CA Agen, ch. soc., 2 septembre 2025, n° 24/00805
AGEN
Arrêt
Autre
ARRÊT DU
02 SEPTEMBRE 2025
ALR / NC
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N° RG 24/00805 - N° Portalis DBVO-V-B7I-DIKX
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[N] [B]
C/
S.E.L.A.S. A2Z DISTRIBUTION
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Copie exécutoire
délivrée
le :
aux avocats
ARRÊT n° 251-25
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Sociale
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
[N] [B]
né le 31 août 1976 à [Localité 6] (ITALIE)
domicilié : [Adresse 7]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représenté par Me Jessica TOUGE, avocate au barreau d'AGEN
APPELANT d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AGEN en date du 27 juin 2024 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 23/00009
d'une part,
ET :
S.E.L.A.S. A2Z DISTRIBUTION
RCS [Localité 3] 504 970 534
[Adresse 8]
[Localité 2]
représentée par Me Stéphane EYDELY, SELARL ETIC, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE
d'autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 10 juin 2025, sans opposition des parties, devant la cour composée de :
Présidente : Pascale FOUQUET, Conseiller
Assesseur : Anne Laure RIGAULT, Conseiller
qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre elles-mêmes de :
Jean-Yves SEGONNES, Conseiller
en application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,
Greffière : Nathalie CAILHETON
ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
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Par contrat à durée indéterminée du 3 février 2022, M. [N] [B] a été engagé par la société A2Z DISTRIBUTION en qualité de chauffeur moyennant rémunération brute forfaitaire de 2 126.11 euros pour un horaire mensuel moyen de travail de 169 heures.
Le 20 mars 2022, M. [N] [B] a été victime d'un accident de travail et placé en arrêt de travail, ledit arrêt de travail ayant été prolongé jusqu'au 31 mai 2022.
Par lettre recommandée avec accusé réception du 8 juin 2022, la société A2Z DISTRIBUTION a sollicité que M. [B] justifie de son absence.
M. [B] indique avoir déposé ledit arrêt de travail dans la boîte aux lettres de la société le 31 mai 2022.et avoir rencontré M. [W], son employeur, qui lui aurait reproché ses absences prolongées et lui aurait proposé la somme de 30 000 euros valant comme "bon de sortie".
Le 8 juin vers 12 h, le salarié a adressé, via le réseau WhatsApp, à l'employeur son certificat médical de prolongation et a pris téléphoniquement contact avec son employeur.
Lors de cette conversation, l'employeur indique avoir fait l'objet de menace de transmission, aux autorités compétentes en matière d'environnement, d'une vidéo compromettante en l'absence de rupture du contrat de travail assortie d'une forte somme d'argent.
Lors de l'entretien du 10 juin 2022, l'employeur indique que le salarié a réitéré son chantage.
Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 13 juin 2022, M. [B] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, avec une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 30 juin 2022, M. [B] a été licencié pour faute grave.
Par requête en date du 16 février 2023, M. [B] a contesté son licenciement, sollicitant la condamnation de l'employeur au versement d'indemnité de nature salariale et indemnitaire.
Par jugement en date du 27 juin 2024, le conseil de prud'hommes d'Agen a :
Jugé recevables les pièces 4, 5, i et ii produites au débat par la société A2ZDISTRIBUTION,
Jugé en conséquence que le licenciement pour faute grave de M. [N] [B] est parfaitement justifié.
Débouté M. [B] de ses demandes indemnitaires au titre de licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse,
Débouté M. [B] de sa demande de sursis à statuer,
Débouté M. [B] du surplus de ses demandes,
Condamné M. [B] aux dépens,
Debouté la société A2Z DISTRIBUTION de sa demande de condamnation de M. [B] à lui verser 2000 euros au titre de procédure abusive.
Par acte du 9 août 2024, M. [B] a déclaré former appel du jugement en désignant la société A2Z DISTRIBUTION, en qualité de partie intimée.
La déclaration d'appel porte sur l'entier jugement, l'appelant sollicitant la nullité et la réformation du jugement dont il cite le dispositif.
La clôture a été prononcée le 15 mai 2025 et l'affaire fixée à l'audience de la cour du 10 juin 2025.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions n°2 enregistrées au greffe le 15 avril 2025, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [B] demande à la cour, par application des articles L1132-1 ; L1232-1 ; L1235-1 et L1235-3 du code du travail et 226-1 du code pénal de :
De prononcer la nullité du jugement rendu le 27 juin 2024 par le conseil de prud'hommes d'Agen (RG F23/00009) ainsi que l'infirmation et la réformation de cette décision en ce qu'elle :
A jugé recevables les pièces 4, 5 i et ii produites au débat par la société A2Z DISTRIBUTION ;
A jugé en conséquence que son licenciement pour faute grave est parfaitement justifié ;
L'a débouté de ses demandes indemnitaires au titre de licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse ;
L'a débouté de sa demande de sursis à statuer,
L'a débouté au surplus de ses demandes ;
L'a condamné aux dépens.
Et statuant à nouveau de voir :
A titre principal,
Juger que son action recevable et bien fondée,
Débouter la société A2Z DISTRIBUTION de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens,
Juger irrecevables les enregistrements audios en raison de leurs clandestinités ;
Juger l'enregistrement du 08 juin 2022 et le procès-verbal du 31 janvier 2023 irrecevables à la procédure en tant que pièces obtenues illégalement,
Juger irrecevable l'attestation de Mme [R] [T],
Écarter des débats l'attestation de Mme [T] en raison de sa qualité de salarié de la société A2Z DISTRIBUTION, tenu ainsi par le lien de subordination avec cette dernière rendant la pièce peu probante et objective,
Juger qu'il a été victime d'une discrimination en raison de son état de santé ;
En conséquence,
Juger que son licenciement est nul et de nul effet,
Condamner la société A2Z DISTRIBUTION à lui payer les sommes suivantes :
10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination liée à l'état de santé ;
1.709,00 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
33.937,49 euros au titre de l'indemnité de licenciement nul,
5 656.25 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
565.62 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,
A titre subsidiaire,
Juger son action recevable et bien fondée ;
Débouter la société A2Z DISTRIBUTION de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens ;
Juger irrecevables les enregistrements audios en raison de leurs clandestinités ;
Juger l'enregistrement du 08 juin 2022 et le procès-verbal du 31 janvier 2023 irrecevables à la procédure en tant que pièces obtenues illégalement ;
Juger irrecevable l'attestation de Mme [R] [T] ;
Écarter des débats l'attestation de Mme [T] en raison de sa qualité de salarié de la société A2Z DISTRIBUTION, tenu ainsi par le lien de subordination avec cette dernière rendant la pièce peu probante et objective ;
Juger l'enregistrement du 08 juin 2022 et le procès-verbal du 31 janvier 2023 irrecevables à la procédure en tant que pièces obtenues illégalement ;
Juger qu'il a été victime d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence
Juger que son licenciement pour motif réel et sérieux est sans cause réelle et sérieuse ;
Condamner la société A2Z DISTRIBUTION à lui payer les sommes suivantes :
1.709,00 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
5 656.25 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
565.62 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;
15.000,00 euros au titre de l'indemnité sans cause réelle et sérieuse ;
8.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,
En tout état de cause,
Condamner la société A2Z DISTRIBUTION à lui verser la somme de 6.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance,
Condamner la société A2Z DISTRIBUTION à lui verser à la somme de 8.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens en cause d'appel.
