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Décisions

CA Reims, ch.-1 civ. et com., 2 septembre 2025, n° 24/01759

REIMS

Arrêt

Autre

CA Reims n° 24/01759

2 septembre 2025

ARRET N°

du 02 septembre 2025

R.G : N° RG 24/01759 - N° Portalis DBVQ-V-B7I-FSHB

[E]

[E]

c/

S.A.R.L. GH INVENT

Société ZURICH INSURANCE EUROPE AG

Formule exécutoire le :

à :

la SELARL FOSSIER NOURDIN

la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-[Localité 9]

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 02 SEPTEMBRE 2025

APPELANTS :

d'une ordonnance rendue le 04 novembre 2024 par le Juge de la mise en état de [Localité 9]

Monsieur [R] [E]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Chéryl FOSSIER-VOGT de la SELARL FOSSIER NOURDIN, avocat au barreau de REIMS

Madame [W] [E]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Chéryl FOSSIER-VOGT de la SELARL FOSSIER NOURDIN, avocat au barreau de REIMS

INTIMEES :

S.A.R.L. GH INVENT agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Martin BOELLE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de REIMS, et Me Anne-Sophie PIA, avocat au barreau de PARIS

Société ZURICH INSURANCE EUROPE AG société de droit allemand immatriculée en Allemagne sous le numéro HRB 133359, et ayant un établissement secondaire immatriculée au registre du commerce et ses sociétés de Paris sous le numéro 484 373 295 et situe [Adresse 1] à Paris (75017), agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié audit établissement

[Adresse 8]

[Localité 6] - Allemagne

Représentée par Me Martin BOELLE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de REIMS, et Me Anne-Sophie PIA, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre

Mme Anne POZZO DI BORGO, conseiller

M. Kevin LECLERE VUE, conseiller

GREFFIER :

Mme Jocelyne DRAPIER, greffière, lors des débats, et Mme Lucie NICLOT, greffier, lors du prononcé.

DEBATS :

A l'audience publique du 03 juin 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 septembre 2025,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 02 septembre 2025 et signé par Mme Christina DIAS DA SILVA, présidente de chambre, et Mme Lucie NICLOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

EXPOSE DU LITIGE

Le 15 mars 2014, M. [R] [E], et son épouse, Mme [W] [E] ont conclu un mandat de recherche en placements ou de fonds privés avec la société GH Invent, conseiller en gestion de patrimoine.

Le 15 mai 2014, ils ont acquis des bulletins de souscription avec engagement de libération d'apport pour un montant de 150 000 euros et de 75 000 euros chacun, acquérant ainsi chacun 150 000 et 75 000 actions dans la société en commandite par actions [Adresse 7], ayant pour associé commandité unique la SAS Maranatha, le dispositif étant assorti d'une promesse de rachat d'actions par la SAS Maranatha.

Ils ont également signé une convention de compte courant par laquelle ils s'engageaient à verser chacun la somme de 100 000 euros et 50 000 euros à titre d'avance en compte courant d'associé, la convention stipulant que les avances en compte courant d'associé seraient remboursées par fractions annuelles de 5 ans mensualisables.

Par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 27 septembre 2017, la SAS Maranatha a été placée en redressement judiciaire.

La société [Adresse 7] a été dissoute le 12 décembre 2017 avec désignation d'un liquidateur amiable, ces modifications étant publiées au BODACC le 15 décembre 2017.

Les opérations de liquidation ont été clôturées le 12 décembre 2022, M. et Mme [E] percevant chacun la somme de 22 744,11 euros.

Par courrier du 24 avril 2023, ils ont, par l'intermédiaire de leur conseil, en vain, mis en demeure la société GH Invent et son assureur, la société Zurich Insurance Public Limited Company, de leur faire parvenir une proposition financière en compensation des manquements professionnels commis à l'occasion de la souscription au produit Maranatha.

Par exploits des 23 et 27 octobre 2023, ils ont fait assigner ces deux sociétés devant le tribunal judiciaire de Reims aux fins d'indemnisation de leur préjudice.

