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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 2 septembre 2025, n° 24/03760

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 24/03760

2 septembre 2025

1ère chambre B

ARRÊT N°

N° RG 24/03760

N° Portalis

DBVL-V-B7I-U5MB

(Réf 1ère instance : 23/00514)

M. [O] [P]

c/

SCI DU ROCHER

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 2 SEPTEMBRE 2025

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Président : Madame Véronique VEILLARD, présidente de chambre

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, président de chambre

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, conseillère

GREFFIER

Madame Elise BEZIER lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS

A l'audience publique du 2 décembre 2024, devant Madame Véronique VEILLARD, magistrate rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT

Contradictoire, prononcé publiquement le 2 septembre 2025 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement prévu le 11 février 2025

****

APPELANT

Monsieur [O] [P]

né le [Date naissance 1] 1930 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Armelle PRIMA-DUGAST, avocate au barreau de RENNES

INTIMÉE

SCI DU ROCHER immatriculée au registre du commerce et des sociétés de SAINT-BRIEUC sous le numéro 390.095.453, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, postulante, avocate au barreau de RENNES et par Me Lucas GERGAUD de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

FAITS ET PROCÉDURE

1. La SCI du Rocher, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Saint-Brieuc depuis le 16 février 1993, a été créée pour gérer le patrimoine immobilier familial des consorts [P] à la suite du décès d'[H] [S] épouse de M. [O] [P] et mère de [I], [E], [A] et [D] [P].

2. La SCI du Rocher est composée de cinq associés :

- M. [O] [P],

- Mme [A] [P],

- M. [E] [P],

- M. [I] [P],

- M. [R] [P] (héritier de M. [D] [P]).

3. Le capital a été fixé à 313.000 francs divisé en 1252 parts égales de 250 francs chacune, libérées et attribuées comme suit :

- M. [O] [P] : 64 parts en pleine propriété et 1178 parts en usufruit,

- Mme [A] [P], M. [E] [P], M. [I] [P] : 297 parts chacun en nue-propriété,

- M. [D] [P] : 287 parts en nue-propriété.

4. Le capital social était composé d'un terrain et d'un bien immobilier à usage d'entrepôt et de magasin au-dessus duquel ont été construits par la SCI treize studios destinés à la location, le tout situé à l'angle de la [Adresse 5] et du [Adresse 4] à Saint-Brieuc.

5. En 1993, la gérance a été confiée à M. [O] [P] sans limitation de durée. Au regard des statuts de la société, seuls 2 associés pouvaient voter, à savoir M. [O] [P] et M. [R] [P] ayant recueilli la propriété des parts sociales au décès de [D] [P] son père. M. [O] [P] avait donc la faculté de prendre seul toutes les décisions sociales.

6. Le 3 novembre 1998, sur demande de M. [O] [P] qui se plaignait de devoir assumer les charges matérielles et financière de ces studios (emprunts, impôts, ménage, poubelles, etc'), l'assemblée générale ordinaire a voté la vente desdits studios, pouvoir étant alors donné au gérant de réaliser cette opération. Puis, le 11 décembre 1998, la gérant a décidé de se distribuer des dividendes à hauteur de la somme de 128.547 F outre 1.035 F pour [D] [P].

7. S'en est suivie une longue procédure judiciaire aux termes de laquelle les délibérations ont été annulées sur le fondement de l'abus du droit de vote de l'usufruitier et de l'atteinte à l'intérêt social de la SCI (jugement du TGI de Saint-Brieuc du 2 août 2001, arrêt confirmatif de la cour d'appel de Rennes du 27 mai 2003, arrêt de cassation du 22 février 2005, arrêt confirmatif de la cour d'appel de Caen du 6 mars 2007).

8. Le 22 mai 2018, l'assemblée générale ordinaire a voté à nouveau l'autorisation de vendre les 13 studios malgré l'opposition de tous les associés. La vente a été régularisée avec la SCI LV2ML par acte authentique du 24 mai 2018.

9. Après la cession, le gérant a convoqué une assemblée générale ordinaire le 27 juin 2019 pour voter la distribution d'une somme de 35.240 € à titre de dividendes

10. Les associés ont refusé d'approuver les comptes et de donner quitus à la gérance motifs pris de ce que cette distribution n'était pas à l'ordre du jour, que le prix de vente des studios n'était plus dans les comptes de la société et que le bilan de la société démontrait que le prix de cession avait été prélevé unilatéralement par le gérant aux fins de remboursement de son compte courant d'associés à hauteur de 234.355 €.

11. Par ordonnance du 19 septembre 2019, rendue sur assignation du 5 juillet 2019 délivrée par les consorts [P] ([A], [E], [I] et [R]), le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a ordonné la révocation de M. [O] [P] de sa fonction de gérant, et désigné M. [N] en qualité de mandataire ad hoc.

