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Décisions

CA Paris, Pôle 4 - ch. 10, 4 septembre 2025, n° 22/02972

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/02972

4 septembre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 10

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2025

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02972 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFG66

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Décembre 2021 - Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 18/01596

APPELANT

Monsieur [K] [N]

né le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 6]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assisté à l'audience par Me Didier SAMAMA, avocat au barreau de PARIS, toque : D0720

INTIMÉE

S.A.S. [9], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée et assistée à l'audience par Me Nathalie CORREIA DA SILVA, avocat au barreau de PARIS, toque : C2301

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mars 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Odile DEVILLERS, Présidente, chargée du rapport et Mme Valérie MORLET, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Marie-Odile DEVILLERS, Présidente

Mme Valérie MORLET, Conseillère

Mme Anne ZYSMAN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Odile DEVILLERS, Présidente et par Catherine SILVAN, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société [9] est un opérateur de comptes de paiement mobile et web, créée le 26 décembre 2005 par M. [G] [M].

Le 27 juillet 2012, l'assemblée générale extraordinaire de la société [9] a voté une augmentation de capital, qui a conduit à l'entrée à hauteur de 55% de trois fonds communs de placement spécialisés dans l'innovation (FCPI Fortune II, [7] et [13]), gérés par la société [12], ci-après les fonds Truffle ou Truffle.

A cette occasion, M. [M] a cédé 2% du capital de la société à M. [K] [N], salarié de la société [9] en qualité de directeur de développement depuis le 1er mars 2012.

Le même jour, un pacte d'actionnaires a été signé prévoyant un droit de préemption en cas de cession des actions, au profit des fonds de placement.

Le 29 mars 2013, la société [9] a notifié à M. [N] son licenciement et son contrat de travail a pris fin le 2 avril 2013.

Le 4 avril 2013, M. [M] a démissionné de ses fonctions de président de la société [9] et le 27 juin 2013, il a signé avec les trois fonds [11], en présence de la société [9], un protocole transactionnel prévoyant la cession de ses parts avec engagement de confidentialité.

Le 7 juin 2013, M. [N] a écrit aux trois fonds pour leur proposer le rachat de ses actions à la valeur qui était la leur lors de l'augmentation de capital et, faute d'accord, il a saisi en référé le président du tribunal de commerce de Paris qui, par ordonnance du 16 juillet 2013, a rejeté sa demande de désignation d'un expert pour donner son avis sur les irrégularités de gestion qu'il prétendait avoir été commises par les actionnaires et organes de la société [9] et de désignation d'un administrateur provisoire.

Par exploit d'huissier du 10 décembre 2013, la société [9] a fait assigner M. [M] devant le tribunal de grande instance d'Evry aux fins d'obtenir sa condamnation à lui verser des dommages et intérêts, estimant que celui-ci avait transmis à M. [N], au cours de l'année, des éléments confidentiels internes à la société.

Le 11 septembre 2013, la société [12] a déposé plainte contre M. [N] pour tentative de chantage aggravée et le 20 janvier 2014, M. [N], prenant notamment appui sur les éléments confidentiels incriminés, a déposé plainte à l'encontre de la société [12] pour abus de biens sociaux, complicité d'abus de biens sociaux et recel de ces délits (plainte dont la Cour n'a pas été informée de la suite donnée par le Procureur).

Le 17 octobre 2014, la société [9], pour elle-même et en qualité de porte-fort de Truffle, et M. [N], ont signé un protocole de transaction, prévoyant la cession des actions dont ce dernier disposait, le désistement réciproques des procédures judiciaires engagées, et dans lequel les deux parties s'engageaient à ne pas faire de dénigrement et à garder l'accord confidentiel.

Par jugement du 18 novembre 2016, le tribunal de grande instance d'Evry a condamné M. [M] à verser à la société [9] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, jugement infirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 octobre 2018 qui a débouté la société [9] de sa demande de dommages et intérêts.

La société [11] a retiré sa plainte. Le Procureur a cependant fait citer M [N], mais par jugement du 23 mars 2017, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé M. [N] des faits de chantage avec mise à exécution d'une menace à l'encontre de la société [12].

Par exploit d'huissier en date du 14 novembre 2017, M. [N] a fait assigner la société [9] devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire de Paris, en dommages et intérêts pour le préjudice résultant de ses manquements à son obligation de non-dénigrement et à l'obligation de confidentialité, en tenant des propos critiques à son encontre dans les conclusions notifiées au tribunal de grande instance d'Evry le 25 juin 2015 dans la procédure contre M. [M].

