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Décisions

CA Versailles, ch. soc. 4-4, 3 septembre 2025, n° 24/03738

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/03738

3 septembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-4

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 03 SEPTEMBRE 2025

N° RG 24/03738 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W44K

AFFAIRE :

[M] [W] [B]

C/

Association [Adresse 6]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 2 février 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-

BILLANCOURT

Section : AD

N° RG : F 18/01552

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mohamed CHERIF

Me Jérôme ARTZ

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

DEMANDEUR devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 2024 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 19 janvier 2023

Monsieur [M] [W] [B]

né le 24 avril 1981 à [Localité 5]

de nationalité algérienne

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Mohamed CHERIF de l'AARPI OMNES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J91

****************

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

Association PEP 92 - CENTRE DE SOINS ET DE REEDUCATION

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Jérôme ARTZ de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0097

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [W] [B] a été engagé par contrat à durée déterminée à compter du 15 novembre 2001, en qualité de candidat élève médico-psychologique, puis par contrat à durée indéterminée à compter du 25 juin 2004 en qualité d'aide médico-psychologique, à temps partiel, par l'association PEP 92.

Cette association a pour activité l'accueil de mineurs pour la plupart handicapés. Son effectif était au jour de la rupture du contrat de travail de plus de 11 salariés.

Convoqué par lettre du 14 mars 2018 à un entretien préalable au licenciement et mis à pied à titre conservatoire, M. [W] [B] a été licencié pour faute grave par lettre du 28 mars 2018 dans les termes suivants :

" L'un de ces usagers, âgé de 15 ans, et que nous appellerons B.F. pour ne citer que les initiales de ses prénom et nom, a porté à notre connaissance un certain nombre d'agissements et de propos de votre part que nous avons jugés particulièrement préoccupants.

Ces faits, confiés initialement à l'un des éducateurs spécialisés de notre établissement, puis confirmés par le jeune au chef du service éducatif, sont ceux que nous vous avons exposés en entretien et qui sont résumés ci-dessous.

Vous avez reproch[é] à B.F. d'appeler trop souvent la nuit et avez assorti vos remarques sur ces appels nocturnes de propos que nous jugeons déplacés et relevant de la maltraitance : " Tu me saoules. Si tu continues je débranche la sonnette ". Le jeune nous a indiqué que ces remarques " se produisent régulièrement, depuis longtemps, et d'autres jeunes sont également concernés ".

F. nous indique par ailleurs que vous utilisez et depuis des années pour vous adresser aux jeunes garçons les termes de " pédés " et " vicieux ".

Ces propos que nous jugeons inacceptables présentent un caractère sexuel et homophobe qui les rend particulièrement déplacés dans un établissement hébergeant des enfants et des adolescents.

Par ailleurs B.F. nous a relaté un épisode qu'il a trouvé particulièrement choquant et qui s'est déroulé avant les vacances de Noël. Vous lui aviez fait prendre sa douche.

Il était sur son lit " quasiment nu, avec juste un bout de drap sur (lui) ". Vous vous êtes ensuite occupé d'un autre jeune (A) et B.F. nous explique ensuite que " à la fin de sa douche, il a déposé A. nu sur moi en disant vous aimez ça hein bande de petits pédés ". B.F. précise en relatant cet épisode : " Je n'ai pas su comment réagir mais j'ai très mal vécu cette situation ".

Cet épisode nous a également été relaté par le jeune A. qui indique " Il m'a porté jusqu'au lit de B.F. et m'a posé sur lui. J'étais en caleçon. C'était gênant pour nous deux. "

Nous avons également porté à votre connaissance un autre événement qui nous a été relaté par B.F. et qui remonte selon lui à environ 2 ans et demi. Il partageait à l'époque la chambre d'un autre interne. Il nous indique qu'alors que vous veniez de doucher son camarade de chambrée, vous lui avez montré les fesses de ce jeune en disant " ça vous fait envie hein les pédés "

Nous considérons ces agissements comme des actes d'humiliation à caractère sexuel imposés à des jeunes mineurs et en situation de vulnérabilité du fait de leur handicap.

