CA Chambéry, 1re ch., 2 septembre 2025, n° 24/01164
CHAMBÉRY
Autre
Autre
MR/SL
N° Minute
[Immatriculation 5]/475
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 02 Septembre 2025
N° RG 24/01164 - N° Portalis DBVY-V-B7I-HRSA
Décision attaquée : Ordonnance du Président du TJ de [Localité 10] en date du 23 Juillet 2024
Appelants
M. [O] [U], demeurant [Adresse 6]
MUTUELLES ASSURANCES CORPS MEDICAL FRANCAIS (MACSF), dont le siège social est situé [Adresse 12]
Représentés par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentés par la SELARL CHOULET PERRON AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON
Intimés
OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDI CAUX (ONIAM), dont le siège social est situé [Adresse 3]
Représenté par la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représenté par la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocats plaidants au barreau de MARSEILLE
M. [X] [Y]
né le [Date naissance 4] 1991 à [Localité 11], demeurant [Adresse 7]
CPAM DE LA SAVOIE, dont le siège social est situé [Adresse 8]
Sans avocats constitués
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Date de l'ordonnance de clôture : 05 Mai 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 juin 2025
Date de mise à disposition : 02 septembre 2025
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Composition de la cour :
- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Faits et procédure
Le 8 août 2023, M. [X] [Y] a consulté le docteur [Y] [U], chirurgien digestif et viscéral, qui a l'a opéré le 18 août 2023 d'une hernie inguinale gauche.
A la suite de cette intervention, M. [X] [Y] a présenté un déficit moteur de la jambe gauche.
Par acte d'huissier du 7 mai 2024, M. [X] [Y] a assigné devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Chambéry la société Mutuelle Assurances Corps médical Français, l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux et la CPAM de la Savoie notamment aux fins de voir ordonner une expertise médicale.
Par ordonnance réputée contradictoire du 23 juillet 2024, la présidente du tribunal judicaire de Chambéry a notamment :
- Déclaré recevable l'intervention volontaire du M. [Y] [U] ;
- Ordonné une expertise et désigné pour y procéder : M. [P] [I], CHU - Service de chirurgie digestive et de l'urgence [Adresse 9], Tél : [XXXXXXXX02] - Fax : [XXXXXXXX01], Mèl : [Courriel 13]
Avec pour mission de :
- convoquer M. [X] [Y] avec toutes les parties en cause et en avisant leurs conseils,
- prendre connaissance de son dossier médical et des différents certificats médicaux,
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
- interroger le M. [Y] [U] et recueillir les observations contradictoires des parties,
- relater les constatations médicales faites à l'occasion ou à la suite de ce dommage et consignées dans les documents ci-dessus visés,
- examiner la victime,
- Dit que la présente décision est commune et opposable à la société Mutuelle Assurances Corps médical Français assureur du M. [Y] [U], à l'Office Nationale d'Indemnisation des Accidents Médicaux et à la CPAM de la Savoie,
- Dit que M. [X] [Y] conserve la charge des dépens de la présente instance.
Au visa principalement de ce que M. [X] [Y] justifie d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile.
Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 8 août 2024, M. [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français ont interjeté appel de la décision en ce qu'elle a :
- Donné mission à l'expert judiciaire désigné de :
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté.
La déclaration d'appel a été signifiées aux parties non constituées dans les délais, à la CPAM de Savoie le 11 octobre 2024, et à M. [X] [Y], le même jour, les deux parties ayant été touchées à personne.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 29 août 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM de la Savoie et M. [Y] par actes d'huissier du 23 septembre 2024, M. [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français sollicitent l'infirmation du chef critiqué de la décision et demande à la cour de :
- Confirmer l'ordonnance dont appel SAUF en ce qu'elle conditionne la transmission de pièces médicales à l'Expert judiciaire à l'accord de la partie demanderesse,
Et statuant à nouveau,
- Juger que le Docteur [U] sera autorisé à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que puisse lui être opposé le secret médical ;
- Statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de leurs prétentions, M. [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français font notamment valoir qu'interdire à M. [U] de pouvoir librement verser au débat contradictoire, dans le cadre des opérations d'expertise à venir, les pièces médicales nécessaires à la preuve de la qualité des soins dispensés heurterait les droits de la défense ainsi que le droit à un procès équitable.
