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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 23 juin 2020, n° 18/09652

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

M. M, GINKGO FINANCE (SC)

Défendeur :

QUARKS (SA), B. T. S. G. (SCP)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Beauvois

Conseillers :

M. Lecaroz, Mme Gaffinel

Avoués :

Me Cheviller, Me Boccon Gibod

Avocats :

Me Laval, Me Bouyssou

CA Paris n° 18/09652

22 juin 2020

Exposé des faits

Le 18 novembre 2013, en vertu de plusieurs contrats de cession, les associés de la société J A, dont M. M I, ont cédé à la société H, 19 500 des 47 500 actions représentatives du capital de J A moyennant le paiement immédiat de 55 000 euros et, à terme, de plusieurs compléments de prix, payables annuellement sur quatre ans de 2015 à 2018 à la condition que la trésorerie normalisée arrêtée au 31 décembre de l'année précédente soit supérieure à un certain montant.

Par un autre contrat de cession, H a acquis 5 000 actions de J A que cette dernière détenait elle même.

Aux termes d'une promesse de vente et d'achat d'actions, GINKGO a promis irrévocablement de céder à H, qui a promis de les acquérir, 23 000 actions de J A moyennant un prix initial de 780 419 euros et divers compléments de prix.

Les associés de J A Z B ont signé avec H plusieurs conventions dont, une convention de nantissement de comptes titres, une convention de garantie d'actif et de passif et un protocole de gouvernance.

Deux des associés de J, dont M. M I, et GINKGO ont encore signé un accord relatif à la répartition des commissions de surperformance acquises par J A au titre de l'exercice 2013 dans le cadre de la gestion collective de ses OPCVM aux termes duquel il était convenu que les cédants pourraient percevoir une quote part des commissions de surperformance indépendamment de tout montant que leur serait payé au titre des cessions.

Enfin, un pacte d'associé a été signé entre les associés de J, M. M I et H dont l'objet était de définir les droits et obligations respectifs des parties jusqu'à la levée de la promesse.

La convention de cession d'actions et le pacte d'associé stipulaient en leurs articles 16 et 7 que « Tout litige découlant de la Convention [ou du Pacte] ou en relation avec celle ci [ou celui ci] sera réglé définitivement par voie d'arbitrage conformément au règlement d'arbitrage du Centre de Médiation et d'Arbitrage de Paris (CMAP) ».

Le 21 mars 2017, J A Z H ont mis en 'uvre une procédure d'arbitrage, sous l'égide du CMAP, à l'encontre de M I et de GINKGO sur le fondement de la clause de non concurrence stipulée à l'article 6 de la convention de cession et de l'article 8.1 du pacte d'actionnaires.

Face au refus de GINKGO et M. M I de payer la quote part de provision à valoir sur les frais d'arbitrage, J A Z H ont saisi la commission d'arbitrage du CMAP qui a, le 27 novembre 2017, dit qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur le bien fondé de ce refus.

Le 11 janvier 2018, J A a payé au CMAP la somme de 131 600 euros HT correspondant à la quote part de provision incombant à M. M I et à GINKGO après révision. Le 16 janvier 2018, la commission d'arbitrage du CMAP a validé la constitution du tribunal arbitral et demandé aux arbitres et aux parties de procéder à la signature de l'acte de mission.

Par une sentence partielle rendue à Paris le 20 avril 2018, le tribunal arbitral, composé de MM. L Y et D G, arbitres, et de M. Jean Pierre GRANDJEAN, président :

- s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de J A Z H relative au remboursement par M. M I et GINKGO de la quote part de provision qu'elles ont versées au CMAP pour pallier la défaillance de ces dernières,

- a jugé cette demande recevable et bien fondée,

- a condamné solidairement M. M I et la société GINKGO FINANCE (GINKGO) à payer à la société J A A X) la somme de 131 600 euros avec intérêt au taux légal à compter du prononcé de la sentence partielle,

- a ordonné l'exécution provisoire,

- s'est déclaré incompétent et sans pouvoir pour statuer sur la demande de jonction,

- a réservé sa décision sur les demandes formulées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 16 mai 2018, M. I et GINKGO ont formé un recours en annulation de la sentence partielle.