Enfin, nous vous avons demandé pourquoi le surlendemain du jour où B.F. s'était confié à certains personnels et alors même que vous aviez été partiellement informé d'une problématique concernant ce jeune par 2 de vos collègues, vous lui aviez posé la question de savoir s'il était majeur, avant de lui faire " deux, trois câlins et bisous dans le cou ".

Par requête du 20 décembre 2018, M. [W] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt d'une contestation de son licenciement et au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par un jugement du 2 février 2021, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section activité diverses) a :

. débouté M. [W] [B] de l'ensemble de ses fins et demandes,

. débouté l'association [Adresse 7] de sa demande reconventionnelle,

. laissé les dépens à la charge de M. [W] [B].

Par un arrêt du 19 janvier 2023 (RG n°21/00808), la cour d'appel de Versailles a :

. infirmé le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau sur le tout :

. dit le licenciement exempt d'une cause réelle et sérieuse,

. condamné l'association PEP 92 à payer à M. [W] [B] les sommes de :

- 3 893,54 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, et 389,35 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 8 487,52 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 1 110,26 euros bruts en paiement de la période de mise à pied conservatoire, du 14 au 29 mars 2018 outre 111,02 euros au titre de congés payés afférents,

- 25 000 euros bruts d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. condamné l'association PEP 92 à payer à M. [W] [B] 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

. la condamné aux dépens.

Par un arrêt du 10 juillet 2024 (pourvoi n° 23-15.666) signifié à M. [W] le 26 novembre 2024, la Chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions l'arrêt le 19 janvier 2023, entre les parties par la cour d'appel de Versailles, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Par saisine du 2 décembre 2024, M. [W] [B] a saisi la cour d'appel de Versailles suite au renvoi après cassation.

Une ordonnance du 20 mai 2025 la clôture a été prononcée.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 mai 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [W] [B] demande à la cour de :

. juger la société les jardins de Sainte Hildegarde recevable et bien fondée en son appel,

. juger l'appel incident de M. [A] mal fondé et l'en débouter,

. juger la demande de dommages-intérêts pour licenciement nul de M. [A] irrecevable en application de l'article 910-4 du code de procédure civile dans sa version alors en vigueur,

. déclarer M. [W] [B] recevable et bien fondée en son appel ;

Y faisant droit :

. infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Versailles [i.e. Boulogne-Billancourt] le 2 février 2021 en ce qu'il

a :

. débouté M. [W] [B] de l'ensemble de ses fins et demandes,

. laissé les dépens à la charge de M. [W] [B]

Et statuant à nouveau :

A titre liminaire,

. constater la non-culpabilité sur le plan pénal

. constater la prescription des faits fautifs

A titre principal,

. dire que le licenciement de M. [W] [B] est dépourvu de cause réelle

et sérieuse

. condamner l'association PEP 92 à verser à M. [W] [B] les sommes suivantes :

' 11 905,90 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

' 34 851 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

' 5164 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 516,40 euros de

congé payés sur préavis

' 1721 euros à titre de paiement de la mise à pied conservatoire, congés payés afférents compris.

En tout état de cause :

. la condamner à verser à M. [W] [B] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

. la condamner aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 mai 2025, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles l'association PEP 92 demande à la cour de :

. confirmer le jugement du 2 février 2021 en ce qu'il :

- juge que le licenciement de M. [W] [B] est fondé sur une faute grave,

- constate les actes et propos de maltraitances à caractère sexuel à l'endroit de jeunes mineurs dont il avait la charge,

- déboute en conséquence M. [W] [B] de l'intégralité de ses demandes,

Dès lors la cour déboutera :

. déboutera M. [W] de ses demandes relatives à :

l'indemnité de licenciement conventionnelle,

l'indemnité de préavis,

les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Reconventionnellement,

. condamner M. [W] [B] à verser à l'association PEP 92 la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

. condamner M. [W] [B] aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur le licenciement

Le salarié expose que les faits fautifs sont prescrits, que l'employeur en était au courant même s'il a tardé à en être informé officiellement, que le parquet lui a adressé un simple rappel à la loi lequel aurait été exclu si les actes avaient été de la maltraitance et la tenue de propos à caractère sexuel ou homophobe, qu'un rappel à la loi n'est pas une condamnation pénale, que le licenciement est fondé sur des accusations subjectives d'un jeune lourdement handicapé, qui n'ont fait l'objet d'aucune enquête, que l'employeur n'établit pas la matérialité des faits reprochés et n'a pas respecté le protocole en vigueur dans l'établissement en cas de dénonciation de faits de cette nature.