12. Suivant assemblée générale du 21 novembre 2019, MM. [E] et [R] [P] ont été désignés en qualité de co-gérants de la SCI du Rocher.

13. Par une assignation du 13 mars 2020, la SCI du Rocher et les consorts [P] ([A], [E], [I] et [R]) ont saisi le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc d'une demande d'annulation de la vente du 24 mai 2018. Cette procédure est en cours.

14. Par acte d'huissier du 23 novembre 2023, M. [O] [P] a assigné la SCI du Rocher à comparaître devant le juge des référés aux fins d'obtenir la désignation d'un administrateur provisoire de la SCI du Rocher et sa condamnation à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

15. Par ordonnance du 6 juin 2024, le juge des référés a :

- débouté M. [O] [P] de sa demande de désignation d'un administrateur provisoire,

- débouté M. [O] [P] de sa demande tendant à dessaisir MM. [R] et [E] [P] de leurs fonctions de co-gérants de la SCI du Rocher,

- condamné M. [O] [P] à payer à SCI du Rocher la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [O] [P], partie succombante, aux entiers dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- rappelé le caractère exécutoire par provision de l'ordonnance de référé.

16. Pour statuer ainsi, le juge des référés a considéré que le bilan et les comptes de résultats de la SCI du Rocher pour l'exercice 2023 mentionnaient un résultat positif de 46.103 € et qu'il n'était pas démontré que le fonctionnement de la société était paralysé ni qu'elle faisait face à un péril.

17. M. [O] [P] a interjeté appel par déclaration du 26 juin 2024.

18. L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 octobre 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

19. M. [O] [P] expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 15 juillet 2024 aux termes desquelles il demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien-fondé en son appel,

- y faisant droit,

- infirmer la décision entreprise,

- statuant à nouveau,

- désigner tel administrateur provisoire de la SCI du Rocher qu'il lui plaira et lui confier pour mission de gérer et administrer les affaires de la SCI du Rocher afin d'y rétablir un fonctionnement normal et de mettre fin au péril la menaçant et ce en lui confiant les pouvoirs les plus étendus,

- dessaisir MM. [R] et [E] [P] de leurs fonctions de co-gérants,

- condamner la SCI du Rocher à lui verser la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.

20. La SCI du Rocher expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 19 août 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance déférée,

- y additant,

- condamner M. [O] [P] à lui payer la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts,

- condamner M. [O] [P] à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

21. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIVATION DE LA COUR

1) Sur la désignation d'un administrateur provisoire

22. M. [O] [P] invoque des difficultés financières et de gestion de la SCI du Rocher pour soutenir sa demande de désignation d'un administrateur provisoire. Il soutient que depuis sa création en 1993, la SCI du Rocher est confrontée à des conflits entre ses associés, que malgré son grand âge, il était contraint de gérer seul cette SCI, ses enfants s'en étant désintéressés et étant incapables de gérer et de faire fonctionner normalement la société, ce qui l'a motivé à vendre les studios dès 1998, que les loyers du local commercial ont été détournés par la société Amg Immo au détriment de la SCI du Rocher de décembre 2021 à avril 2023, qu'il est évincé du fonctionnement de la société, n'ayant plus accès aux comptes bancaires, que la société n'est pas présente aux assemblées générales des copropriétaires, qu'elle a des impayés de charges de copropriété, pour lesquels la copropriété a voté une mesure de saisie des loyers, qu'enfin, c'est par une appréciation erronée et non motivée des faits que le juge a considéré que le bilan et les comptes de résultat produits par la SCI du Rocher démontraient que le fonctionnement de la société n'était pas paralysé.

23. La SCI du Rocher soutient que les loyers ne transitent plus par la société AMG IMMO qui est dissoute depuis le 15 février 2023, qu'au titre de l'exercice 2023, la SCI du Rocher a eu un résultat positif de 46.103 €, qu'elle dispose d'un actif total valorisé à 529.909 € comme étant propriétaire de constructions et de terrains, qu'elle n'a aucun emprunt en cours, qu'elle respecte ses obligations comptables et approuve les comptes sociaux, qu'elle a convoqué M. [O] [P] pour la dernière approbation des comptes le 24 juin 2024 pour une assemblée générale du 10 juillet 2024 mais que la convocation adressée en recommandée avec accusé de réception est revenue avec la mention "pli avisé et non réclamé", qu'en revanche, M. [O] [P] ne fait pas suivre les convocations aux assemblées générales de copropriété, qu'enfin, la mésentente entre les associés, notamment à propos de la 2ème vente des studios, ne peut donner lieu à la nomination d'un administrateur provisoire mais doit se dénouer selon les règles du droit des sociétés, entre autres, par l'application de la loi de la majorité.

