CA Basse-Terre, 2e ch., 28 août 2025, n° 24/00695
BASSE-TERRE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRET AVANT DIRE DROIT
N° 414 DU 28 AOUT 2025
N° RG 24/00695 -
N° Portalis DBV7-V-B7I-DWTI
Saisine sur renvoi après cassation
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal de grande instance
de POINTE-À-PITRE en date du 6 décembre 2018, rendu dans une instance enregistrée sous le n° 17/01027, après déclaration de saisine du 12 juillet 2024 faisant suite à un arrêt de la cour de cassation du 14 septembre 2023 cassant et annulant partiellement l'arrêt de la 2ème chambre civile de la cour d'appel de Basse-Terre rendu le 10 janvier 2022
APPELANTE :
S.C.I. SCI JUST
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Jamil HOUDA, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
INTIMES :
Madame [L] [H] [B] épouse [X]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Louis-raphaël MORTON, de la SELAS SCP (SERVICES CONSEILS PLAIDOIRIES) MORTON & ASSOCIES, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
Monsieur [O] [I]
[Adresse 14]
[Localité 7]
Représenté par Me Myriam TREIL, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
Maître [A] [R]
Office notarial du littoral Sud
[Adresse 18]
[Adresse 9]
[Adresse 10]
[Localité 6]
Représenté par Me Hugues JOACHIM, de la SELARL J - F - M, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 mars 2025, en audience publique devant M. Frank ROBAIL, président de chambre et Mme Aurélia BRYL, conseillère, chargés du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposé.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Frank ROBAIL, président de chambre,
Mme Aurélia BRYL,conseillère.
M. Guillaume MOSSER, conseiller
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 10 juillet 2025.
Elles ont ensuite été informées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison de la surcharge des magistrats.
GREFFIER
Lors des débats : Madame Solange LOCO, greffière placée.
Lors du prononcé : Mme Sonia VICINO, greffière
ARRET :
- contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- signé par M. Frank ROBAIL, président de chambre et par Mme Sonia VICINO, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 1er décembre 2002, M. [O] [I], nu-propriétaire, et Mme [U] [T] épouse [I], usufruitière, bailleurs, d'une part, et Mme [L] [B] épouse [X], preneur, ont conclu un contrat de bail commercial portant location par les premiers à la seconde de locaux dépendant d'un immeuble sis au [Adresse 12], et y désignés comme suit :
- un rez-de chaussée d'environ 140 m2 à usage de magasin d'articles divers,
- un premier étage est un galetas usage de dépôt ;
Ce bail, conclu à l'origine pour une durée de 9 ans à effet du 11 octobre 2002, s'est renouvelé tacitement à son expirationen 2011 ;
Aux termes d'un acte notarié passé devant Maître [A] [R] le 7 février 2017, Monsieur [O] [I] a vendu à la S.C.I. 'SCI JUST' (et non pas 'JUST', comme retenu à tort par la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé et par la cour de cassation dan son arrêt de cassation partielle) un immeuble sis au [Adresse 13], y cadastré sous le n° [Cadastre 2] de la section AO, lequel avait été préalablement loué à Mme [L] [B] selon contrat de bail commercial en date du 1er novembre 2002 ;
Par acte d'huissier du 20 avril 2017, Mme [B] a fait assigner M. [I] et la S.C.I. SCI JUST devant le tribunal de grande instance de POINTE-A-PITRE aux fins de voir, aux termes de ses dernières conclusions devant cette juridiction :
- prononcer l'annulation de cette vente, sur le fondement de la violation du droit de préemption dont elle disposait en sa qualité de locataire,
- condamner M. [I] à lui payer :
** la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, 'toutes causes de préjudices confondues',
** la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
Par acte d'huissier de justice du 1er juin 2017, la S.C.I. SCI JUST a fait appeler Maître [A] [R], notaire rédacteur de l'acte, en intervention forcée dans l'instance ainsi engagée par Mme [B], lui dénonçant à cette fin l'assignation du 20 avril 2017;
Le 9 juillet 2018, un incendie s'est déclaré dans l'immeuble objet de la vente et a détruit la quasi totalité du bien;
Par jugement du 6 décembre 2018, le tribunal de grande instance de POINTE-A-PITRE a :
- prononcé la nullité de la vente réalisée le 7 février 2017 entre M. [I] et la S.C.I. SCI JUST concernant l'immeuble sis [Adresse 16], pour défaut de respect du droit de préemption du locataire des lieux,
- condamné M. [I] à restituer à ladite S.C.I. la somme de 220.000 euros payée par elle au titre de cette vente,
- condamné M. [I] à payer à Mme [B] épouse [X] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné M. [I] et Me [R], in solidum, à payer à Mme [B] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de ce jugement et débouté par suite Mme [B] de sa demande en ce sens,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- condamné M. [I] et Me [R], in solidum, aux dépens de cette instance ;
* La société SCI JUST a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 5 février 2019, et ce pour chacun des chefs de jugement expressément mentionnés ;
Dans ce cadre, la sus-nommée appelante concluait devant la cour ainsi saisie, aux fins de voir :
- juger que la formalité de l'article L 145-46-1 du code de commerce avait bien été respectée en ce que Mme [B] s'était bien vu notifier une offre de vente à hauteur de 220.000 euros,
- infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente du 7 février 2017 entre M. [I] et la société SCI JUST concernant le bien cadastré AO n° [Cadastre 1], sis Saint Jean au MOULE,
- débouter les intimés de toutes leurs demandes et prétentions à l'encontre de la société JUST,
A titre subsidiaire, en cas d'annulation de la vente,
- condamner Me [R], en sa qualité de notaire rédacteur de l'acte, à réparer le préjudice que subirait la société SCI JUST, et ce à hauteur de 50.000 euros,
- condamner M. [I] à restituer à la société JUST le montant du prix de vente, soit 220.000 euros,
- condamner le même à rembourser à la même société tous les frais d'actes, émoluments du notaire et droits de mutation, les intérêts et agios du prêt ayant financé l'achat du bien, soit la somme de 38.244,34 euros,
- condamner le même à payer à la même société une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause,
- condamner Mme [B] à réparer le préjudice qu'elle a fait subir à la société SCI JUST à hauteur de 20.000 euros,
- condamner M. [I] à payer à la S.C.I. SCI JUST une somme de 25.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des tracasseries causées par la procédure,
- condamner solidairement M. [I], Me [R] et Mme [B] au paiement de la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
M. [I] concluait quant à lui aux fins de voir :
- infirmer le jugement déféré,
- dire et juger Mme [B] irrecevable en ses demandes, pour défaut de publication de l'assignation tendant à obtenir l'annulation d'une vente portant sur un bien immobilier,
- dire et juger que la vente intervenue le 7 février 2017 entre la société SCI JUST et M. [I] portant sur un bien sis au [Adresse 4] était valable,
- débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes,
A titre subsidiaire si la vente était annulée,
- juger que Me [R], notaire, 'sera(it) condamné avec M. [I]',
- condamner la société SCI JUST à lui payer la somme de 237.643,52 euros au titre du prix de vente et des loyers perçus par elle de février 2017 à octobre 2019,
En tout état de cause,
- condamner Mme [B] à payer à M. [I] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
- dire que Me TREIL, avocate, pourrait recouvrer directement les frais dont elle avait fait l'avance sans en avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Mme [B] souhaitait voir quant à elle :
- dire et juger M. [I] et la S.C.I. SCI JUST mal fondés en leur appel,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
- condamner M. [I] à payer à Mme [B] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
- condamner la S.C.I. SCI JUST à payer à Mme [B] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens .
Enfin, Maître [R], notaire rédacteur de l'acte de vente, concluait devant la même cour aux fins de voir :
- le recevoir en son appel incident et le déclarer bien fondé,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré qu'il avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité,
- débouter la société JUST de ses demandes dirigées contre lui comme mal fondées,
- confirmer le jugement dont appel dans ses dispositions qui déboutent la société SCI JUST de ses demandes de condamnation contre lui,
- la condamner à lui payer la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, sous distraction ;
Par arrêt contradictoire du 10 janvier 2022, la cour d'appel a :
- écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de l'acte introductif d'instance,
- infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- débouté Mme [L] [B] de sa demande d'annulation de la vente réalisée le 7 février 2017 entre Monsieur [O] [I] et la S.C.I. SCI JUST concernant un immeuble sis [Adresse 15], cadastré AO n° [Cadastre 2] Le [Adresse 11], pour défaut d'objet en suite de la destruction du bien vendu,
- débouté Mme [L] [B] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de M. [O] [I] et de Maître [R],
- rejeté l'ensemble des demandes résultant de l'annulation de la vente,
- débouté M. [O] [I] de sa demande de dommages et intérêts formulée à l'encontre de Mme [L] [B],
- condamné Mme [L] [B] à payer à la S.C.I. SCI JUST la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné Mme [L] [B] à payer respectivement à M. [I] et à la SCI S.C.I. JUST la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL JFM et de Me TREIL, avocats aux offres de droit ;
* Un pourvoi en cassation a été diligenté contre cet arrêt par Mme [B] et, par arrêt du 14 septembre 2023, la cour de cassation l'a cassé et annulé, sauf en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de l'acte introductif d'instance et en ce qu'il a débouté M. [I] de sa demande de dommages et intérêts contre Mme [B], a par suite remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt du 10 janvier 2022 et les a renvoyées devant la cour d'appel de ce siège, autrement composée ; la Haute cour a par ailleurs condamné in solidum M. [I], la société SCI JUST et Me [R] à payer à Mme [B] une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de son pourvoi;
Pour parvenir à cette cassation partielle, la cour de cassation :
- a constaté que pour rejeter les demandes de Mme [B] la cour d'appel avait retenu que l'immeuble vendu avait été quasiment détruit par un incendie et que, dès lors, le contrat de vente s'en trouvait dépourvu d'objet, de sorte que la demande d'annulation de ce contrat, fondée sur la violation du droit de préemption de la locataire, qui ne disposait plus de bail et ne se trouvait plus dans les lieux, devait être rejetée car devenue sans objet,
- et a retenu qu'en statuant ainsi, alors que, d'une part, la destruction du bien vendu qui était survenue après la conclusion de la vente ne privait pas celle-ci de son objet, et que, d'autre part, la circonstance que la locataire ne disposait plus de bail sur le bien, en raison de sa destruction postérieure à la vente, ne privait pas d'objet ses demandes d'annulation de la vente réalisée en violation de son droit de préemption et d'indemnisation de son préjudice, la cour d'appel avait violé les articles 1582 al 1 du code civil et L145-46-1 du code de commerce ;
***
Par déclaration remise au greffe par voie électronique (RPVA) le 12 juillet 2024, la S.C.I. SCI JUST a saisi la cour de renvoi de ce siège, y intimant Mme [B], M. [I] et Me [R], notaire, et y demandant expressément l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a :
- prononcé la nullité de la vente réalisée le 7 février 2017 entre M. [I] et la S.C.I. SCI JUST concernant l'immeuble sis [Adresse 16],
- condamné M. [I] à restituer à ladite S.C.I. la somme de 220.000 euros payée par elle au titre de cette vente,
- condamné M. [I] à payer à Mme [B] épouse [X] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné M. [I] et Me [R], in solidum, à payer à Mme [B] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- condamné M. [I] et Me [R], in solidum, aux dépens de cette instance ;
Cette procédure a été fixée à bref délai à l'audience du 9 décembre 2024 dans les conditions des articles 905 et 1037-1 anciens du code de procédure civile (applicables aux saisines après cassation diligentées avant le 1er septembre 2024) et avis en a été donné au conseil de la société SCI JUST par le greffe, par voie électronique, le 12 septembre 2024, en suite de quoi, par actes de commissaire de justice séparés des 17 et 18 septembre 2024, cette même société a fait signifier sa déclaration de saisine, l'avis du greffe et ses premières conclusions d'appelante sur renvoi après cassation à chacun des intimés, soit, respectivement, Mme [B], M. [I] et Me [R];
M. [O] [I] a constitué avocat par acte remis au greffe et notifié à l'avocat de la partie saisissante, par RPVA, le 13 décembre 2024, Mme [L] [B], par acte remis au greffe et notifié à l'avocat de la société SCI JUST, par même voie, le 27 septembre 2024 et Me [A] [R], par acte remis au greffe et notifié au même avocat par même voie le 17 novembre 2024 ;
La S.C.I. SCI JUST, saisissante et appelante, a conclu au fond par acte remis au greffe par RPVA le 10 septembre 2024 ;
M. [I], intimé, a conclu au fond à 3 reprises, par actes remis au greffe et notifiés aux conseils adverses, par voie électronique, respectivement les 11 octobre 2024, 29 novembre 2024 et 19 février 2025 ('conclusions d'intimé sur renvoi après cassation récapitulatives ') ;
Me [A] [R], intimé, a conclu au fond quant à lui à 2 reprises, par actes remis au greffe et notifiés aux autres avocats de la cause, par RPVA, respectivement les 14 novembre 2024 et 27 février 2025 ('conclusions récapitulatives') ;
Enfin, Mme [L] [B], intimée, a conclu elle aussi à 2 reprises, par actes remis au greffe et notifiés aux avocats adverses, par même voie, respectivement les 18 novembre 2024 et 10 janvier 2025 ('conclusions récapitulatives et responsives d'intimée sur renvoi après cassation') ;
A l'audience du 9 décembre 2024, l'affaire a été renvoyée d'accord parties à celle du 10 mars 2025 pour permettre à Mme [B] de conclure en réponse aux dernières écritures de Me [R] et de M. [I] ;
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1°/ Par ses conclusions remises au greffe le 10 septembre 2024, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens y proposés au soutien de ses demandes, la S.C.I. SCI JUST, appelante, souhaite voir :
A TITRE PRINCIPAL,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
**prononcé la nullité de la vente du 7 février 2017 entre M. [I] et la S.C.I. SCI JUST concernant le bien cadastré AO n° [Cadastre 1], sis [Adresse 17],
** débouté la même société de sa demande d'indemnisation au motif qu'il ne justifiait pas des intérêts et agios du prêt immobilier, des frais de notaire et des émoluments payés par elle, ni du préjudice qu'elle a subi,
A TITRE SUBSIDIAIRE, en cas d'annulation de la vente,
- condamner Me [R], en sa qualité de notaire rédacteur de l'acte, 'solidairement avec M. [N] [I]', à relever la société SCI JUST de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre elle,
- condamner Me [R], en cette même qualité, à réparer le préjudice que subirait la société SCI JUST en cas d'annulation de la vente, à hauteur de 50 000 euros,
- condamner M. [I] :
** à restituer à la société SCI JUST le montant du prix de la vente, soit 220 000 euros assorti des intérêts au taux légal à compter de la date de la vente du 7 février 2017,
** à rembourser à la même société tous les frais d'actes, émoluments du notaire et droits de mutation, les intérêts et agios du prêt ayant financé l'achat du bien, soit la somme de 38 244,34 euros,
** à payer à la même société une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
- condamner Mme [B] à réparer le préjudice qu'elle a fait subir à la S.C.I. SCI JUST à hauteur de 20 000 euros,
