Cass. 1re civ., 3 septembre 2025, n° 24-14.644
COUR DE CASSATION
Autre
Cassation
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 février 2024), au cours d'une information judiciaire ouverte contre M. [F] [X], gérant de la société Emporio capital, une somme correspondant au solde d'un compte bancaire ouvert au nom de la société Earthport PLC, a été saisie et remise à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
2. Par ordonnance du 20 février 2017, le juge d'instruction a prononcé la mainlevée de cette saisie et dit que les fonds seraient restitués à la société Earthport PLC au motif que ces avoirs n'appartenaient pas à la société dirigée par le mis en examen.
3. Par jugement du 18 octobre 2017, confirmé par arrêt du 19 décembre 2019, M. [F] [X] a été condamné pour escroqueries et blanchiment aggravés et la confiscation des biens saisis a été ordonnée.
4. Par jugement du 31 décembre 2021, rendu sur les intérêts civils, M. [F] [X] a été condamné à indemniser M. et Mme [J], M. [B], Mme [T], M. [U], et Mme [Z] (les consorts [J]).
5. Le 30 mai 2022, ceux-ci, estimant fautive la restitution des avoirs confisqués ordonnée le 20 février 2017, ont assigné l'Agent judiciaire de l'Etat (l'AJE) en responsabilité et indemnisation sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire.
6. L'AJE a opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription.
7. Par ordonnance du 27 mars 2023, le juge de la mise en état a retenu que l'action introduite le 30 mai 2022 était irrecevable comme prescrite. Les consorts [J] ont formé appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Les consorts [J] font grief à l'arrêt de déclarer leur action irrecevable comme prescrite, alors « que la prescription ne court pas contre le créancier qui ne peut agir ; que celui qui invoque un préjudice résultant de l'impossibilité de faire valoir son droit ne peut agir en responsabilité avant la naissance de ce droit ; qu'ainsi, la partie civile qui recherche la responsabilité de l'Etat en vue d'obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve, à raison d'une faute lourde qu'elle impute au service public de la justice, d'obtenir le règlement des dommages-intérêts qui lui ont été alloués par la juridiction correctionnelle, ne peut agir avant que la condamnation à dommages-intérêts n'ait été prononcée ; que, dès lors, la cour d'appel, qui a constaté que la décision sur intérêts civils allouant des indemnités aux parties civiles n'était intervenue que le 31 décembre 2021, ne pouvait juger que l'action des parties civiles en responsabilité du service public de la justice était prescrite depuis le 1er janvier 2022 ; qu'elle a ainsi violé les articles 1er et 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1er et 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat , les départements, les communes et les établissements publics :
9. Il résulte de ces textes que, dans le cas d'une action en responsabilité contre l'Etat au titre d'une faute ayant privé une victime de la possibilité de percevoir les dommages-intérêts qui lui ont été alloués, la prescription ne peut courir avant que la décision lui allouant ces dommages-intérêts ait été rendue et que la victime ait été ainsi en mesure d'agir.
10. Pour déclarer irrecevable l'action engagée par les consorts [J], l'arrêt retient que l'ordonnance de restitution du juge d'instruction du 20 février 2017 constitue le fait générateur de la créance indemnitaire, de sorte que le délai de prescription a commencé à courir le 1er janvier 2018 pour expirer le 31 décembre 2021, cette décision n'ayant pas à être notifiée à la partie civile qui n'est pas une partie intéressée au sens de l'article 99 du code de procédure pénale et qui peut en prendre connaissance en consultant le dossier pénal auquel elle a accès.
10. En statuant ainsi, alors que la décision sur les intérêts civils avait été rendue le 31 décembre 2021, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 février 2024, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Agent judiciaire de l'Etat et le condamne à payer à M. et Mme [J], M. [B], Mme [T], M. [U], et Mme [Z] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le trois septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.