Par jugement en date du 7 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

- débouté M. [K] [N] de sa demande de condamnation de la société [9] à lui verser des dommages et intérêts ;

- débouté la société [9] de sa demande de condamnation de M. [N] à lui verser des dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure ;

- condamné M. [N] aux dépens ;

- condamné M. [N] à verser à la société [9] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.

Le tribunal a jugé

- sur le manquement à l'obligation de dénigrement : que les propos des conclusions n'étaient pas concernées par l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 qui ne concerne que les actions en diffamation et injure, mais que la société avait assigné avant la conclusion de l'accord et que dans les conclusions suivantes, postérieures à l'accord et à l'engagement de non - dénigrement, elle ne faisait que reprendre les propos et répondre, et pour cela était bien obligée de rappeler le rôle de M. [N],

- sur l'obligation de confidentialité : que la société avait bien mentionné le protocole dans ses conclusions alors que ce n'était pas indispensable et avait effectivement violé son obligation de confidentialité, mais que M. [N] ne démontrait pas le préjudice puisque les conclusions étaient notifiées seulement à M. [M] et au tribunal judiciaire.

Il a relevé en outre que le préjudice invoqué résultait de l'affaire pénale qui ne concernait pas [9] mais Truffle.

Par déclaration du 8 février 2022, M. [N] a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 15 janvier 2025, M. [N] demande à la cour de :

Vu les articles 1134 et suivants du code civil,

Vu le contrat de transaction du 17 octobre 2014 et les pièces versées aux débats,

- dire et juger que la société [9] a violé les dispositions de l'article 4 al.1 « Engagement de confidentialité » du contrat de transaction du 17 octobre 2014 pour avoir fait état dans une procédure l'opposant à un tiers tant du contrat de transaction que des faits et griefs du litige réglé par cette transaction,

- et pour avoir gravement dénigré à de nombreuses reprises M. [N] en violation des dispositions de l'article 4 précité al. 6 et 7.

En conséquence,

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 7 décembre 2021 en ce qu'il a jugé que la société [9] a violé l'obligation de confidentialité prévue dans le protocole d'accord du 17 octobre 2014 ;

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 7 décembre 2021 dans toutes ses autres dispositions ;

- dire et juger que la société [9] a violé son engagement de ne pas porter atteinte à la réputation de M. [N] et de s'abstenir de tout dénigrement à son encontre prévu dans le protocole d'accord du 17 octobre 2014 ;

- En conséquence, condamner la société [9] à payer à M. [N] la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts tous préjudices confondus subis et notamment en réparation du préjudice moral subi par celui-ci ;

- condamner la société [9] à payer à M. [N] la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- au surplus, dire et juger la société [9] mal fondée dans toutes ses demandes ;

En conséquence l'en débouter ;

- condamner la société [9] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 30 décembre 2024, la société [9] demande à la cour de :

Vu les articles 1103 et suivants du code civil,

Vu l'article 1240 du code civil,

- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la société [9], en ce qu'il a condamné M. [N] à payer à la société [9] la somme de 3.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamné aux dépens de première instance ;

- infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté la société [9] de sa demande d'indemnisation dirigée à l'encontre de M. [N], et ce faisant :

- condamner M. [N] à payer à la société [9] la somme de 15.000 euros, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

En tout état de cause,

- condamner M. [N] à payer à la société [9] la somme de 5.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel ;

- condamner M. [N] aux dépens d'appel et dire qu'ils pourront être recouvrés par Me Nathalie Correia da Silva, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée le 22 janvier 2025.

SUR CE

Le protocole d'accord signé par M. [N] et la société [9] rappelait le contexte du conflit entre eux et les différentes procédures en cours.

A l'article 1-3, M. [N] s'engageait à signifier devant la Cour d'appel des conclusions de désistement d'instance et d'action dans l'affaire sur la demande en référé devant le tribunal de commerce, mais également à ne pas engager d'action ayant pour fondement ou pour objet l'un des faits et/ou griefs exposés, dans l'acte introductif de cette instance.

Dans ce même article, la société [9] quant à elle déclarait qu'elle « renonce, et se porte fort de la renonciation du représentant légal et des mandataires sociaux de la société [9], de la société [12] et des Fonds qu'elle représente, à tout recours contre M. [N], pour tous faits ou griefs, tels qu'évoqués au présent article 1.3. »

Les parties précisaient que « ces renonciations portent également sur toute action pénale relative aux faits objets de la présente transaction, y compris celles qui seraient susceptibles d'être engagées sur la base des plaintes pénales qui ont d'ores et déjà été adressées au Procureur de la République de [Localité 8] dans cette affaire, étant rappelé, en tant que de besoin, que concernant celles-ci, il appartiendra au Procureur de la République de [Localité 8] d'apprécier l'opportunité des poursuites ».

