Cass. 1re civ., 16 juin 1976, n° 74-14.006
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Milton A... (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bellet
Rapporteur :
M. Granjon
Avocat général :
M. Ponsard
Avocat :
MM. Copper-Royer, Lyon-Caen
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, Milton A..., qui avait obtenu par contrat de Dame Z..., veuve X..., la concession exclusive de l'importation et de la distribution des parfums Y... aux États-Unis d'Amérique et au Canada, et la société Milton A..., ont, en vertu de la clause compromissoire insérée dans le contrat de concession, saisi les arbitres, qui avaient reçu mission d'amiables compositeurs, de difficultés qui, relativement à l'exécution du contrat, les opposaient à Dame X... ;
Que cet arbitrage était régi par la loi française ; Que les parties avaient adhéré au règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale qui fixait à soixante jours le délai dans lequel les arbitres devaient rendre leur sentence et donnait à la Cour d'arbitrage, organisateur de la procédure, qui ne se confondait pas avec les arbitres, le droit de prolonger ce délai si elle l'estimait nécessaire ;
Que plusieurs prorogations furent consenties, la dernière jusqu'au 31 juillet 1973 ; Qu'une sentence fut rendue le 30 mars 1973, et une sentence rectificative le 18 avril 1973 ; Que ces deux sentences furent déclarées exécutoires respectivement par ordonnances du 4 mai et du 3 juillet 1973 ; Que Dame X... a fait opposition aux deux ordonnances d'exequatur et soulevé contre elles divers moyens de nullité ; Qu'elle en a été déboutée par l'arrêt attaqué ;
Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel, en premier lieu, de n'avoir pas recherché si la volonté des parties n'avait pas été de limiter à soixante jours la faculté pour la Cour d'arbitrage, leur mandataire, de proroger le délai d'arbitrage, et, en second lieu, de n'avoir pas admis que, à défaut d'une durée conventionnellement fixée, le délai d'arbitrage ne pouvait être prolongé par la Cour d'arbitrage que d'une durée maximale de trois mois, ou, à tout le moins, de périodes successives n'excédant pas trois mois chacune ;
Mais attendu que la cour d'appel a admis à bon droit que le délai de trois mois prévu par l'article 1007 du code de procédure civile ne s'applique qu'en l'absence de délai fixé par les parties et que les prorogations décidées par un tiers préconstitué par les parties s'imposent à celles-ci au même titre que si elles les avaient consenties elles-mêmes ;
Qu'elle a interprété souverainement le règlement auquel les parties se sont référées comme ne limitant pas à soixante jours la durée des prorogations ordonnées par la Cour d'arbitrage et en a déduit que le compromis n'était pas expiré quand les sentences ont été rendues ; Qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision et que le moyen ne saurait être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen : Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel d'avoir refusé d'admettre que les arbitres avaient statué hors compromis et sur choses non demandées en se prononçant, pour l'écarter, sur une demande reconventionnelle dont Dame X... s'était désistée, alors que le fait que A... ait demandé le remboursement des frais d'étiquetage n'était qu'un moyen de défense à la demande reconventionnelle de Dame X... et que, à supposer qu'il s'agît d'une demande incidente de A..., cette demande n'autorisait pas les arbitres à statuer sur la demande reconventionnelle de Dame X... ;
Mais attendu que la cour d'appel retient que la question posée par la demande reconventionnelle faisait aussi l'objet du chef n° 4 de la demande principale, qui se présentait sous une forme négative ; Que les arbitres pouvaient donc y répondre, comme ils l'ont fait, sans excéder leurs pouvoirs ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Rejette les premier et troisième moyens ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche : Vu l'article 1028, 1°, du code de procédure civile ; Attendu que la clause compromissoire qui liait les parties ne donnait compétence aux arbitres que pour l'interprétation et l'exécution du contrat de concession ;
Que les arbitres, après avoir reconnu que ledit contrat n'autorisait A... à répercuter les hausses de prix qu'en valeur absolue et qu'il importait de respecter d'autant plus cette clause qu'elle ne peut avoir été souscrite par A... avec légèreté ni sans avoir été éclairé sur sa portée, ont alloué à A... une indemnisation équitable lui permettant de récupérer partiellement la perte que lui causait l'application de cette clause ;
Que l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, a rejeté la demande en nullité au motif qu'il ressort nettement des termes de la sentence que les arbitres ont tenu pour établi le refus allégué, qui n'était pas contesté ;
Qu'ils ont, dès lors, répondu, sans en transgresser les données, à la question qui leur était posée ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le préjudice dont il était demandé réparation n'était pas de caractère extra-contractuel, et exclu à ce titre des termes du compromis, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, DANS LA LIMITE DES 2E, 4E, 5E, 6E ET 7E MOYENS DE CASSATION, ET SEULEMENT EN CE QUI CONCERNE LES DISPOSITIONS QUI ONT ECARTE LE TROISIEME MOYEN DE NULLITE ET LA DEUXIEME BRANCHE DU QUATRIEME MOYEN DE NULLITE SOUMIS AUX PREMIERS JUGES, LE MOYEN DE NULLITE TIRE DE L'OCTROI D'INTERETS NON DEMANDES ET LA NULLITE DE LA SENTENCE RECTIFICATIVE, ET LA DISPOSITION QUI A RECUEILLI LA DEMANDE EN DOMMAGES-INTERETS FORMEE PAR MILTON A... POUR PROCEDURE ABUSIVE, L'ARRET RENDU ENTRE LES PARTIES LE 12 JUILLET 1974 PAR LA COUR D'APPEL DE PARIS ;
REMET, EN CONSEQUENCE, QUANT A CE, LA CAUSE ET LES PARTIES AU MEME ET SEMBLABLE ETAT OU ELLES ETAIENT AVANT LEDIT ARRET ET, POUR ETRE FAIT DROIT, LES RENVOIE DEVANT LA COUR D'APPEL D'AMIENS.