CA Versailles, ch. com. 3-1, 3 septembre 2025, n° 24/06412
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sdlease (SASU)
Défendeur :
Econocom Services & Solutions (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois-Stevant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Meurant
Conseiller :
M. Bellancourt
Avocats :
Me Debray, Me Grignon Dumoulin, Me Mze, Me Camille, Me Coulon
Exposé des faits
La société Econocom services est une société prestataire de services spécialisée dans le domaine de l'informatique.
Le 1er juillet 2013, la société Econocom services a conclu avec la société Sdlease un contrat d'agent commercial.
La société Econocom services ayant fusionné avec la société Econocom Osiatis France le 1er janvier 2017, le contrat d'agent commercial s'est poursuivi avec la société Econocom Osiatis.
Le 8 décembre 2014, la société Econocom services a notifié à la société Sdlease la modification de son secteur de représentation et sa volonté de reprendre l'exploitation du compte client AG2R La Mondiale et de ses filiales après écoulement d'une période de préavis de six mois à compter du 8 juin 2015.
Par courrier du 14 janvier 2015, la société Sdlease s'y est opposée et le 20 février 2015, elle a indiqué à la société Econocom services accepter la reprise du compte en question moyennant une indemnisation de 100.000 euros HT par an pendant trois ans.
Par courrier du 12 mars 2015, la société Econocom services a proposé une indemnité de 12.530 euros complétée d'une indemnité supplémentaire de 10.000 euros si la société Sdlease acceptait une reprise du compte au 15 avril 2015.
Par courrier du 3 avril 2015, la société Sdlease a refusé cette proposition et a indiqué que le préavis de 6 mois devait se terminer le 12 septembre 2015.
A défaut d'accord, par actes des 7 et 16 juillet 2015, la société Sdlease a fait assigner les sociétés Econocom services et Econocom Osiatis devant le tribunal de commerce de Nanterre en résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de la société Econocom services et en paiement des sommes de 300.000 euros et 50.000 euros au titre d'actes de concurrence déloyale, de la rupture du contrat d'agence commerciale et de l'indemnité compensatrice de préavis.
Sur assignation de la société Econocom services et par par ordonnance du 28 janvier 2016 confirmée par arrêt d'appel du 15 décembre 2016, le président du tribunal de commerce de Nanterre a fait injonction à la société Sdlease de cesser toute initiative de contact commercial de quelque nature que ce soit avec le groupe AG2R ayant trait au contrat d'agence conclu le 1er juillet 2013 avec la société Econocom services et de restituer la documentation commerciale constituée dans le cadre du contrat d'agence commerciale et pour les prestations qu'il inclut.
Par jugement du 10 avril 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- débouté la société Sdlease de sa demande de nullité du contrat d'agent commercial au titre de la violence économique ;
- débouté la société Sdlease de ses demandes relatives au non-respect par la société Econocom services du délai de préavis contractuel ;
- débouté la société Sdlease de ses demandes au titre de la nullité de la clause 4.9.3 ;
- dit que la société Econocom services a respecté les stipulations du contrat d'agent commercial signé le 1er juillet 2013 et débouté la société Sdlease de sa demande portant sur le versement d'une indemnité d'un montant de 350.000 euros ;
- débouté la société Sdlease de ses demandes relatives à des actes de concurrence déloyale de la part de la société Econocom Osiatis ;
- condamné la société Sdlease à payer à la société Econocom Osiatis la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Sdlease aux entiers dépens.
Sur la déclaration d'appel de la société Sdlease et par arrêt du 9 juillet 2019, la cour d'appel de Versailles a confirmé le jugement et, y ajoutant, a débouté la société Sdlease de sa demande de question préjudicielle, débouté les parties du surplus de leurs demandes, condamné la société Sdlease au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Alors que la société Sdlease reprochait notamment à la société Econocom Osiatis France de ne pas lui avoir proposé de lui affecter, en remplacement du client AG2R, un ou plusieurs clients et/ou prospects représentant un potentiel de chiffre d'affaires équivalent en méconnaissance de l'article 4-9-2 du contrat et d'avoir sous-évalué la proposition d'indemnisation calculée à partir des dernières années qui avaient été mauvaises, tandis qu'il convenait de prendre en compte le courant d'affaires futur, la cour a estimé d'une part, que la société Sdlease avait, dans un courrier du 20 février 2015, pris acte de l'impossibilité pour la société Econocom Osiatis France de lui trouver un ou des comptes équivalents, de sorte qu'elle ne pouvait lui reprocher un manquement à son obligation contractuelle et d'autre part, que la proposition d'indemnisation formulée par la société Econocom Osiatis France était conforme aux stipulations de l'article 4-9-3 du contrat.