L'employeur objecte que les agissements de maltraitance sont établis et caractérisés, et constitutifs d'une faute grave en ce qu'ils ont été commis par un salarié spécialisé, à l'encontre duquel il n'y a eu aucune machination mais seulement la volonté de protéger les jeunes en contact avec l'intéressé.

Sur la prescription

Selon l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Lorsque les faits sanctionnés par le licenciement ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites. Le délai court du jour où l'employeur a eu connaissance exacte et complète des faits reprochés.

L'allégation du salarié selon laquelle « avant que la direction ne soit informée, l'élève [N] F. aurait prévenu un éducateur spécialisé ainsi que le chef du service éducatif, ce dernier étant incontestablement un supérieur hiérarchique » du salarié est dépourvue d'offre de preuve. Il ressort en revanche des pièces produites par l'employeur que suite à l'alerte de M. [P], éducateur spécialisé lui disant avoir reçu [N] le 12 mars et [X] le 15 mars, M. [U], cadre éducatif, qui en atteste dans le cadre de la présente procédure, a établi deux notes de service les 14 et 15 mars 2018 retraçant le contenu des entretiens tenus avec les élèves internes [N] et [X] dans lesquels ceux-ci relatent tant des faits de maltraitance que des propos à connotation sexuelle ou homophobe.

Dès lors, peu important que les faits dénoncés puissent remonter pour certains à plusieurs semaines ou années et la date à laquelle l'éducateur en ait été avisé par les victimes, l'employeur établit avoir eu une complète et exacte connaissance des faits ensuite reprochés à l'intéressé au plus tôt le 12 mars 2018, de sorte qu'ils n'étaient pas prescrits lorsque le salarié a été convoqué en vue d'un éventuel licenciement par lettre du 14 mars 2018, cette date correspondant d'ailleurs à celle indiquée par l'employeur dans son signalement au procureur comme étant celle à laquelle il a eu connaissance des faits (« 14 mars 2018 à 16h »).

Sur la faute grave

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d'une gravité suffisante pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, reproche au salarié d'avoir commis des agissements constitutifs d'actes d'humiliation à caractère sexuel imposés à des jeunes mineurs et en situation de vulnérabilité du fait de leur handicap. L'employeur invoque à l'appui de la faute grave invoquée, plusieurs faits, dont il convient donc d'examiner successivement pour chacun d'eux s'ils sont établis par l'employeur.

- les reproches adressés à deux jeunes lorsqu'ils appellent le salarié la nuit

Pour établir ce fait, l'employeur produit l'attestation de M. [U], cadre éducatif, et ses deux compte-rendus des entretiens qu'il a eus avec [N] et [X] le 12 mars, dont il ressort que :

- le premier lui a indiqué que « à plusieurs reprises (le salarié) lui a reproché d'appeler trop souvent pour être aidé à se tourner dans le lit par exemple. « tu me saoules. Si tu continues je débranche la sonnette » « ces remarques se produisent régulièrement, depuis longtemps, et d'autres jeunes sont également concernés . » (') [N] précise : « je ne supporte plus cette situation qui dure depuis des années et la remarque sur la sonnette il y a environ trois semaines a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Par contre je ne tiens pas à ce que mon nom soit cité car je crains des représailles et d'être considéré comme celui qui va baver. Je ne veux également pas que mes parents soient prévenus car ils ont tendance à s'inquiéter très vite car je ne veux pas les embêter. »

- le second lui a indiqué : « quand je sonne la nuit c'est pour des besoins d'assistance. Certains aides-soignants se plaignent quand on appelle. Ils prennent çà comme quelque chose de peu important. Si on appelle plusieurs fois la nuit, le matin ils vont venir dans notre chambre pour nous lever et nous disent d'arrêter d'appeler autant la nuit ».

