.000 euros.
Le préjudice étant continu l’expert indique qu’il se poursuit dans l’exercice en cours (2018) «dans des proportions de l’ordre de 50.000 euros par an (dont 23 000 euros d’amortissement machine) à préciser en fonction des quantités effectivement vendues sur le marché Wavin».
La Cour observe:
- que le Tribunal a omis l’année 2018 et retenu pour l’année 2019 une somme de 50.000 euros sans tenir compte du fait que l’amortissement machine (23.000 euros) doit être déduit en cas de résolution de la vente
- que l’expert chiffre le préjudice pour les années postérieures à 2017 en donnant un chiffre approximatif et en précisant que ce montant est à préciser en fonction des quantités effectivement vendues sur le marché Wavin.
- que la société Préfac n’a pas chiffré selon la méthode de l’expert et en considération des qualités effectivement vendues son préjudice; qu’elle ne produit aucun document permettant de le faire de telle sorte qu’elle ne justifie pas de son préjudice au-delà des montants fixés par l’expert pour la période arrêtée à la fin de l’exercice 2017.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point et la société Corsetti sera condamnée à verser à la société Préfac la somme de 90.000 euros à titre de dommages et intérêts.
IV - Sur les autres demandes:
La société Corsetti succombant pour l’essentiel en ses demandes sera condamnée aux dépens.
L’équité commande de ne pas laisser à la charge de la société Préfac la charge de ses frais de défense. La société Corsetti sera condamnée à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs:
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Par substitution de motifs, confirme le jugement du 19 octobre 2021 en ce qu’il a jugé la demande de la société Préfac Béton Environnement recevable;
Confirme le jugement du 21 février 2023 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a fixé à 140.000 euros le montant des dommages et intérêts dus par la société Corsetti à la société Préfac Béton Environnement;
Statuant à nouveau;
Condamne la société Corsetti à verser à la SAS Préfac Béton Environnement la somme de 90.000 euros à titre de dommages et intérêts;
Y ajoutant;
Condamne la société Corsetti à verser à la SAS Préfac Béton Environnement la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile;
Condamne la société Corsetti aux dépens.