L'article 4 du protocole d'accord intitulé « engagement de confidentialité » indique que :

« Les parties s'engagent à conserver à l'ensemble des faits et griefs du litige ainsi qu'au présent contrat de transaction un caractère confidentiel.

Elles s'interdisent, en conséquence, à compter de la date de signature du présent contrat de transaction, d'en faire état directement ou indirectement.

Elles s'interdisent également de communiquer le contrat de transaction.

Enfin, M. [K] [N] s'engage à respecter une stricte obligation de réserve quant aux propos qu'il pourrait tenir concernant la société [9], les Fonds Truffle et la société [12], ainsi que leurs dirigeants, associés, mandataires sociaux, membres du Comité de surveillance ou employés.

Il s'engage notamment à ne rien faire qui puisse causer un préjudice ou porter atteinte à l'image ou la réputation de la société [9], des Fonds Truffle, de la société [12] et/ou de leurs dirigeants, et/ou anciens dirigeants, mandataires sociaux, et à s'abstenir de tout dénigrement, public ou privé, à leur encontre.

Réciproquement, la société [9] s'engage, et se porte fort de l'engagement de la société [12] et des Fonds qu'elle représente ainsi que leurs dirigeants (...), à respecter une obligation de réserve quant aux propos qu'elle pourrait tenir concernant M. [K] [N].

Elle s'engage, et se porte fort de l'engagement de la société [12] et des Fonds qu'elle représente ainsi que leurs dirigeants (...) à ne rien faire qui puisse causer un préjudice ou porter atteinte à l'image ou à la réputation de M. [K] [N], et à s'abstenir de tout dénigrement, public ou privé, à son encontre ».

M. [N] comme la société [9] ont respecté leur obligation de cesser toute procédure à l'encontre de l'autre partie, mais le premier reproche deux manquements à l'exécution du protocole d'accord à l'encontre de la société dans ses conclusions visant une audience de mise en état du 25 juin 2014, en réalité du 25 juin 2015, dans l'affaire entre [9] et M. [M] : la violation de l'obligation de non-dénigrement à son encontre et la violation de l'engagement de confidentialité.

Sur le manquement à l'obligation de confidentialité

M. [N] soutient que la société [9], en mentionnant le protocole d'accord dans ses conclusions, a violé l'obligation de confidentialité.

La société [9] prétend que M. [M] connaissait déjà l'existence de ce protocole et que la mention de celui-ci n'a pas eu de conséquences pour M. [N].

Aucune des deux parties n'a divulgué le contenu du protocole d'accord s'agissant des données relatives à la transaction sur le prix de cession, en relevant cependant que la totalité du protocole a été produit devant la Cour d'appel et ce par les deux parties.

Mais il n'est pas contesté que la société [9] a mentionné l'existence de ce protocole dans ses conclusions devant le tribunal de Créteil de 2015, et il convient de rappeler le contexte de cette affaire.

A l'occasion de l'action en référé de M. [N] devant le président du tribunal de commerce de Paris, la société [9] a découvert que celui-ci avait pu produire des documents confidentiels et a donc sommé toutes les personnes ayant accès à ces documents de certifier qu'ils n'étaient pas à l'origine de la fuite et seul M. [M] avait refusé de répondre.

Faute de réponse de la part de ce dernier, la société [9] lui a fait délivrer, le 24 septembre 2013, une sommation interpellative, lui réitérant la question relative à la communication des courriels confidentiels.

N'obtenant toujours pas de réaction, la société a alors a assigné M. [M] devant le tribunal de Créteil pour obtenir des dommages et intérêts pour divulgation de données de la société à M. [N], le 10 décembre 2013, soit bien avant le protocole d'accord avec celui-ci. La société, dans ce contexte, avait logiquement expliqué dès son assignation, les dommages que lui avait causés la production des documents confidentiels par M. [N] et le comportement de ce dernier.