La société Sdlease a formé un pourvoi en cassation.
Par courrier recommandé du 22 novembre 2019, la société Econocom infogérance systèmes venant aux droits de la société Econocom Osiatis France a notifié à la société Sdlease la résiliation du contrat d'agent commercial à l'issue d'un préavis de 6 mois et le 3 août 2020, elle a payé à la société Sdlease la somme de 68.689,15 euros TTC au titre de l'indemnité de résiliation et du solde des commissions.
Par arrêt du 5 octobre 2022, la Cour de cassation a :
- dit n'y avoir lieu à renvoi préjudiciel ;
- cassé et annulé, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il dit que la société Econocom services a respecté les stipulations du contrat d'agence commerciale signé le 1er juillet 2013 et débouté la société Sdlease de sa demande portant sur le versement d'une indemnité d'un montant de 350.000 euros et en ce qu'il statue sur les dépens et les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles.
La Cour de cassation a considéré qu'en retenant que la société Sdlease, après avoir été informée par la société Econocom services de sa volonté de lui retirer le client AG2R, avait écrit qu'elle savait qu'il n'était pas possible de retrouver un compte équivalent avec la même dimension et le même potentiel de chiffre d'affaires, ce dont la cour avait déduit que la société Econocom services avait respecté la procédure contractuelle, sans rechercher, comme elle y était invitée, « d'où il ressortait que la société Econocom services avait été dans l'impossibilité de proposer à la société Sdlease le remplacement du client AG2R, sinon par un client, du moins par plusieurs clients ou prospects représentant un potentiel de chiffre d'affaires équivalent », la cour avait privé sa décision de base légale.
Par acte du 4 octobre 2024, la société Sdlease a saisi la cour d'appel de renvoi, en intimant la société Econocom Workplace infra innovation, venant aux droits de la société Econocom Osiatis France et la société Jiliti, venant aux droits de la société Econocom Osiatis.
Par ordonnance du 25 février 2025, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement d'instance de la société Sdlease à l'égard de la société Jiliti.
Par dernières conclusions n°2 remises au greffe et notifiées par RPVA le 13 mars 2025, la société Sdlease demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société Econocom services a respecté les stipulations du contrat d'agent commercial signé le 1er juillet 2013 et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande portant sur le versement d'une indemnité d'un montant de 350.000 euros ;
Et statuant à nouveau,
- prononcer la résiliation du contrat du 1er juillet 2013 aux torts exclusifs de la société Econocom services aux droits de laquelle vient la société Econocom Workplace, en raison du non-respect de son obligation contractuelle de proposer d'affecter plusieurs clients ou prospects représentant le même potentiel de rémunération que le client AG2R, ni proposer une indemnisation correspondant à la perte potentielle de rémunération de l'agent ;
- condamner la société Econocom Workplace à lui payer la somme de 173.000 euros ;
- juger que le montant des condamnations portera intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance avec anatocisme ;
- à titre subsidiaire, désigner un expert afin d'évaluer l'indemnisation de la société Sdlease pour le retrait du client AG2R en fonction du potentiel de chiffre d'affaires que ce dernier représente pour la société Econocom services, au sens de l'article 4.9.3 du contrat d'agence commercial ;
- en tout état de cause, débouter la société Econocom Workplace de l'ensemble de ses demandes et la condamner au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement au bénéfice de Me Christophe Debray.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 9 avril 2025, la société Econocom services & solutions, venant aux droits de la société Econocom services, ci-après dénommée la société Econocom, demande à la cour de :
- prendre acte qu'elle vient aux droits de la société Econocom services ;
- à titre principal, confirmer le jugement ;
- à titre subsidiaire, si sa responsabilité était retenue, limiter le préjudice de la société Sdlease au montant de 12.530 euros HT ;
- en tout état de cause, rejeter la demande d'expertise et toutes demandes contraires et condamner la société Sdlease à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 10 avril 2025.