Le 23 mai 2019, le conseiller de la mise en état a arrêté l'exécution provisoire attachée à la sentence partielle rendue entre les parties le 20 avril 2018.

Le 23 avril 2019, le tribunal de commerce de Paris a mis J A en liquidation judiciaire et désigné la SCP BTSG en qualité de liquidateur. Le 30 juillet 2019, la SELARL LEXAVOUE PARIS VERSAILLES a déclaré se constituer pour BTSG, ès qualités de liquidateur de J A, et pour H, dans la procédure d'appel.

Dans leurs conclusions notifiées le 8 janvier 2020, M. M I et GINKGO demandent à la cour d'annuler la sentence partielle du 20 avril 2018, mais seulement en ce qu'elle les a condamnés solidairement à payer à J A la somme de 131 600 euros HT, assortie des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision.

Dans leurs conclusions notifiées les 28 septembre et 22 octobre 2018, J A, depuis représentée par son liquidateur, et H demandent à la cour de rejeter le recours en annulation et de condamner solidairement M. M I et GINKGO à payer à H la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

MOTIFS,

La sentence partielle rendue entre les parties le 20 avril 2018 n'est critiquée qu'en ce qu'elle condamne solidairement M. M I et la société GINKGO à payer à la société J A la somme de 131 600 euros HT assortie des intérêts au taux légal à compter de cette sentence.

Sur le premier moyen tiré de ce que le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été formée (article 1492, 3° du code de procédure civile) :

Les demandeurs au recours soutiennent que, pour palier la carence de M. M I et de GINKGO dans le paiement des provisions sur frais et honoraires de l'arbitrage, le tribunal arbitral a écarté l'application du règlement du CMAP, qui avait été choisi par les parties pour préférer appliquer des « usages et une pratique courante » en matière d'arbitrage qui n'étaient pas les règles de procédure choisies par les parties et violé ainsi la mission qui lui était confiée.

J A Z H répliquent que les arbitres n'ont fait que compléter les règles prévues par le règlement du CMAP et répondre à la demande formulée dans l'acte de mission par laquelle J A demandait le remboursement des avances sur les frais d'arbitrage. Ils ajoutent que les griefs dirigés contre la sentence ne tendent qu'à la révision de la sentence, interdite au juge de l'annulation.

La mission des arbitres, définie par la convention d'arbitrage, est délimitée principalement par l'objet du litige, tel qu'il est déterminé par les prétentions respectives sans s'attacher uniquement à l'énoncé des questions dans l'acte de mission.

La convention de cession d'actions et le pacte d'associé stipulaient en leurs articles 16 et 7 que « Tout litige découlant de la Convention [ou du Pacte] ou en relation avec celle ci [ou celui ci] sera réglé définitivement par voie d'arbitrage conformément au règlement d'arbitrage du Centre de Médiation et d'Arbitrage de Paris (CMAP) ».

Cette stipulation était reprise dans la demande d'arbitrage adressée le 21 mars 2017 par J A Z H au CMAP.

Ce règlement du CMAP, visé par la clause compromissoire, prévoit un article 9 intitulé « Provisions, saisine du tribunal arbitral, frais et honoraires » ainsi rédigé :

« 9.1 Dès que le CMAP dispose des demandes respectives des parties ou à l'expiration du délai visé à l'article 3.1 du présent règlement, il adresse à toutes les parties un appel identique de provisions sur frais et honoraires calculées conformément au barème en vigueur, payable dans le délai fixé par le CMAP.

9.2 Le tribunal arbitral ne peut être effectivement saisi par le CMAP qu'après le versement complet des provisions appelées. Si l'une des parties est défaillante dans ce versement, ou dans le versement d'une éventuelle provision complémentaire, une autre partie peut pallier cette défaillance ou y substituer un cautionnement bancaire agréé par le CMAP.

9.3 A défaut de paiement des provisions, après expiration du délai fixé et sans offre d'une partie de pallier la défaillance de l'autre, le CMAP constate la caducité de la demande. Il en informe les parties, les droits d'ouverture lui demeurant acquis.

9.4 Si une partie offre de pallier la défaillance de l'autre, elle peut demander à la Commission d'arbitrage que la provision totale à verser soit révisée et fixée en fonction de sa seule demande. Si la commission accepte, le tribunal arbitral ne sera saisi que de la demande de la partie ayant payé la provision.

