CA Bordeaux, 4e ch. com., 1 septembre 2025, n° 23/04505
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 01 SEPTEMBRE 2025
N° RG 23/04505 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NOKY
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU-CHARENTES
c/
Monsieur [U] [V]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 septembre 2023 (R.G. 2021F00833) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 02 octobre 2023
APPELANTE :
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU-CHARENTES, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
Représentée par Maître Benjamin HADJADJ de la SARL AHBL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
Monsieur [U] [V], né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 4], de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
Représenté par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS - LACOSTE - JANOUEIX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître Jérôme CARLES, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Sophie JARNEVIC, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE
1. La Sarl L'Argonne, qui avait une activité d'exploitation de boulangeries, était co-gérée par MM. [R] et [V], ce dernier étant par ailleurs le gérant de la Sarl Alby Developpement, détentrice de 99% des parts de la Sarl L'Argonne.
La société L'Argonne, titulaire d'un compte professionnel dans les livres de la Caisse d'Epargne Aquitaine Poitou-Charentes (CEAPC) depuis 2008, a conclu le 30 juin 2014 avec cette banque une convention de découvert en compte d'un maximum de 100'000 euros, remplaçant une précédente convention de 2013. Dans le même acte, les co-gérants MM. [R] et [V] se sont portés cautions solidaires des engagements de la société L'Argonne, à concurrence de 130'000 euros.
Après une procédure de sauvegarde, clôturée en 2018 à l'issue de la période d'observation, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la Sarl L'Argonne par jugement du 1er août 2018, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 5 décembre 2018.
La CEPAPC a déclaré une créance de 20'405,08 euros identique à celle déclarée après l'ouverture du redressement judiciaire. Cette créance a définitivement été admise par le juge-commissaire. La banque a mis en demeure M. [V] de régler cette somme par lettres des 15 mars 2019 et 16 septembre 2020.
Par acte du 27 octobre 2020, la CEPAPC a fait assigner M. [V] pour demander le paiement de 20'405,08 euros en sa qualité de caution de la Sarl L'Argonne devant le tribunal de commerce de Caen, à raison du domicile dans le Calvados du défendeur. Celui-ci a toutefois sollicité le renvoi devant le tribunal de commerce de Bordeaux, et le tribunal de commerce de Caen a fait droit à cette demande par jugement du 30 juin 2021.
La Sarl Alby Developpement est intervenue volontairement, et cette société et M. [V] ont par ailleurs fait assigner M. [R] en sa qualité de co-caution solidaire, demandant la jonction de la procédure avec celle ouverte par l'assignation de la CEPAPC.
2. Par jugement du 15 septembre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
Dit qu'il n'y avait pas lieu à joindre l'instance ouverte sous le n° 2022F01735,
Condamné M. [V] à payer à la CEPAPC la somme de 9'279,98 euros arrêtée au 19 novembre 2020, outre les intérêts postérieurs au taux légal,
Ordonné la capitalisation des intérêts,
Rappelé que l'exécution provisoire était de droit,
Débouté M. [V] et la société Alby Développement de l'ensemble de leurs demandes,
Condamné M. [V] à payer à la CEPAPC la somme de 1'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
3. Par déclaration du 2 octobre 2023, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant M. [V].
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
4. Par conclusions déposées en dernier lieu le 17 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et 1343-2 anciennement 1134 et 1154 du Code Civil,
Vu les articles 2288 et 2298 du Code Civil,
- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M. [U] [V]-Reformer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 15/09/2023 en ce qu'il a :
- Condamné M. [U] [V] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prevoyance Aquitaine Poitou Charentes la somme de 9.279,98 euros arrêtée au 19 novembre 2020, outre les intérêts postérieurs au taux légal,
STATUANT A NOUVEAU :
Condamner M. [U] [V], en sa qualité de caution solidaire et personnelle des engagements de la société l'Argonne au titre de son contrat cautionnement conclu le 30/07/2014, à payer à la Caisse d'Epargne et de Prevoyance Aquitaine Poitou Charentes la somme de 20.405,08 euros, compte arrêté au 19 novembre 2020, outre intérêts postérieurs au taux légal.