Par dernières écritures du 20 septembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM de la Savoie et M. [Y] par actes d'huissier du 11 octobre 2024, l'ONIAM demande à la cour de :
- Recevoir l'ONIAM en ses écritures, les disant bien fondées ;
- Infirmer l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Chambéry en ce qu'elle a subordonné la production de pièces par les parties à l'autorisation de M. [Y] ;
Statuant de nouveau,
- Dire que les parties défenderesses pourront communiquer toutes pièces médicales relatives à l'accident et nécessaires à leur défense ;
- Condamner tout succombant à verser à l'ONIAM la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Rejeter toute autre demande.
Au soutien de ses prétentions, l'ONIAM fait notamment valoir que :
Le docteur [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français invoquent que cette disposition est contraire aux droits de la défense et au droit à un procès équitable ;
Il s'associe à la demande du docteur [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français.
M. [X] [Y] et la CPAM de Savoie n'ont pas comparu.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 5 mai 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 3 juin 2025.
Motifs de la décision
L'ordonnance entreprise du 7 mai 2024 est critiquée par les appelants uniquement en ce qu'elle a subordonné, dans les chefs de la mission confiée à l'expert, la communication des pièces médicales à l'accord préalable de la victime.
L'article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose :
'I.-Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.
L'article 4 du décret du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale, devenu l'article R. 4127-4 du Code de la santé publique, prévoit quant à lui que :
'Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris'.
La violation du secret médical se trouve par ailleurs pénalement incriminée à l'article 226-13 du code pénal.
Au visa de ces dispositions, il a ainsi été jugé que « le juge civil ne peut, en l'absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l'accord de la personne concernée ou de ses ayants droit , le secret médical constituant un empêchement légitime que l'établissement de santé a la faculté d'invoquer ;il appartient alors au juge saisi sur le fond d'apprécier, en présence de désaccord de la personne concernée ou de ses ayants droits, si celui-ci tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d'en tirer toute conséquence » (Cour de cassation, Civ 1ère, 7 décembre 2004, n°01-02.338).
De même, il a été jugé que l'assureur ne peut produire un document couvert par le secret médical (expertise médicale réalisée par l'un de ses médecins-conseils et d'un compte-rendu d'hospitalisation) intéressant le litige qu'à la condition que l'assuré ait renoncé au bénéfice de ce secret, et qu'il appartient au juge, en cas de difficulté, d'apprécier, au besoin après une mesure d'instruction, si l'opposition de l'assuré tend à faire respecter un intérêt légitime (Cour de cassation, Civ 2ème, 2 juin 2005, n°04-13. 509).
Il est constant qu'aucune disposition législative spécifique ne permet à un médecin dont la responsabilité est recherchée de communiquer dans le cadre d'une expertise judiciaire, sans l'accord de son patient, des informations couvertes par le secret médical.
Le caractère absolu du secret médical, qui est destiné à protéger les intérêts du patient, outre les dérogations qui y sont limitativement apportées par la loi, peut cependant entrer en conflit avec le principe d'égalité des armes consacré à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en vertu duquel une partie doit pouvoir être en mesure de faire la preuve des éléments essentiels pour l'exercice de ses droits et le succès de ses prétentions (voir notamment, pour une application de ces principes : Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 Mai 2007, n° 06-10.606, publié, cour d'appel de Paris, 17 février 2023, RG 22/10322, et cour d'appel de Paris, 19 janvier 2024, RG 23/13817).
De manière générale, il est jugé que 'le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi» (Cour de cassation,1ère Civ., 25 février 2016, n°15-12.403, publié).
Force est de constater qu'en l'espèce, le fait de soumettre la production de pièces médicales par le praticien, dont la responsabilité se trouve recherchée, à l'accord préalable de son patient, et ce alors que ces pièces peuvent s'avérer indispensables à la réalisation de la mesure d'instruction ordonnée, constitue une atteinte excessive et disproportionnée aux droits de la défense du docteur [U] et de son assureur, au regard des intérêts protégés par le secret médical, en ce qu'une des parties au litige peut ainsi se trouver empêchée, par l'autre, de produire spontanément les pièces nécessaires à l'exercice de ses droits.
Il convient d'observer, en outre, que l'expertise a été confiée à un médecin, et qu'elle constitue un élément de preuve essentiel dans le cadre du litige qui oppose les parties.
La Cour de cassation a ainsi jugé, que 'si le secret médical, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi et lui fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, une expertise médicale qui, en ce qu'elle ressortit à un domaine technique échappant à la connaissance des juges, est susceptible d'influencer leur appréciation des faits, constitue un élément de preuve essentiel qui doit pouvoir être débattu par les parties ; qu'il en résulte que le secret médical ne saurait être opposé à un médecin-expert appelé à éclairer le juge sur les conditions d'attribution d'une prestation sociale, ce praticien, lui-même tenu au respect de cette règle, ne pouvant communiquer les documents médicaux examinés par lui aux parties et ayant pour mission d'établir un rapport ne révélant que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées et excluant, hors de ces limites, ce qu'il a pu connaître à l'occasion de l'expertise' (Civ, 2ème, 22 novembre 2007, n°06-18.250, Bull. 2007, II, n° 261).
