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Décisions

CA Reims, ch. 1 civ. et com., 2 septembre 2025, n° 24/01108

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

CDB1 (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dias da Silva

Conseillers :

Mme Pozzo di Borgo, M. Leclere Vue

Avocats :

Me Flory, Me Bour, Me Duterme, Me Rondot, SCP Kuhn

TJ Chalons-en-Champagne, du 15 mai 2024

15 mai 2024

EXPOSE DES FAITS

Mme [G] [X] était propriétaire d'un ensemble immobilier comprenant 8 appartements à usage d'habitation situé [Adresse 3] et [Adresse 5] à [Localité 8].

Par acte sous seing privé du 29 novembre 2017 préparé par Me [Z], notaire, Mme [X] a signé avec la SCI CDB1 un compromis de vente portant sur cet immeuble.

Le 31 janvier 2018 Mme [X] a donné à bail un des appartements de l'immeuble à Mme [V] [I].

Par acte authentique du 12 mars 2018 reçu par Me [Z], Mme [X] a vendu l'immeuble à la SCI CDB1 moyennant le prix de 385 000 euros.

La nuit du 13 juillet 2018 un incendie volontaire s'est déclaré dans l'immeuble au niveau de l'appartement loué à Mme [I]. M. [R], a été déclaré coupable de destruction du bien d'autrui commis dans la nuit du 13 au 14 juillet 2018 par jugement du tribunal correctionnel daté du 1er avril 2020. Par jugement sur intérêts civils du 9 décembre 2020 M. [R] a été déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables de l'infraction et condamné à payer à la SCI CDB1 la somme de 624 347,96 euros en réparation de son préjudice matériel.

Suivant exploits délivrés les 9 et 10 juillet 2020, la SCI CDB1 a fait assigner Mme [I], Mme [X], les assurances du Crédit Mutuel et Me [S] [Z] en responsabilité et indemnisation de son préjudice subi du fait de l'incendie.

Par jugement du 15 mai 2024, le tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a :

- débouté la SCI CDB1 de sa demande tendant à voir engager la responsabilité de Mme [I], celle de Mme [X] et celle de Mme [Z],

- débouté la SCI CDB1 de sa demande de condamnation de la société Assurances du Crédit Mutuel IARD à garantir toute condamnation prononcée à l'encontre de Mme [X],

- débouté la société Assurances du Crédit Mutuel IARD de sa demande de condamnation de la SCI CDB1 pour procédure abusive,

- condamné la SCI CDB1 aux dépens,

- condamné la SCI CDB1 à payer à Mme [X], à Me [Z] et à la SA Assurances du Crédit Mutuel IARD, chacune la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 8 juillet 2024 la SCI CDB1 a interjeté appel de cette décision, n'intimant que Mmes [I], [X] et [Z].

Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 2 mai 2025 elle demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le défaut d'assurance obligatoire de Mme [I] constituait une faute, que le défaut de vérification par Mme [X] de l'assurance de Mme [I] lors de la conclusion du contrat de bail avec cette dernière constituait une faute, que Me [Z] avait commis une faute en ne vérifiant pas l'existence d'une assurance obligatoire pour l'appartement de Mme [I] et que Mme [Z] n'apportait pas la preuve de la communication à la SCI CDB1 du défaut d'assurance obligatoire de Mme [I], constituant ainsi une faute,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes d'indemnisation aux motifs que la perte de chance subie par la SCI CDB1 n'aurait pu être indemnisée au regard du caractère fortuit de l'incendie,

- statuant à nouveau,

- juger que Mme [I], Mme [X] et Me [Z] ont chacune engagé leur responsabilité,

- en conséquence,

- condamner in solidum ou solidairement, ou l'une à défaut de l'autre, Me [Z], Mme [X] et Mme [I] à l'indemniser du préjudice subi à la suite de l'incendie soit la somme de 624 347,96 euros outre les intérêts au taux légal à compter de l'envoi de la mise en demeure du 7 novembre 2018,

