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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 2 septembre 2025, n° 25/00682

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 25/00682

2 septembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4AF

Chambre commerciale 3-2

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 02 SEPTEMBRE 2025

N° RG 25/00682 - N° Portalis DBV3-V-B7J-W7T7

AFFAIRE :

S.A.R.L. HEUREUX A DOMICILE CHEVILLY-LARUE

C/

LE PROCUREUR GENERAL

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Janvier 2025 par le Tribunal des Activités Economiques de NANTERRE

N° Chambre : 7

N° RG : 2024P01593

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Maddy BOUDHAN

Me Monique TARDY

PG

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

APPELANT :

S.A.R.L. HEUREUX A DOMICILE prise en la personne de son gérant, Madame [B] [O]

Ayant son siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Maddy BOUDHAN,avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : J130 - N° du dossier E0008AN2

Plaidant : Me Elie SULTAN de la SELEURL ES AVOCAT, avocat au barreau de PARIS - vestiaire : E 1129

****************

INTIMES :

LE PROCUREUR GENERAL

POLE ECOFI - COUR D'APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 4]

[Localité 5]

SELARL HERBAUT-[G] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

prise en la personne de Maîte [V] [G] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société HEUREUX A DOMICILE et désigné à ses fonctions par jugement du Tribunal des Activités Economiques de Nanterre en date du 14 Janvier 2025

Ayant son siège

[Adresse 1]

[Adresse 9]

[Localité 7]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Représentant : Me Monique TARDY de l'ASSOCIATION AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - N° du dossier 006045 -

Plaidant : Me Sylvain PAILLOTIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0559

Organisme URSSAF ILE DE FRANCE

Ayant son siège

[Adresse 3]

[Localité 8]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

Défaillant - déclaration d'appel signifiée à personne habilitée

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Ronan GUERLOT, Président chargé du rapport, et Monsieur Cyril ROTH, président.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,

Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,

Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,

En la présence du Ministère Public, représenté par Madame Anne CHEVALIER, Avocat Général dont l'avis du 13 mai 2025 a été transmis le 16 mai 2025 au greffe par la voie électronique.

EXPOSE DU LITIGE

Le 12 décembre 2024, l'URSSAF d'Ile-de-France a assigné la SARLU Heureux à domicile devant le tribunal de commerce de Nanterre afin de voir ouvrir à son égard une procédure collective.

Le 14 janvier 2025, par jugement contradictoire, cette juridiction, devenue tribunal des activités économiques, a :

- ouvert la procédure de liquidation judiciaire de la société Heureux à domicile ;

- désigné la SELARL Herbaut-[G], mission conduite par Mme [G], liquidateur judiciaire ;

- fixé provisoirement au 15 juillet 2023 la date de cessation des paiements compte tenu des dettes sociales échues à cette date.

Le 23 janvier 2025, la société Heureux à domicile a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition.

Le 20 février 2025, le premier président de la cour d'appel de Versailles a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 14 janvier 2025.

Par dernières conclusions du 20 février 2025, la société Heureux à domicile demande à la cour de :

- débouter les demandes, fins et conclusions formées par l'URSSAF d'Ile de France et la société Herbaut-[G] ;

- infirmer le jugement du 14 janvier 2025 en toutes ses dispositions ;

Y faisant droit et jugeant à nouveau,

- constater qu'elle est en état de cessation des paiements mais qu'elle justifie de sérieuses perspectives de redressement ;

- infirmer le jugement du 14 janvier 2025 en toutes ses dispositions notamment en ce qu'elle est éligible à une procédure de redressement judiciaire ;

- ordonner l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son égard.

Par dernières conclusions du 18 mars 2025, la société Herbaut-[G] demande à la cour de :

- débouter la société Heureux à domicile, représentée par sa gérante agissant pour l'exercice d'un droit propre, de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- confirmer dans toutes ses dispositions le jugement du 14 janvier 2025 ;

- condamner la société Heureux à domicile à 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Heureux à domicile aux entiers dépens de l'instance.

La déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées à l'URSSAF d'Ile-de-France le 19 février 2025 par remise à personne habilitée. Celle-ci n'a pas constitué avocat.

Le 13 mai 2025, le ministère public a émis un avis tendant à ce que la cour confirme en tous points le jugement entrepris.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 16 juin 2025.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.

MOTIFS

La société Heureux à Domicile sollicite l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire estimant qu'elle dispose de sérieuses perspectives de redressement. Elle invoque notamment la perspective de l'entrée au capital d'un nouvel associé, l'engagement de la gérante de prendre en charge 400 000 euros de passif au moyen d'une avance en compte courant et la possibilité de recouvrer des factures pour un montant total de 817 988 euros.