Réponse de la cour

24. L'article 835 du code de procédure civile dispose en son premier alinéa que "Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite."

25. Selon l'article 1846 du code civil, "La société est gérée par une ou plusieurs personnes, associées ou non, nommées soit par les statuts, soit par un acte distinct, soit par une décision des associés.

Les statuts fixent les règles de désignation du ou des gérants et le mode d'organisation de la gérance.

Sauf disposition contraire des statuts, le gérant est nommé par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

Dans le silence des statuts, et s'il n'en a été décidé autrement par les associés lors de la désignation, les gérants sont réputés nommés pour la durée de la société.

Si, pour quelque cause que ce soit, la société se trouve dépourvue de gérant, tout associé peut réunir les associés ou, à défaut, demander au président du tribunal statuant sur requête la désignation d'un mandataire chargé de le faire, à seule fin de nommer un ou plusieurs gérants."

26. La désignation d'un administrateur provisoire peut aboutir lorsque sont constatées des circonstances qui rendent impossible ou très difficile la gestion régulière de la société. L'entrave au fonctionnement de la société doit être susceptible de compromettre les intérêts sociaux et menacer la société d'un péril imminent. Ces conditions sont cumulatives.

27. Selon la Cour de cassation, "la désignation d'un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent" (Cass. com., 25 septembre 2007, n° 06-20.320, Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.838, Cass. com., 14 octobre 2020, n° 1820.240).

28. En l'espèce, de l'aveu même de M. [O] [P], appelant, le fonctionnement de la SCI du Rocher s'est inscrit depuis son origine dans un schéma conflictuel entre associés, emprunt de désaccords entre lui-même et ses enfants et portant sur la manière de gérer la société et spécialement sur la vente des studios dont la mise en location générait une activité jugée par M. [O] [P] trop importante pour lui alors qu'il était pourtant usufruitier et gérant.

29. Ces désaccords ont conduit à de multiples procédures judiciaires puis à la révocation de M. [O] [P] de ses fonctions de gérant par décision du 19 septembre 2019 après que celui-ci a, pour la seconde fois, fait voter la vente desdits studios le 22 mai 2018.

30. Pour autant et depuis lors, MM. [E] et [R] [P] ont été désignés en qualité de co-gérants de la SCI du Rocher suivant assemblée générale du 21 novembre 2019.

31. Ainsi que l'a justement retenu le juge des référés, le bilan et les comptes de résultats de la SCI du Rocher pour l'année 2023 font état d'un résultat positif de 46.103 €, ce qui démontre bien, quoiqu'en dise M. [O] [P], que le fonctionnement de la société n'est ni paralysé ni exposé à un péril.

32. Il sera ajouté que la valorisation de l'actif à 529.909 € n'est pas non plus contesté, ce qui vient au renfort d'une SCI qui n'est ni paralysée ni en péril.

33. De même, l'erreur de destinataire des loyers a été corrigée dès avril 2023 et ceux-ci sont désormais directement rétrocédés à la SCI du Rocher, bailleresse directe du CIO depuis la fin du bail à construction en décembre 2021, et non plus à la société Amg Immo qui avait sous-loué au CIO

34. Enfin, l'impayé de charges de copropriété d'un montant de 12.736,25 € tel qu'il ressort d'un relevé de compte établi au 29 juin 2023 ' qui n'est pas non plus contesté par la SCI du Rocher ' n'est pas en soi, et faute de précision sur les circonstances de sa survenue, suffisant à illustrer, en présence d'un résultat positif et d'un actif conséquent, un péril ou un fonctionnement anormal de la société qui serait de nature à conduire à la désignation d'un administrateur provisoire.

35. L'ordonnance qui a rejeté la demande de M. [O] [P] de désignation d'un administrateur provisoire sera confirmée sur ce point.

2) Sur les dommages et intérêts sollicités par la SCI du Rocher

36. La SCI du Rocher sollicite, pour la première fois en cause d'appel, la condamnation de M. [O] [P] à lui payer la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts au visa des articles 1240 du code civil et 559 du code de procédure civile.

37. Toutefois, cette demande n'est ni explicitée ni dûment justifiée. Elle ne peut être que rejetée.

3) Sur les dépens et les frais irrépétibles

38. Succombant, M. [O] [P] supportera les dépens d'appel. L'ordonnance sera confirmée s'agissant des dépens de première instance.

39. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de condamner M. [O] [P] à payer à la SCI du Rocher la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par elle en appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.

40. L'ordonnance sera confirmée s'agissant des frais irrépétibles de première instance tandis que les demandes de M. [O] [P] de ce chef seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc du 6 juin 2024,

Condamne M. [O] [P] aux dépens d'appel,

Condamne M. [O] [P] à payer à la SCI du Rocher la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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