Par conclusions du 6 septembre 2024, ces deux sociétés ont saisi le juge de la mise en état d'un incident visant à voir déclarer irrecevable car prescrite l'action des demandeurs.

Par ordonnance du 4 novembre 2024 ce juge a':

- déclaré irrecevables comme prescrits M. et Mme [E],

- condamné ces derniers à payer aux sociétés GH Invent et Zurich Insurance la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles'et aux dépens,

- rappelé que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire.

Par déclarations des 26 et 27 novembre 2024, ils ont interjeté appel de cette décision.

Les dossiers, enrôlés sous les numéros RG 24-1759 et RG 24-1760, ont été joints par ordonnance du 10 décembre 2024.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par la voie électronique le 12 mai 2025, ils demandent à la cour de':

- infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- les déclarer recevables en leur action et demandes,

- débouter les sociétés défenderesses de leurs demandes,

- les condamner in solidum à leur payer la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de l'incident par-devant le juge de la mise en état et celle de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés hauteur d'appel ainsi qu'aux entiers dépens tant de l'incident que d'appel,

- renvoyer les parties et la cause devant le tribunal judiciaire de Reims statuant au fond.

Ils soutiennent que leur action n'est pas prescrite relevant que':

- la société GH Invent a commis divers manquements lors de la souscription du contrat et en cours d'exécution de sa prestation de conseil en investissements financiers, la société ayant continué de les assister postérieurement à cette souscription,

- le dommage qui en résulte est constitué par une perte de chance de ne pas souscrire l'investissement, dont ils n'ont pu connaître l'existence et mesurer l'étendue au jour de la conclusion du contrat,

- la liquidation amiable de la société [Adresse 7] qui ne suppose pas une défaillance de la société, ne leur a pas permis de concevoir qu'elle ne serait pas en mesure d'honorer ses engagements,

- ils n'ont découvert leur préjudice qu'à compter de la clôture des comptes, intervenue le 12 septembre 2022,

- le point de départ du délai de prescription doit être fixé à cette date, date d'information effective de la perte en capital,

- leur action a été introduite moins de cinq ans après cette date.

Aux termes de leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 mai 2025, les sociétés GH Invent et Zurich Insurance demandent à la cour de':

- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

en tout état de cause,

- débouter M. et Mme [E] de l'ensemble de leurs demandes,

- les condamner à leur payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens d'appel.

Elles font valoir que le point de départ de la prescription doit être fixé à la date des souscriptions litigieuses.

Subsidiairement, à supposer que les appelants ignoraient l'existence de leur dommage à cette date, elles affirment qu'ils ont eu nécessairement connaissance, dès septembre 2017, des difficultés financières rencontrées par la société Maranatha et, par là même, du défaut de rentabilité des investissements réalisés par l'intermédiaire de la société GH Invent.

Elles ajoutent que, au demeurant, ils ne pouvaient ignorer, à l'ouverture de la procédure collective de la société Maranatha que leur investissement était sérieusement compromis et que le risque de perte en capital était avéré.

Elles arguent enfin que les appelants ne démontrent pas avoir investi la société GH Invent d'une mission d'assistance patrimoniale et qu'elle était tenue d'une obligation de suivi de la réalisation de l'investissement de sorte qu'ils ne peuvent se prévaloir d'un report du point de départ de la prescription après novembre 2017.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 mai 2025 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 3 juin 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Il résulte de l'article 2224 du code civil que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le délai de prescription de l'action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Le préjudice lié à une mauvaise gestion ou à un manquement à l'obligation de conseil est considéré comme réalisé à la date où l'investisseur subit effectivement la perte financière.

Le dommage causé par un manquement au devoir d'information est une perte de chance de ne pas conclure. Si cette perte de chance prend effectivement naissance au moment de la souscription du contrat, elle ne se manifeste au contractant que le jour où le dommage se réalise.

Le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité'ne peut donc pas être fixé à la date de conclusion du contrat, puisque, à cette date, le souscripteur ignore les conséquences des manquements aux obligations d'information et de conseil qu'il dénonce.