- condamner in solidum ou solidairement, ou l'une à défaut de l'autre, Me [Z], Mme [X] et Mme [I] aux dépens et à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que Mme [I], locataire, est présumée responsable des conséquences de l'incendie faute pour elle de démontrer que l'incendie dans son logement a eu pour cause un cas fortuite, de force majeure ou un vice de construction ou encore qu'il aurait été communiqué par une maison voisine. Elle explique que le fait que M. [R] ait été condamné pénalement pour les faits de destruction par incendie ne constitue pas un obstacle à la condamnation de Mme [I] en raison de sa faute tenant à l'absence d'assurance, cette faute ayant concouru au dommage. Elle soutient que si Mme [I] avait été assurée son assureur aurait pris en charge les conséquences du sinistre de sorte que sa chance d'être indemnisée des conséquences du sinistre n'était pas nulle comme l'a considéré le tribunal.

Elle soutient que Mme [X] a commis une faute engageant sa responsabilité en ne réclamant pas l'attestation d'assurance à sa locataire et en ne l'informant pas de ce défaut alors qu'elle avait déjà signé le compromis de vente ; qu'elle a ainsi manqué à ses obligations d'information pré-contractuelles lui causant un lourd préjudice et a commis un dol par réticence dolosive en s'abstenant d'indiquer que Mme [I] n'avait pas souscrit d'assurance.

Elle ajoute que Mme [X] a manqué à son obligation de délivrance et qu'elle engage sa responsabilité au titre de la garantie des vices cachés ayant eu connaissance du défaut d'assurance de la locataire. Elle invoque encore la responsabilité de Mme [X] au titre de la garantie d'éviction, le défaut d'assurance ayant entravé la jouissance paisible de l'immeuble et dit que Mme [X] n'a pas non plus respecté son obligation de gérer le bien en bon père de famille comme elle s'y était engagée aux termes du compromis de vente.

Elle considère par ailleurs que le notaire engage sa responsabilité en raison de manquements à ses devoirs d'efficacité de l'acte et de conseils alors qu'il avait connaissance de l'absence d'assurance de Mme [I].

Elle indique que son préjudice subi du fait des fautes commises correspond à la non prise en charge par l'assurance des conséquences de l'incendie.

Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 9 mai 2025 Mme [X] demande à la cour de :

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- débouter la SCI CDB1 de toute ses demandes,

- à titre subsidiaire si la responsabilité était reportée sur Mme [I] pour le défaut d'assurance,

- juger que Mme [I], l'étude notariale, Me [Z] et la SCI CDB1 ont commis une faute ayant engagé chacune leur responsabilité,

- en conséquence condamner solidairement Mme [I], l'étude notariale, Me [Z] et la SCI CDB1 à indemniser en tout ou partie la SCI CDB1 du préjudice subi,

- plus subsidiairement si la cour retenait une part de responsabilité de Mme [X],

- condamner Mme [I] et Me [Z] solidairement à la garantir de toute condamnation qui pourrait intervenir à son encontre,

- en tout état de cause,

- condamner la SCI CDB1 à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- subsidiairement condamner tout succombant aux dépens et à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute ; qu'il n'est pas établi que l'information relative au défaut d'assurance de la locataire constituait un élément déterminant du consentement de la SCI CDB1 pour acheter l'immeuble ; que l'incendie a démarré dans les parties communes et c'est donc le défaut d'assurance des parties communes qui pose difficulté et par voie de conséquence la négligence de l'acquéreur à s'assurer alors que ce dernier ne peut se prévaloir de sa propre négligence.

Elle nie avoir commis une quelconque réticence dolosive dans le cadre de la vente de l'immeuble l'acquéreur ayant eu connaissance du défaut d'assurance de la locataire. Pour elle le moyen tiré d'un manquement à l'obligation de délivrance n'est pas fondé, l'immeuble vendu ayant bien les caractéristiques requises dans l'acte de vente et qu'il en est de même s'agissant de celui tiré de la garantie des vices cachés ou de la garantie d'éviction.

Elle dit avoir géré le bien en bon père de famille, les polices d'assurance qu'elle avait souscrites ayant continué plusieurs mois après la vente alors que l'acquéreur a été négligent dans la gestion locative en ne souscrivant pas une assurance de propriétaire.

Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 20 mars 2025, Mme [Z] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu qu'elle a commis une faute,

- juger qu'elle n'a commis aucune faute,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- y ajoutant en tant que de besoin,

- juger que la SCI CDB1 ne caractérise pas le lien de causalité qui doit nécessairement exister entre la faute invoquée et le préjudice allégué,

- juger que la société CDB1 ne caractérise son dommage ni dans son principe ni dans son quantum,

- débouter la SCI CDB1 de toutes ses demandes,

- débouter Mme [X] de toutes ses demandes,

- condamner la SCI CDB2 à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens sous le bénéfice de la distraction.

Elle fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute, l'acte de vente étant parfaitement efficace ; que le notaire qui n'est débiteur de ses conseils que pour la vente n'avait pas à s'assurer de la bonne exécution des obligations des locataires dans le cadre des baux, n'étant pas rédacteur de ces actes.

Elle ajoute que le dommage de l'appelante provient de la désinvolture dont elle a fait preuve pour assurer son bien.

Mme [I], assignée par exploit du 29 juillet 2024 déposé à étude, n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 mai 2025 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 3 juin 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Au vu de la déclaration d'appel et des conclusions des parties la cour n'est pas saisie des dispositions du jugement relatives à la société Assurances du Crédit Mutuel IARD laquelle n'a pas été intimée devant cette cour.

1 - sur la responsabilité de Mme [I]

Selon l'article 472 du code de procédure civile si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

L'article 7 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs entre propriétaires et locataires prévoit que le locataire est notamment obligé de s'assurer contre les risques dont il doit répondre en sa qualité de locataire et d'en justifier au bailleur.

En vertu de l'article 1733 du code civil le locataire répond de l'incendie, à moins qu'il ne prouve que l'incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.

Le locataire ne peut s'exonérer de la présomption de responsabilité édictée par ce texte qu'à la condition de rapporter la preuve directe et positive que l'incendie provient de l'une des causes qui y sont énumérées.

En l'espèce il ressort des pièces versées aux débats, et notamment le jugement rendu par le tribunal correctionnel le 1er avril 2020, que l'incendie survenu dans la nuit du 13 au 14 juillet 2018 a détruit l'intégralité du 3ème étage de l'immeuble situé [Adresse 3] et fortement dégradé l'immeuble situé [Adresse 5] à [Localité 8] appartenant à la SCI CDB1.

Les investigations techniques dans le cadre de l'enquête pénale ont permis de conclure qu'il s'agissait d'un incendie volontaire, ayant pris naissance dans l'appartement de Mme [I], deux départs de feu simultanés étant identifiés dont l'un se situait sur le canapé du salon et l'autre dans la chambre. Aucune trace d'effraction n'a été trouvée. Mme [I] a déclaré aux enquêteurs que son ancien compagnon, M. [R], l'avait menacée de brûler son appartement ; qu'elle avait quitté son appartement le 13 juillet 2018 vers 13 heures pour se rendre à [Localité 11] chez son nouveau petit ami et ce sans avoir verrouillé les portes de son appartement.

La SCI CDB1 est bien fondée à soutenir que dès lors que l'incendie est survenu dans les locaux loués à Mme [I], cette dernière doit répondre de cet incendie et de ses conséquences dommageables sur le fondement de l'article 1733 du code civil à moins qu'elle ne prouve que l'incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou vice de construction.

Or cette preuve n'est pas rapportée par Mme [I]. Au demeurant les éléments du dossier ne permettent pas de prouver que l'événement à l'origine de l'incendie était pour la locataire imprévisible et irrésistible alors par ailleurs qu'elle s'est rendue coupable de négligence en ne fermant pas à clé son logement lorsqu'elle l'a quitté, aucune trace d'effraction n'ayant été relevée par les enquêteurs, cette négligence étant en relation de causalité avec le dommage et l'empêchant de se prévaloir d'un cas de force majeure ou d'un cas fortuit.

De plus alors qu'elle a déclaré que M. [R] était son ancien compagnon l'enquête pénale a permis d'établir qu'elle était en fait en couple avec lui, le jugement rendu par le tribunal correctionnel le 1er avril 2020 condamnant M. [R] mentionnant qu' 'entendue comme témoin sous contrainte, [I] [V], de nouveau en couple avec [R] [A] proposait finalement une version mettant en cause un ex-petit-ami, [M] [P].' (pièce 3 page 9 de l'appelante).