L'application de ces principes au litige doit nécessairement conduire la présente juridiction à infirmer l'ordonnance de référé du 23 juillet 2024 ce qu'elle a, dans la mission qui a été confiée au docteur [P] [I], conditionné la communication de pièces médicales à l'expert à l'accord préalable de M. [Y].
Statuant à nouveau de ce chef, il sera dit que l'expert pourra obtenir la communication de toutes pièces utiles à l'accomplissement de sa mission, et que le docteur [I] sera autorisé dans ce cadre à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que puisse lui être opposé le secret médical
Il sera dit, enfin, que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel. Enfin, l'équité ne commande pas d'accorder des sommes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, aucune partie ne succombant véritablement au fond.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Infirme l'ordonnance de référé du 23 juillet 2024 en ce qu'elle a donné notamment comme mission à l'expert judiciaire de 'se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté',
Et statuant à nouveau de ce chef,
Dit que l'expert aura pour mission de se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, sans que le secret médical de la victime ne puisse lui être opposé, en particulier le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
Dit que le docteur [I] sera autorisé à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que le secret médical de la victime ne puisse lui être opposé,
Confirme l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.
Arrêt réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe
de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 02 septembre 2025
à
la SELARL BOLLONJEON
la SELARL LX GRENOBLE-[Localité 10]
Copie exécutoire délivrée le 02 septembre 2025
à
la SELARL BOLLONJEON
la SELARL LX GRENOBLE-[Localité 10]
N° Minute
[Immatriculation 5]/475
COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 02 Septembre 2025
N° RG 24/01164 - N° Portalis DBVY-V-B7I-HRSA
Décision attaquée : Ordonnance du Président du TJ de [Localité 10] en date du 23 Juillet 2024
Appelants
M. [O] [U], demeurant [Adresse 6]
MUTUELLES ASSURANCES CORPS MEDICAL FRANCAIS (MACSF), dont le siège social est situé [Adresse 12]
Représentés par la SELARL BOLLONJEON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représentés par la SELARL CHOULET PERRON AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON
Intimés
OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDI CAUX (ONIAM), dont le siège social est situé [Adresse 3]
Représenté par la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représenté par la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocats plaidants au barreau de MARSEILLE
M. [X] [Y]
né le [Date naissance 4] 1991 à [Localité 11], demeurant [Adresse 7]
CPAM DE LA SAVOIE, dont le siège social est situé [Adresse 8]
Sans avocats constitués
-=-=-=-=-=-=-=-=-
Date de l'ordonnance de clôture : 05 Mai 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 juin 2025
Date de mise à disposition : 02 septembre 2025
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Composition de la cour :
- Mme Nathalie HACQUARD, Présidente,
- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,
avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,
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Faits et procédure
Le 8 août 2023, M. [X] [Y] a consulté le docteur [Y] [U], chirurgien digestif et viscéral, qui a l'a opéré le 18 août 2023 d'une hernie inguinale gauche.
A la suite de cette intervention, M. [X] [Y] a présenté un déficit moteur de la jambe gauche.
Par acte d'huissier du 7 mai 2024, M. [X] [Y] a assigné devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Chambéry la société Mutuelle Assurances Corps médical Français, l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux et la CPAM de la Savoie notamment aux fins de voir ordonner une expertise médicale.
Par ordonnance réputée contradictoire du 23 juillet 2024, la présidente du tribunal judicaire de Chambéry a notamment :
- Déclaré recevable l'intervention volontaire du M. [Y] [U] ;
- Ordonné une expertise et désigné pour y procéder : M. [P] [I], CHU - Service de chirurgie digestive et de l'urgence [Adresse 9], Tél : [XXXXXXXX02] - Fax : [XXXXXXXX01], Mèl : [Courriel 13]
Avec pour mission de :
- convoquer M. [X] [Y] avec toutes les parties en cause et en avisant leurs conseils,
- prendre connaissance de son dossier médical et des différents certificats médicaux,
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
- interroger le M. [Y] [U] et recueillir les observations contradictoires des parties,
- relater les constatations médicales faites à l'occasion ou à la suite de ce dommage et consignées dans les documents ci-dessus visés,
- examiner la victime,
- Dit que la présente décision est commune et opposable à la société Mutuelle Assurances Corps médical Français assureur du M. [Y] [U], à l'Office Nationale d'Indemnisation des Accidents Médicaux et à la CPAM de la Savoie,
- Dit que M. [X] [Y] conserve la charge des dépens de la présente instance.