Au soutien de ses prétentions, M. [B] fait valoir :
A titre principal, sur la nullité du licenciement :
Le licenciement est fondé sur la discrimination en raison de son état de santé (motif prohibé par l'article L1132-1 du code du travail). Il a été licencié pour faute grave alors qu'il se trouvait en arrêt de travail en raison d'un accident du travail (du 16 février 2022). Les absences prolongées étaient coûteuses à la société, qui lui a alors proposé le 31 mai 2022, le versement de la somme de 30 000 € contre sa démission, proposition qu'il a refusée. L'employeur a alors souhaité le licencier en alléguant une absence non justifiée. Pour autant la prolongation de l'arrêt de travail avait été déposée dans la boîte aux lettres dès le 31 mai 2022. La faute grave doit être prouvée par l'employeur, ce qui n'est pas puisqu'il reconnaît que les absences n'ont pas désorganisé la société. L'employeur souhaitait supprimer son poste de travail, raison pour laquelle l'employeur a vendu la pelle mécanique (pendant son arrêt de travail) pour un soi-disant arrêt de prestation. L'employeur a prémédité le licenciement pour dissimuler la suppression de poste. Les missions confiées à son remplaçant, embauché suite au licenciement, sont distinctes des siennes. Il a été "piégé" puisque l'employeur l'a enregistré à son insu, "mettant en scène" une faute grave pour fonder son licenciement. Les enregistrements communiqués sont partiaux, tronqués, limités.
Le licenciement est fondé sur l'enregistrement et sur le procès-verbal, deux éléments contestés puisqu'obtenus clandestinement, en méconnaissance de la protection de la vie privée et de l'intimité. L'atteinte à la vie privée n'est pas proportionnée au but poursuivi par l'employeur. Les enregistrements obtenus en violation de ses droits et libertés ne reflètent pas la réalité du motif de la rupture du contrat de travail du salarié en ce qu'ils ont été prémédités dans l'unique dessein de le piéger. Ces enregistrements ne constituent pas le seul mode de preuve possible. Il ne peut être à l'origine d'un chantage, maîtrisant très mal la langue française, étant de nationalité italienne. Le procès-verbal de retranscription ne justifie pas des conditions d'envoi, ni de réception de l'enregistrement à et par le commissaire de justice. Lors des enregistrements clandestins, l'employeur a "mis le haut-parleur" sans consentement du salarié.
Le licenciement est fondé sur l'attestation de Mme [T], (assistante comptable), pièce irrecevable, puisque relatant une conversation enregistrée illégalement et déloyalement et rédigée par une salariée, placée sous un lien de subordination.
La faute grave, au soutien du licenciement, n'est pas caractérisée.
Il ouvre droit à des dommages et intérêts pour discrimination liée à l'état de santé et à des indemnités de licenciement basées sur un salaire mensuel moyen de 2828.12 € brut, avec une ancienneté de 2 ans, 4 mois et 27 jours (indemnité légale de licenciement, indemnité de licenciement nul, indemnité compensatrice de préavis, indemnité compensatrice de congés payés).
A titre subsidiaire, sur le licenciement sans cause réelle, ni sérieuse.
La faute grave alléguée n'est pas caractérisée, les tentatives de chantage ne sont pas démontrées, la plainte pénale déposée par l'employeur a été classée sans suite. Les enregistrements audios établissent un désaccord. Le salarié a été piégé par un scénario prémédité pour justifier un licenciement. La procédure disciplinaire a été mise en place tardivement, les faits étant intervenus le 8 juin 2022 et le licenciement ayant été acté le 30 juin 2022.
Il ouvre droit à des indemnités de licenciement basées sur un salaire mensuel moyen de 2828.12 € brut, avec une ancienneté de 2 ans, 4 mois et 27 jours (indemnité légale de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, indemnité compensatrice de congés payés, indemnité sans cause réelle et sérieuse, dommages et intérêts pour licenciement vexatoire).
Par conclusions n°2 enregistrées au greffe le 12 mai 2025, la société A2Z DISTRIBUTION demande à la cour d'appel de :
De confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Agen en ce qu'il a :
Jugé parfaitement recevables les pièces 4,5, i et ii par elle produites au débat ;
Jugé en conséquence que le licenciement pour faute grave de M. [N] [B] est parfaitement justifié ;
Débouté M. [B] de ses demandes indemnitaires au titre du licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;
Débouté M. [B] de ses demandes au titre de la discrimination et licenciement vexatoire ;
Débouté M. [B] du surplus de ses demandes ;
Condamné M. [B] aux dépens ;
D'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il :
L'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
L'a déboutée au titre des frais exposés en première instance exposés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Et, statuant à nouveau,
Condamner M. [B] à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de la procédure abusive ;
Condamner M. [B] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais exposés en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner M. [B] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des frais exposés en cause d'appel exposés sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société A2Z DISTRIBUTION fait valoir :
Le licenciement pour faute est justifié :
Le contexte du licenciement.
à la fin du mois de mai 2022, et en l'absence de réception d'un certificat médical de l'arrêt maladie, elle a organisé une visite médicale de reprise, fixée au 2 juin 2022,
à l'issue de son arrêt de travail (31 mai 2022), le salarié ne s'est pas présenté à son poste de travail, n'a pas honoré son rendez-vous auprès de la médecine du travail, ni n'a transmis un certificat médical de prolongation à son employeur,
elle a adressé un courrier recommandé le 8 juin 2022 pour le salarié justifie de son absence,
il est faux de prétendre qu'un entretien ce serait passé le 31 mai 2022, au cours duquel, elle aurait proposé au salarié la somme de 30 000 € moyennant sa démission, élevé la société des arrêts de travail successifs,
les arrêts de travail du salarié ne représentent pas un coût trop élevé,
le salarié a spontanément pris attache avec son employeur le 8 juin 2022, lui transmettant le certificat médical de prolongation via le réseau WhatsApp, ainsi que cela résulte de l'enregistrement de la conversation téléphonique (constat de l'étude [G]),
le poste de travail du salarié n'a pas été supprimé pendant son absence, la vente de la pelle mécanique, par lui utilisée, signifiant pas la suppression du poste de travail puisque les fonctions du salarié étaient beaucoup plus larges et polyvalentes que la seule utilisation de ladite pelle mécanique (article trois du contrat de travail),
suite au licenciement du salarié, M. [C] a été embauché 1er juillet 2022 pour le remplacer en qualité d'ouvrier polyvalent,
La réalité et la gravité des faits reprochés au salarié :
le 8 juin 2022 vers 12 heures le salarié a spontanément téléphoné à l'employeur, tenant des propos offensifs et menaçants, de sorte que Mme [M], comptable et épouse du dirigeant, a enregistré la conversation, branchant le haut-parleur de son téléphone. Les menaces du salarié (de remettre aux autorités une vidéo compromettante en l'absence de rupture du contrat de travail assortie d'une forte somme d'argent), sont établies. Mme [T], assistante comptable, a entendu la conversation et en atteste. Le procès-verbal de constat de commissaire établit que le salarié a exigé une bonne sortie en contrepartie de sa renonciation à dénoncer la société auprès des autorités pour avoir illégalement enfoui des déchets. Mme [M] a donné rendez-vous au salarié le lendemain à 17 heures pour s'entretenir de vive voix avec le gérant de la société, M. [M]. Le rendez-vous s'est tenu le vendredi 10 juin 2022 à 14 heures, la conversation a été enregistrée, l'enregistrement ayant été transmis au commissaire de justice pour retranscription.