A l'audience, les parties ont été autorisées à communiquer à la cour une note en délibéré concernant le calcul du préjudice de la société Sdlease et le taux de la perte de chance invoquée.
Vu la note en délibéré remise au greffe et notifiée par RPVA le 2 mai 2025 par la société Sdlease.
Vu la note en délibéré remise au greffe et notifiée par RPVA le 5 juin 2025 par la société Econocom services.
MOTIFS
Sur la portée de la cassation et l'étendue de la saisine de la cour de renvoi
La cour de renvoi est saisie des seuls chefs du jugement qui ont :
- dit que la société Econocom services a respecté les stipulations du contrat d'agent commercial signé le 1er juillet 2013 et débouté la société Sdlease de sa demande portant sur le versement d'une indemnité d'un montant de 350.000 euros ;
- condamné la société Sdlease à payer à la société Econocom Osiatis la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Sur la demande de résiliation du contrat aux torts de la société Econocom
L'article 1184 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, dispose que : « La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances ».
- Sur l'absence de proposition de plusieurs clients ou prospects représentant un potentiel de chiffre d'affaires équivalent
La société Sdlease soutient que l'article 4.9.2 du contrat impose au mandant, en cas de retrait d'un client, de proposer à l'agent un ou plusieurs clients représentant un potentiel de chiffre d'affaires équivalent ; qu'elle n'a nullement renoncé à cette obligation aux termes de son courrier du 20 février 2015, qui se limite à prendre acte de l'inexistence d'un compte client équivalent à la société AG2R avec la même dimension et le même potentiel de chiffre d'affaires ; que la société Econocom a refusé de lui proposer plusieurs clients ou prospects représentant le même potentiel de rémunération avant de lui soumettre une offre d'indemnisation forfaitaire, caractérisant un manquement aux stipulations contractuelles justifiant la résiliation du contrat à ses torts exclusifs, en application de l'article 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
La société Sdlease ajoute que la société Econocom ne démontre pas qu'elle était dans l'impossibilité de lui proposer plusieurs clients ou prospects représentant le même potentiel de rémunération ; que cette alternative constitue l'économie même du contrat d'agence commerciale en raison du caractère limité du mandat qui s'exerce sur des clients nommément désignés, pour une durée de 6 à 12 mois ; qu'en raison de l'exclusivité temporaire du mandat, la liste des clients et prospects attribués et affectés aux commerciaux était revue par la société Econocom tous les semestres, lui permettant ainsi de disposer de prospects et clients susceptibles d'être réaffectés à sa force commerciale interne ou externe.
Elle estime que le retrait par la société Econocom d'un client et donc la modification du périmètre de son action d'agent commercial constitue une atteinte à la finalité du contrat, justifiant sa résiliation aux torts de la société Econocom.
La société Econocom répond avoir respecté les stipulations contractuelles et n'avoir commis aucune faute de nature à entrainer la résiliation du contrat d'agent commercial.
Elle affirme qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de proposer un ou plusieurs clients représentant un potentiel de chiffre d'affaires équivalent et que le contrat n'imposait pas de proposer de nouveaux clients. Elle souligne que la société Sdlease a elle-même reconnu cette impossibilité dans son courrier du 20 février 2015 en acceptant de ne pas faire application de l'article 4.9.2 et en évoquant le montant de l'indemnisation de l'article 4.9.3 ; que la référence dans ce courrier à l'impossibilité de retrouver un compte équivalent visait uniquement à couper court à toute discussion sur ce sujet afin de réclamer une indemnisation disproportionnée. Elle ajoute que, quand bien même la base clients était actualisée tous les semestres, elle ne disposait à l'époque d'aucun client ou prospect disponible à confier à la société Sdlease.
Elle soutient par ailleurs, n'avoir commis aucune faute suffisamment grave pour entraîner la résiliation du contrat puisque le périmètre de modification du contrat était mineur. Elle souligne enfin que le contrat a déjà été résilié par courrier le 22 novembre 2019.
