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CA Paris, ch. 1-5dp, 1 septembre 2025, n° 23/06901

PARIS

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CA Paris n° 23/06901

1 septembre 2025

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 01 Septembre 2025

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/06901 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHOOG

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Michelle NOMO, Greffière, lors des débats et de Victoria RENARD, greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 17 Avril 2023 par Monsieur [P] [V] né le [Date naissance 1] 1997 à [Localité 4] (MAROC), élisant domicile chez son avocat Me Yann [F] - [Adresse 2] ;

Non comparant

Représenté par Maître Yann LE BRAS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Maître Félix PELLOUX, avocat au barreau de PARIS

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 20 Janvier 2025 ;

Entendu Maître Félix PELLOUX représentant Monsieur [P] [V],

Entendu Maître Ivan TOUATI, avocat au barreau de PARIS, substituant Maître Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Madame Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [P] [V], né le [Date naissance 1] 1997, de nationalité marocaine, a été mis en examen du chef de complicité d'assassinat commis en bande organisée le 23 janvier 2020 par un juge d'instruction du tribunal judiciaire de Bobigny puis placé en détention provisoire par un juge des libertés et de la détention de la même juridiction le même jour à la maison d'arrêt de [6].

Par ordonnance du 31 août 2021, le magistrat instructeur a ordonné la mise en accusation du requérant devant la cour d'assises du chef précité et cette décision a été confirmée par arrêt du 16 décembre 201 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.

Par arrêt du 07 octobre 2022, la cour d'assises de Seine-Saint-Denis a acquitté M. [V] du chef de complicité d'assassinat commis en bande organisée et l'a condamné du chef de recel de malfaiteur en récidive légale à la peine de deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l'épreuve pendant deux ans et cette décision est définitive à son égard comme en atteste le certificat de non-appel produit aux débats en date du 03 novembre 2022.

Le 17 avril 2023, M. [V] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire en application de l'article 149 du code de procédure pénale et sollicite dans celle-ci, de :

Déclarer M. [V] recevable en sa requête aux fins d'indemnisation de détention provisoire injustifiée ;

Allouer à M. [V] une indemnité d'un montant total de 143 800 euros, décomposée de la manière suivante :

Au titre du préjudice matériel ;

Perte de chance d'exercer une activité rémunérée 39 330 euros ;

Frais de défense 4 500 euros ;

Au titre du préjudice moral : 100 000 euros.

Dans ses conclusions en réponse n°2 déposées le 29 avril 2025 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoiries, M. [V] a maintenu ses demandes et a sollicité la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA et déposées le 10 janvier 2025, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :

Déclarer irrecevable la requête déposée par M. [V] ;

Condamner M. [V] à payer à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Ministre Public a déposé des conclusions le 28 novembre 2024 qu'il a soutenues oralement à l'audience de plaidoiries et conclut :

A l'irrecevabilité de la requête de M. [V].

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.

En l'espèce, M. [V] a présenté sa requête en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire le 17 avril 2023, soit dans le délai de six mois suivant le jour où la décision d'acquittement de la cour d'assises de Seine-Saint-Denis est devenue définitive. Cette décision a bien été produit aux débats. Cette requête contenant l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que le certificat de non-appel produit aux débats en date du 03 novembre 2022, est signée par son avocat et la décision de relaxe n'est pas fondée sur un des cas d'exclusions visé à l'article 149 du code de procédure pénale.

Il y a lieu de noter que selon la fiche de questions de la décision de la cour d'assises de Seine-Saint-Denis du 07 octobre 2022, il est indiqué que l'accusé [P] a été déclaré non coupable du crime de complicité de meurtre et coupable du délit de fourniture de moyens au meurtrier de se soustraire aux recherches ou à l'arrestation. C'est ainsi que le requérant a bien été acquitté du chef du crime qui lui était reproché. La mention contraire figurant sur le bulletin n°1 du casier judiciaire du requérant a d'ailleurs été rectifiée 28 avril 2025 et n'y figure désormais plus.

Ayant été condamné pour un délit connexe de recel de malfaiteurs, prévu et punis par les articles 434-6 et 434-44 du code pénal, la peine encourue était de 3 ans d'emprisonnement. Dans ces conditions, sur le fondement de l'article 145-1 du code de procédure pénale, en matière correctionnelle, la détention provisoire ne peut excéder 4 mois si peine encourue est inférieure ou égale à 5 ans, ce qui est le cas en l'espèce.

Or, M. [V]a été placé en détention provisoire pendant une durée de 2 ans, 4 mois et 15 jours. De cette durée, il convient de retrancher la peine d'un an d'emprisonnement ferme à laquelle a été condamné M. [V] le 07 décembre 2022 pour le délit connexe. C'est ainsi qu'il a été détenu provisoirement de manière injustifiée pendant un an 4 mois et 15 jours.

Par conséquent, la requête du requérant est recevable pour une durée de détention de 500 jours.

Sur l'indemnisation

Sur le préjudice moral

Le requérant soutient qu'il s'agissait de sa première incarcération car il n'avait jamais été condamné auparavant à une peine d'emprisonnement ferme. Il avait par ailleurs toujours contesté son implication et clamé son innocence. En raison de son incarcération, il n'a pas pu être présent auprès de sa mère alors que celle-ci était malade et handicapée et avait particulièrement besoin de lui qui représentait un soutien moral et physique essentiel pour elle.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, M. [V] sollicite une indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 100 000 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat et le Ministère Public estiment que la requête est irrecevable et n'ont pas présenté d'observations sur le préjudice moral du requérant.