La tentative de chantage est démontrée.
Le lendemain, M. [M] a porté plainte à l'encontre le salarié. La plainte classée sans suite, M. [M] a déposé plainte avec constitution de partie civile.
Les tentatives de victimisation du salarié, qui n'a pas été piégé, sont des mensonges flagrants et délibérés.
Le salarié ne conteste pas, en les écritures de première instance, avoir tenu les propos, mais les avoir tenus dans le cadre d'une conversation privée.
La procédure de licenciement pour faute grave n'a pas été entreprise tardivement puisque les faits sont intervenus le 8 et e 10 juin 2022, la plainte a été déposée le 11 juin 2022 et la convocation à un éventuel licenciement a été envoyée le 13 juin 1022.
Le procès-verbal de constat du commissaire de justice (pièce 5) et des enregistrements sonores de la conversation entre le salarié et les dirigeants de la société (pièces i et ii) sont recevables ces enregistrements du salarié constituaient le seul mode de preuve possible pour démontrer la matérialité et la réalité des faits de sorte que l'atteinte portée à sa vie personnelle est strictement proportionnée au but recherché. L'attestation de Mme [T] répond aux conditions posées par l'article 202 du code de procédure civile, la salariée se limitant à rapporter des faits dont elle a été témoin.
Les demandes financières du salarié doivent être rejetées puisque le licenciement pour faute grave repose sur une cause réelle et sérieuse.
Sur l'appel incident, le salarié doit être condamné à des dommages et intérêts pour procédure abusive.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande relative à la nullité du jugement
Cette demande, non étayée, ni soutenue dans les motifs, est rejetée par application de l'article 954 du code de procédure civile.
Sur l'irrecevabilité des enregistrements audios
Il résulte des articles 9 du code de procédure civile, 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'enregistrement d'une conversation réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal (Civ2., 7 octobre 2004, n° 03-12.653, Bull., n°447 ; Ass. plén. 7 janvier 2011, pourvoi n° 09-14.316, publié).
Lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d'autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence.
Il en résulte que, dans un procès civil, le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une preuve obtenue ou produite de manière illicite ou déloyale, porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Ass. plén., 22 décembre 2023, pourvoi n° 20-20.648, publié).
Ainsi, lorsque les pièces litigieuses constituent des transcriptions d'enregistrements clandestins d'entretiens obtenues par un procédé déloyal, il appartient au juge, saisi d'une demande de les voir écartées des débats, de procéder, lorsque cela lui est demandé, au contrôle de proportionnalité énoncé par la Cour de cassation (cf Ass. plén., 22 décembre 2023, pourvoi n° 20-20.648, précité).
En l'espèce, la société A2Z DISTRIBUTION verse aux débats les pièces n°5, i et ii dont il est constant qu'elles constituent la transcription et les enregistrements clandestins de deux conversations entre d'une part, Mme [M], comptable et épouse du dirigeant, et M. [B], salarié, et d'autre part, M. [M], dirigeant de la société et M. [B].
L'enregistrement de langue française de la conversation téléphonique du 8 juin 2022 (pièce i) a été retranscrit par le commissaire de justice, la Scp Forrère le 31 janvier 2023 (pièce 5).
Il n'est pas contesté que les pièces i et ii (enregistrements des conversations des 8 et 10 juin 2022) ont été obtenues par un procédé déloyal, M. [B] n'étant pas informé par son employeur de l'enregistrement de ses propos.
L'employeur, qui soutient que ces pièces sont indispensables à l'exercice de son droit à la preuve, demande ainsi à la cour de procéder au contrôle de proportionnalité énoncé par la Cour de cassation.
Dès lors, il convient d'apprécier si cette preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, et d'examiner si cette production est indispensable à l'exercice du droit à la preuve du salarié et que l'atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.
Il ressort des débats que ces pièces sont produites au soutien du licenciement pour faute grave, faute grave fondée par les menaces, et le chantage proféré par M. [B] lors de ces conversations (téléphoniques et en présentiel).
Or, les pièces 5, i et ii constituent respectivement la retranscription de l'entretien téléphonique du 8 juin 2022 et les enregistrements sonores des 8 et 10 juin 2022, relatifs aux propos du salarié et sont susceptibles de caractériser l'existence du chantage et des menaces.
La pièce 5 (procès-verbal de constat de l'étude [G]) relative à la retranscription de l'enregistrement de la conversation téléphonique du 8 juin 2022 vers 12 heures entre M. [B] et Mme [M], comptable de la SAS A2Z DISTRIBUTION mentionne " '.Mme, madame, madame, madame, madame, écoutez moi madame. Ça c'est la chose pénal, vous, vous, peut pas, peut pas cacher la merde dessous le sol, bon, je ça c'est la chose pénal alors dite me vous qu'est ce que je dois faire avec vous alors, alors, c'est, y'a la bonne sortie pour moi, bien, sinon demain, vous, vous à là-bas "incompréhensible" à l'écologie, à l'inspectorat de l'écologie, moi je sais je fais tous les recherches, je sais où je d'aller moi' La bonne sortie, l'argent'".
Les pièces i et ii sont les enregistrements sonores.
La production de ces pièces, qui, de par leur contenu, est ainsi indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur quant à l'existence des menaces et chantage, porte une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé recevables les pièces 5, i et ii. Ajoutant au jugement, il convient de rejeter la demande de M. [B] de rejet des pièces 5, i et ii communiquées par l'employeur.
Sur l'irrecevabilité de l'attestation de Mme [T]
Concernant l'attestation de Mme [T], aide comptable (pièce 4), rédigée dans les formes prescrites par l'article 202 du code de procédure civile, celle-ci ne constitue pas une preuve déloyale.