Sur ce,
Le contrat d'agence stipulait à l'article « 4.9 Evolution du secteur de représentation :
4.9.1. Le MANDANT pourra avec un préavis de six mois (notifié par courrier recommandé avec accusé de réception) modifier les clients entrant dans le secteur de représentation de l'AGENT (tels que listés en Annexe 2 et/ou dans la Base RCE) à condition de respecter les conditions suivantes :
4.9.2. Le MANDANT communiquera par écrit à l'AGENT le ou les clients dont il souhaite reprendre l'exploitation. En contrepartie, le MANDANT proposera à l'AGENT, en remplacement du ou des clients qui lui seront retirés, un ou plusieurs clients et/ou prospects représentant un potentiel de chiffre d'affaires équivalent afin de maintenir à l'AGENT le même potentiel de rémunération.
4.9.3. En cas de désaccord entre l'AGENT et le MANDANT sur le potentiel représenté par le ou les clients ou prospects proposés, ou en cas d'impossibilité pour le MANDANT de faire une proposition de remplacement, l'AGENT et le MANDANT tenteront par tout moyen de trouver une solution amiable. A cet effet, il est prévu que le MANDANT pourra proposer à l'AGENT une indemnité destinée à compenser la perte potentielle de rémunération subie par l'AGENT du fait de la modification de son secteur (').
4.9.4. Si l'AGENT et le MANDANT ne parviennent pas à se mettre d'accord sur les modalités de modification du secteur de l'AGENT, le MANDANT pourra soit décider de renoncer à la modification du secteur de l'AGENT et poursuivre l'exécution du contrat, soit saisir la juridiction compétente pour faire constater l'opposabilité de la modification du secteur à l'AGENT ».
Par courrier recommandé du 8 décembre 2014, la société Econocom a notifié à la société Sdlease son souhait, en application de l'article 4.9 précité, de faire évoluer son secteur de représentation par la reprise de l'exploitation « du compte client AG2R La Mondiale et ses filiales ».
A la suite de discussions entre les parties, la société Econocom, par courrier du 12 mars 2015, a indiqué à la société Sdlease que « S'agissant de comptes clients de substitution, nous avons fait toutes les recherches possibles à cet effet et nous n'avons trouvé aucun compte susceptible de répondre à cette exigence ».
La société Econocom ne communique pas d'élément de preuve permettant de justifier les recherches auxquelles elle aurait procédé et l'absence de comptes clients de substitution.
Si elle explique qu'à la suite de l'acquisition du groupe Osiatis par le groupe Econocom le 13 septembre 2013, les comptes des clients et prospects des deux groupes ont fait l'objet d'une répartition entre les différentes sociétés du groupe, qu'elle s'est alors vue attribuer certains clients qu'elle exploitait déjà et qu'elle ne disposait donc d'aucun client ou prospect disponible à confier à la société Sdlease, la société Econocom ne produit pas de pièce corroborant ces dires.
Contrairement à ce que soutient la société Econocom, la société Sdlease n'a pas reconnu cette impossibilité aux termes de son courrier du 20 février 2015, dès lors qu'elle s'est limitée à évoquer l'inexistence d'un compte client équivalent à celui d'AG2R La Mondiale Réunica : « nous savons qu'il n'est pas possible de retrouver un compte équivalent avec la même dimension et le même potentiel en chiffre d'affaires » (souligné par la cour).
La société Sdlease n'a donc pas renoncé par ce courrier à se voir attribuer plusieurs comptes de remplacement et la société Econocom en avait conscience puisque dans son courrier du 12 mars 2015, elle a écrit ceci : « Lors de mon entrevue avec M. [U] en février 2015, vous nous aviez fait part d'une position qui consisterait soit à vous proposer des comptes clients représentant un potentiel de chiffre d'affaires équivalent, soit à vous verser une indemnité se montant à 300.000 euros (soit 100.000 euros par an). S'agissant de comptes clients de substitution, nous avons fait toutes les recherches possibles à cet effet et nous n'avons trouvé aucun compte susceptible de répondre à cette exigence ».
L'article 4 du contrat liant les parties définit le secteur de représentation, c'est-à-dire la liste des clients et prospects affectés à la société Sdlease, sur lesquels elle bénéficie d'une exclusivité.
Cette liste constitue un élément essentiel du contrat d'agent commercial, en ce qu'elle délimite la mission de l'agent et permet de fixer son droit à commission prévu par l'article L. 134-6 du code de commerce.