Confirmer le jugement en date du 15/09/2023 entrepris pour le surplus ;
Y ajoutant,
Condamner M. [U] [V], au paiement d'une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens
5. Par conclusions déposées en dernier lieu le 20 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. [V] demande à la cour de :
Vu les articles 2288 ancien et suivants du Code Civil,
A titre principal :
- Réformer le jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux du 15 septembre 2023 en ce qu'il a :
- condamné M. [V] à régler à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES la somme de 9.279,98 €
- ordonné la capitalisation des intérêts par année entière à compter de la signification du jugement
- condamné M. [V] à régler à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 et aux dépens
Statuant à nouveau :
Déclarer irrecevable la CAISSE D'EPARGNE en ses demandes formulées à l'encontre de M. [U] [V].
Débouter la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES aux motifs que la caution de M. [U] [V] était expirée à l'issue d'une période de 20 mois à compter de la signature de la convention d'ouverture de compte courant du 30 juillet 2014, sans réserve ni mise en demeure préalable émanant de la CAISSE D'EPARGNE
A titre subsidiaire,
Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de BORDEAUX en ce qu'il a condamné M. [V] à régler à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES la somme de 9.279,98 € au titre de son engagement de caution.
En tout état de cause,
Débouter la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES de son appel,
Condamner la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES à régler à M. [V] la somme de 2.500 €
Condamner la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES aux dépens de première instance et d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 12 mai 2025.
MOTIFS DE LA DECISION:
Moyens des parties:
6. Pour parvenir à sa décision, le tribunal de commerce a considéré que l'engagement de M. [V] ne concernait que le découvert du compte n° 08178065148 dont le solde s'élevait au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire à 9'274,98 euros.
La Caisse d'Epargne conteste cette interprétation et présente de nouveau une demande de paiement de 20'405,08 euros.
Sur le principe de l'obligation de paiement:
7. La caution soutient d'abord que son engagement était limité à 20 mois, et que son terme était le 30 avril 2016, ce qui implique que les sommes exigibles postérieurement à cette date ne sont pas couvertes par son engagement de caution. M. [V] évoque aussi la vente d'un fonds de commerce qui était prévue comme terme pour le compte d'ouverture de crédit et qui a été vendu en 2015.
8. La banque oppose que, si le cautionnement était limité à 20 mois, l'obligation de règlement perdure au-delà de cette date, jusqu'à complet remboursement. Elle fait valoir qu'il n'est pas justifié de la vente du fonds de commerce invoqué, et qu'il n'a jamais été prévu que la réalisation de cet événement constituait le terme de la convention de découvert ou de l'engagement de caution. Elle se prévaut par ailleurs de l'autorité de la chose jugée qui découle de l'admission de sa créance et qui s'impose à la caution.
Réponse de la cour,
9. Il convient de distinguer l'obligation de couverture de la dette par la caution de son obligation de paiement.
10. L'obligation de couverture concerne la caution des dettes nées entre la date de conclusion du contrat et son terme, alors que l'obligation de règlement perdure au-delà de cette obligation de couverture et oblige la caution à régler les dettes ainsi garanties, même après l'expiration de la période de couverture.
11. En l'espèce, il est stipulé à l'acte de cautionnement (pièce n° 2 p. 10 CEPAPC) que l'engagement reste valable jusqu'au complet remboursement des sommes dues par la société débitrice.
Cet acte, signé le 30 juillet 2014, l'est, expressément, pour une duré de 20 mois, soit jusqu'au 30 mars 2016, et non 30 avril comme indiqué par erreur par M. [V]. La banque disposait alors de 5 ans, soit jusqu'au 30 mars 2021 pour agir à son encontre. L'action, introduite par assignation du 27 octobre 2020, est donc recevable en son principe.
12. Par ailleurs, si la convention de découvert mentionne (pièce n° 2 de la banque, par 1 in fine) que «'le découvert sera remboursé par la vente du fonds de commerce sis [Adresse 5]'», il n'en résulte nullement que cette vente serait le terme de la convention de découvert ou de l'engagement de caution, de sorte que l'argument est inopérant.
