Cass. 1re civ., 7 septembre 2022, n° 20-22.118
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique (SA)
Défendeur :
Etat de Libye
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
Mme Guihal
Avocat général :
M. Lavigne
Avocats :
SARL Ortscheidt, SARL Cabinet Rousseau et Tapie
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2020, n° RG 18/02568), le 20 janvier 2003, le Gouvernement libyen et la Société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique (Sorelec) ont conclu un accord pour fixer le montant de la créance de celle-ci et mettre fin à leur différend concernant l'exécution d'un contrat de construction.
2. Pour obtenir paiement de sa créance, la société Sorelec a engagé une procédure d'arbitrage, sous l'égide de la Chambre de commerce international (la CCI), sur le fondement du traité bilatéral de protection des investissements entre la France et la Libye. En cours d'instance, elle a sollicité l'homologation d'un protocole transactionnel. Une sentence partielle, rendue à [Localité 2], a accueilli cette demande, condamné la Libye à payer une certaine somme dans un certain délai et prévu qu'en cas de défaillance cet Etat serait tenu de payer un montant supérieur.
3. La sentence partielle n'ayant pas été exécutée dans le délai imparti, le tribunal arbitral a rendu une sentence finale condamnant la Libye au paiement de la somme majorée et répartissant les frais d'arbitrage.
4. La Libye a formé un recours en annulation de la sentence partielle.
Sur le troisième moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société Sorelec fait grief à l'arrêt d'annuler la sentence partielle rendue à [Localité 2] le 20 décembre 2017 et de la condamner à verser une indemnité de 150.000 euros à l'Etat de Libye en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les parties doivent agir avec loyauté dans la conduite de la procédure arbitrale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que « le respect de la conception française de l'ordre public international implique que le juge étatique chargé du contrôle puisse apprécier le moyen tiré de la contrariété à l'ordre public international alors même qu'il n'a pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l'ont pas mis dans le débat » et que la circonstance « que le grief tenant à une activité de corruption est nouveau, alors qu'il aurait été possible à l'Etat de Libye d'en saisir le tribunal arbitral, ne prive pas le juge de l'annulation d'examiner si la sentence partielle qui homologue le protocole n'a pas eu pour effet de couvrir une telle activité, sans laquelle il n'aurait pas été conclu », sans rechercher , comme elle y était expressément invitée, si en s'absentant de se prévaloir d'allégations de corruption qu'ils pouvaient invoquer, d'abord entre la date de communication du protocole transactionnel au tribunal arbitral, le 22 août 2016, et la date de la sentence partielle du 20 décembre 2017, et ensuite après le dépôt de son recours en annulation contre la sentence partielle et avant que les arbitres ne statuent par sentence finale le 10 avril 2018, l'État de Libye n'avait pas ainsi agi avec déloyauté au cours de la procédure arbitrale, se privant dès lors de la possibilité de fonder son recours en annulation sur de telles allégations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1464, alinéa 3, 1506.3° et 1520.5° du code de procédure civile »
7. Le respect de l'ordre public international de fond ne peut être conditionné par l'attitude d'une partie devant l'arbitre.
8. La cour d'appel, devant laquelle il était allégué que l'exécution de la sentence avait pour effet de permettre à la société Sorelec de retirer les bénéfices d'un protocole transactionnel obtenu par corruption, n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante selon laquelle l'Etat libyen aurait fait preuve de déloyauté en n'invoquant pas ce grief devant les arbitres, de sorte qu'elle a légalement justifié sa décision de ce chef.
Sur le deuxième moyen
9. La société Sorelec fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que M. [S] reconnaissait, à la date du 7 septembre 2015, que « même si le département du contentieux relevait de son ministère, et même si une transaction était approuvée par une décision prise en conseil des ministres ou autorisée par le premier ministre, il était nécessaire d'obtenir préalablement l'autorisation du département du contentieux pour qu'un représentant de l'Etat de Libye, quel qu'il soit, puisse régulièrement approuver une transaction », que « l'article 6 de la loi de 1971 qui institue le département du contentieux, prévoit que celui-ci donne à la partie administrative son avis motivé et que cette dernière ne peut contrevenir à cet avis qu'en vertu d'une décision du ministre compétent », qu'il « résulte que ce texte s'il permet au ministre compétent le cas échéant, somme le soutient Sorelec, de ne pas suivre l'avis du département du contentieux, ne l'autorise pas en revanche à ne pas solliciter son avis préalable », que « M. [S] n'a pas sollicité cet avis avant de signer le protocole » et que « l'attitude de M. [S] qui a signé le Protocole fin mars 2016, sans avoir sollicité l'avis du département du contentieux qu'il savait obligatoire et qu'il n'a communiqué que le 12 avril 2016, ce qu'il a appelé un "projet de protocole transactionnel préparé en vue de régler le différend opposant la société française Sorelec à l'Etat libyen", en dissimulant qu'il avait déjà signé le Protocole constituait un indice grave et précis d'une collusion entre Sorelec et le ministre de la justice qui a signé cet accord dans l'exercice de ses fonctions officielles, susceptible d'en tirer un avantage personnel » après avoir pourtant constaté que dans sa sentence partielle du 20 décembre 2017, le tribunal arbitral a notamment retenu, en application du principe de l'estoppel et de la théorie de l'apparence, que la société Sorelec pouvait légitiment croire en l'apparente légitimité du ministre de la justice du gouvernement provisoire émanant du Parlement et que devant le tribunal arbitral, l'avocat représentant l'Etat de Libye et la procédure arbitrale a soutenu que le protocole n'était pas homologué en droit interne libyen par le Département des litiges, ce dont il résultait que le tribunal arbitral avait statué sur la question de l'avis préalable du Département du contentieux, la cour d'appel, qui a ainsi procédé à une nouvelle instruction au fond de l'affaire déjà soumise au tribunal arbitral, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile ;
2°/ que le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait en se fondant sur une lettre de M. [S] du 7 septembre 2015, adressée au ministre de la justice, sur un courrier du ministre de la justice du 12 avril 2016 transmettant au président du département des contentieux le projet de protocole transactionnel, et sur une sentence arbitrale [D] rendue le 24 mai 2019, pièces qui n'ont pas été produites devant le tribunal arbitral, la cour d'appel, qui a ainsi révisé la sentence arbitrale, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile »
10. L'article 1520 du code de procédure civile dispose :
« Le recours en annulation n'est ouvert que si :
1° Le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent ; ou
2° Le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ; ou
3° Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ; ou
4° Le principe de la contradiction n'a pas été respecté ; ou
5° La reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international. »
11. Si la mission de la cour d'appel, saisie en vertu de ce texte, est limitée à l'examen des vices que celui-ci énumère, aucune limitation n'est apportée à son pouvoir de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant les vices en question.
12. Saisie d'un moyen tiré de ce que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence heurterait l'ordre public international en ce que la transaction qu'elle homologuait avait été obtenue par corruption, la cour d'appel a vérifié à bon droit la réalité de cette allégation en examinant l'ensemble des pièces produites à son soutien, peu important que celles-ci n'aient pas été précédemment soumises aux arbitres.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sorelec aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Sorelec et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à l'Etat libyen ;