La seule circonstance que Mme [T] soit la salariée de l'employeur ne lui enlève pas sa valeur probante dès lors que la salariée atteste avoir été personnellement témoin des faits relatés, en l'occurrence des propos tenus par le salarié lors de la conversation téléphonique du 8 juin 2022 (le haut-parleur ayant été actionné).
La cour confirme le jugement qui a déclaré recevable la pièce 4, et ajoutant au jugement, rejette la demande de M. [B] [N] de rejet de la pièce 4 communiquée par l'employeur.
Sur la demande de nullité du licenciement fondée sur une discrimination liée à l'état de santé
M. [B], qui sollicite l'infirmation de la décision, soutient que son licenciement est nul puisque fondé sur une discrimination liée à son état de santé.
L'article L. 1132-1 du code du travail dispose : "Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif local, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français".
Pour se prononcer sur l'existence d'une discrimination, il y a lieu d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il y a lieu d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'une telle discrimination et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce M. [B] indique avoir été licencié pendant son arrêt de travail, arrêt de travail lié à l'accident du travail (du 16 février 2022), et que la raison médicale constituerait le motif réel du licenciement. Il produit ses arrêts de travail, son dossier suivi médical, la plainte pénale du 15 novembre 2023, la plainte avec constitution de partie civile.
Sont ainsi matériellement établis des faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une discrimination liée à l'état de santé du salarié.
Pour prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'une discrimination et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, l'employeur fait valoir que si, certes le salarié a été licencié pendant son arrêt de travail, le licenciement n'était pas lié à une raison de santé, mais lié aux menaces et chantage proférés par le salarié les 8 et 10 juin 2022 lors d'une conversation téléphonique et lors d'un entretien.
L'employeur communique l'attestation de Mme [T], la transcription de l'enregistrement de la conversation téléphonique du 8 juin 2022, les enregistrements audios des 8 et 10 juin 2022.
La régularité de la communication de ces pièces est admise.
Mme [T], assistante comptable, a entendu la conversation téléphonique puisque le haut-parleur était actionné.
Le procès-verbal de constat de commissaire du 31 janvier 2023 et les enregistrements sonores établissent que le salarié a tenu des propos menaçants, un chantage, à savoir ne pas remettre aux autorités une vidéo compromettante (l'enfouissement illégal de déchets, moyennant une rupture du contrat de travail assortie d'une "bonne sortie" (sic), ce qui signifie le versement d'une forte somme d'argent (une année de salaire).
La cour relève l'absence de communication de pièces relatives aux déchets évoqués.
L'employeur communique également la plainte et la plainte avec constitution de partie civile.
Si certes, la plainte déposée par l'employeur a été classée sans suite, cette seule circonstance ne signifie nullement que les propos n'ont pas été tenus mais qu'ils n'ont pas fait pas l'objet de poursuite pénale en tant que tels.
Ces pièces établissent que M. [B] s'est livré à des menaces, et à un chantage.
Il s'en déduit que la stigmatisation en raison de l'état de santé n'est pas établie et que la mesure de licenciement prise par l'employeur est fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Confirmant le jugement entrepris, la cour en déduit que les demandes relatives à la discrimination et en nullité du licenciement doivent par conséquent être rejetées.
Sur le licenciement pour faute grave
Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ; la charge de la preuve pèse sur l'employeur.
En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, mentionne : "Nous vous avons convoqué à un entretien préalable pour le 15 juin 2022, en vue d'examiner la mesure de licenciement pour faute grave que nous envisagions à votre égard. Vous n'avez pas daigné vous présenter à cet entretien. Nous avons donc pris la décision de vous licencier pour faute grave pour les raisons suivantes.
Le mercredi 08 Juin 2022 aux alentours midi alors que votre contrat de travail est suspendu pour cause d'arrêt maladie, vous avez pris contact avec l'entreprise par téléphone afin de nous faire part de votre volonté de quitter votre emploi. Or, à plusieurs reprises et de manière énigmatique, vous avez sollicité "une bonne sortie". Devant notre incrédulité, vous nous avez en réalité menacé de divulguer et diffuser auprès des autorités compétente une vidéo soi-disant compromettante pour l'entreprise et souhaitiez donc monnayer votre silence. Abasourdis par votre démarche, nous vous avons proposé de vous rencontrer le 10 juin au matin. Vous nous avez à cette occasion confirmé être en possession d'une vidéo selon vous préjudiciable pour l'entreprise, sans toutefois nous la dévoiler, et avez exigé le versement de la somme extravagante de 30.000 euros en contrepartie de sa destruction et non divulgation.
Au regard du caractère tout à fait intolérable et nauséabond de votre proposition, nous avons immédiatement coupé court à cette discussion et avons logiquement déposé plainte à votre encontre dès le 11 juin 2022 auprès des services de gendarmerie de [Localité 5] pour tentative de chantage. Naturellement, cet acte de défiance profondément déloyal et gravissime, constitutif d'une infraction pénale, empêche votre maintien dans l'entreprise. Votre licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis, ni de licenciement et nous tenons dès à présent à votre disposition vos documents de fin de contrat".
L'employeur communique les pièces 4, 5, i et ii desquelles il résulte que le salarié a proféré des menaces et un chantage.
Les allégations du salarié concernant un stratagème de l'employeur ne sont corroborées par aucun élément.
La cour relève que la procédure de licenciement pour faute n'a pas été tardivement introduite puisque les faits se sont déroulés les 8 et 10 juin 2022, que la convocation à un éventuel licenciement a été adressée le 13 juin 2022 avec une mise à pied à titre conservatoire, le salarié ne s'étant pas, par la suite, présenté à l'entretien de licenciement.
La cour relève également que les développements de l'appelant relatifs à la transmission de la prolongation de l'arrêt de travail avant le 8 juin 2022 ne sont corroborés par aucune pièce et que la transmission tardive n'est pas visée dans la lettre de licenciement, de sorte qu'elle n'en constitue pas un motif.
La cour constate que les faits reprochés caractérisent la faute grave invoquée rendant impossible le maintien du salarié à son poste de travail.
La cour confirme le jugement ayant débouté M. [B] de ses demandes en lien avec un licenciement sans cause réelle, ni sérieuse.
Sur la procédure abusive
L'employeur, qui ne démontre pas un abus de droit du salarié dans l'introduction de la procédure prud'homale, doit être débouté de sa demande.
Le jugement est confirmé à ce titre.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les dépens d'appel sont à la charge de M. [B], partie succombante.