9.5 La partie défaillante ne peut saisir le tribunal arbitral d'une demande reconventionnelle qu'après avoir procédé au paiement de la provision mise à sa charge.

9.6 [provision complémentaire en cas de demandes additionnelles] ».

Le 21 mars 2017, J A Z H ont mis en 'uvre une procédure d'arbitrage, sous l'égide du CMAP, à l'encontre de M I et de GINKGO.

Par lettre du 3 août 2017, le CMAP a annoncé aux parties la composition du tribunal arbitral et fixé le montant des provisions sur frais et honoraires d'arbitrage à la somme de 168 000 euros TTC (140 000 euros HT) par partie.

Face au refus de M. M I et de GINKGO de payer l'appel de provision mis à leur charge, J A Z H ont saisi, sur le fondement de l'article 9.4 du règlement d'arbitrage du CMAP, la commission d'arbitrage, laquelle a rendu une décision le 27 novembre 2017 selon laquelle elle a :

- fait droit à la demande des Demandeurs en révision et fixé le montant des provisions à verser à la somme de 271 600 euros HT (325 920 euros TTC),

- invité les Demandeurs à procéder au règlement des provisions au plus tard le 11 décembre 2017,

- rappelé qu'à défaut de versement dans ce délai, il appartiendra au CMAP de constater la caducité de la demande d'arbitrage ».

Dans une lettre adressée aux parties le 16 janvier 2018, le CMAP a constaté que les provisions ont été versées par les demandeurs et invité les parties à signer l'acte de mission.

Pour condamner M. M I et GINKGO à payer solidairement la somme de 131 600 euros HT en remboursement du paiement de leur quote part des frais et honoraires d'arbitrage, le tribunal arbitral, après s'être déclaré compétent pour connaître de cette demande a retenu que :

« 80. Sur le fond, comme le relèvent les Défendeurs, il existe une différence de rédaction entre l'article 9.1 du Règlement d'arbitrage du CMAP et l'article 37 § 1 du Règlement d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (ICC) selon lequel la provision pour frais fixée par la Cour (d'arbitrage de la CCI) est due en parts égales entre les parties.

81. Plusieurs sentences arbitrales rendues sous l'égide de la CCI, invoquées par les Demanderesses, ont déduit de cette disposition du Règlement ICC une obligation contractuelle de règlement de cette provision, permettant au Tribunal arbitral de condamner la partie défaillante à rembourser à l'autre la quote part de provision non versée, indépendamment de l'issue du litige au fond.

82. Le Règlement d'arbitrage du CMAP ne prévoit pas expressément que les provisions appelées par le CMAP sont dues par les parties. Il est prévu, par l'article 9.1 précité, que le CMAP adresse à toutes les parties un montant identique de provisions et qu'en cas de défaillances de l'une d'elle, l'autre peut y suppléer.

83. Le Tribunal arbitral considère néanmoins qu'au delà des termes des Règlements d'arbitrage, il existe dans l'arbitrage interne et international, institutionnel ou ad hoc, une pratique courante et connue de tous selon laquelle les provisions sur frais et honoraires d'arbitrage, autres que les frais d'avocats, sont partagés ab initio entre les parties.

84. Bien que les opinions doctrinales ne soient pas unanimes, il est admis que même lorsque rien n'a été arrêté sur ce point, les parties supportent une obligation conjointe de participer au paiement des provisions nécessaires au bon déroulement de l'instance, cette obligation étant liée à leur obligation, plus générale, de concourir avec loyauté à l'organisation et au bon déroulement de l'arbitrage [']

85. En concluant, comme en l'espèce, une convention d'arbitrage qui, non seulement n'écartait pas cette pratique mais se référait au Règlement d'arbitrage du CMAP prévoyant que toutes les parties recevraient un appel identique de provisions sur frais et honoraires, les Parties ont admis qu'elles auraient à faire l'avance, par parts égales, de la provision fixée par le centre d'arbitrage conformément à son Règlement.

86. C'est ainsi dans la convention d'arbitrage, interprétée à la lumière des usages, que le Tribunal arbitral fonde l'obligation qui en résulte pour les parties de faire l'avance des frais d'arbitrage dans des proportions identiques ['] Etant rappelé qu'en vertu de l'article 1135 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à l'Ordonnance du 10 février 2016), les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'usage donne à l'obligation d'après sa nature et qu'en vertu de l'article 1134, alinéa 3, du même Code, les conventions doivent être exécutées de bonne foi ».