- condamner M. [I] à payer à la même société une somme de 25 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des tracasseries causées par la procédure,
- condamner solidairement M. [I], Mme [B] et Me [R] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
2°/ Par ses dernières écritures, remises au greffe le 19 février 2025, M. [I], intimé, souhaite voir, au visa des articles L145-46-1 du code de commerce, 1118, 1224, 1352 et suivants du code civil :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé la vente conclue entre la S.C.I. SCI JUST et M. [I],
Ce faisant, à titre principal,
- juger que cette vente est valable,
- débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes,
A titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la vente était annulée,
- juger que Me [R], notaire, 'sera condamné solidairement avec M. [O] [I]',
- condamner la S.C.I. SCI JUST à payer à M. [I] la somme de 237.643,52 euros se décomposant comme suit :
** 220 000 euros au titre de la valeur de l'immeuble au moment de la vente,
** 17 643,52 euros au titre des loyers perçus de février 2017 à octobre 2019,
En tout état de cause,
- condamner solidairement Mme [B], la société SCI JUST et Me [R] à payer à M. [I] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, sous distraction au profit deMe TREIL, avocat ;
Pour un exposé détaillé des moyens proposés par M. [I] au soutien de ces demandes, il est expressément renvoyé aux susdites conclusions ;
3°/ Par ses propres dernières écritures, remises au greffe le 10 janvier 2025, Mme [B], intimée, conclut quant à elle aux fins de voir :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- débouter M. [I], Me [R] et la S.C.I. SCI JUST de l'ensemble des demandes formulées à l'encontre de Mme [B],
- condamner in solidum M. [I], Me [R] et la S.C.I. SCI JUST à payer à Mme [B] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
4°/ Par ses propres dernières écritures, remises au greffe le 27 février 2025, Me [R], intimé :
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente et en ce qu'il a condamné M. [I] et Me [R], in solidum, à payer à Mme [B] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter Mme [B] et la S.C.I. SCI JUST de leurs demandes dirigées contre Me [R] en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum M. [I], la S.C.I. SCI JUST et Mme [B] à payer à Me [R] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers ;
Pour un exposé détaillé des moyens proposés par Me [R] au soutien de ces demandes, il est expressément renvoyé à ses dernières conclusions ;
MOTIFS DE L'ARRET
I- Sur la recevabilité de la saisine de la cour de renvoi après cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel du 10 janvier 2022
Attendu que l'article 1034 ancien du code de procédure civile, en sa version applicable aux procédures sur renvoi après cassation engagées, comme en l'espèce, avant le 1er septembre 2024, dispose que, à moins que la juridiction de renvoi n'ait été saisie sans notification préalable, la déclaration doit, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, être faite avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation faite à la partie, ce délai courant même à l'encontre de la partie qui notifie, sous réserve des délais de distance de l'article 644 du code de procédure civile ;
Attendu que la société SCI JUST, partie saisissante dont le siège social est situé en GUADELOUPE et qui, par suite, ne bénéficie d'aucun délai de distance, a saisi la cour de renvoi de ce siège, par RPVA, le 12 juillet 2024, sur cassation partielle, par arrêt de la cour de cassation du 14 septembre 2023, d'un arrêt de cette même cour d'appel en date du 10 janvier 2022, sans qu'il soit justifié aux débats de la date à laquelle cet arrêt de cassation partielle lui aurait été notifié ; que cette saisine est donc recevable au plan du délai pour agir ;
II- Sur la demande d'annulation du contrat de vente notarié du 7 février 2017
Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L145-46-1 du code de commerce, en sa version en vigueur du 18 décembre 2014 au 23 février 2022, applicable au cas d'espèce :
- lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement,
- cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée et vaut offre de vente au profit du locataire,
- ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer,
- en cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente et si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois,
- si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet,
- dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire dans les formes prévues au premier alinéa, à peine de nullité de la vente, ces conditions et ce prix ; cette notification vaut offre de vente au profit du locataire, laquelle est valable pendant une durée d'un mois à compter de sa réception, et l'offre qui n'a pas été acceptée dans ce délai est caduque,
- le locataire qui accepte l'offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur ou au notaire, d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente,
- si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois et si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet,
- les dispositions des quatre premiers alinéas de cet article sont reproduites, à peine de nullité, dans chaque notification,
- ce même article n'est pas applicable en cas de cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial, de cession unique de locaux commerciaux distincts ou de cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial ; il n'est pas non plus applicable à la cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux ou à la cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint ;
Attendu qu'il est constant que Mme [B] occupait, au titre d'un bail commercial conclu avec les consorts [I] le 1er décembre 2002, un local dépendant d'un bien immobilier sis au [Adresse 13], sur un terrain cadastré sous le n° [Cadastre 2] de la section AO, lorsque, par acte de Me [R], notaire à BAIE-MAHAULT, en date du 7 février 2017, M. [I], devenu pleinement propriétaire, a vendu cet entier immeuble à la S.C.I. SCI JUST moyennant le prix de 220 000 euros ;
Attendu que Mme [B], locataire, se plaint de ce que M. [I] a violé la substance de son droit de préemption en ne lui proposant pas cette vente à ce prix avant que de la conclure avec un tiers ; et que, dès lors, à l'encontre de l'opinion de la société SCI JUST, il appartient au bailleur, vendeur à l'acte précité, de faire la preuve de ce que cette vente a été précédée d'une proposition de vente à sa locataire aux mêmes prix et conditions, et ce dans les termes des exigences de l'article L145-146-1 susvisé ;
Attendu que Mme [B], en sa qualité incontestée de locataire titulaire du droit de préemption défini par l'article L145-46-1 sus-rappelé, estime plus précisément que la vente du 7 février 2017 est nulle pour avoir été réalisée en violation de ce droit, prétendant à cet égard que les conditions et le prix de vente convenus avec la S.C.I. SCI JUST ne lui avaient pas été notifiés, qu'elle n'avait en effet reçu qu'une proposition au prix de 320 000 euros et, plus encore, qu'elle avait elle-même proposé, par courrier du 26 février 2016, un prix de 30 000 euros supérieur à celui qui a été finalement convenu avec l'acquéreur, soit 250 000 euros, et ce après qu'elle eut reçu de M. [I], par courrier du 23 novembre 2015, la susdite proposition (320 000 euros) ;
Mais attendu que M. [I] conteste avoir reçu cette offre à 250 000 euros et que Mme [B], qui expose l'avoir adressée par lettre simple, est dans l'incapacité de faire la preuve de cette offre ; que ce moyen sera donc écarté ;
Attendu que M. [I] affirme surtout que s'il avait adressé à sa locataire, par courrier du 3 juin 2015, une proposition de vente au prix originel de 350 000 euros, il lui en a adressé une seconde, le 23 novembre 2015, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au prix de 220 000 euros et produit, pour tenter d'en justifier, un avis de réception daté et signé du 25 novembre 2015 ;