Ces deux compte-rendus et les déclarations qui y sont rapportées, par deux jeunes en situation de handicap en contact régulier avec le salarié, dans des termes précis et concordants, établissent suffisamment la matérialité des faits ainsi reprochés au salarié en sa qualité d'aide-soignant.

- des propos à connotation sexuelle ou homophobe tenus à ces mêmes jeunes se déroulant avant les vacances de Noël

Pour établir ce fait, l'employeur produit l'attestation de M. [U] et ses deux compte-rendus des entretiens qu'il a eus avec [N] et [X] le 12 mars, dont il ressort que :

- le premier lui a indiqué que « avant les vacances de Noël (le salarié) m'a fait prendre ma douche. J'étais ensuite sur mon lit, quasiment nu, avec juste un bout de drap sur moi. [Z] s'est ensuite occupé d'[X] et à la fin de sa douche il a déposé [X], nu sur moi et disant « vous aimez çà hein bande de petits pédés ». Je n'ai pas su comment réagir mais j'ai très mal vécu cette situation. [N] indique que ce style de propos (« pédés », « vicieux », etc) sont fréquent et durent depuis des années. »

- le second lui a dit : « je ne me souviens plus de la période. [N] était couché et (le salarié) me douchait. Je rigolais un peu avec [Z]. Ensuite il m'a porté jusqu'au lit de [N] et m'a posé sur lui. J'étais en caleçon. C'était gênant pour nous deux. Il y a quelques moments de rigolade comme çà mais c'est celui qui m'a le plus choqué. Il y a parfois un manque d'intimité quand on est nu (pas de serviette pour nous couvrir par exemple en sortant de la douche».

Il ressort en outre des pièces du dossier que dans des SMS datés du 15 avril 2018 à 20h52, [X] lui indique « Salut [Z] c'était pour dire que j'étais bien habillé quand tu m'as mis sur la couette de (mot suivant non visible) » et [V] (ancien résident de la structure) lui écrit quant à lui à 20h54 « Salut [Z] c'est [V] je confirme bien les dires d'[X] qui m'a confirmé que lui était habillé en caleçon et T-shirt et qu'il a été posée par-dessus la couette de [N] le soir où tu as fait ce geste. ».

Ces deux compte-rendus et les déclarations qui y sont rapportées, par deux jeunes en contact régulier avec le salarié, dans des termes précis et concordants, corroborés par les termes des SMS précités envoyés par [X] et [V] au salarié quelques jours après les faits, établissent là encore suffisamment la matérialité des faits ainsi reprochés au salarié.

- des propos à connotation sexuelle ou homophobe tenus deux ans et demi auparavant et relaté par l'un de ces deux jeunes

Pour établir ce fait, l'employeur produit à nouveau l'attestation de M. [U] et son compte-rendu d'entretien avec [N], dont il ressort qu'il lui a relaté « un autre événement remontant à deux ans et demi (il était en classe de 4ème alors qu'il est en seconde à ce jour) ; « j'étais à l'époque dans la même chambre que [F] et je revenais d'opération. [Z], après la douche m'a montré les fesses de [F] en disant çà vous fait envie hein les pédés. ».

Cet élément, qui évoque des faits très anciens, n'est corroboré par aucune autre pièce du dossier de l'employeur, de sorte que sa matérialité n'est pas suffisamment établie par le seul compte-rendu précité.