Le liquidateur soutient que la liquidation judiciaire est justifiée, faute pour l'appelante, de démontrer de sérieuses perspectives de redressement. Pour cela, il évoque notamment l'absence de communication d'une comptabilité opportune, les arriérés de salaires, le passif déclaré qui s'élève à plus d'un million d'euros, l'absence de renflouement par Mme [O], dirigeante de la société, en dépit du solde largement créditeur de son compte bancaire, l'absence de contrats clients et le caractère douteux des factures communiquées par l'appelante.

Le ministère public estime que la lettre d'intention ne permettant pas de déterminer si la société Heureux à Domicile est en mesure de se redresser ; que l'apport en trésorerie de 400 000 euros est tardif, ce qui laisse planer le doute sur la volonté de Mme [O] ; que les factures présentent de nombreuses incohérences et que les pièces comptables n'ont pas été transmises ou de manière parcellaire.

Réponse de la cour,

Selon les articles L. 640-1 et L. 640-2 du code de commerce, la liquidation judiciaire est une procédure collective ouverte à toute personne morale exerçant une activité commerciale en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

1- Sur l'état de cessation des paiements

L'état de cessation des paiements n'est pas contesté.

2- Sur la possibilité d'un redressement

Il résulte de la " liste succincte - situation en cours " du 17 mars 2025 que le passif déclaré au titre de la liquidation judiciaire de la société Heureux à Domicile s'élève à 1 202 512,17 euros se décomposant comme suit :

- 537 188,69 euros à titre privilégié, dont 522 808,69 euros à titre échu ;

- 665 393,48 euros à titre chirographaire.

La société Heureux à Domicile a, elle-même, en sa pièce 16, fait état d'un passif de 919 907,19 euros. Toutefois, ce passif ne tient pas compte des arriérés de salaires qu'elle mentionne pourtant dans le tableau figurant dans sa pièce n° 3.

Pour démontrer que son redressement n'est pas manifestement impossible, l'appelante fait état des éléments suivants :

- La possibilité de réduire son passif par le recouvrement de factures ;

- La perspective d'un apport en compte courant d'associé de sa gérante à hauteur de 400 000 euros ;

- La perspective de l'entrée au capital d'un nouvel associé.

- Sur la possibilité de recouvrement de factures impayées et les perspectives de réalisation de nouvelles prestations de service

L'appelante fait valoir qu'elle doit recouvrer 817 988 euros de factures, " au cours des trois prochains mois ", auprès de la Ville de [Localité 11] et des départements des Hauts-de-Seine et de Seine-Denis.

Elle verse aux débats un tableau synthétique des factures à recouvrer ainsi que les seize factures non datées correspondantes dont il résulte qu'elles portent sur des prestations de service au profit de particuliers réalisées aux cours de différentes périodes entre janvier 2020 et décembre 2024.

Toutefois, comme le liquidateur l'indique dans ses écritures, plusieurs éléments permettent de douter de leur valeur probante, puisqu'elles comportent la même référence " [Localité 10]-01.07-0058 " et le même code client " HAD-CLT-00 " alors que les clients ne sont pas les mêmes.

En outre, elles ne sont corroborées par aucun autre élément, tel que la production des contrats clients.

L'appelante prétend que le long processus d'instruction des dossiers par les départements, jusqu'à 16 mois, explique le fait qu'elle facture en une seule fois une période de prestations ; que l'aide financière accordée couvre rétroactivement la période de prestations et que " ce recouvrement tardif " n'est pas un signe de mauvaise gestion mais simplement une conséquence des mécanismes de financement spécifiques aux services à la personne.

Toutefois, outre le fait que ces affirmations ne sont pas étayées par les organismes financeurs, la cour relève qu'à supposer que la facturation n'intervienne qu'à l'issue de la période de réalisation des prestations, certaines factures portent sur des prestations achevées en juillet 2023 (Mme [K]), en août 2023 ([U] [W], [U] [C], [H]), sans qu'il ne soit justifié d'aucune mesure de recouvrement auprès des départements, pas plus au demeurant, que pour les prestations achevées en décembre 2024. L'appelante peut difficilement s'abriter derrière le fait que les ressources des départements auraient été mobilisées par la Covid, la crise des gilets jaunes ou les Jeux olympiques pour justifier de sa carence dans le recouvrement de poste clients.

Ces éléments rendent très aléatoire l'engagement de l'appelante de recouvrer ses factures dans " les trois mois " et d'apurer rapidement son passif exigible.

En outre, la gérante admet dans un courriel du 30 janvier 2025 en réponse à une demande du liquidateur sur la possibilité de céder l'activité à un repreneur que " tous les contrats clients ont été résiliés du fait en raison de la cessation d'activité. Aucun service n'étant plus assuré, les clients ont naturellement mis un terme à leur engagement. Il n'y a plus aucun dossier actif à transmettre. " (pièce 16, liquidateur).

De surcroît, malgré les demandes du liquidateur, la gérante n'a communiqué aucun contrat en cours ou projets de nature à établir des perspectives d'activité pour l'appelante.