13. Ainsi, l'action de la banque à l'encontre de M. [V] est recevable telle qu'elle a été introduite, et en outre bien fondée en son principe, la caution ne contestant pas l'existence de son engagement en lui-même.
Sur la demande subsidiaire de M. [V]
14. La caution soutient que le montant qui lui est demandé est l'addition des soldes du compte courant professionnel, seul garanti par lui, pour le montant de 9'274,98 euros, et d'un «'compte courant bis sauvegarde'» ouvert le 26 octobre 2016, postérieurement à son engagement, pour la somme de 11'130,10 euros.
Il en déduit à titre subsidiaire que le jugement le condamnant à régler la seule somme de 9'274,98 euros doit être confirmé.
15. La Caisse d'Epargne fait observer en réponse que l'ouverture de la procédure de sauvegarde n'a pas mis fin de plein droit à la convention de découvert, et que l'ouverture d'un compte bis est seulement de pratique pour les besoins de la procédure de sauvegarde.
Elle se prévaut de l'autorité de chose jugée de l'admission définitive de la créance le 7 mai 2020 par le juge-commissaire pour20'405,08 euros (état des créances - sa pièce n° 11).
Réponse de la cour,
16. Aux termes de l'article L. 622-13 alinéa 1er du code de commerce, nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.
L'article L. 622-7 du même code prévoit notamment que le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture.
17. La Caisse d'Epargne est donc bien fondée à soutenir que l'ouverture de la procédure de sauvegarde du 26 octobre 2016 n'a pas mis fin à la convention de découvert, qui perdure malgré l'obligation faite au créancier de déclarer le solde provisoire.
Elle explique utilement qu'il est de pratique que le solde du compte soit transféré sur une «'compte bis'» pour les pour les besoins de la gestion de la procédure collective, sans pour autant que le compte courant soit clôturé.
Il en découle que l'apparition par simple opération comptable d'un «'compte bis'» pour les besoins pratiques de la procédure de sauvegarde au profit de la société L'Argonne, qui n'était autre que la continuation du compte courant, n'a pas eu pour effet la création juridique d'un nouveau compte courant de la société L'Argonne.
18. Au surplus, il résulte de la simple lecture de l'engagement de caution (pièce n° 2 précitée de la CEPAPC page 10 article 1) que les cautions ne se sont pas engagées au titre d'un compte bancaire particulier, mais au titre de la convention de découvert.
L'engagement de M. [V] vaut donc pour le solde du découvert accordé, et non pour le solde d'un compte bancaire déterminé, de sorte qu'il est indifférent qu'un compte bis ait été comptablement ouvert pour les besoins de la procédure de sauvegarde, le solde dont paiement est demandé étant indivisible.
19. La banque produit notamment les relevés de janvier à juin 2016 du compte professionnel de la Sarl L'Argonne (sa pièce n° 3). Il en résulte que le solde du compte était débiteur de 43 424,10 euros au 30 mars 2016, date du terme de l'engagement de caution, de sorte que la CEPAPC était fondée à réclamer ce montant à la caution.
20. Il apparaît toutefois que le solde de ce compte avait été ramené à la somme de 20'405,08 euros lors de l'ouverture de la procédure collective, comme en fait foi la déclaration de créance de la banque (sa pièce n° 4). L'admission définitive de cette créance au passif s'impose à la caution en son principe et en son quantum.