Les différents courriers échangés entre les parties établissent que le compte dont la société Econocom a souhaité reprendre la gestion ne se limite pas à la société AG2R, mais qu'il s'étend au groupe « AG2R La Mondiale et ses filiales qui vous sont affectées » comme l'indique la société Econocom dans son courrier du 8 décembre 2014. La réponse de la société Sdlease du 20 février 2015 évoque « la totalité du compte AG2R La Mondiale Réunica », sans que la société Econocom ne conteste ce point dans son courrier en retour du 12 mars 2015.
Les pièces produites par la société Sdlease démontrent qu'au cours des deux années précédant le courrier de la société Econocom l'informant de son souhait de reprendre la gestion du compte AG2R La Mondiale et ses filiales, soit en 2013 et 2014, le montant des commissions perçues au titre de ce compte (25.060 euros) a représenté 13,7 % du montant total des commissions versées à la société Sdlease (182.948 euros), soit une part significative de sa rémunération au titre du contrat.
En reprenant la gestion du compte AG2R La Mondiale et de ses filiales sans réaffectation d'un ou plusieurs comptes de clients ou prospects présentant un potentiel de chiffre d'affaires équivalent et sans justifier de l'impossibilité d'y procéder, la société Econocom a manqué à ses obligations contractuelles. Ce manquement est d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat en ce qu'il a porté atteinte, par la réduction du secteur d'intervention de la société Sdlease, à un élément essentiel du contrat. Il n'y a donc pas lieu d'examiner le manquement tiré de l'insuffisance de la proposition d'indemnisation.
La société Econocom ayant notifié à la société Sdlease la résiliation du contrat par courrier recommandé du 22 novembre 2019, soit avant que la cour statue, il n'y a pas lieu de prononcer la résiliation du contrat. Néanmoins, il sera dit que cette résiliation est intervenue aux torts de la société Econocom.
Sur l'indemnisation du préjudice
La société Sdlease sollicite l'indemnisation de la perte de chance de développer son chiffre d'affaires, dès lors que le client AG2R est devenu un groupe d'envergure réunissant AG2R, La Mondiale et Réunica, dont le budget informatique en 2015 s'élevait à la somme de 100 millions d'euros, dont 15 millions dans le secteur des services. Elle estime que le potentiel de ce groupe pour les services informatiques que le groupe Econocom pouvait fournir, peut être raisonnablement évalué à 20 % de 15 millions d'euros soit une espérance de gain de commissions pour elle de 180.000 euros par an (15.000.000 euros x 20 % x 6 %) et un potentiel d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial de 360.000 euros. Elle ajoute que son préjudice peut également être évalué à partir des marchés signés précédemment avec le groupe Econocom. Elle soutient qu'en prenant l'activité de « help desk », les prestations swap, les déploiements et la maintenance tierce sur les trois entités AG2R, La Mondiale et Réunica, on aboutit à un chiffre d'affaires de 2.770.000 euros et une espérance de gain de commissions de 166.000 euros par an.
Elle se prévaut d'un taux de perte de chance de 50 % en considération de l'attachement de M. [J], responsable des achats informatiques du groupe AG2R La Mondiale Réunica, à Mme [H], agent commercial de la société Sdlease et d'un courriel de M. [J] du 30 mars 2015 établissant le caractère certain de la probabilité pour la société Econocom d'obtenir un marché de services de supports informatiques du groupe AG2R La Mondiale Réunica.
Elle réclame par conséquent une somme de 173.000 euros, équivalant à la moyenne des deux méthodes proposées de calcul de son préjudice et subsidiairement, elle demande qu'un expert soit désigné afin d'évaluer le potentiel de chiffre d'affaires que représente le client AG2R La Mondiale Réunica.
La société Econocom conteste avoir commis une faute et soutient que la société Sdlease ne peut en conséquence tenter d'engager sa responsabilité délictuelle au titre d'une perte de chance.
Elle indique que les calculs effectués par la société Sdlease pour établir son préjudice ne reposent sur aucun chiffre établi ou justifié ; que cette dernière ne procède que par affirmations sans justifier ses demandes ; que les commissions versées n'ont concerné que 13,7 % des commissions réglées à la société Sdlease ; que la demande d'indemnisation est disproportionnée.
Par ailleurs, elle soutient que le client de la société Sdlease est bien la société AG2R et non AG2R La Mondiale Réunica ; qu'elle n'a jamais été en contact avec les sociétés de l'ancien groupe Réunica.