- Sur le paiement des frais de fonctionnement de la société au moyen du compte courant d'associé et la perspective d'un apport en compte courant

Madame [O], dirigeante de la société Heureux à Domicile, s'engage, dans une attestation du 20 janvier 2025, à procéder au règlement des frais de fonctionnement de cette dernière et à créditer le compte CARPA du conseil de la société Heureux à Domicile des sommes nécessaires au paiement d'une partie du passif.

Elle y précise que l'ensemble de ces règlements seront affectés à un compte courant d'associé qui ne sera pas bloqué, et qu'elle s'engage à ne pas solliciter le remboursement avant retour à meilleure fortune.

Elle verse aux débats un courrier daté du 12 février 2025 sollicitant l'autorisation du ministre des finances de la République du Cameroun de transférer l'équivalant de 400 000 euros de son compte ouvert dans les livres de United Bank for Africa (UBA) pour " renforcer la trésorerie de la société Heureux à Domicile " (pièce 6 bis, appelante). Elle verse également un avis de virement irrevocable signée et tamponnée par l'UBA libellé ainsi qu'il suit " Heureux à domicile / URSSAF Ile de France "; le compte à créditer étant le compte Carpa de l'appelante.

Toutefois, outre le fait qu'il n'est versé aux débats aucune convention de blocage conclue entre la société Heureux à Domicile et Mme [O] ou autorisation octroyée par le ministre des finances de la République du Cameroun, il n'est pas démontré que lesdits fonds ont effectivement été crédités sur le compte Carpa du conseil de la société Heureux à Domicile.

Par ailleurs, le liquidateur observe à juste titre que Mme [O], disposant d'environ 990 000 euros sur son compte bancaire personnel ouvert dans les livres de l'UBA au Cameroun au jour de l'ouverture de la procédure collective, aurait pu utiliser une partie de ces ressources pour apurer les dettes de sa société.

Ces éléments, au demeurant assez tardifs par rapport à la présente procédure, ne permettent pas de considérer que l'appelante disposerait de moyens financiers lui permettant d'assurer le maintien de son activité.

- Sur l'entrée au capital d'un nouvel associé

Une lettre d'intention des 15 et 17 janvier 2025 émanant de la société Halo Cameroun est également versée aux débats. Cette dernière s'engage à verser à la société Heureux à Domicile la somme de 350 000 euros en contrepartie d'une entrée à son capital, sous réserve de la validation d'un plan de poursuite d'activité.

Toutefois, cette lettre d'intention d'une entité étrangère sur laquelle aucun renseignement n'est donné, n'est pas étayée. La preuve de l'accomplissement de démarches administratives et bancaires auprès des institutions du Cameroun que la société Halo Cameroun annonce elle-même dans sa lettre in fine n'est pas rapportée

La cour relève que cette démarche de financement intervient tardivement comme la proposition financière de la gérante alors que l'état de cessation des paiements a été fixé le 15 juillet 2023, ce dont il résulte que les difficultés de la société Heureux à Domicile sont anciennes.

En outre, comme l'observe pertinemment le liquidateur, la société Heureux à Domicile n'a plus aucune activité et n'a plus de salariés, ces derniers ayant été licenciés à la suite du jugement de liquidation.

Le liquidateur judiciaire n'a identifié comme actif disponible qu'un solde bancaire créditeur de 3 282,42 euros.

Plus généralement, il résulte des pièces du dossier, notamment des échanges de courriels entre le liquidateur et la gérante (pièces 4 et suivantes du liquidateur) que celle-ci a été peu diligente dans la transmission des documents utiles au liquidateur ou dans la tenue rendez-vous avec ce-dernier.

Ces constatations interrogent sur la capacité de la gérante à poursuivre l'activité de la société, d'autant que le liquidateur a relevé plusieurs irrégularités de gestion outre le fait que, malgré ses demandes, la comptabilité ne lui a pas été communiquée en raison du décès du comptable localisé au Cameroun, selon les explications de la gérante.

Enfin, l'appelante produit une requête tendant au maintien de son activité (pièce 11) où elle présente peu ou prou des arguments équivalents à ceux présentés à hauteur de cour ainsi qu'une assignation devant le premier président (pièce 30) afin d'obtenir la suspension de l'exécution provisoire. Si elle ne verse pas aux débats les décisions, elle ne discute pas l'affirmation du liquidateur selon laquelle ces demandes ont été rejetées.

Il résulte de tout ce qui précède que le redressement de la société Heureux à Domicile est manifestement impossible, compte de l'absence de démonstration de perspectives de remboursement d'un passif important et de possibilités réelles de poursuite de son activité.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

3- Sur les demandes accessoires

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la demande de la SARL Herbaut-[G] sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, par arrêt réputé contradictoire,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SARL Herbaut-[G].

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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