Ainsi, le moyen de M. [V] doit être rejeté, et le jugement du tribunal de commerce, qui avait retenu son argumentation, doit être réformé sur le montant de la condamnation de la caution.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
21. Partie tenue aux dépens d'appel, M. [V] paiera à la CEPAPC la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déboute M. [V] de son appel incident,
Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce le 15 septembre 2023,
SAUF sur le quantum de la somme que M. [V] est condamné à payer en sa qualité de caution de la Sarl L'Argonne,
Et, statuant à nouveau sur ce quantum,
Condamne M. [V] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes, en sa qualité de caution de la Sarl L'Argonne, la somme en principal de 20'405,08 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 mars 2019,
Condamne M. [V] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne M. [V] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 01 SEPTEMBRE 2025
N° RG 23/04505 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NOKY
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU-CHARENTES
c/
Monsieur [U] [V]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 septembre 2023 (R.G. 2021F00833) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 02 octobre 2023
APPELANTE :
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU-CHARENTES, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
Représentée par Maître Benjamin HADJADJ de la SARL AHBL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
Monsieur [U] [V], né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 4], de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
Représenté par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS - LACOSTE - JANOUEIX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître Jérôme CARLES, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Sophie JARNEVIC, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE
1. La Sarl L'Argonne, qui avait une activité d'exploitation de boulangeries, était co-gérée par MM. [R] et [V], ce dernier étant par ailleurs le gérant de la Sarl Alby Developpement, détentrice de 99% des parts de la Sarl L'Argonne.
La société L'Argonne, titulaire d'un compte professionnel dans les livres de la Caisse d'Epargne Aquitaine Poitou-Charentes (CEAPC) depuis 2008, a conclu le 30 juin 2014 avec cette banque une convention de découvert en compte d'un maximum de 100'000 euros, remplaçant une précédente convention de 2013. Dans le même acte, les co-gérants MM. [R] et [V] se sont portés cautions solidaires des engagements de la société L'Argonne, à concurrence de 130'000 euros.
Après une procédure de sauvegarde, clôturée en 2018 à l'issue de la période d'observation, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la Sarl L'Argonne par jugement du 1er août 2018, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 5 décembre 2018.
La CEPAPC a déclaré une créance de 20'405,08 euros identique à celle déclarée après l'ouverture du redressement judiciaire. Cette créance a définitivement été admise par le juge-commissaire. La banque a mis en demeure M. [V] de régler cette somme par lettres des 15 mars 2019 et 16 septembre 2020.
Par acte du 27 octobre 2020, la CEPAPC a fait assigner M. [V] pour demander le paiement de 20'405,08 euros en sa qualité de caution de la Sarl L'Argonne devant le tribunal de commerce de Caen, à raison du domicile dans le Calvados du défendeur. Celui-ci a toutefois sollicité le renvoi devant le tribunal de commerce de Bordeaux, et le tribunal de commerce de Caen a fait droit à cette demande par jugement du 30 juin 2021.
La Sarl Alby Developpement est intervenue volontairement, et cette société et M. [V] ont par ailleurs fait assigner M. [R] en sa qualité de co-caution solidaire, demandant la jonction de la procédure avec celle ouverte par l'assignation de la CEPAPC.
2. Par jugement du 15 septembre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
Dit qu'il n'y avait pas lieu à joindre l'instance ouverte sous le n° 2022F01735,
Condamné M. [V] à payer à la CEPAPC la somme de 9'279,98 euros arrêtée au 19 novembre 2020, outre les intérêts postérieurs au taux légal,
Ordonné la capitalisation des intérêts,
Rappelé que l'exécution provisoire était de droit,
Débouté M. [V] et la société Alby Développement de l'ensemble de leurs demandes,
Condamné M. [V] à payer à la CEPAPC la somme de 1'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
3. Par déclaration du 2 octobre 2023, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant M. [V].
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
4. Par conclusions déposées en dernier lieu le 17 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et 1343-2 anciennement 1134 et 1154 du Code Civil,
Vu les articles 2288 et 2298 du Code Civil,
- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M. [U] [V]-Reformer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 15/09/2023 en ce qu'il a :
- Condamné M. [U] [V] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prevoyance Aquitaine Poitou Charentes la somme de 9.279,98 euros arrêtée au 19 novembre 2020, outre les intérêts postérieurs au taux légal,
STATUANT A NOUVEAU :
Condamner M. [U] [V], en sa qualité de caution solidaire et personnelle des engagements de la société l'Argonne au titre de son contrat cautionnement conclu le 30/07/2014, à payer à la Caisse d'Epargne et de Prevoyance Aquitaine Poitou Charentes la somme de 20.405,08 euros, compte arrêté au 19 novembre 2020, outre intérêts postérieurs au taux légal.