Elle a rajouté ensuite dans les conclusions postérieures en réponse, après que M. [M] ait, le 17 octobre 2014, rédigé une attestation sur l'honneur de ce qu'il n'avait pas communiqué les documents, dans lesquelles figurent plusieurs mentions du protocole d'accord (soulignées en gras par la Cour) :

« Bien après que M. [N] ait interjeté appel de l'ordonnance de référé devant la cour d'appel de Paris, une transaction est finalement intervenue entre M. [N], d'une part, et la société [9], d'autre part, prévoyant notamment le désistement d'instance et d'action de la procédure d'appel et la cession de la participation de M. [N] au capital de la société [9] »

« Ainsi la communication frauduleuse de ces courriels a permis à M. [N], .../... après le rejet de l'ensemble de ses demandes par le Juge des référés, d'harceler la société [9] de demandes de communication successives et réitérées, jusqu'à ce qu'un accord transactionnel ait pu intervenir entre les parties. »

'Ceci [la réponse tardive de M [M] à la sommation] est d'autant plus surprenant que le 17 octobre 2014 est précisément la date à laquelle l'accord transactionnel a été signé entre M. [N] et la société [9], aux termes duquel ces derniers ont acté, d'une part le désistement d'instance et d'action de l'appel pendant devant la Cour d'appel de Paris et d'autre part, la cession de la participation de M. [N] au capital de la société [10] .

Ainsi que noté par le tribunal, il résulte clairement de l'ensemble de ces extraits des conclusions que la société [9] a fait état non seulement de l'accord transactionnel signé avec M. [N] mais plus précisément de sa date et de son contenu (désistement et cession des actions) et a ainsi sans équivoque violé son engagement de confidentialité.

La société [9] ne peut prétendre que pour démontrer la gravité du comportement de M. [M] qui ne répondait pas à sa sommation et obtenir des dommages et intérêts, ce qui était l'objet de la procédure devant le tribunal de Créteil, il lui était nécessaire de préciser que M. [N] avait finalement signé avec elle un protocole transactionnel.

Alors qu'elle s'était engagée à ne rien révéler non seulement du contenu mais de l'existence même de l'accord, elle révélait la date de celui-ci en insistant sur la concomitance de la date entre celui-ci et la réponse à sa sommation de M. [M], ainsi sur la connivence supposée des deux protagonistes, ce qui était doublement une atteinte à ses engagements. Contrairement à ce qu'indique le tribunal, si cet accord était effectivement vraisemblablement connu de M. [M], le tribunal de Créteil ne pouvait pas en avoir connaissance et la délivrance de cette information n'était pas sans incidence sur son appréciation du litige.

Sur le manquement à l'obligation de non-dénigrement

M. [N] soutient que le tribunal a commis une erreur en estimant que l'assignation délivrée le 10 décembre 2013, soit avant le protocole, contenait déjà les propos incriminés dénigrants, contenus dans les conclusions, alors que les termes seraient très différents.

La société [9] ne soutient plus comme en première instance que ses conclusions étaient concernées par l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881.

Elle estime qu'elle avait l'obligation de répondre aux conclusions de M. [M] et donc d'insister sur le préjudice résultant pour elle de la communication de documents confidentiels et du comportement de M. [N].

M [N] reproche à la société [9] d'avoir évoqué des « actions diligentées par [K] [N] à l'encontre de la société [9] à seule fin de déstabiliser celle-ci pour obtenir un meilleur prix de rachat de ses actions », et d'une « grave tentative de déstabilisation qui avait été engagée par M. [N] à l'encontre de la société [9] ».

Page 5 de ses conclusions l'avocat de la sté [9] écrit : « L'agressivité de Monsieur [N] et le harcèlement dont il a fait preuve à l'égard de la société [9] et de ses principaux actionnaires sont allés crescendo, il a déposé plainte auprès de la brigade financière, alors même que le Juge des référés avait rejeté l'ensemble de ses arguments. ».

Les propos dénigrants reprochés par M. [N] à la société [9] en infraction avec le protocole d'accord sont ceux contenus dans des conclusions intervenues dans une procédure opposant la société à M. [M], dans laquelle elle reprochait à ce dernier d'avoir fourni à son ami M. [N] des documents confidentiels de la société qu'il avait produits dans ses procédures contre [9] et dans laquelle elle l'avait notamment sommé en vain pendant presque deux ans de certifier qu'il n'était pas à l'origine de la fuite des documents.

M. [N] reproche au juge d'avoir écrit que la quasi-totalité des propos contenus dans les conclusions notifiées en 2015 devant le tribunal de grande instance d'Evry étaient contenus dans l'assignation signifiée 1e 10 décembre 2013, soit avant l'engagement de non dénigrement.