Attendu que, cependant, Mme [B], qui ne conteste pas avoir signé cet avis de réception, prétend qu'il ne correspondait pas à cette proposition au prix de 220 000 euros, mais à celle que lui aurait faite M. [I], par lettre datée du même 23 novembre 2015, au prix de 320 000 euros ; qu'elle produit à cet égard une lettre en ce sens qui est en effet datée et signée du 23 novembre 2015 ;
Attendu que M. [I] réplique que la signature qui y figure est fausse et que l'avis de réception signé de Mme [B] qu'il verse en original aux débats correspond bien à sa lettre de proposition de vente au prix de 220 000 euros ;
Or, attendu que, dès lors qu'il n'est ni prétendu ni démontré que Mme [B] ait accepté cette offre dans le délai d'un mois imposé par l'article L145-46-1 du code de commerce, le présent litige ne peut se résoudre qu'à l'aune du point de savoir si l'avis de réception signé par la sus-nommée le 23 novembre 2015 correspond à la lettre de proposition de vente au prix de 220 000 euros, ainsi que le prétend M. [I], ou à celle, portant même date, mais comportant une proposition au prix de 320000 euros, comme soutenu par Mme [B] ; et que, dès lors que ces deux propositions sont soutenues de la production de deux lettres portant même date, même graphie et même ordonnancement (pièce 7 du dossier de M. [I] pour la proposition au prix de 220000 euros et pièce 3 du dossier de Mme [B] pour la proposition au prix de 320 000 euros), et dès lors que M. [I] prétend à la fausseté de la signature qui lui est prêtée sur la lettre produite par Mme [B], cette question ne peut être résolue qu'à l'aune de la validité ou de la fausseté de cette dernière lettre ;
Attendu que la cour est en mesure d'observer que M. [I] produit, en pièce 7, la copie de la lettre datée et signée du 23 novembre 2015 qui contient une proposition au prix de 220 000 euros, et ne peut en produire l'original censé avoir été adressé à Mme [B], tandis que Mme [B] se borne manifestement à verser, en sa pièce n° 3, une simple copie de la lettre qu'elle prétend avoir reçue le 25 novembre suivant en lieu et place de la précédente, alors même qu'elle est censée en avoir reçu un original; que par suite, il n'est pas permis à la présente juridiction, en l'état des éléments produits de part et d'autre, de juger de la véracité de cette pièce 3 dont la signature, en simple copie, a pu résulter de tout procédé illicite, ainsi que le prétend M. [I] implicitement, mais nécessairement puisqu'il excipe de sa fausseté ;
Or, attendu qu'aux termes de l'article 287 du code de procédure civile, si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, et si cet écrit ainsi désavoué est essentiel, comme en l'espèce, à la solution du litige, le juge vérifie l'écrit contesté ; que la cour de cassation (Civ. 2 du 23 novembre 2023) en infère une obligation pour le juge, lorsqu'un écrit est contesté, de procéder à la vérification d'écriture, et ce même si la partie qui désavoue sa signature ne produit aucun élément qui puisse constituer le moindre commencement de preuve, écartant ainsi les dispositions de l'article 146 du même code ;
Attendu qu'il y a lieu par suite, avant dire droit au fond, d'ordonner, aux frais avancés de M. [I] qui dénie sa signature et qui a la charge de la preuve du respect par ses soins du droit de préemption de Mme [B], une mesure d'expertise graphologique qui est seule de nature à permettre à la cour de déterminer si l'écrit invoqué par cette dernière émane ou non réellement du premier ; qu'il appartiendra dans ce cadre à Mme [B] de remettre à l'expert l'original de la lettre qu'elle prétend avoir ainsi reçue le 25 novembre 2015 et à M. [I] de lui remettre divers documents originaux, portant sa signature, qui soient contemporains de l'écrit contesté ;
Attendu que les demandes des parties, ainsi que les dépens et frais irrépétibles, seront subséquemment réservés en fin de cause ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Vu la décision de cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel de ce siège du 10 janvier 2022, en date 14 septembre 2023,
- Dit la société la S.C.I. SCI JUST recevable en sa saisine de la cour d'appel de renvoi après cassation de l'arrêt de la cour de ce siège en date du 10 janvier 2022,
- Ordonne la vérification de la lettre datée du 23 novembre 2015 produite en copie en pièce 3 du dossier de Mme [B], et notamment celle de la signature y apposée et attribuée à M. [O] [I], mais désavouée par celui-ci,
Avant dire droit au fond,
- Ordonne une mesure d'expertise et commet pour y procéder Mme [P] [V], experte judiciaire demeurant [Adresse 8], laquelle aura pour mission, sur la base de tous renseignements qu'elle aura collectés à charge d'en indiquer la source, en entendant le cas échéant tous sachants utiles, et en demandant, s'il y a lieu, l'avis de tous spécialistes de son choix dans un domaine distinct du sien après en avoir avisé les conseils des parties et précisé les honoraires prévisionnels, de:
- se faire remettre par Mme [L] [B] épouse [X] l'original de sa pièce n° 3 (lettre du 23 novembre 2015 attribuée à M. [O] [I] et portant une proposition de vente à 320 000 euros), ainsi que, par M. [O] [I], tous éléments comparatifs portant la signature de ce ce dernier, qui soient contemporains de ladite lettre, et les examiner,
- recueillir les explications des parties,
- rechercher et fournir tous éléments graphologiques ou autres de nature à permettre à la cour de dire si la signature apposée sur le document argué de faux par M. [O] [I] est ou non celle de ce dernier, et, plus généralement, de dire si ladite lettre a pu réellement émaner de M. [I],
- du tout dresser un pré-rapport qui sera remis aux parties, auxquelles devra être laissé un délai suffisant et raisonnable pour leur permettre de présenter leurs observations,
- et répondre aux dires éventuels des parties ;
- Dit que l'experte accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 242 et suivants du code de procédure civile et que, sauf conciliation entre les parties, elle déposera l'original ainsi qu'une copie de son rapport définitif au secrétariat-greffe de la juridiction dans les cinq mois de l'avis qui lui sera fait de la consignation ci-après ordonnée,
- Fixe à DEUX MILLE EUROS (2.000 euros) le montant de la provision à valoir sur les frais et honoraires de l'experte que devra consigner M. [O] [I] dans le délai d'un mois à compter du présent arrêt entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la cour,
- Dit qu'en application de l'article 271 du code de procédure civile, le défaut de consignation dans le délai imparti entraînera de plein droit la caducité de la mesure d'instruction,
- Dit que lors de la première ou, au plus tard lors de la deuxième réunion avec les parties, l'experte dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours,
- Disons qu'en cas d'insuffisance manifeste de la provision allouée, au vu des diligences faites ou à venir, l'expert en fera sans délai rapport au juge, qui, s'il y a lieu, ordonnera la consignation d'une provision complémentaire à la charge de la partie qu'il déterminera,
- Dit que le dépôt par l'experte de son rapport sera accompagné de sa demande de rémunération, dont il adressera un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d'en établir la réception,
- Dit que s'il y a lieu, les parties adresseront à l'expert et au juge chargé du contrôle des mesures d'instruction, leurs observations écrites sur cette demande dans un délai de quinze jours à compter de sa réception,
- Commet pour suivre cette expertise le président de la deuxième chambre civile et commerciale de la cour, ou, en cas d'empêchement de celui-ci, l'un des conseillers de la chambre,
- Dit qu'en cas d'empêchement de l'experte désignée il sera pourvu à son remplacement par ordonnance sur requête du magistrat chargé du contrôle des expertises,
- Renvoie cause et parties à l'audience du 9 février 2026,
- Réserve les demandes au fond des parties, les dépens et les frais irrépétibles en fin de cause.