L'appelante est de plus fondée à soutenir que sa locataire Mme [I] a commis une faute en n'assurant pas son logement, cette faute ayant concouru au dommage subi par la SCI CDB1.

Il s'ensuit que le jugement doit être infirmé en ce qu'il a débouté la SCI CDB1 de sa demande en réparation des conséquences dommageables du sinistre dirigée contre Mme [I], cette dernière étant condamnée à indemniser son bailleur desdites conséquences.

2 - sur la responsabilité de Mme [X]

- le défaut d'information et la réticence dolosive du vendeur

L'article 1112-1 du code civil dispose :

'Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.'

La SCI CDB1 reproche à Mme [X] de ne pas l'avoir informée de l'existence d'un bail consenti à Mme [I] ni du fait que cette dernière n'avait pas souscrit d'assurance locataire.

Le premier juge a aussi rappelé, à juste titre, les dispositions de l'article 1137 du code civil invoquées par la SCI CDB1, qui reproche encore à Mme [X] d'avoir fait preuve de réticence dolosive en ne l'informant pas que Mme [I] n'avait pas souscrit d'assurance locataire.

Le compromis de vente signé le 29 novembre 2017 entre les parties précise que les appartements composant l'ensemble immobilier vendu sont loués, l'identité des locataires étant précisément indiquée.

Il est constant que l'un des appartements a été loué, après la signature de ce compromis par Mme [X] à Mme [I] et il n'est justifié de l'existence d'aucun litige opposant le vendeur à l'un des locataires de l'immeuble lors de la signature de l'acte de vente, le simple fait qu'un locataire n'ait pas souscrit d'assurance contre les risques locatifs ne constituant pas en soi un litige contrairement aux affirmations de l'appelante.

La SCI CDB1 ne peut pas valablement soutenir ne pas avoir été informée du changement de locataire dès lors que l'acte authentique de vente du 12 mars 2018 ( pièce 2 de l'appelante) stipule en page 6 que 'l'acquéreur atteste avoir reçu une copie des baux dès la signature de l'avant contrat et en connaître les charges et conditions et notamment au moyen des explications fournies par le notaire. Il reconnaît avoir été informé par le vendeur du changement de locataire intervenu entre la date de signature de l'avant-contrat et ce jour ([T]-[J] et [B]-[I]) et n'avoir émis aucune objection à ce sujet'.

Par ailleurs l'appelante ne produit aucun élément permettant d'établir que la question de l'existence d'une assurance souscrite par chacun des locataires était déterminante de son consentement à l'achat de l'immeuble. Dès lors aucun manquement à son devoir d'information ne peut être reproché au vendeur.

Ainsi qu'il résulte des développements précédents l'appelante n'établit pas que la question de l'assurance des locataires constituait une information dont Mme [X] connaissait le caractère déterminant pour la société CDB1 d'acheter son immeuble.

De plus Mme [X] produit aux débats une attestation émanant de Mme [I] ( sa pièce 10) aux termes de laquelle celle-ci certifie sur l'honneur avoir informé Mme [F], gérante de la SCI CDB1, du fait qu'elle n'était pas assurée pour le logement qu'elle venait de louer et que cette dernière 'n'est pas revenu vers moi concernant ma non assurance'.

Vainement l'appelante demande de rejeter toute valeur probante à cette attestation puisqu'elle est parfaitement conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et qu'il n'est produit aucune pièce permettant de considérer qu'il s'agit d'une attestation de pure complaisance. En effet Mme [I] y a écrit de sa main que cette attestation est établie en vue de sa production en justice et qu'elle a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales. Or il n'est justifié ni même allégué d'une quelconque action engagée par l'appelante pour fausse attestation.

Il s'ensuit qu'aucune réticence dolosive ne peut être reprochée à Mme [X] commise au préjudice de la SCI CDB1.

- sur l'obligation de délivrance et la garantie des vices cachés

En application des dispositions prévues par l'article 1603 du code civil le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend.

L'article 1615 précise que l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.