Confirmer le jugement en date du 15/09/2023 entrepris pour le surplus ;
Y ajoutant,
Condamner M. [U] [V], au paiement d'une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens
5. Par conclusions déposées en dernier lieu le 20 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. [V] demande à la cour de :
Vu les articles 2288 ancien et suivants du Code Civil,
A titre principal :
- Réformer le jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux du 15 septembre 2023 en ce qu'il a :
- condamné M. [V] à régler à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES la somme de 9.279,98 €
- ordonné la capitalisation des intérêts par année entière à compter de la signification du jugement
- condamné M. [V] à régler à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 et aux dépens
Statuant à nouveau :
Déclarer irrecevable la CAISSE D'EPARGNE en ses demandes formulées à l'encontre de M. [U] [V].
Débouter la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES aux motifs que la caution de M. [U] [V] était expirée à l'issue d'une période de 20 mois à compter de la signature de la convention d'ouverture de compte courant du 30 juillet 2014, sans réserve ni mise en demeure préalable émanant de la CAISSE D'EPARGNE
A titre subsidiaire,
Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de BORDEAUX en ce qu'il a condamné M. [V] à régler à la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES la somme de 9.279,98 € au titre de son engagement de caution.
En tout état de cause,
Débouter la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES de son appel,
Condamner la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES à régler à M. [V] la somme de 2.500 €
Condamner la CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU CHARENTES aux dépens de première instance et d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 12 mai 2025.
MOTIFS DE LA DECISION:
Moyens des parties:
6. Pour parvenir à sa décision, le tribunal de commerce a considéré que l'engagement de M. [V] ne concernait que le découvert du compte n° 08178065148 dont le solde s'élevait au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire à 9'274,98 euros.
La Caisse d'Epargne conteste cette interprétation et présente de nouveau une demande de paiement de 20'405,08 euros.
Sur le principe de l'obligation de paiement:
7. La caution soutient d'abord que son engagement était limité à 20 mois, et que son terme était le 30 avril 2016, ce qui implique que les sommes exigibles postérieurement à cette date ne sont pas couvertes par son engagement de caution. M. [V] évoque aussi la vente d'un fonds de commerce qui était prévue comme terme pour le compte d'ouverture de crédit et qui a été vendu en 2015.
8. La banque oppose que, si le cautionnement était limité à 20 mois, l'obligation de règlement perdure au-delà de cette date, jusqu'à complet remboursement. Elle fait valoir qu'il n'est pas justifié de la vente du fonds de commerce invoqué, et qu'il n'a jamais été prévu que la réalisation de cet événement constituait le terme de la convention de découvert ou de l'engagement de caution. Elle se prévaut par ailleurs de l'autorité de la chose jugée qui découle de l'admission de sa créance et qui s'impose à la caution.
Réponse de la cour,
9. Il convient de distinguer l'obligation de couverture de la dette par la caution de son obligation de paiement.
10. L'obligation de couverture concerne la caution des dettes nées entre la date de conclusion du contrat et son terme, alors que l'obligation de règlement perdure au-delà de cette obligation de couverture et oblige la caution à régler les dettes ainsi garanties, même après l'expiration de la période de couverture.
11. En l'espèce, il est stipulé à l'acte de cautionnement (pièce n° 2 p. 10 CEPAPC) que l'engagement reste valable jusqu'au complet remboursement des sommes dues par la société débitrice.
Cet acte, signé le 30 juillet 2014, l'est, expressément, pour une duré de 20 mois, soit jusqu'au 30 mars 2016, et non 30 avril comme indiqué par erreur par M. [V]. La banque disposait alors de 5 ans, soit jusqu'au 30 mars 2021 pour agir à son encontre. L'action, introduite par assignation du 27 octobre 2020, est donc recevable en son principe.
12. Par ailleurs, si la convention de découvert mentionne (pièce n° 2 de la banque, par 1 in fine) que «'le découvert sera remboursé par la vente du fonds de commerce sis [Adresse 5]'», il n'en résulte nullement que cette vente serait le terme de la convention de découvert ou de l'engagement de caution, de sorte que l'argument est inopérant.