Et ont signé,
La greffière, Le président
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRET AVANT DIRE DROIT
N° 414 DU 28 AOUT 2025
N° RG 24/00695 -
N° Portalis DBV7-V-B7I-DWTI
Saisine sur renvoi après cassation
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal de grande instance
de POINTE-À-PITRE en date du 6 décembre 2018, rendu dans une instance enregistrée sous le n° 17/01027, après déclaration de saisine du 12 juillet 2024 faisant suite à un arrêt de la cour de cassation du 14 septembre 2023 cassant et annulant partiellement l'arrêt de la 2ème chambre civile de la cour d'appel de Basse-Terre rendu le 10 janvier 2022
APPELANTE :
S.C.I. SCI JUST
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Jamil HOUDA, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
INTIMES :
Madame [L] [H] [B] épouse [X]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Louis-raphaël MORTON, de la SELAS SCP (SERVICES CONSEILS PLAIDOIRIES) MORTON & ASSOCIES, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
Monsieur [O] [I]
[Adresse 14]
[Localité 7]
Représenté par Me Myriam TREIL, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
Maître [A] [R]
Office notarial du littoral Sud
[Adresse 18]
[Adresse 9]
[Adresse 10]
[Localité 6]
Représenté par Me Hugues JOACHIM, de la SELARL J - F - M, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 mars 2025, en audience publique devant M. Frank ROBAIL, président de chambre et Mme Aurélia BRYL, conseillère, chargés du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposé.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Frank ROBAIL, président de chambre,
Mme Aurélia BRYL,conseillère.
M. Guillaume MOSSER, conseiller
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 10 juillet 2025.
Elles ont ensuite été informées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison de la surcharge des magistrats.
GREFFIER
Lors des débats : Madame Solange LOCO, greffière placée.
Lors du prononcé : Mme Sonia VICINO, greffière
ARRET :
- contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- signé par M. Frank ROBAIL, président de chambre et par Mme Sonia VICINO, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 1er décembre 2002, M. [O] [I], nu-propriétaire, et Mme [U] [T] épouse [I], usufruitière, bailleurs, d'une part, et Mme [L] [B] épouse [X], preneur, ont conclu un contrat de bail commercial portant location par les premiers à la seconde de locaux dépendant d'un immeuble sis au [Adresse 12], et y désignés comme suit :
- un rez-de chaussée d'environ 140 m2 à usage de magasin d'articles divers,
- un premier étage est un galetas usage de dépôt ;
Ce bail, conclu à l'origine pour une durée de 9 ans à effet du 11 octobre 2002, s'est renouvelé tacitement à son expirationen 2011 ;
Aux termes d'un acte notarié passé devant Maître [A] [R] le 7 février 2017, Monsieur [O] [I] a vendu à la S.C.I. 'SCI JUST' (et non pas 'JUST', comme retenu à tort par la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé et par la cour de cassation dan son arrêt de cassation partielle) un immeuble sis au [Adresse 13], y cadastré sous le n° [Cadastre 2] de la section AO, lequel avait été préalablement loué à Mme [L] [B] selon contrat de bail commercial en date du 1er novembre 2002 ;
Par acte d'huissier du 20 avril 2017, Mme [B] a fait assigner M. [I] et la S.C.I. SCI JUST devant le tribunal de grande instance de POINTE-A-PITRE aux fins de voir, aux termes de ses dernières conclusions devant cette juridiction :
- prononcer l'annulation de cette vente, sur le fondement de la violation du droit de préemption dont elle disposait en sa qualité de locataire,
- condamner M. [I] à lui payer :
** la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, 'toutes causes de préjudices confondues',
** la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
Par acte d'huissier de justice du 1er juin 2017, la S.C.I. SCI JUST a fait appeler Maître [A] [R], notaire rédacteur de l'acte, en intervention forcée dans l'instance ainsi engagée par Mme [B], lui dénonçant à cette fin l'assignation du 20 avril 2017;
Le 9 juillet 2018, un incendie s'est déclaré dans l'immeuble objet de la vente et a détruit la quasi totalité du bien;
Par jugement du 6 décembre 2018, le tribunal de grande instance de POINTE-A-PITRE a :
- prononcé la nullité de la vente réalisée le 7 février 2017 entre M. [I] et la S.C.I. SCI JUST concernant l'immeuble sis [Adresse 16], pour défaut de respect du droit de préemption du locataire des lieux,
- condamné M. [I] à restituer à ladite S.C.I. la somme de 220.000 euros payée par elle au titre de cette vente,
- condamné M. [I] à payer à Mme [B] épouse [X] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné M. [I] et Me [R], in solidum, à payer à Mme [B] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de ce jugement et débouté par suite Mme [B] de sa demande en ce sens,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- condamné M. [I] et Me [R], in solidum, aux dépens de cette instance ;
* La société SCI JUST a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 5 février 2019, et ce pour chacun des chefs de jugement expressément mentionnés ;
Dans ce cadre, la sus-nommée appelante concluait devant la cour ainsi saisie, aux fins de voir :
- juger que la formalité de l'article L 145-46-1 du code de commerce avait bien été respectée en ce que Mme [B] s'était bien vu notifier une offre de vente à hauteur de 220.000 euros,
- infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente du 7 février 2017 entre M. [I] et la société SCI JUST concernant le bien cadastré AO n° [Cadastre 1], sis Saint Jean au MOULE,
- débouter les intimés de toutes leurs demandes et prétentions à l'encontre de la société JUST,
A titre subsidiaire, en cas d'annulation de la vente,
- condamner Me [R], en sa qualité de notaire rédacteur de l'acte, à réparer le préjudice que subirait la société SCI JUST, et ce à hauteur de 50.000 euros,
- condamner M. [I] à restituer à la société JUST le montant du prix de vente, soit 220.000 euros,
- condamner le même à rembourser à la même société tous les frais d'actes, émoluments du notaire et droits de mutation, les intérêts et agios du prêt ayant financé l'achat du bien, soit la somme de 38.244,34 euros,
- condamner le même à payer à la même société une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause,
- condamner Mme [B] à réparer le préjudice qu'elle a fait subir à la société SCI JUST à hauteur de 20.000 euros,
- condamner M. [I] à payer à la S.C.I. SCI JUST une somme de 25.000 euros en réparation du préjudice subi du fait des tracasseries causées par la procédure,
- condamner solidairement M. [I], Me [R] et Mme [B] au paiement de la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
M. [I] concluait quant à lui aux fins de voir :
- infirmer le jugement déféré,
- dire et juger Mme [B] irrecevable en ses demandes, pour défaut de publication de l'assignation tendant à obtenir l'annulation d'une vente portant sur un bien immobilier,
- dire et juger que la vente intervenue le 7 février 2017 entre la société SCI JUST et M. [I] portant sur un bien sis au [Adresse 4] était valable,
- débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes,
A titre subsidiaire si la vente était annulée,
- juger que Me [R], notaire, 'sera(it) condamné avec M. [I]',
- condamner la société SCI JUST à lui payer la somme de 237.643,52 euros au titre du prix de vente et des loyers perçus par elle de février 2017 à octobre 2019,
En tout état de cause,
- condamner Mme [B] à payer à M. [I] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
- dire que Me TREIL, avocate, pourrait recouvrer directement les frais dont elle avait fait l'avance sans en avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Mme [B] souhaitait voir quant à elle :
- dire et juger M. [I] et la S.C.I. SCI JUST mal fondés en leur appel,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
- condamner M. [I] à payer à Mme [B] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
- condamner la S.C.I. SCI JUST à payer à Mme [B] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens .
Enfin, Maître [R], notaire rédacteur de l'acte de vente, concluait devant la même cour aux fins de voir :
- le recevoir en son appel incident et le déclarer bien fondé,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré qu'il avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité,
- débouter la société JUST de ses demandes dirigées contre lui comme mal fondées,
- confirmer le jugement dont appel dans ses dispositions qui déboutent la société SCI JUST de ses demandes de condamnation contre lui,
- la condamner à lui payer la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, sous distraction ;
Par arrêt contradictoire du 10 janvier 2022, la cour d'appel a :
- écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de l'acte introductif d'instance,
- infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- débouté Mme [L] [B] de sa demande d'annulation de la vente réalisée le 7 février 2017 entre Monsieur [O] [I] et la S.C.I. SCI JUST concernant un immeuble sis [Adresse 15], cadastré AO n° [Cadastre 2] Le [Adresse 11], pour défaut d'objet en suite de la destruction du bien vendu,
- débouté Mme [L] [B] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de M. [O] [I] et de Maître [R],
- rejeté l'ensemble des demandes résultant de l'annulation de la vente,
- débouté M. [O] [I] de sa demande de dommages et intérêts formulée à l'encontre de Mme [L] [B],
- condamné Mme [L] [B] à payer à la S.C.I. SCI JUST la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné Mme [L] [B] à payer respectivement à M. [I] et à la SCI S.C.I. JUST la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL JFM et de Me TREIL, avocats aux offres de droit ;
* Un pourvoi en cassation a été diligenté contre cet arrêt par Mme [B] et, par arrêt du 14 septembre 2023, la cour de cassation l'a cassé et annulé, sauf en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de l'acte introductif d'instance et en ce qu'il a débouté M. [I] de sa demande de dommages et intérêts contre Mme [B], a par suite remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt du 10 janvier 2022 et les a renvoyées devant la cour d'appel de ce siège, autrement composée ; la Haute cour a par ailleurs condamné in solidum M. [I], la société SCI JUST et Me [R] à payer à Mme [B] une indemnité de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de son pourvoi;
Pour parvenir à cette cassation partielle, la cour de cassation :
- a constaté que pour rejeter les demandes de Mme [B] la cour d'appel avait retenu que l'immeuble vendu avait été quasiment détruit par un incendie et que, dès lors, le contrat de vente s'en trouvait dépourvu d'objet, de sorte que la demande d'annulation de ce contrat, fondée sur la violation du droit de préemption de la locataire, qui ne disposait plus de bail et ne se trouvait plus dans les lieux, devait être rejetée car devenue sans objet,
- et a retenu qu'en statuant ainsi, alors que, d'une part, la destruction du bien vendu qui était survenue après la conclusion de la vente ne privait pas celle-ci de son objet, et que, d'autre part, la circonstance que la locataire ne disposait plus de bail sur le bien, en raison de sa destruction postérieure à la vente, ne privait pas d'objet ses demandes d'annulation de la vente réalisée en violation de son droit de préemption et d'indemnisation de son préjudice, la cour d'appel avait violé les articles 1582 al 1 du code civil et L145-46-1 du code de commerce ;
***
Par déclaration remise au greffe par voie électronique (RPVA) le 12 juillet 2024, la S.C.I. SCI JUST a saisi la cour de renvoi de ce siège, y intimant Mme [B], M. [I] et Me [R], notaire, et y demandant expressément l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a :
- prononcé la nullité de la vente réalisée le 7 février 2017 entre M. [I] et la S.C.I. SCI JUST concernant l'immeuble sis [Adresse 16],
- condamné M. [I] à restituer à ladite S.C.I. la somme de 220.000 euros payée par elle au titre de cette vente,
- condamné M. [I] à payer à Mme [B] épouse [X] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné M. [I] et Me [R], in solidum, à payer à Mme [B] la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- condamné M. [I] et Me [R], in solidum, aux dépens de cette instance ;
Cette procédure a été fixée à bref délai à l'audience du 9 décembre 2024 dans les conditions des articles 905 et 1037-1 anciens du code de procédure civile (applicables aux saisines après cassation diligentées avant le 1er septembre 2024) et avis en a été donné au conseil de la société SCI JUST par le greffe, par voie électronique, le 12 septembre 2024, en suite de quoi, par actes de commissaire de justice séparés des 17 et 18 septembre 2024, cette même société a fait signifier sa déclaration de saisine, l'avis du greffe et ses premières conclusions d'appelante sur renvoi après cassation à chacun des intimés, soit, respectivement, Mme [B], M. [I] et Me [R];
M. [O] [I] a constitué avocat par acte remis au greffe et notifié à l'avocat de la partie saisissante, par RPVA, le 13 décembre 2024, Mme [L] [B], par acte remis au greffe et notifié à l'avocat de la société SCI JUST, par même voie, le 27 septembre 2024 et Me [A] [R], par acte remis au greffe et notifié au même avocat par même voie le 17 novembre 2024 ;
La S.C.I. SCI JUST, saisissante et appelante, a conclu au fond par acte remis au greffe par RPVA le 10 septembre 2024 ;
M. [I], intimé, a conclu au fond à 3 reprises, par actes remis au greffe et notifiés aux conseils adverses, par voie électronique, respectivement les 11 octobre 2024, 29 novembre 2024 et 19 février 2025 ('conclusions d'intimé sur renvoi après cassation récapitulatives ') ;
Me [A] [R], intimé, a conclu au fond quant à lui à 2 reprises, par actes remis au greffe et notifiés aux autres avocats de la cause, par RPVA, respectivement les 14 novembre 2024 et 27 février 2025 ('conclusions récapitulatives') ;
Enfin, Mme [L] [B], intimée, a conclu elle aussi à 2 reprises, par actes remis au greffe et notifiés aux avocats adverses, par même voie, respectivement les 18 novembre 2024 et 10 janvier 2025 ('conclusions récapitulatives et responsives d'intimée sur renvoi après cassation') ;
A l'audience du 9 décembre 2024, l'affaire a été renvoyée d'accord parties à celle du 10 mars 2025 pour permettre à Mme [B] de conclure en réponse aux dernières écritures de Me [R] et de M. [I] ;
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1°/ Par ses conclusions remises au greffe le 10 septembre 2024, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens y proposés au soutien de ses demandes, la S.C.I. SCI JUST, appelante, souhaite voir :
A TITRE PRINCIPAL,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
**prononcé la nullité de la vente du 7 février 2017 entre M. [I] et la S.C.I. SCI JUST concernant le bien cadastré AO n° [Cadastre 1], sis [Adresse 17],
** débouté la même société de sa demande d'indemnisation au motif qu'il ne justifiait pas des intérêts et agios du prêt immobilier, des frais de notaire et des émoluments payés par elle, ni du préjudice qu'elle a subi,
A TITRE SUBSIDIAIRE, en cas d'annulation de la vente,
- condamner Me [R], en sa qualité de notaire rédacteur de l'acte, 'solidairement avec M. [N] [I]', à relever la société SCI JUST de toutes condamnations qui pourraient être prononcées contre elle,
- condamner Me [R], en cette même qualité, à réparer le préjudice que subirait la société SCI JUST en cas d'annulation de la vente, à hauteur de 50 000 euros,
- condamner M. [I] :
** à restituer à la société SCI JUST le montant du prix de la vente, soit 220 000 euros assorti des intérêts au taux légal à compter de la date de la vente du 7 février 2017,
** à rembourser à la même société tous les frais d'actes, émoluments du notaire et droits de mutation, les intérêts et agios du prêt ayant financé l'achat du bien, soit la somme de 38 244,34 euros,
** à payer à la même société une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
- condamner Mme [B] à réparer le préjudice qu'elle a fait subir à la S.C.I. SCI JUST à hauteur de 20 000 euros,
- condamner M. [I] à payer à la même société une somme de 25 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des tracasseries causées par la procédure,