Par application de l'article 700 du code de procédure civile, M. [B] est condamné à verser à la société A2Z DISTRIBUTION la somme de 800 € et est débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
REJETTE la demande de M. [B] de rejet des pièces 4, 5, i et ii communiquées par l'employeur,
CONDAMNE M. [B] à payer à la société A2Z DISTRIBUTION la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE M. [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [B] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de présidente, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
02 SEPTEMBRE 2025
ALR / NC
-----------------------
N° RG 24/00805 - N° Portalis DBVO-V-B7I-DIKX
-----------------------
[N] [B]
C/
S.E.L.A.S. A2Z DISTRIBUTION
-----------------------
Copie exécutoire
délivrée
le :
aux avocats
ARRÊT n° 251-25
COUR D'APPEL D'AGEN
Chambre Sociale
La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire
ENTRE :
[N] [B]
né le 31 août 1976 à [Localité 6] (ITALIE)
domicilié : [Adresse 7]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représenté par Me Jessica TOUGE, avocate au barreau d'AGEN
APPELANT d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AGEN en date du 27 juin 2024 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 23/00009
d'une part,
ET :
S.E.L.A.S. A2Z DISTRIBUTION
RCS [Localité 3] 504 970 534
[Adresse 8]
[Localité 2]
représentée par Me Stéphane EYDELY, SELARL ETIC, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE
d'autre part,
COMPOSITION DE LA COUR :
l'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 10 juin 2025, sans opposition des parties, devant la cour composée de :
Présidente : Pascale FOUQUET, Conseiller
Assesseur : Anne Laure RIGAULT, Conseiller
qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée outre elles-mêmes de :
Jean-Yves SEGONNES, Conseiller
en application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, et après qu'il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés,
Greffière : Nathalie CAILHETON
ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
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Par contrat à durée indéterminée du 3 février 2022, M. [N] [B] a été engagé par la société A2Z DISTRIBUTION en qualité de chauffeur moyennant rémunération brute forfaitaire de 2 126.11 euros pour un horaire mensuel moyen de travail de 169 heures.
Le 20 mars 2022, M. [N] [B] a été victime d'un accident de travail et placé en arrêt de travail, ledit arrêt de travail ayant été prolongé jusqu'au 31 mai 2022.
Par lettre recommandée avec accusé réception du 8 juin 2022, la société A2Z DISTRIBUTION a sollicité que M. [B] justifie de son absence.
M. [B] indique avoir déposé ledit arrêt de travail dans la boîte aux lettres de la société le 31 mai 2022.et avoir rencontré M. [W], son employeur, qui lui aurait reproché ses absences prolongées et lui aurait proposé la somme de 30 000 euros valant comme "bon de sortie".
Le 8 juin vers 12 h, le salarié a adressé, via le réseau WhatsApp, à l'employeur son certificat médical de prolongation et a pris téléphoniquement contact avec son employeur.
Lors de cette conversation, l'employeur indique avoir fait l'objet de menace de transmission, aux autorités compétentes en matière d'environnement, d'une vidéo compromettante en l'absence de rupture du contrat de travail assortie d'une forte somme d'argent.
Lors de l'entretien du 10 juin 2022, l'employeur indique que le salarié a réitéré son chantage.
Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 13 juin 2022, M. [B] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, avec une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec accusé réception en date du 30 juin 2022, M. [B] a été licencié pour faute grave.
Par requête en date du 16 février 2023, M. [B] a contesté son licenciement, sollicitant la condamnation de l'employeur au versement d'indemnité de nature salariale et indemnitaire.
Par jugement en date du 27 juin 2024, le conseil de prud'hommes d'Agen a :
Jugé recevables les pièces 4, 5, i et ii produites au débat par la société A2ZDISTRIBUTION,
Jugé en conséquence que le licenciement pour faute grave de M. [N] [B] est parfaitement justifié.
Débouté M. [B] de ses demandes indemnitaires au titre de licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse,
Débouté M. [B] de sa demande de sursis à statuer,
Débouté M. [B] du surplus de ses demandes,
Condamné M. [B] aux dépens,
Debouté la société A2Z DISTRIBUTION de sa demande de condamnation de M. [B] à lui verser 2000 euros au titre de procédure abusive.
Par acte du 9 août 2024, M. [B] a déclaré former appel du jugement en désignant la société A2Z DISTRIBUTION, en qualité de partie intimée.
La déclaration d'appel porte sur l'entier jugement, l'appelant sollicitant la nullité et la réformation du jugement dont il cite le dispositif.
La clôture a été prononcée le 15 mai 2025 et l'affaire fixée à l'audience de la cour du 10 juin 2025.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions n°2 enregistrées au greffe le 15 avril 2025, auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [B] demande à la cour, par application des articles L1132-1 ; L1232-1 ; L1235-1 et L1235-3 du code du travail et 226-1 du code pénal de :
De prononcer la nullité du jugement rendu le 27 juin 2024 par le conseil de prud'hommes d'Agen (RG F23/00009) ainsi que l'infirmation et la réformation de cette décision en ce qu'elle :
A jugé recevables les pièces 4, 5 i et ii produites au débat par la société A2Z DISTRIBUTION ;
A jugé en conséquence que son licenciement pour faute grave est parfaitement justifié ;
L'a débouté de ses demandes indemnitaires au titre de licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse ;
L'a débouté de sa demande de sursis à statuer,
L'a débouté au surplus de ses demandes ;
L'a condamné aux dépens.
Et statuant à nouveau de voir :
A titre principal,
Juger que son action recevable et bien fondée,
Débouter la société A2Z DISTRIBUTION de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens,
Juger irrecevables les enregistrements audios en raison de leurs clandestinités ;
Juger l'enregistrement du 08 juin 2022 et le procès-verbal du 31 janvier 2023 irrecevables à la procédure en tant que pièces obtenues illégalement,
Juger irrecevable l'attestation de Mme [R] [T],
Écarter des débats l'attestation de Mme [T] en raison de sa qualité de salarié de la société A2Z DISTRIBUTION, tenu ainsi par le lien de subordination avec cette dernière rendant la pièce peu probante et objective,
Juger qu'il a été victime d'une discrimination en raison de son état de santé ;
En conséquence,
Juger que son licenciement est nul et de nul effet,
Condamner la société A2Z DISTRIBUTION à lui payer les sommes suivantes :
10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination liée à l'état de santé ;
1.709,00 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
33.937,49 euros au titre de l'indemnité de licenciement nul,
5 656.25 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
565.62 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,
A titre subsidiaire,
Juger son action recevable et bien fondée ;
Débouter la société A2Z DISTRIBUTION de l'ensemble de ses demandes, fins et moyens ;
Juger irrecevables les enregistrements audios en raison de leurs clandestinités ;
Juger l'enregistrement du 08 juin 2022 et le procès-verbal du 31 janvier 2023 irrecevables à la procédure en tant que pièces obtenues illégalement ;
Juger irrecevable l'attestation de Mme [R] [T] ;
Écarter des débats l'attestation de Mme [T] en raison de sa qualité de salarié de la société A2Z DISTRIBUTION, tenu ainsi par le lien de subordination avec cette dernière rendant la pièce peu probante et objective ;
Juger l'enregistrement du 08 juin 2022 et le procès-verbal du 31 janvier 2023 irrecevables à la procédure en tant que pièces obtenues illégalement ;
Juger qu'il a été victime d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En conséquence
Juger que son licenciement pour motif réel et sérieux est sans cause réelle et sérieuse ;
Condamner la société A2Z DISTRIBUTION à lui payer les sommes suivantes :
1.709,00 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
5 656.25 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;
565.62 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;
15.000,00 euros au titre de l'indemnité sans cause réelle et sérieuse ;
8.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,
En tout état de cause,
Condamner la société A2Z DISTRIBUTION à lui verser la somme de 6.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance,
Condamner la société A2Z DISTRIBUTION à lui verser à la somme de 8.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens en cause d'appel.