Selon l'article 1641 du même code le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

La non conformité de la chose aux spécifications convenues entre les parties relève de l'inexécution de l'obligation de délivrance et la non conformité de la chose à sa destination normale relève de la garantie des vices cachés.

En l'espèce la SCI CDB1 échoue à rapporter la preuve d'un quelconque manquement de Mme [X] à son obligation de délivrance, l'immeuble qui lui a été livré était dans l'état dans lequel il se trouvait au moment du compromis de vente, le changement de locataire d'un des appartement le composant ne pouvait être constitutif d'un défaut de délivrance puisque les parties ont précisé dans l'acte authentique de vente l'existence de ce changement de locataire et le fait que l'acquéreur n'a 'émis aucune objection à ce sujet' (page 6 de l'acte).

S'agissant de la garantie des vices cachés également invoquée par l'appelante, force est de constater que celle-ci ne prouve que l'immeuble qui lui a été vendu était affecté d'un vice caché, celle-ci ayant eu connaissance de l'absence d'assurance habitation souscrite par l'un des locataires. Au demeurant l'absence d'assurance par un locataire ne rend pas l'immeuble impropre à sa destination.

Dès lors les demandes de la SCI CDB1 fondées sur le défaut de délivrance conforme et la garantie des vices cachés ne peuvent prospérer.

- sur la garantie d'éviction

La SCI CDB1 invoque encore la garantie d'éviction et soutient que le défaut d'assurance a entravé la jouissance paisible de l'immeuble qui n'a pu faire l'objet d'une prise en charge par l'assurance.

En application des dispositions prévues par les articles 1626 et suivants du code civil, le vendeur est tenu d'assurer à l'acquéreur la possession paisible de la chose vendue après la délivrance de celle-ci.

Cette garantie vise à assurer à l'acheteur la possession paisible de la chose vendue après la délivrance de celle-ci. Elle se décompose en deux garanties distinctes. En premier lieu, le vendeur ne doit pas porter lui-même atteinte à la possession paisible de l'acheteur . En second lieu, le vendeur doit protéger l'acheteur contre les atteintes émanant de tiers.

En l'espèce il n'est justifié d'aucune atteinte commise par Mme [X] ou par des tiers à la jouissance paisible des lieux vendus à la SCI CDB1, le défaut d'assurance invoqué par cette dernière n'ayant nullement entravé la jouissance paisible de l'immeuble et ne pouvant constituer une quelconque remise en cause de la propriété des lieux. Ce fondement ne peut donc être retenu pour accueillir les demandes de la SCI CDB1 dirigées contre Mme [X].

- sur la bonne gestion du bien

La SCI CDB1 soutient que Mme [X] n'a pas respecté son obligation de gérer le bien 'raisonnablement' en 'bon père de famille' au cours de la période intermédiaire, soit entre le compromis de vente et l'acte définitif, n'ayant pas exigé l'attestation d'assurance de sa locataire. Elle explique qu'un propriétaire bailleur raisonnable est tenu de vérifier que son locataire est assuré et de mettre en oeuvre les voies de recours contre le locataire si celui-ci n'est pas assuré.

Ainsi que l'indique à juste titre le premier juge le compromis de vente stipule que Mme [X] avait pour obligation jusqu'à la signature de l'acte authentique de laisser dans l'immeuble vendu ce qui est immeuble par destination et de ne pas apporter de modification et de livrer l'immeuble dans son état actuel, de conserver les assurances, d'entretenir l'immeuble et de réparer les dégâts éventuels. Il n'a été mis à sa charge aucune obligation relativement à la gestion de l'immeuble.

Malgré cela Mme [X] justifie qu'elle était, entre le compromis de vente et l'acte définitif, titulaire de deux polices d'assurance souscrites l'une en qualité de propriétaire non occupant l'une couvrant le risque incendie et la responsabilité civile du propriétaire et l'autre en qualité de bailleur, ces polices d'assurances ayant été maintenues plusieurs mois après la signature de l'acte authentique de vente.

Il s'ensuit que les demandes de la SCI CDB1 ne peuvent pas non plus prospérer sur ce fondement.