Au visa principalement de ce que M. [X] [Y] justifie d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile.
Par déclaration au greffe de la cour d'appel du 8 août 2024, M. [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français ont interjeté appel de la décision en ce qu'elle a :
- Donné mission à l'expert judiciaire désigné de :
- se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté.
La déclaration d'appel a été signifiées aux parties non constituées dans les délais, à la CPAM de Savoie le 11 octobre 2024, et à M. [X] [Y], le même jour, les deux parties ayant été touchées à personne.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 29 août 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM de la Savoie et M. [Y] par actes d'huissier du 23 septembre 2024, M. [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français sollicitent l'infirmation du chef critiqué de la décision et demande à la cour de :
- Confirmer l'ordonnance dont appel SAUF en ce qu'elle conditionne la transmission de pièces médicales à l'Expert judiciaire à l'accord de la partie demanderesse,
Et statuant à nouveau,
- Juger que le Docteur [U] sera autorisé à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que puisse lui être opposé le secret médical ;
- Statuer ce que de droit sur les dépens.
Au soutien de leurs prétentions, M. [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français font notamment valoir qu'interdire à M. [U] de pouvoir librement verser au débat contradictoire, dans le cadre des opérations d'expertise à venir, les pièces médicales nécessaires à la preuve de la qualité des soins dispensés heurterait les droits de la défense ainsi que le droit à un procès équitable.
Par dernières écritures du 20 septembre 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la CPAM de la Savoie et M. [Y] par actes d'huissier du 11 octobre 2024, l'ONIAM demande à la cour de :
- Recevoir l'ONIAM en ses écritures, les disant bien fondées ;
- Infirmer l'ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Chambéry en ce qu'elle a subordonné la production de pièces par les parties à l'autorisation de M. [Y] ;
Statuant de nouveau,
- Dire que les parties défenderesses pourront communiquer toutes pièces médicales relatives à l'accident et nécessaires à leur défense ;
- Condamner tout succombant à verser à l'ONIAM la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Rejeter toute autre demande.
Au soutien de ses prétentions, l'ONIAM fait notamment valoir que :
Le docteur [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français invoquent que cette disposition est contraire aux droits de la défense et au droit à un procès équitable ;
Il s'associe à la demande du docteur [U] et la société Mutuelle Assurances Corps médical Français.
M. [X] [Y] et la CPAM de Savoie n'ont pas comparu.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance du 5 mai 2025 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 3 juin 2025.
Motifs de la décision
L'ordonnance entreprise du 7 mai 2024 est critiquée par les appelants uniquement en ce qu'elle a subordonné, dans les chefs de la mission confiée à l'expert, la communication des pièces médicales à l'accord préalable de la victime.
L'article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose :
'I.-Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.
L'article 4 du décret du 6 septembre 1995 portant Code de déontologie médicale, devenu l'article R. 4127-4 du Code de la santé publique, prévoit quant à lui que :
'Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris'.
La violation du secret médical se trouve par ailleurs pénalement incriminée à l'article 226-13 du code pénal.
Au visa de ces dispositions, il a ainsi été jugé que « le juge civil ne peut, en l'absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l'accord de la personne concernée ou de ses ayants droit , le secret médical constituant un empêchement légitime que l'établissement de santé a la faculté d'invoquer ;il appartient alors au juge saisi sur le fond d'apprécier, en présence de désaccord de la personne concernée ou de ses ayants droits, si celui-ci tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d'en tirer toute conséquence » (Cour de cassation, Civ 1ère, 7 décembre 2004, n°01-02.338).
De même, il a été jugé que l'assureur ne peut produire un document couvert par le secret médical (expertise médicale réalisée par l'un de ses médecins-conseils et d'un compte-rendu d'hospitalisation) intéressant le litige qu'à la condition que l'assuré ait renoncé au bénéfice de ce secret, et qu'il appartient au juge, en cas de difficulté, d'apprécier, au besoin après une mesure d'instruction, si l'opposition de l'assuré tend à faire respecter un intérêt légitime (Cour de cassation, Civ 2ème, 2 juin 2005, n°04-13. 509).
Il est constant qu'aucune disposition législative spécifique ne permet à un médecin dont la responsabilité est recherchée de communiquer dans le cadre d'une expertise judiciaire, sans l'accord de son patient, des informations couvertes par le secret médical.