13. Ainsi, l'action de la banque à l'encontre de M. [V] est recevable telle qu'elle a été introduite, et en outre bien fondée en son principe, la caution ne contestant pas l'existence de son engagement en lui-même.
Sur la demande subsidiaire de M. [V]
14. La caution soutient que le montant qui lui est demandé est l'addition des soldes du compte courant professionnel, seul garanti par lui, pour le montant de 9'274,98 euros, et d'un «'compte courant bis sauvegarde'» ouvert le 26 octobre 2016, postérieurement à son engagement, pour la somme de 11'130,10 euros.
Il en déduit à titre subsidiaire que le jugement le condamnant à régler la seule somme de 9'274,98 euros doit être confirmé.
15. La Caisse d'Epargne fait observer en réponse que l'ouverture de la procédure de sauvegarde n'a pas mis fin de plein droit à la convention de découvert, et que l'ouverture d'un compte bis est seulement de pratique pour les besoins de la procédure de sauvegarde.
Elle se prévaut de l'autorité de chose jugée de l'admission définitive de la créance le 7 mai 2020 par le juge-commissaire pour20'405,08 euros (état des créances - sa pièce n° 11).
Réponse de la cour,
16. Aux termes de l'article L. 622-13 alinéa 1er du code de commerce, nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde.
L'article L. 622-7 du même code prévoit notamment que le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture.
17. La Caisse d'Epargne est donc bien fondée à soutenir que l'ouverture de la procédure de sauvegarde du 26 octobre 2016 n'a pas mis fin à la convention de découvert, qui perdure malgré l'obligation faite au créancier de déclarer le solde provisoire.
Elle explique utilement qu'il est de pratique que le solde du compte soit transféré sur une «'compte bis'» pour les pour les besoins de la gestion de la procédure collective, sans pour autant que le compte courant soit clôturé.
Il en découle que l'apparition par simple opération comptable d'un «'compte bis'» pour les besoins pratiques de la procédure de sauvegarde au profit de la société L'Argonne, qui n'était autre que la continuation du compte courant, n'a pas eu pour effet la création juridique d'un nouveau compte courant de la société L'Argonne.
18. Au surplus, il résulte de la simple lecture de l'engagement de caution (pièce n° 2 précitée de la CEPAPC page 10 article 1) que les cautions ne se sont pas engagées au titre d'un compte bancaire particulier, mais au titre de la convention de découvert.
L'engagement de M. [V] vaut donc pour le solde du découvert accordé, et non pour le solde d'un compte bancaire déterminé, de sorte qu'il est indifférent qu'un compte bis ait été comptablement ouvert pour les besoins de la procédure de sauvegarde, le solde dont paiement est demandé étant indivisible.
19. La banque produit notamment les relevés de janvier à juin 2016 du compte professionnel de la Sarl L'Argonne (sa pièce n° 3). Il en résulte que le solde du compte était débiteur de 43 424,10 euros au 30 mars 2016, date du terme de l'engagement de caution, de sorte que la CEPAPC était fondée à réclamer ce montant à la caution.
20. Il apparaît toutefois que le solde de ce compte avait été ramené à la somme de 20'405,08 euros lors de l'ouverture de la procédure collective, comme en fait foi la déclaration de créance de la banque (sa pièce n° 4). L'admission définitive de cette créance au passif s'impose à la caution en son principe et en son quantum.
Ainsi, le moyen de M. [V] doit être rejeté, et le jugement du tribunal de commerce, qui avait retenu son argumentation, doit être réformé sur le montant de la condamnation de la caution.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
21. Partie tenue aux dépens d'appel, M. [V] paiera à la CEPAPC la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déboute M. [V] de son appel incident,
Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce le 15 septembre 2023,
SAUF sur le quantum de la somme que M. [V] est condamné à payer en sa qualité de caution de la Sarl L'Argonne,
Et, statuant à nouveau sur ce quantum,
Condamne M. [V] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes, en sa qualité de caution de la Sarl L'Argonne, la somme en principal de 20'405,08 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 mars 2019,
Condamne M. [V] à payer à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes la somme de 2'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne M. [V] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président