Elle estime en tout état de cause que le préjudice de la société Sdlease doit être limité à la somme de 12.530 euros ; que le client AG2R ne représente qu'une part minime de l'activité de la société Sdlease.
Enfin, elle conclut au rejet de la demande d'expertise en expliquant que le contrat ne prévoit que l'indemnisation en cas de perte potentielle non comblée ; que la preuve d'un préjudice actuel, direct et certain n'est pas rapportée ; que l'indemnité qui pourrait être due en exécution de l'article 4.9.3 du contrat se limite à la somme de 12.530 euros ; qu'une mesure d'expertise n'est pas nécessaire, l'arrêt de la Cour de cassation n'ayant pas remis en cause le rejet par la cour d'appel de la demande d'expertise.
Sur ce,
La résiliation fautive par la société Econocom du contrat d'agent commercial est à l'origine d'une perte de chance pour la société Sdlease de percevoir les commissions équivalentes à celles qu'elle aurait perçues au titre des contrats à venir avec le groupe AG2R La Mondiale Réunica.
Néanmoins, le montant du budget informatique du groupe AG2R La Mondiale Réunica invoqué par la société Sdlease n'est pas documenté, non plus que celui affecté au secteur des services.
Si cette dernière soutient que ce client, qui était modeste à l'origine, est devenu à force de fusions acquisitions un groupe dont le budget informatique représente près de 100 millions d'euros, elle ne produit pas d'élément de preuve permettant de dater et de corroborer ces affirmations. Le potentiel commercial représenté par le client n'est ainsi pas justifié.
En outre, la société Sdlease indique que la société Econocom a, « très peu de temps après [lui] avoir retiré le compte » remporté un appel d'offres de Help Desk du client AG2R La Mondiale Réunica, dont elle évalue le chiffre d'affaires annuel à 2.770.000 euros. Elle ne produit toutefois pas non plus de pièce en justifiant.
La société Sdlease procède ainsi par voie d'affirmation, alors que tous les éléments qu'elle avance au soutien d'un fort potentiel de croissance sont contestés par la société Econocom.
Enfin, il ne ressort nullement du courriel de M. [J] du 30 mars 2015 que la société Econocom était assurée d'obtenir un marché de services de supports informatiques du groupe AG2R La Mondiale Réunica, le responsable des achats informatiques se limitant à informer Mme [H] d'un appel d'offres à venir.
Ainsi la société Sdlease ne produit pas le moindre élément probant permettant de documenter les éléments chiffrés qu'elle invoque, soit l'appel d'offres et la chronologie des fusions absorptions alléguées ayant abouti au groupe AG2R La Mondiale Réunica. Or il n'appartient pas à la cour de suppléer cette carence dans l'administration de la preuve d'un préjudice allégué fonction du potentiel de chiffre d'affaires que la société AG2R représente pour la société Econocom.
Compte tenu de l'absence de démonstration de la potentialité de croissance de son chiffre d'affaires, la cour arrête le gain manqué par la société Sdlease à la somme de 50.000 euros et retient le taux de perte de chance de 50 % qu'elle invoque.
En conséquence, par infirmation du jugement, la société Econocom sera condamnée à payer à la société Sdlease la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Cette somme produira intérêts à compter du présent arrêt et ces intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera infirmé des chefs des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Econocom qui succombe, supportera les dépens de première instance, ainsi que ceux des deux procédures d'appel, dont distraction au profit de Me Christophe Debray.
Elle ne peut prétendre à une indemnité de procédure et sera condamnée à payer à la société Sdlease la somme de 9.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci en première instance et dans le cadre des deux procédures devant la cour d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de sa saisine sur renvoi après cassation ;
Infirme le jugement en ses chefs déférés à la cour ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la résiliation du contrat conclu entre la société Econocom services & solutions et la société Sdlease est intervenue aux torts de la société Econocom services & solutions ;
Condamne la société Econocom services & solutions à payer à la société Sdlease la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Dit que cette somme produira intérêts à compter du présent arrêt et que ces intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
Condamne la société Econocom services & solutions aux dépens de première instance et des deux procédures devant la cour d'appel, dont distraction au profit de Me Christophe Debray ;
Condamne la société Econocom services & solutions à payer à la société Sdlease la somme de 9.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci en première instance et dans le cadre des deux procédures devant la cour d'appel ;
Déboute la société Econocom services & solutions de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.