Le caractère absolu du secret médical, qui est destiné à protéger les intérêts du patient, outre les dérogations qui y sont limitativement apportées par la loi, peut cependant entrer en conflit avec le principe d'égalité des armes consacré à l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en vertu duquel une partie doit pouvoir être en mesure de faire la preuve des éléments essentiels pour l'exercice de ses droits et le succès de ses prétentions (voir notamment, pour une application de ces principes : Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 Mai 2007, n° 06-10.606, publié, cour d'appel de Paris, 17 février 2023, RG 22/10322, et cour d'appel de Paris, 19 janvier 2024, RG 23/13817).
De manière générale, il est jugé que 'le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi» (Cour de cassation,1ère Civ., 25 février 2016, n°15-12.403, publié).
Force est de constater qu'en l'espèce, le fait de soumettre la production de pièces médicales par le praticien, dont la responsabilité se trouve recherchée, à l'accord préalable de son patient, et ce alors que ces pièces peuvent s'avérer indispensables à la réalisation de la mesure d'instruction ordonnée, constitue une atteinte excessive et disproportionnée aux droits de la défense du docteur [U] et de son assureur, au regard des intérêts protégés par le secret médical, en ce qu'une des parties au litige peut ainsi se trouver empêchée, par l'autre, de produire spontanément les pièces nécessaires à l'exercice de ses droits.
Il convient d'observer, en outre, que l'expertise a été confiée à un médecin, et qu'elle constitue un élément de preuve essentiel dans le cadre du litige qui oppose les parties.
La Cour de cassation a ainsi jugé, que 'si le secret médical, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi et lui fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, une expertise médicale qui, en ce qu'elle ressortit à un domaine technique échappant à la connaissance des juges, est susceptible d'influencer leur appréciation des faits, constitue un élément de preuve essentiel qui doit pouvoir être débattu par les parties ; qu'il en résulte que le secret médical ne saurait être opposé à un médecin-expert appelé à éclairer le juge sur les conditions d'attribution d'une prestation sociale, ce praticien, lui-même tenu au respect de cette règle, ne pouvant communiquer les documents médicaux examinés par lui aux parties et ayant pour mission d'établir un rapport ne révélant que les éléments de nature à apporter la réponse aux questions posées et excluant, hors de ces limites, ce qu'il a pu connaître à l'occasion de l'expertise' (Civ, 2ème, 22 novembre 2007, n°06-18.250, Bull. 2007, II, n° 261).
L'application de ces principes au litige doit nécessairement conduire la présente juridiction à infirmer l'ordonnance de référé du 23 juillet 2024 ce qu'elle a, dans la mission qui a été confiée au docteur [P] [I], conditionné la communication de pièces médicales à l'expert à l'accord préalable de M. [Y].
Statuant à nouveau de ce chef, il sera dit que l'expert pourra obtenir la communication de toutes pièces utiles à l'accomplissement de sa mission, et que le docteur [I] sera autorisé dans ce cadre à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que puisse lui être opposé le secret médical
Il sera dit, enfin, que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel. Enfin, l'équité ne commande pas d'accorder des sommes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, aucune partie ne succombant véritablement au fond.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,
Infirme l'ordonnance de référé du 23 juillet 2024 en ce qu'elle a donné notamment comme mission à l'expert judiciaire de 'se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, en particulier, et avec l'accord de la victime ou de ses ayants droits, le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté',
Et statuant à nouveau de ce chef,
Dit que l'expert aura pour mission de se faire communiquer par tout tiers détenteur, l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de la présente mission, sans que le secret médical de la victime ne puisse lui être opposé, en particulier le dossier médical complet (certificat médical initial descriptif, certificat de consolidation, bulletin d'hospitalisation, compte-rendu d'intervention, résultat des examens complémentaires, etc...) et les documents relatifs à l'état antérieur (anomalies congénitales, maladies ou séquelles d'accident) ainsi que le relevé des débours de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie ou de l'organisme social ayant servi des prestations sociales, sous réserve de nous en référer en cas de difficulté,
Dit que le docteur [I] sera autorisé à communiquer ou demander la communication de toutes pièces médicales strictement nécessaires à l'exercice de ses droits, sans que le secret médical de la victime ne puisse lui être opposé,
Confirme l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Laisse à chacune des parties la charge des dépens qu'elle a exposés en cause d'appel.
Arrêt réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe
de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Nathalie HACQUARD, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 02 septembre 2025
à
la SELARL BOLLONJEON
la SELARL LX GRENOBLE-[Localité 10]
Copie exécutoire délivrée le 02 septembre 2025
à
la SELARL BOLLONJEON
la SELARL LX GRENOBLE-[Localité 10]