Au soutien de ses prétentions, M. [B] fait valoir :
A titre principal, sur la nullité du licenciement :
Le licenciement est fondé sur la discrimination en raison de son état de santé (motif prohibé par l'article L1132-1 du code du travail). Il a été licencié pour faute grave alors qu'il se trouvait en arrêt de travail en raison d'un accident du travail (du 16 février 2022). Les absences prolongées étaient coûteuses à la société, qui lui a alors proposé le 31 mai 2022, le versement de la somme de 30 000 € contre sa démission, proposition qu'il a refusée. L'employeur a alors souhaité le licencier en alléguant une absence non justifiée. Pour autant la prolongation de l'arrêt de travail avait été déposée dans la boîte aux lettres dès le 31 mai 2022. La faute grave doit être prouvée par l'employeur, ce qui n'est pas puisqu'il reconnaît que les absences n'ont pas désorganisé la société. L'employeur souhaitait supprimer son poste de travail, raison pour laquelle l'employeur a vendu la pelle mécanique (pendant son arrêt de travail) pour un soi-disant arrêt de prestation. L'employeur a prémédité le licenciement pour dissimuler la suppression de poste. Les missions confiées à son remplaçant, embauché suite au licenciement, sont distinctes des siennes. Il a été "piégé" puisque l'employeur l'a enregistré à son insu, "mettant en scène" une faute grave pour fonder son licenciement. Les enregistrements communiqués sont partiaux, tronqués, limités.
Le licenciement est fondé sur l'enregistrement et sur le procès-verbal, deux éléments contestés puisqu'obtenus clandestinement, en méconnaissance de la protection de la vie privée et de l'intimité. L'atteinte à la vie privée n'est pas proportionnée au but poursuivi par l'employeur. Les enregistrements obtenus en violation de ses droits et libertés ne reflètent pas la réalité du motif de la rupture du contrat de travail du salarié en ce qu'ils ont été prémédités dans l'unique dessein de le piéger. Ces enregistrements ne constituent pas le seul mode de preuve possible. Il ne peut être à l'origine d'un chantage, maîtrisant très mal la langue française, étant de nationalité italienne. Le procès-verbal de retranscription ne justifie pas des conditions d'envoi, ni de réception de l'enregistrement à et par le commissaire de justice. Lors des enregistrements clandestins, l'employeur a "mis le haut-parleur" sans consentement du salarié.
Le licenciement est fondé sur l'attestation de Mme [T], (assistante comptable), pièce irrecevable, puisque relatant une conversation enregistrée illégalement et déloyalement et rédigée par une salariée, placée sous un lien de subordination.
La faute grave, au soutien du licenciement, n'est pas caractérisée.
Il ouvre droit à des dommages et intérêts pour discrimination liée à l'état de santé et à des indemnités de licenciement basées sur un salaire mensuel moyen de 2828.12 € brut, avec une ancienneté de 2 ans, 4 mois et 27 jours (indemnité légale de licenciement, indemnité de licenciement nul, indemnité compensatrice de préavis, indemnité compensatrice de congés payés).
A titre subsidiaire, sur le licenciement sans cause réelle, ni sérieuse.
La faute grave alléguée n'est pas caractérisée, les tentatives de chantage ne sont pas démontrées, la plainte pénale déposée par l'employeur a été classée sans suite. Les enregistrements audios établissent un désaccord. Le salarié a été piégé par un scénario prémédité pour justifier un licenciement. La procédure disciplinaire a été mise en place tardivement, les faits étant intervenus le 8 juin 2022 et le licenciement ayant été acté le 30 juin 2022.
Il ouvre droit à des indemnités de licenciement basées sur un salaire mensuel moyen de 2828.12 € brut, avec une ancienneté de 2 ans, 4 mois et 27 jours (indemnité légale de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, indemnité compensatrice de congés payés, indemnité sans cause réelle et sérieuse, dommages et intérêts pour licenciement vexatoire).
Par conclusions n°2 enregistrées au greffe le 12 mai 2025, la société A2Z DISTRIBUTION demande à la cour d'appel de :
De confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Agen en ce qu'il a :
Jugé parfaitement recevables les pièces 4,5, i et ii par elle produites au débat ;
Jugé en conséquence que le licenciement pour faute grave de M. [N] [B] est parfaitement justifié ;
Débouté M. [B] de ses demandes indemnitaires au titre du licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;
Débouté M. [B] de ses demandes au titre de la discrimination et licenciement vexatoire ;
Débouté M. [B] du surplus de ses demandes ;
Condamné M. [B] aux dépens ;
D'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il :
L'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
L'a déboutée au titre des frais exposés en première instance exposés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Et, statuant à nouveau,
Condamner M. [B] à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de la procédure abusive ;
Condamner M. [B] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais exposés en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner M. [B] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des frais exposés en cause d'appel exposés sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société A2Z DISTRIBUTION fait valoir :
Le licenciement pour faute est justifié :
Le contexte du licenciement.
à la fin du mois de mai 2022, et en l'absence de réception d'un certificat médical de l'arrêt maladie, elle a organisé une visite médicale de reprise, fixée au 2 juin 2022,
à l'issue de son arrêt de travail (31 mai 2022), le salarié ne s'est pas présenté à son poste de travail, n'a pas honoré son rendez-vous auprès de la médecine du travail, ni n'a transmis un certificat médical de prolongation à son employeur,
elle a adressé un courrier recommandé le 8 juin 2022 pour le salarié justifie de son absence,
il est faux de prétendre qu'un entretien ce serait passé le 31 mai 2022, au cours duquel, elle aurait proposé au salarié la somme de 30 000 € moyennant sa démission, élevé la société des arrêts de travail successifs,
les arrêts de travail du salarié ne représentent pas un coût trop élevé,
le salarié a spontanément pris attache avec son employeur le 8 juin 2022, lui transmettant le certificat médical de prolongation via le réseau WhatsApp, ainsi que cela résulte de l'enregistrement de la conversation téléphonique (constat de l'étude [G]),
le poste de travail du salarié n'a pas été supprimé pendant son absence, la vente de la pelle mécanique, par lui utilisée, signifiant pas la suppression du poste de travail puisque les fonctions du salarié étaient beaucoup plus larges et polyvalentes que la seule utilisation de ladite pelle mécanique (article trois du contrat de travail),
suite au licenciement du salarié, M. [C] a été embauché 1er juillet 2022 pour le remplacer en qualité d'ouvrier polyvalent,
La réalité et la gravité des faits reprochés au salarié :
le 8 juin 2022 vers 12 heures le salarié a spontanément téléphoné à l'employeur, tenant des propos offensifs et menaçants, de sorte que Mme [M], comptable et épouse du dirigeant, a enregistré la conversation, branchant le haut-parleur de son téléphone. Les menaces du salarié (de remettre aux autorités une vidéo compromettante en l'absence de rupture du contrat de travail assortie d'une forte somme d'argent), sont établies. Mme [T], assistante comptable, a entendu la conversation et en atteste. Le procès-verbal de constat de commissaire établit que le salarié a exigé une bonne sortie en contrepartie de sa renonciation à dénoncer la société auprès des autorités pour avoir illégalement enfoui des déchets. Mme [M] a donné rendez-vous au salarié le lendemain à 17 heures pour s'entretenir de vive voix avec le gérant de la société, M. [M]. Le rendez-vous s'est tenu le vendredi 10 juin 2022 à 14 heures, la conversation a été enregistrée, l'enregistrement ayant été transmis au commissaire de justice pour retranscription.