En l'espèce, l'investissement en cause est présenté (pièce 1) comme une solution exclusive de placement à forte rentabilité grâce à la souscription au capital de sociétés non cotées. La rémunération de celui-ci est garantie à hauteur de 8 % net d'impôt pendant 7 ans, par remboursement de compte courant de l'actionnaire, avec promesse de rachat par le groupe Maranatha afin de protéger le capital de l'investisseur.

Le dommage invoqué par les appelants est constitué par la perte de chance de pouvoir se faire racheter les parts et de se faire rembourser les comptes courants dans la société.

Ce risque s'est manifesté par le placement en redressement judiciaire de la société Maranatha le 27 septembre 2017, date à laquelle il est ainsi apparu de façon manifeste que la société connaissait de graves difficultés et ne pourrait exécuter ses obligations, et qu'en conséquence les appelants allaient subir des pertes financières.

En effet, même si la situation n'était pas définitivement compromise par le redressement, il n'en demeure pas moins qu'à compter de cette date, elle ne pouvait plus procéder à des rachats d'actions, ce genre d'opérations étant interdite pendant un redressement judiciaire, les appelants étaient donc en mesure de savoir qu'il existait un risque important de perdre leur investissement.

Ils avaient d'ailleurs été alertés, aux termes de la convention de mission et d'honoraires régularisée le 15 novembre 2017 avec le cabinet Goethe avocats (pièce A 9 des intimées), «'sur le fait que la procédure collective engagée à l'encontre de la société Maranatha allait très probablement entraîner l'engagement d'une procédure collective à l'égard de tout ou partie des sociétés liés à cette société'» (') «'Or la mise en redressement de la société Maranatha et des sociétés liées ou détenus par elles, et plus généralement, les incertitudes relatives à l'avenir du groupe Maranatha affectent gravement l'investissement effectué par le client en remettant en cause ses objectifs et ses attentes. En effet, au regard des difficultés financières du groupe Maranatha, il est probable que celui-ci ne pourra poursuivre son activité que s'il est délié, à plus ou moins grande échelle, de ses différents engagements à l'égard du client, et plus généralement des différentes personnes ayant investi dans les opérations d'investissements mises en place par le groupe Maranatha. Le client a ainsi été alerté par son conseiller, des graves incertitudes pesant sur son investissement ».

Il y est en outre précisé que «'l'avocat a confirmé au client que les termes et objectifs de son investissement dans le cadre de l'opération évoquée ci-dessus étaient très probablement compromis'».

Au surplus, les remboursements des avances en compte-courant d'associés consenties à la société [Adresse 7], au titre de l'investissement souscrit ont cessé, selon les déclarations des appelants (pièce A 11), le 15 septembre 2017.

Dès lors, M. et Mme [E] ne peuvent valablement prétendre qu'ils ignoraient qu'à l'ouverture de la procédure collective de la société Maranatha en septembre 2017, leur investissement n'était pas sérieusement compromis et que le risque de perte de capital n'était pas avéré, celle-ci étant caractérisée à la date de cet événement.

Ils avaient donc jusqu'au 27 septembre 2022 pour agir en justice et à la date de délivrance de leur assignation, les 23 et 27 octobre 2023, leur action était prescrite.

L'ordonnance du juge de la mise en état est donc confirmée en toutes ses dispositions.

Les appelants, qui succombent en leur recours, sont condamnés aux dépens d'appel. Déboutés de leurs prétentions, ils ne peuvent prétendre à une indemnité au titre des frais de procédure.

L'équité commande d'allouer une somme de 2 000 euros aux sociétés GH invent et Zurich insurance sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés à hauteur d'appel.

Par ces motifs

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions';

y ajoutant,

Condamne Mme [W] [E] et M. [R] [E] aux dépens d'appel';

Condamne Mme [W] [E] et M. [R] [E] à payer aux sociétés GH invent et Zurich insurance public limited company la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

Les déboute de leur demande formée à ce titre.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE DE CHAMBRE

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