- condamner solidairement M. [I], Mme [B] et Me [R] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
2°/ Par ses dernières écritures, remises au greffe le 19 février 2025, M. [I], intimé, souhaite voir, au visa des articles L145-46-1 du code de commerce, 1118, 1224, 1352 et suivants du code civil :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé la vente conclue entre la S.C.I. SCI JUST et M. [I],
Ce faisant, à titre principal,
- juger que cette vente est valable,
- débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes,
A titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la vente était annulée,
- juger que Me [R], notaire, 'sera condamné solidairement avec M. [O] [I]',
- condamner la S.C.I. SCI JUST à payer à M. [I] la somme de 237.643,52 euros se décomposant comme suit :
** 220 000 euros au titre de la valeur de l'immeuble au moment de la vente,
** 17 643,52 euros au titre des loyers perçus de février 2017 à octobre 2019,
En tout état de cause,
- condamner solidairement Mme [B], la société SCI JUST et Me [R] à payer à M. [I] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, sous distraction au profit deMe TREIL, avocat ;
Pour un exposé détaillé des moyens proposés par M. [I] au soutien de ces demandes, il est expressément renvoyé aux susdites conclusions ;
3°/ Par ses propres dernières écritures, remises au greffe le 10 janvier 2025, Mme [B], intimée, conclut quant à elle aux fins de voir :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- débouter M. [I], Me [R] et la S.C.I. SCI JUST de l'ensemble des demandes formulées à l'encontre de Mme [B],
- condamner in solidum M. [I], Me [R] et la S.C.I. SCI JUST à payer à Mme [B] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
4°/ Par ses propres dernières écritures, remises au greffe le 27 février 2025, Me [R], intimé :
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente et en ce qu'il a condamné M. [I] et Me [R], in solidum, à payer à Mme [B] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter Mme [B] et la S.C.I. SCI JUST de leurs demandes dirigées contre Me [R] en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum M. [I], la S.C.I. SCI JUST et Mme [B] à payer à Me [R] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers ;
Pour un exposé détaillé des moyens proposés par Me [R] au soutien de ces demandes, il est expressément renvoyé à ses dernières conclusions ;
MOTIFS DE L'ARRET
I- Sur la recevabilité de la saisine de la cour de renvoi après cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel du 10 janvier 2022
Attendu que l'article 1034 ancien du code de procédure civile, en sa version applicable aux procédures sur renvoi après cassation engagées, comme en l'espèce, avant le 1er septembre 2024, dispose que, à moins que la juridiction de renvoi n'ait été saisie sans notification préalable, la déclaration doit, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, être faite avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation faite à la partie, ce délai courant même à l'encontre de la partie qui notifie, sous réserve des délais de distance de l'article 644 du code de procédure civile ;
Attendu que la société SCI JUST, partie saisissante dont le siège social est situé en GUADELOUPE et qui, par suite, ne bénéficie d'aucun délai de distance, a saisi la cour de renvoi de ce siège, par RPVA, le 12 juillet 2024, sur cassation partielle, par arrêt de la cour de cassation du 14 septembre 2023, d'un arrêt de cette même cour d'appel en date du 10 janvier 2022, sans qu'il soit justifié aux débats de la date à laquelle cet arrêt de cassation partielle lui aurait été notifié ; que cette saisine est donc recevable au plan du délai pour agir ;
II- Sur la demande d'annulation du contrat de vente notarié du 7 février 2017
Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L145-46-1 du code de commerce, en sa version en vigueur du 18 décembre 2014 au 23 février 2022, applicable au cas d'espèce :
- lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement,
- cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée et vaut offre de vente au profit du locataire,
- ce dernier dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer,
- en cas d'acceptation, le locataire dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur, d'un délai de deux mois pour la réalisation de la vente et si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois,
- si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet,
- dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l'acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n'y a pas préalablement procédé, notifier au locataire dans les formes prévues au premier alinéa, à peine de nullité de la vente, ces conditions et ce prix ; cette notification vaut offre de vente au profit du locataire, laquelle est valable pendant une durée d'un mois à compter de sa réception, et l'offre qui n'a pas été acceptée dans ce délai est caduque,
- le locataire qui accepte l'offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d'envoi de sa réponse au bailleur ou au notaire, d'un délai de deux mois pour la réalisation de l'acte de vente,
- si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l'acceptation par le locataire de l'offre de vente est subordonnée à l'obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois et si, à l'expiration de ce délai, la vente n'a pas été réalisée, l'acceptation de l'offre de vente est sans effet,
- les dispositions des quatre premiers alinéas de cet article sont reproduites, à peine de nullité, dans chaque notification,
- ce même article n'est pas applicable en cas de cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial, de cession unique de locaux commerciaux distincts ou de cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial ; il n'est pas non plus applicable à la cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux ou à la cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint ;
Attendu qu'il est constant que Mme [B] occupait, au titre d'un bail commercial conclu avec les consorts [I] le 1er décembre 2002, un local dépendant d'un bien immobilier sis au [Adresse 13], sur un terrain cadastré sous le n° [Cadastre 2] de la section AO, lorsque, par acte de Me [R], notaire à BAIE-MAHAULT, en date du 7 février 2017, M. [I], devenu pleinement propriétaire, a vendu cet entier immeuble à la S.C.I. SCI JUST moyennant le prix de 220 000 euros ;
Attendu que Mme [B], locataire, se plaint de ce que M. [I] a violé la substance de son droit de préemption en ne lui proposant pas cette vente à ce prix avant que de la conclure avec un tiers ; et que, dès lors, à l'encontre de l'opinion de la société SCI JUST, il appartient au bailleur, vendeur à l'acte précité, de faire la preuve de ce que cette vente a été précédée d'une proposition de vente à sa locataire aux mêmes prix et conditions, et ce dans les termes des exigences de l'article L145-146-1 susvisé ;
Attendu que Mme [B], en sa qualité incontestée de locataire titulaire du droit de préemption défini par l'article L145-46-1 sus-rappelé, estime plus précisément que la vente du 7 février 2017 est nulle pour avoir été réalisée en violation de ce droit, prétendant à cet égard que les conditions et le prix de vente convenus avec la S.C.I. SCI JUST ne lui avaient pas été notifiés, qu'elle n'avait en effet reçu qu'une proposition au prix de 320 000 euros et, plus encore, qu'elle avait elle-même proposé, par courrier du 26 février 2016, un prix de 30 000 euros supérieur à celui qui a été finalement convenu avec l'acquéreur, soit 250 000 euros, et ce après qu'elle eut reçu de M. [I], par courrier du 23 novembre 2015, la susdite proposition (320 000 euros) ;
Mais attendu que M. [I] conteste avoir reçu cette offre à 250 000 euros et que Mme [B], qui expose l'avoir adressée par lettre simple, est dans l'incapacité de faire la preuve de cette offre ; que ce moyen sera donc écarté ;
Attendu que M. [I] affirme surtout que s'il avait adressé à sa locataire, par courrier du 3 juin 2015, une proposition de vente au prix originel de 350 000 euros, il lui en a adressé une seconde, le 23 novembre 2015, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au prix de 220 000 euros et produit, pour tenter d'en justifier, un avis de réception daté et signé du 25 novembre 2015 ;