Contrairement à ce qu'indique le grief, le tribunal arbitral n'a pas refusé de faire application du règlement CMAP mais s'est au contraire livré à une interprétation de celui ci, en se référant aux solutions admises par la pratique, aux procédures suivies devant la CCI, à l'obligation des parties de concourir avec loyauté à l'organisation et au bon déroulement de l'arbitrage, et à l'obligation plus générale de l'exécution de bonne foi des conventions, pour en tirer l'obligation des Défenderesses de rembourser les quotes parts mises à leur charge.

Le juge de l'annulation de la sentence ne saurait se prononcer sur le bien fondé de cette motivation, sans procéder à une révision au fond qui lui est interdite.

Le moyen n'est pas fondé.

Sur le deuxième moyen tiré de ce que le principe de la contradiction n'a pas été respecté (article 1492, 4° du code de procédure civile) :

M. I et GINKGO affirment que J A Z H n'ont jamais débattu devant le tribunal arbitral des usages et de la pratique en matière d'arbitrage en cas de défaillance des défendeurs dans le paiement des provisions sur frais et honoraires de l'arbitrage, de sorte que le tribunal arbitral ne pouvait pas se fonder sur ces usages et cette pratique sans violer le principe de la contradiction.

J A Z H répliquent que dans leur mémoire en défense du 27 mars 2018, M. I et GINKGO se prévalaient d'un renvoi à un fascicule du Jurisclasseur, lequel fait référence aux usages en matière d'avances sur frais et honoraires d'arbitrage. Ils ajoutent que lors de l'audience du 13 avril 2018, les conseils des parties ont été interrogés par le tribunal arbitral sur l'arrêt « Getma » du 1er février 2017 et sur la notion des usages sur le paiement des frais d'arbitrage. Ils affirment qu'en tout état de cause, les arbitres n'étaient pas tenus de discuter l'existence et le contenu des usages de l'arbitrage par les parties.

L'arbitre n'a pas l'obligation, pour rendre sa sentence, de soumettre au préalable le raisonnement juridique qui étaye sa motivation à la discussion contradictoire.

L'acte de mission signé par les parties le 14 février 2018 prévoit que « J sollicitera, au préalable, la condamnation des Défendeurs à lui rembourser la quote part de provision des frais et honoraires d'arbitrage qu'elle a réglée au CMAP, le 11 janvier 2018, pour pallier la défaillance des Défendeurs ».

Par un mémoire sur les frais daté du 7 mars 2018, J A Z H ont demandé au tribunal arbitral qu'il rende une sentence partielle sur les frais en condamnant solidairement M. M I et GINKGO à payer la somme de 131 600 euros HT assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2016. Au soutien de cette demande, J A Z H citaient dans leur mémoire plusieurs sentences rendues sous l'égide de la CCI et indiquaient que le

« raisonnement, valable pour les arbitrages CCI est applicable F E aux arbitrages CMAP » (§25) et que le refus des Défendeurs de payer les quotes parts mises à leur charge étaient « contraire aux principes mêmes du droit de l'arbitrage ». Les Demanderesses ajoutaient plusieurs références doctrinales pour les besoins de leur démonstration.

En retenant que le règlement CMAP devait être interprété comme faisant obligation aux parties d'avancer les quotes parts mises à leur charge, ce qui résultait tant des analyses d'une partie de la doctrine que de la pratique en matière d'arbitrage interne et international, le tribunal arbitral ne s'est fondé sur aucun élément qui n'aurait pas fait l'objet d'un débat contradictoire entre les parties.

Le moyen doit donc être écarté.

Il résulte de ce qui précède que le recours en annulation est rejeté.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Succombant à l'instance, M. M I et GINKGO ne sauraient bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et doivent être condamnés in solidum à payer à H la somme de 15 000 euros sur ce fondement.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Rejette le recours en annulation dirigé contre la sentence rendue entre les parties,

Condamne in solidum M. M I et la société SC GINKGO FINANCE à payer à la société H la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. M I et la société SC GINKGO FINANCE aux dépens.

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