La tentative de chantage est démontrée.
Le lendemain, M. [M] a porté plainte à l'encontre le salarié. La plainte classée sans suite, M. [M] a déposé plainte avec constitution de partie civile.
Les tentatives de victimisation du salarié, qui n'a pas été piégé, sont des mensonges flagrants et délibérés.
Le salarié ne conteste pas, en les écritures de première instance, avoir tenu les propos, mais les avoir tenus dans le cadre d'une conversation privée.
La procédure de licenciement pour faute grave n'a pas été entreprise tardivement puisque les faits sont intervenus le 8 et e 10 juin 2022, la plainte a été déposée le 11 juin 2022 et la convocation à un éventuel licenciement a été envoyée le 13 juin 1022.
Le procès-verbal de constat du commissaire de justice (pièce 5) et des enregistrements sonores de la conversation entre le salarié et les dirigeants de la société (pièces i et ii) sont recevables ces enregistrements du salarié constituaient le seul mode de preuve possible pour démontrer la matérialité et la réalité des faits de sorte que l'atteinte portée à sa vie personnelle est strictement proportionnée au but recherché. L'attestation de Mme [T] répond aux conditions posées par l'article 202 du code de procédure civile, la salariée se limitant à rapporter des faits dont elle a été témoin.
Les demandes financières du salarié doivent être rejetées puisque le licenciement pour faute grave repose sur une cause réelle et sérieuse.
Sur l'appel incident, le salarié doit être condamné à des dommages et intérêts pour procédure abusive.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande relative à la nullité du jugement
Cette demande, non étayée, ni soutenue dans les motifs, est rejetée par application de l'article 954 du code de procédure civile.
Sur l'irrecevabilité des enregistrements audios
Il résulte des articles 9 du code de procédure civile, 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'enregistrement d'une conversation réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal (Civ2., 7 octobre 2004, n° 03-12.653, Bull., n°447 ; Ass. plén. 7 janvier 2011, pourvoi n° 09-14.316, publié).
Lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d'autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence.
Il en résulte que, dans un procès civil, le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une preuve obtenue ou produite de manière illicite ou déloyale, porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Ass. plén., 22 décembre 2023, pourvoi n° 20-20.648, publié).
Ainsi, lorsque les pièces litigieuses constituent des transcriptions d'enregistrements clandestins d'entretiens obtenues par un procédé déloyal, il appartient au juge, saisi d'une demande de les voir écartées des débats, de procéder, lorsque cela lui est demandé, au contrôle de proportionnalité énoncé par la Cour de cassation (cf Ass. plén., 22 décembre 2023, pourvoi n° 20-20.648, précité).
En l'espèce, la société A2Z DISTRIBUTION verse aux débats les pièces n°5, i et ii dont il est constant qu'elles constituent la transcription et les enregistrements clandestins de deux conversations entre d'une part, Mme [M], comptable et épouse du dirigeant, et M. [B], salarié, et d'autre part, M. [M], dirigeant de la société et M. [B].
L'enregistrement de langue française de la conversation téléphonique du 8 juin 2022 (pièce i) a été retranscrit par le commissaire de justice, la Scp Forrère le 31 janvier 2023 (pièce 5).
Il n'est pas contesté que les pièces i et ii (enregistrements des conversations des 8 et 10 juin 2022) ont été obtenues par un procédé déloyal, M. [B] n'étant pas informé par son employeur de l'enregistrement de ses propos.
L'employeur, qui soutient que ces pièces sont indispensables à l'exercice de son droit à la preuve, demande ainsi à la cour de procéder au contrôle de proportionnalité énoncé par la Cour de cassation.
Dès lors, il convient d'apprécier si cette preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, et d'examiner si cette production est indispensable à l'exercice du droit à la preuve du salarié et que l'atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.
Il ressort des débats que ces pièces sont produites au soutien du licenciement pour faute grave, faute grave fondée par les menaces, et le chantage proféré par M. [B] lors de ces conversations (téléphoniques et en présentiel).
Or, les pièces 5, i et ii constituent respectivement la retranscription de l'entretien téléphonique du 8 juin 2022 et les enregistrements sonores des 8 et 10 juin 2022, relatifs aux propos du salarié et sont susceptibles de caractériser l'existence du chantage et des menaces.
La pièce 5 (procès-verbal de constat de l'étude [G]) relative à la retranscription de l'enregistrement de la conversation téléphonique du 8 juin 2022 vers 12 heures entre M. [B] et Mme [M], comptable de la SAS A2Z DISTRIBUTION mentionne " '.Mme, madame, madame, madame, madame, écoutez moi madame. Ça c'est la chose pénal, vous, vous, peut pas, peut pas cacher la merde dessous le sol, bon, je ça c'est la chose pénal alors dite me vous qu'est ce que je dois faire avec vous alors, alors, c'est, y'a la bonne sortie pour moi, bien, sinon demain, vous, vous à là-bas "incompréhensible" à l'écologie, à l'inspectorat de l'écologie, moi je sais je fais tous les recherches, je sais où je d'aller moi' La bonne sortie, l'argent'".
Les pièces i et ii sont les enregistrements sonores.
La production de ces pièces, qui, de par leur contenu, est ainsi indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur quant à l'existence des menaces et chantage, porte une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé recevables les pièces 5, i et ii. Ajoutant au jugement, il convient de rejeter la demande de M. [B] de rejet des pièces 5, i et ii communiquées par l'employeur.
Sur l'irrecevabilité de l'attestation de Mme [T]
Concernant l'attestation de Mme [T], aide comptable (pièce 4), rédigée dans les formes prescrites par l'article 202 du code de procédure civile, celle-ci ne constitue pas une preuve déloyale.