- sur le défaut de vérification d'assurance

La SCI CDB1 invoque subsidiairement le défaut de vérification de l'assurance du locataire par Mme [X] en sa qualité de bailleresse. Elle explique que ce défaut constitue une faute et qu'en application de l'article 1240 du code civil elle doit l'indemniser de son préjudice.

Ainsi que lui répond à juste titre Mme [X], l'appelante se fonde sur les mêmes obligations développées dans le cadre de la responsabilité contractuelle, à savoir le défaut d'assurance de la locataire Mme [I], pour former subsidiairement une demande sur le fondement de la responsabilité délictuelle. En raison de la règle du non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, son action fondée sur l'article 1240 du code civil ne peut pas prospérer.

Au demeurant aucune faute ne peut être reprochée à Mme [X] dès lors qu'il ressort des développements précédents que Mme [I] avait informé la gérante de la SCI CDB1 du fait qu'elle n'était pas assurée en sa qualité de locataire.

Dès lors le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la SCI CDB1 de ses demandes dirigées contre Mme [X].

3 - sur la responsabilité du notaire

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En application de ce texte le notaire engage sa responsabilité en cas de méconnaissance de ses obligations liées à ses deux missions fondamentales d'une part d'exigence d'efficacité de l'acte auquel il participe et d'autre part d'information et de conseil à l'égard des parties à l'acte auquel il prête son concours.

En l'espèce l'appelante ne peut valablement soutenir que l'acte authentique du 12 mars 2018 reçu par Me [Z] manquerait d'efficacité, celui-ci n'étant pas remis en cause et aucun moyen de nullité n'étant invoqué à son encontre, la qualité de propriétaire de la SCI CDB1 relativement à l'immeuble vendu n'étant pas contestée.

Ainsi que l'indique à juste titre Me [Z] il pèse effectivement sur le notaire qui instrumente une vente d'immeuble neuf ou un prêt une obligation de vérifier que les parties à ces actes sont effectivement assurés. En revanche il ne lui appartenait pas de vérifier que les locataires de Mme [X], venderesse, était assurés, ces derniers n'étant pas parties à l'acte reçu par le notaire, lesdits locataires n'étant pas concernés directement par l'acte de vente. L'obligation pour les locataires de souscrire une assurance habitation découle de leurs obligations nées des baux d'habitation qu'ils avaient souscrit et auxquels Me [Z] n'a pas participé.

D'ailleurs Me [Z] a pris soin de détailler la situation locative de l'immeuble et baux qui avaient été consentis sur les différents lots, la gérante de l'acquéreur attestant dans l'acte avoir eu copie des baux ainsi que de leurs charges et conditions. De plus ainsi qu'il résulte des développements précédents l'acquéreur a été informé du fait que Me [I] n'avait pas encore souscrit d'assurance locataire, la SCI CDB1 ayant dans l'acte authentique en page 6 attesté 'avoir eu une copie des baux dès la signature de l'avant contrat et en connaître les charges et conditions notamment au moyen des explication fournies par le notaire', précisant qu'il reconnaissait aussi 'avoir été informé par le vendeur du changement de locataire intervenu entre la date de signature de l'avant contrat et ce jour et n'avoir émis aucune objection à ce sujet'.

Me [Z] a également satisfait à son obligation d'information et de conseil envers l'acquéreur lui rappelant dans l'acte en pages 6 et 7 les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 relatives aux conditions dans lesquelles le bailleur pouvait donner congé alors même qu'elle n'était ni la rédactrice des baux d'habitation ni même le service gestionnaire de ceux-ci.

Aucune faute ne peut donc être reprochée à Me [Z].

En tout état de cause il n'existe aucun lien de causalité entre le manquement du notaire invoqué mais non établi par l'appelante, et le dommage dont elle se prévaut à l'appui de ses demandes indemnitaires. En effet l'acte de vente stipule en page 14 que 'l'acquéreur ne continuera pas les polices d'assurance actuelles garantissant le bien et confère à cet effet mandat au vendeur, qui accepte, de résilier les contrats lorsqu'il avertira son assureur de la réalisation des présentes'. Or la SCI CDB1 n'a souscrit aucune assurance permettant de couvrir un sinistre résultant de la dégradation intentionnelle des lieux alors que le vendeur était assuré à ce titre et a fait perdurer ses assurances de propriétaires durant deux mois après la signature de l'acte authentique de vente. Elle n'a pas non plus mis en demeure Mme [I] de satisfaire à son obligation d'assurance ni engagé d'action en résiliation du bail pour manquement de la locataire à ses obligations nées du bail alors qu'elle avait été informé de la carence de cette dernière sur ce point.