- le fait d'avoir demandé au jeune le lendemain du jour où il s'était confié, s'il était majeur avant de lui faire " deux, trois câlins et bisous dans le cou "

Pour établir ce fait, l'employeur produit à nouveau l'attestation de M. [U] et son compte-rendu établi le 14 mars 2018, dans lequel il précise que « mardi 13 mars [N] est venu me revoir avec Monsieur [P] pour dire qu'il avait parlé de ces faits et propos avec Mesdames [C] [K] et [T] [O] disant qu'il avait confiance en elles. Suite à cela j'ai conseillé à [N] de rencontrer Madame [J], cadre de santé, afin que le planning des prises en charge soit modifié, Monsieur [W] étant prévu pour aider [N] mardi et mercredi soir. Des mesures ont été prises en ce sens. Par contre M. [W] a accompagné [N] pour le lever ce mercredi matin 14 mars. [N] me relate les faits suivants : « [Z] m'a demandé si j'étais majeur. Je lui ai répondu non, que je n'avais que 15 ans. Il m'a dit ah ben tu fais plus. Après il m'a fait deux, trois câlins et bisous dans le cou. »

Cet élément, relatant les propos de [N] seul, n'est toutefois corroboré par aucun autre témoignage ni aucune autre pièce du dossier de l'employeur, de sorte que sa matérialité n'est pas suffisamment établie par le seul compte-rendu précité.

Par ailleurs la cour relève que dans le compte-rendu d'entretien préalable le salarié a interrogé ainsi l'employeur : « pourquoi interpréter mes actes ou déformer mes propos alors qu'il s'agissait simplement de situations qu'il fallait remettre dans un contexte bien précis », et que sur décision d'un premier vice-procureur du tribunal de Nanterre ces faits, qui ont fait l'objet d'un signalement au parquet dès le 14 mars 2018 par l'employeur, ont fait l'objet, après enquête par le commissariat de Saint-Cloud, d'un rappel à la loi pour les faits de corruption de mineurs, prévus et réprimés aux articles 227-22, 227-31, 227-29 du code pénal, par un délégué du procureur devant lequel il a été convoqué le 25 mars 2020 (convocation produite en pièce 12 par l'employeur), soit dans des délais habituels compte tenu des investigations à mener, ainsi que le reconnaît le salarié (cf p.11 de ses conclusions). Il convient ici de relever que le choix par le ministère public d'initier une alternative aux poursuites plutôt que de délivrer une citation devant la juridiction pénale n'est pas de nature à enlever aux faits leur matérialité ni au juge prud'homal son pouvoir d'appréciation de leur gravité au regard des obligations du salarié découlant de l'exécution de son contrat de travail.

En définitive, peu important l'absence d'enquête interne diligentée par l'employeur suite à ces faits, sont donc établis la matérialité des reproches adressés par le salarié à [N] et [X] lorsqu'ils l'appellent la nuit ainsi que la tenue de propos à connotation sexuelle ou homophobe à l'égard de ces deux mêmes jeunes avant les vacances de Noël.

Ce faisant, et nonobstant les nombreuses attestations produites par le salarié relatant son dévouement et ses compétences, qui ne sont pas discutables d'un point de vue général, M. [W] [B], éducateur spécialisé au sein d'une structure accueillant de jeunes handicapés, en situation de particulière vulnérabilité, a eu, lors des deux situations précédemment examinées, un comportement portant atteinte à la dignité et à la pudeur des mineurs dont il avait la charge, qui ne peut être toléré au sein d'une telle structure et qui rendait impossible son maintien dans l'association.

En l'état de l'ensemble de ces constatations, il convient de retenir que le licenciement de M. [W] [B] repose une faute grave et de confirmer en conséquence le jugement en ce qu'il déboute le salarié de l'ensemble de ses demandes.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Les dépens d'appel, en ce compris ceux afférents à l'arrêt cassé, sont à la charge de M. [W] [B], partie succombante.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. L'employeur sera débouté de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe:

Vu l'arrêt de la 21e chambre de la cour d'appel de Versailles du 19 janvier 2023 (RG n°21/00808),

Vu l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 10 juillet 2024 (pourvoi n° 23-15.666),

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et déboute l'employeur de sa demande à ce titre,

CONDAMNE M. [W] [B] aux dépens d'appel, en ce compris ceux afférents à l'arrêt cassé.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Aurélie Prache, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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La Greffière La Présidente

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