Il ressort des pièces produites aux débats qu'au moment de son incarcération M. [V] était âgé de 22 ans, était célibataire et sans enfants. Par ailleurs, les bulletins numéro 1 de son casier judiciaire français porte trace de 4 condamnations entre octobre 2015janvier 2018, mais aucune peine d'emprisonnement ferme et aucune incarcération. C'est ainsi que le choc carcéral initial de M. [V] a été important.

La durée de la détention provisoire, soit 500 jours, qui est particulièrement importante, sera prise en compte.

Le sentiment d'injustice d'être accusé à tort et de ne pas être cru est lié à la procédure pénale et non au placement en détention provisoire. Cet élément ne peut pas être pris en compte.

Concernant la séparation familiale d'avec sa mère dont il est démontré qu'elle était malade et handicapée constitue un facteur d'aggravation du préjudice moral du requérant et sera retenue.

Au vu de ces différents éléments, il sera alloué une somme de 40 000 euros à M. [V] en réparation de son préjudice moral.

Sur le préjudice matériel

Sur la perte de revenus

M. [V] indique qu'il a toujours travaillé avant son incarcération notamment en qualité de chauffeur-livreur jusqu'en juillet 2018. Au jour de son placement en détention provisoire, il était gérant non salarié de la société [5]. Il a ainsi perdu une chance durant sa détention d'exercer une activité rémunérée sur la base d'un salaire mensuel net de 1 380 euros qu'il percevait auparavant. C'est ainsi qu'il sollicite l'allocation d'une somme de 39 330 euros au titre de cette perte de chance.

L'agent judiciaire de l'Etat et le Ministère Public estiment que la requête est irrecevable et ne présentent pas d'observations subsidiaire sur les demandes indemnitaires.

En, l'espèce, il ressort des pièces produites aux débats que M. [V] a travaillé notamment en qualité de chauffeur-livreur au sein de la société [3] entre septembre 2018 et août 2019 pur un salaire net mensuel de 1 380 euros. Il n'a plus travaillé entre septembre 2019 et le 23 janvier 2020, date à laquelle il a été placé en détention provisoire. C'est ainsi qu'il n'a eu aucune perte de revenus. Mais peut-on, considérer qu'il a eu une perte de chance d'exercer une activité professionnelle durant la période où il a été en détention provisoire ' M. [V]n ne travaillait plus depuis 6 mois et était depuis le 23 juillet 2019 gérant non salarié de la Sal [5] qui avait pour activité la vente et la location de véhicules automobiles. Par le passé, le requérant a travaillé de manière épisodique, avec des écarts de plusieurs mois entre chacun de ses emplois, de sorte que la perte de chance alléguée ne parait pas sérieuse au sens de la jurisprudence.

Dans ces conditions, sa demande indemnitaire sera rejetée.

Sur les frais d'avocats liés à la détention

M. [V] sollicite l'indemnisation des honoraires qu'il a versé à son conseil au titre des frais de défense en lien avec le contentieux de la détention. Cela correspond à 4 500 euros TTC pour de très nombreuses visites au parloir de la maison d'arrêt, trois demandes de mise en liberté, leur soutien devant le JLD puis devant la chambre de l'instruction, rédaction de conclusions aux fins de mise en liberté. C'est ainsi qu'il sollicite la somme de 4 500 euros TTC.

L'agent judiciaire de l'Etat et le Ministère Public ont déclaré la requête irrecevable et n'ont pas conclu sur les demandes indemnitaires du requérant.

Selon la jurisprudence de la Commission Nationale de Réparation des Détentions, les frais de défense ne sont pris en compte, au titre du préjudice causé par la détention, que s'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin.

Par ailleurs, il appartient au requérant d'en justifier par la production de factures ou du compte établi par son défenseur avant tout paiement définitif d'honoraires, en application de l'article 12 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005, détaillant les démarches liées à la détention, en particulier les visites à l'établissement pénitentiaire et les diligences effectuées pour le faire cesser dans le cadre des demandes de mise en liberté. Aussi, seules peuvent être prises en considération les factures d'honoraires permettant de détailler et d'individualiser les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté.

En l'espèce, M. [V] a produit un bordereau récapitulatif d'honoraires n° 2022.09.17 établi le 21 septembre 202 par Maître Yann Le Bras faisant état d'un total d'honoraires dû de 4 500 euros TTC, qui correspond à 250 euros x2 + 750 euros x 3+ 500 euros x 2 + 750 euros de TVA, sans que les diligences effectuées en lien avec ce bordereau ne soient indiquées ni leur coût unitaire, de sorte qu'il n'est pas possible d'apprécier si ces diligences sont en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention provisoire.

Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter cette demande indemnitaire non détaillée et imprécise.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [V] ses frais irrépétibles et une somme de 2 000 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat ses frais irrépétibles et aucune somme ne lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [P] [V] recevable ;

Allouons au requérant les sommes suivantes :

40 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboutons M. [P] [V] du surplus de ses demandes ;

Rejetons la demande de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile formulée par l'agent judiciaire de l'Etat ;

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 01er Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ

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