La seule circonstance que Mme [T] soit la salariée de l'employeur ne lui enlève pas sa valeur probante dès lors que la salariée atteste avoir été personnellement témoin des faits relatés, en l'occurrence des propos tenus par le salarié lors de la conversation téléphonique du 8 juin 2022 (le haut-parleur ayant été actionné).
La cour confirme le jugement qui a déclaré recevable la pièce 4, et ajoutant au jugement, rejette la demande de M. [B] [N] de rejet de la pièce 4 communiquée par l'employeur.
Sur la demande de nullité du licenciement fondée sur une discrimination liée à l'état de santé
M. [B], qui sollicite l'infirmation de la décision, soutient que son licenciement est nul puisque fondé sur une discrimination liée à son état de santé.
L'article L. 1132-1 du code du travail dispose : "Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif local, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français".
Pour se prononcer sur l'existence d'une discrimination, il y a lieu d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il y a lieu d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'une telle discrimination et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce M. [B] indique avoir été licencié pendant son arrêt de travail, arrêt de travail lié à l'accident du travail (du 16 février 2022), et que la raison médicale constituerait le motif réel du licenciement. Il produit ses arrêts de travail, son dossier suivi médical, la plainte pénale du 15 novembre 2023, la plainte avec constitution de partie civile.
Sont ainsi matériellement établis des faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une discrimination liée à l'état de santé du salarié.
Pour prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'une discrimination et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, l'employeur fait valoir que si, certes le salarié a été licencié pendant son arrêt de travail, le licenciement n'était pas lié à une raison de santé, mais lié aux menaces et chantage proférés par le salarié les 8 et 10 juin 2022 lors d'une conversation téléphonique et lors d'un entretien.
L'employeur communique l'attestation de Mme [T], la transcription de l'enregistrement de la conversation téléphonique du 8 juin 2022, les enregistrements audios des 8 et 10 juin 2022.
La régularité de la communication de ces pièces est admise.
Mme [T], assistante comptable, a entendu la conversation téléphonique puisque le haut-parleur était actionné.
Le procès-verbal de constat de commissaire du 31 janvier 2023 et les enregistrements sonores établissent que le salarié a tenu des propos menaçants, un chantage, à savoir ne pas remettre aux autorités une vidéo compromettante (l'enfouissement illégal de déchets, moyennant une rupture du contrat de travail assortie d'une "bonne sortie" (sic), ce qui signifie le versement d'une forte somme d'argent (une année de salaire).
La cour relève l'absence de communication de pièces relatives aux déchets évoqués.
L'employeur communique également la plainte et la plainte avec constitution de partie civile.
Si certes, la plainte déposée par l'employeur a été classée sans suite, cette seule circonstance ne signifie nullement que les propos n'ont pas été tenus mais qu'ils n'ont pas fait pas l'objet de poursuite pénale en tant que tels.
Ces pièces établissent que M. [B] s'est livré à des menaces, et à un chantage.
Il s'en déduit que la stigmatisation en raison de l'état de santé n'est pas établie et que la mesure de licenciement prise par l'employeur est fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Confirmant le jugement entrepris, la cour en déduit que les demandes relatives à la discrimination et en nullité du licenciement doivent par conséquent être rejetées.
Sur le licenciement pour faute grave
Il résulte de l'article L.1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.
L'article L.1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Enfin, la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qui justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis ; la charge de la preuve pèse sur l'employeur.
En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, mentionne : "Nous vous avons convoqué à un entretien préalable pour le 15 juin 2022, en vue d'examiner la mesure de licenciement pour faute grave que nous envisagions à votre égard. Vous n'avez pas daigné vous présenter à cet entretien. Nous avons donc pris la décision de vous licencier pour faute grave pour les raisons suivantes.
Le mercredi 08 Juin 2022 aux alentours midi alors que votre contrat de travail est suspendu pour cause d'arrêt maladie, vous avez pris contact avec l'entreprise par téléphone afin de nous faire part de votre volonté de quitter votre emploi. Or, à plusieurs reprises et de manière énigmatique, vous avez sollicité "une bonne sortie". Devant notre incrédulité, vous nous avez en réalité menacé de divulguer et diffuser auprès des autorités compétente une vidéo soi-disant compromettante pour l'entreprise et souhaitiez donc monnayer votre silence. Abasourdis par votre démarche, nous vous avons proposé de vous rencontrer le 10 juin au matin. Vous nous avez à cette occasion confirmé être en possession d'une vidéo selon vous préjudiciable pour l'entreprise, sans toutefois nous la dévoiler, et avez exigé le versement de la somme extravagante de 30.000 euros en contrepartie de sa destruction et non divulgation.
Au regard du caractère tout à fait intolérable et nauséabond de votre proposition, nous avons immédiatement coupé court à cette discussion et avons logiquement déposé plainte à votre encontre dès le 11 juin 2022 auprès des services de gendarmerie de [Localité 5] pour tentative de chantage. Naturellement, cet acte de défiance profondément déloyal et gravissime, constitutif d'une infraction pénale, empêche votre maintien dans l'entreprise. Votre licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis, ni de licenciement et nous tenons dès à présent à votre disposition vos documents de fin de contrat".
L'employeur communique les pièces 4, 5, i et ii desquelles il résulte que le salarié a proféré des menaces et un chantage.
Les allégations du salarié concernant un stratagème de l'employeur ne sont corroborées par aucun élément.
La cour relève que la procédure de licenciement pour faute n'a pas été tardivement introduite puisque les faits se sont déroulés les 8 et 10 juin 2022, que la convocation à un éventuel licenciement a été adressée le 13 juin 2022 avec une mise à pied à titre conservatoire, le salarié ne s'étant pas, par la suite, présenté à l'entretien de licenciement.
La cour relève également que les développements de l'appelant relatifs à la transmission de la prolongation de l'arrêt de travail avant le 8 juin 2022 ne sont corroborés par aucune pièce et que la transmission tardive n'est pas visée dans la lettre de licenciement, de sorte qu'elle n'en constitue pas un motif.
La cour constate que les faits reprochés caractérisent la faute grave invoquée rendant impossible le maintien du salarié à son poste de travail.
La cour confirme le jugement ayant débouté M. [B] de ses demandes en lien avec un licenciement sans cause réelle, ni sérieuse.
Sur la procédure abusive
L'employeur, qui ne démontre pas un abus de droit du salarié dans l'introduction de la procédure prud'homale, doit être débouté de sa demande.
Le jugement est confirmé à ce titre.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Les dépens d'appel sont à la charge de M. [B], partie succombante.
Par application de l'article 700 du code de procédure civile, M. [B] est condamné à verser à la société A2Z DISTRIBUTION la somme de 800 € et est débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
REJETTE la demande de M. [B] de rejet des pièces 4, 5, i et ii communiquées par l'employeur,
CONDAMNE M. [B] à payer à la société A2Z DISTRIBUTION la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE M. [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [B] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de présidente, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,