Il apparaît effectivement à la lecture des conclusions incriminées que la société [9] a repris des termes déjà employés dans l'assignation, mais M. [N] ne peut prétendre qu'elle a « falsifié ses écritures » parce qu'elle les a modifiées pour tenir compte de l'évolution de la situation et dans un sens plutôt favorable pour lui. Elle écrit ainsi dans ses nouvelles conclusion : « Il a déposé plainte auprès de la brigade financière, alors même que le juge des référés avait rejeté l'ensemble de ses arguments » alors que la société écrivait dans l'assignation : « il réitère ses menaces de déposer plainte auprès de la brigade financière, alors même que le juge des référés a balayé l'ensemble de ses arguments ». Certes la phrase des conclusions fait allusion à la procédure pénale en cours, mais celle-ci était déjà annoncée dans l'assignation et le fait d'indiquer qu'elle est devenue effective ne peut être considéré comme un manquement à l'interdiction d'évoquer une procédure déjà mentionnée.

Si elle se contente de reprendre des reproches déjà mentionnés dans l'assignation, il doit être relevé qu'elle avait clairement exposé le comportement de M. [N], et le préjudice qui en était résulté selon elle. Si elle avait l'obligation de se défendre dans la procédure et donc de répondre aux arguments de M. [M], elle n'a pas produit ces écritures, ne pouvant ainsi permettre d'apprécier, comme l'a fait à tort le tribunal, la nécessité de reprendre des écritures, ou à tout le moins d'insister sur le comportement de M. [N] en des termes dénigrants, et non seulement en se référant aux procédures intentées par ce dernier.

La société [9] a ainsi repris des propos qu'elle ne pouvait plus tenir en raison de son engagement, et même si elle en a atténué les termes, elle doit être considérée comme ayant manqué à son obligation de non dénigrement qui était l'un des objets du protocole, par des propos très critiques du comportement de M. [N], sans qu'elle démontre en avoir eu l'obligation pour répondre aux conclusions.

Sur le préjudice

S'agissant du préjudice subi, M. [N] prétend avoir subi un « très grave préjudice moral et professionnel » et évoque notamment la plainte pénale contre laquelle il a dû se défendre et la nécessité d'expliquer à ses enfants pourquoi il était poursuivi devant le tribunal correctionnel.

La société rappelle, ainsi que relevé par le juge, que la plainte pénale avait été déposée par les sociétés [11] et non par elle et qu'elle est ainsi totalement étrangère à celle-ci. Elle estime que si préjudice il y a, il ne peut être supérieur à un euro.

Devant la Cour, M. [N] conclut : « si M. [N] n'a jamais soutenu que la société [9] fût à l'origine de la plainte pénale, il a en revanche souligné de manière constante depuis ses premières écritures, la responsabilité de la société [9] dans le défaut d'information du Ministère Public à la suite de la transaction intervenue, dans les termes précités ». Ainsi, il écrit lui-même qu'il ne reproche pas à la société [9] la procédure engagée contre lui devant le tribunal correctionnel dont il reconnaît qu'elle a été initiée par [11], mais il insiste sur la responsabilité de la société [9] dans le défaut d'information du Ministère Public à la suite de la transaction intervenue.

M. [N] reproche donc à la société [9], qui n'était pas à l'initiative de la plainte, de n'avoir pas avisé le procureur du protocole transactionnel. Cependant cette procédure avait été initiée par [11] qui a retiré sa plainte, en application du protocole, et M. [N] n'explique pas en quoi la révélation, par [9] dans un procès contre M. [M] de l'existence de la transaction aurait une quelconque influence sur la procédure pénale dont il a fait l'objet.

Le préjudice résultant de l'existence de la procédure pénale est donc sans lien avec la divulgation de la mention du protocole dans une procédure civile entre deux autres protagonistes.

Même si elles constituent des manquements au protocole, les mentions de l'existence du protocole et les propos dénigrants de la société ont eu une diffusion limitée à M. [M], ami de M. [N] et aux membres du tribunal.

Le 'très grave préjudice moral et professionnel' en résultant n'est donc pas établi, M. [M] en raison de ses liens d'amitié avec M. [N] ou les juges, n'ayant pas répercuté ces propos dans le monde professionnel. Mais il existe cependant un préjudice moral à être ainsi disqualifié devant des juges et à ne pas voir respecter les termes d'un protocole d'accord alors qu'on a soi-même respecté celui-ci.

Ce préjudice sera évalué à la somme de 2.000 euros.

Sur les autres demandes

Le sens de l'arrêt conduit à l'infirmation du jugement qui a condamné M. [N] aux dépens de première instance et à payer 3.000 euros à la société [9].

Il convient de condamner la société [9] aux dépens de première instance et d'appel et de la condamner à payer à M. [N] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 7 décembre 2021 en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau

Condamne la société [9] à payer à M. [K] [N] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la société [9] aux dépens.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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