Il s'ensuit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SCI CDB1 dirigées à l'encontre du notaire.

4 - sur le préjudice de la SCI CDB1

Mme [I] est condamnée à indemniser la SCI CDB1 des conséquences dommageables du sinistre survenu le 13 juillet 2018 dans les lieux loués par elle.

L'appelant produit le rapport d'expertise judiciaire du 23 juillet 2018 établi à la suite de l'ordonnance de référé rendue le 19 juillet 2018 par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne à la demande de la commune du même nom pour l'examen des désordres sur l'immeuble en péril par suite de l'incendie. L'expert conclut que par suite de l'incendie survenu le 13 juillet 2018 l'immeuble est pour celui situé [Adresse 3] est 'réellement en péril grave et imminent' et celui situé [Adresse 5] est en état de péril ordinaire. La couverture du [Adresse 3] est totalement détruite et compte tenu de l'état de dégradation important suite aux projections d'eau pour éteindre l'incendie la rénovation sera une rénovation importante pour pouvoir rendre l'immeuble habitable.

Elle produit aussi les factures correspondant aux mesures conservatoires et de mise en sécurité qu'elle a mis en place à la suite de l'incendie.

Elle justifie d'un préjudice lié aux mesures de reconstruction pour un montant de 523 942,31 euros par la production aux débats des factures y afférentes.

Elle invoque également un préjudice lié au pertes de recettes locatives. Il est établi ( ses pièces 11et 22) qu'elle a subi un préjudice à ce titre depuis le mois d'août 2018 jusqu'à la mainlevée de l'arrêté de péril et la re-location des logements qui n'est intervenue qu'à compter du mois d'août 2020.

Au vu de l'ensemble de ces éléments son préjudice en lien de causalité directe avec l'incendie survenu dans le logement loué à Mme [I] s'élève à la somme totale de 624 347,96 euros. Mme [I] est donc condamnée à lui verser cette somme laquelle portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement de première instance soit le 15 mai 2024 conformément aux dispositions prévues par l'article 1231-7 du code civil.

5 - sur les frais de procédure et les dépens

Mme [I] qui succombe à l'encontre de la SCI CDB1, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers sous le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile. Le jugement est infirmé s'agissant des dépens de première instance.

L'équité commande de laisser la SCI CDB1 supporter les frais de procédure exposés tant en première instance qu'en appel.

La SCI CDB1, qui succombe en ses prétentions dirigées à l'encontre de Mmes [X] et [Z], doit être condamnée à leur verser une indemnité de procédure selon les modalités fixées au dispositif de la présente décision, le jugement étant confirmé s'agissant des sommes allouées à ces personnes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin la SCI CDB1 demande à la cour de dire que l'arrêt à intervenir est de droit exécutoire à titre provisoire. Il n'y a pas lieu de prononcer l'exécution provisoire du présent arrêt, la décision de la cour d'appel étant exécutoire de plein droit, en l'absence d'effet suspensif de tout recours.

Par ces motifs

La cour, statuant par arrêt de défaut, dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a débouté la SCI CDB1 de sa demande tendant à voir engager la responsabilité de Mme [I] et en ce qu'il a condamné la SCI CDB1 aux dépens de première instance ;

Statuant à nouveau de ces deux chefs infirmés et y ajoutant ;

Dit que Mme [I] doit indemniser la SCI CDB1 des conséquences dommageables du sinistre survenu le 13 juillet 2018 dans les lieux qui lui ont été donnés à bail d'habitation ;

Condamne Mme [I] à payer à la SCI CDB1 la somme de 624 347,96 euros outre intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2024 ;

Condamne Mme [I] aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI CDB1 à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SCI CDB1 à payer à Mme [Z] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SCI CDB1 de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile tant pour la procédure de première instance que pour celle d'appel.

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