Attendu que, cependant, Mme [B], qui ne conteste pas avoir signé cet avis de réception, prétend qu'il ne correspondait pas à cette proposition au prix de 220 000 euros, mais à celle que lui aurait faite M. [I], par lettre datée du même 23 novembre 2015, au prix de 320 000 euros ; qu'elle produit à cet égard une lettre en ce sens qui est en effet datée et signée du 23 novembre 2015 ;
Attendu que M. [I] réplique que la signature qui y figure est fausse et que l'avis de réception signé de Mme [B] qu'il verse en original aux débats correspond bien à sa lettre de proposition de vente au prix de 220 000 euros ;
Or, attendu que, dès lors qu'il n'est ni prétendu ni démontré que Mme [B] ait accepté cette offre dans le délai d'un mois imposé par l'article L145-46-1 du code de commerce, le présent litige ne peut se résoudre qu'à l'aune du point de savoir si l'avis de réception signé par la sus-nommée le 23 novembre 2015 correspond à la lettre de proposition de vente au prix de 220 000 euros, ainsi que le prétend M. [I], ou à celle, portant même date, mais comportant une proposition au prix de 320000 euros, comme soutenu par Mme [B] ; et que, dès lors que ces deux propositions sont soutenues de la production de deux lettres portant même date, même graphie et même ordonnancement (pièce 7 du dossier de M. [I] pour la proposition au prix de 220000 euros et pièce 3 du dossier de Mme [B] pour la proposition au prix de 320 000 euros), et dès lors que M. [I] prétend à la fausseté de la signature qui lui est prêtée sur la lettre produite par Mme [B], cette question ne peut être résolue qu'à l'aune de la validité ou de la fausseté de cette dernière lettre ;
Attendu que la cour est en mesure d'observer que M. [I] produit, en pièce 7, la copie de la lettre datée et signée du 23 novembre 2015 qui contient une proposition au prix de 220 000 euros, et ne peut en produire l'original censé avoir été adressé à Mme [B], tandis que Mme [B] se borne manifestement à verser, en sa pièce n° 3, une simple copie de la lettre qu'elle prétend avoir reçue le 25 novembre suivant en lieu et place de la précédente, alors même qu'elle est censée en avoir reçu un original; que par suite, il n'est pas permis à la présente juridiction, en l'état des éléments produits de part et d'autre, de juger de la véracité de cette pièce 3 dont la signature, en simple copie, a pu résulter de tout procédé illicite, ainsi que le prétend M. [I] implicitement, mais nécessairement puisqu'il excipe de sa fausseté ;
Or, attendu qu'aux termes de l'article 287 du code de procédure civile, si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, et si cet écrit ainsi désavoué est essentiel, comme en l'espèce, à la solution du litige, le juge vérifie l'écrit contesté ; que la cour de cassation (Civ. 2 du 23 novembre 2023) en infère une obligation pour le juge, lorsqu'un écrit est contesté, de procéder à la vérification d'écriture, et ce même si la partie qui désavoue sa signature ne produit aucun élément qui puisse constituer le moindre commencement de preuve, écartant ainsi les dispositions de l'article 146 du même code ;
Attendu qu'il y a lieu par suite, avant dire droit au fond, d'ordonner, aux frais avancés de M. [I] qui dénie sa signature et qui a la charge de la preuve du respect par ses soins du droit de préemption de Mme [B], une mesure d'expertise graphologique qui est seule de nature à permettre à la cour de déterminer si l'écrit invoqué par cette dernière émane ou non réellement du premier ; qu'il appartiendra dans ce cadre à Mme [B] de remettre à l'expert l'original de la lettre qu'elle prétend avoir ainsi reçue le 25 novembre 2015 et à M. [I] de lui remettre divers documents originaux, portant sa signature, qui soient contemporains de l'écrit contesté ;
Attendu que les demandes des parties, ainsi que les dépens et frais irrépétibles, seront subséquemment réservés en fin de cause ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Vu la décision de cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel de ce siège du 10 janvier 2022, en date 14 septembre 2023,
- Dit la société la S.C.I. SCI JUST recevable en sa saisine de la cour d'appel de renvoi après cassation de l'arrêt de la cour de ce siège en date du 10 janvier 2022,
- Ordonne la vérification de la lettre datée du 23 novembre 2015 produite en copie en pièce 3 du dossier de Mme [B], et notamment celle de la signature y apposée et attribuée à M. [O] [I], mais désavouée par celui-ci,
Avant dire droit au fond,
- Ordonne une mesure d'expertise et commet pour y procéder Mme [P] [V], experte judiciaire demeurant [Adresse 8], laquelle aura pour mission, sur la base de tous renseignements qu'elle aura collectés à charge d'en indiquer la source, en entendant le cas échéant tous sachants utiles, et en demandant, s'il y a lieu, l'avis de tous spécialistes de son choix dans un domaine distinct du sien après en avoir avisé les conseils des parties et précisé les honoraires prévisionnels, de:
- se faire remettre par Mme [L] [B] épouse [X] l'original de sa pièce n° 3 (lettre du 23 novembre 2015 attribuée à M. [O] [I] et portant une proposition de vente à 320 000 euros), ainsi que, par M. [O] [I], tous éléments comparatifs portant la signature de ce ce dernier, qui soient contemporains de ladite lettre, et les examiner,
- recueillir les explications des parties,
- rechercher et fournir tous éléments graphologiques ou autres de nature à permettre à la cour de dire si la signature apposée sur le document argué de faux par M. [O] [I] est ou non celle de ce dernier, et, plus généralement, de dire si ladite lettre a pu réellement émaner de M. [I],
- du tout dresser un pré-rapport qui sera remis aux parties, auxquelles devra être laissé un délai suffisant et raisonnable pour leur permettre de présenter leurs observations,
- et répondre aux dires éventuels des parties ;
- Dit que l'experte accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 242 et suivants du code de procédure civile et que, sauf conciliation entre les parties, elle déposera l'original ainsi qu'une copie de son rapport définitif au secrétariat-greffe de la juridiction dans les cinq mois de l'avis qui lui sera fait de la consignation ci-après ordonnée,
- Fixe à DEUX MILLE EUROS (2.000 euros) le montant de la provision à valoir sur les frais et honoraires de l'experte que devra consigner M. [O] [I] dans le délai d'un mois à compter du présent arrêt entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la cour,
- Dit qu'en application de l'article 271 du code de procédure civile, le défaut de consignation dans le délai imparti entraînera de plein droit la caducité de la mesure d'instruction,
- Dit que lors de la première ou, au plus tard lors de la deuxième réunion avec les parties, l'experte dressera un programme de ses investigations et évaluera d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours,
- Disons qu'en cas d'insuffisance manifeste de la provision allouée, au vu des diligences faites ou à venir, l'expert en fera sans délai rapport au juge, qui, s'il y a lieu, ordonnera la consignation d'une provision complémentaire à la charge de la partie qu'il déterminera,
- Dit que le dépôt par l'experte de son rapport sera accompagné de sa demande de rémunération, dont il adressera un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d'en établir la réception,
- Dit que s'il y a lieu, les parties adresseront à l'expert et au juge chargé du contrôle des mesures d'instruction, leurs observations écrites sur cette demande dans un délai de quinze jours à compter de sa réception,
- Commet pour suivre cette expertise le président de la deuxième chambre civile et commerciale de la cour, ou, en cas d'empêchement de celui-ci, l'un des conseillers de la chambre,
- Dit qu'en cas d'empêchement de l'experte désignée il sera pourvu à son remplacement par ordonnance sur requête du magistrat chargé du contrôle des expertises,
- Renvoie cause et parties à l'audience du 9 février 2026,
- Réserve les demandes au fond des parties, les dépens et les frais irrépétibles en fin de cause.
Et ont signé,
La greffière, Le président