CA Besançon, 1re ch., 2 septembre 2025, n° 25/00013
BESANÇON
Arrêt
Autre
CS/[Localité 8]
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° de rôle : N° RG 25/00013 - N° Portalis DBVG-V-B7J-E3F5
COUR D'APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 02 SEPTEMBRE 2025
Décision déférée à la Cour : ordonnance du 13 décembre 2024 - RG N°2024002572 - PRESIDENT DU TC DE [Localité 12]
Code affaire : 36Z - Autres demandes relatives aux dirigeants du groupement
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre.
M. Cédric SAUNIER, conseiller.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant M. Michel WACHTER, président et M. Cédric SAUNIER, conseiller qui ont fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour à M. Philippe MAUREL, conseiller.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [Z] [N]
né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 6]
de nationalité française, demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Pierre-etienne MAILLARD, avocat au barreau de MONTBELIARD
ET :
INTIMÉE
S.A.S. [5]
Sise [Adresse 14]
Inscrite au RCS de [Localité 12] sous le numéro [N° SIREN/SIRET 3]
Représentée par Me Michel MIGNOT de la SELARL JURIDIL, avocat au barreau de BELFORT
INTERVENANT [Localité 9]
Maître [W] [J] pris en sa qualité de Liquidateur de la SAS [4], société en liquidation, immatriculée au RCS sous le numéro [N° SIREN/SIRET 3], dont le siège social est [Adresse 13], ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire selon jugement d'ouverture du Tribunal de Commerce de VESOUL rendu le 23 janvier 2025 publié au BODACC le 29 janvier 2025
mandataire judiciaire, demeurant [Adresse 7]
Représenté par Me Michel MIGNOT de la SELARL JURIDIL, avocat au barreau de BELFORT
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
*************
Faits, procédure et prétentions des parties
Selon deux déclarations fiscales de cession de droits sociaux datées du 31 octobre 2023, M. [Z] [N] et son fils M. [F] [N] ont cédé à la SAS [10] [O], dirigée par Mme [H] [O], respectivement 70 % et 30 % des actions composant le capital de la SAS [4] pour un prix global de 100 000 euros.
Des conventions de garantie d'actif et de passif ont été signées le même jour entre les parties.
La cession est intervenue par référence aux comptes clos au 31 octobre 2022.
Par acte signifié le 28 août 2024, la société [4], a assigné M. [Z] [N] devant le président du tribunal de commerce de Vesoul statuant en référé, en sollicitant sa condamnation à lui rembourser une somme de 48 549,66 euros correspondant, selon les comptes clos au 31 octobre 2023, aux salaires perçus par M. [Z] [N] en qualité de président, alors que Mme [O] invoquait durant le même exercice une perte comptable chiffrée à la somme de 74 451,95 euros au jour de la cession, soit un montant de capitaux propres négatif chiffré à - 11 857 euros impliquant la perte de la moitié de son capital social avec publication légale emportant des conséquences défavorables sur le plan commercial.
Le président du tribunal de commerce de Vesoul a, par ordonnance rendue le 13 décembre 2024 :
- 'dit fondée la demande de la société [4] et rejeté la contestation sérieuse en se déclarant compétent pour connaître de cette instance' ;
- condamné M. [Z] [N] à payer à titre provisionnel à la société [5] la somme de 48 549,66 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 28 août 2024 ;
- rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamné M. [Z] [N] à payer à la société [5] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [Z] [N] aux entiers dépens de l`instance, y compris les frais de greffe.
Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a considéré :
- que la demande est régulièrement fondée sur l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;
- que la validation implicite des rémunérations par leur inclusion dans les comptes sociaux est sans incidence et ne se substitue pas à l'exigence statutaire d'une validation formelle par les associés, laquelle n'a pas eu lieu ;
- que la délibération de rejet des comptes, bien qu'adoptée après la clôture de l'exercice, est conforme à l'article L. 227-1 du code de commerce ;
- que par ailleurs, la clause de garantie d'actif et de passif, incluse dans le contrat de cession d'actions, s'applique aux montants litigieux qui constituent un préjudice financier pour la société ;
- qu'en l'absence d'abus de droit ou de fraude, les 'contestations sérieuses' soulevées par M. [Z] [N] doivent être écartées.
Par déclaration du 03 janvier 2025, M. [Z] [N], intimant la société [4], a interjeté appel de cette ordonnance en sollicitant son infirmation en toutes ses dispositions.
A la suite de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée de l'intimée prononcée le 23 janvier 2025, l'appelant a, par acte signifié à personne le 12 février suivant, assigné en intervention forcée Me [W] [J], liquidateur judiciaire, en sollicitant que l'arrêt à intervenir lui soit déclaré opposable.
Selon ses dernières conclusions transmises le 02 mai 2025, il conclut à son infirmation et demande à la cour :
- de déclarer irrecevables les conclusions déposées par l'intimée le 25 avril 2025 ;
- de débouter la société [4] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- de la renvoyer à mieux se pourvoir au fond ;
- de condamner Me [J], en qualité de liquidateur de la société [5], à lui payer les sommes de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;
- de le condamner en outre aux entiers dépens.
Il fait valoir :
- qu'en application de l'article 906.2 du code de procédure civile, les conclusions d'intimée sont irrecevables car ont été transmises le 25 avril 2025, soit plus de deux mois après ses propres conclusions d'appelant transmises le 23 janvier 2025 ;
- que sa rémunération litigieuse, comme les précédentes, n'a pas été fixée a priori par une décision des associés tel que prévu par les statuts, mais constituait une convention réglementée soumise à leur approbation postérieure ;
- que même à défaut d'approbation, la convention ayant conduit à lui verser une rémunération mensuelle entre les mois de novembre 2022 et d'octobre 2023 produit ses effets en application du deuxième alinéa de l'article L. 227-10 du code de commerce ;
- qu'il n'existe dès lors aucune obligation de restitution, de sorte que seul le mécanisme de la responsabilité civile, avec démonstration d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité est susceptible de fonder la demande adverse ;
- qu'en tranchant le problème de droit qui lui était soumis à cet égard, le juge des référés a outrepassé sa compétence ;
- que cette rémunération constituait la contrepartie d'une prestation de nature technique et commerciale effectuée au profit de la société, distincte de l'exercice du mandat social, de sorte qu'elle est assimilable à une convention portant sur des opérations courantes et conclue dans des conditions normales au sens de l'article L. 227-10 du code de commerce, tel que pratiqué au cours des précédents exercices à un niveau comparable ;
- que par ailleurs, la rémunération lui ayant été versée a été implicitement approuvée à l'occasion de l'élaboration de ces comptes, puisqu'elle est enregistrée sous l'intitulé 'salaires président' tandis qu'aucune écriture permettant de comptabiliser une éventuelle créance de restitution de la société à l'égard de son ancien président ne figure au bilan ;
- qu'en fondant sa demande sur son refus de valider ses propres comptes, la société [4] contrevient au principe de bonne foi, alors même que que le prix de cession des actions de 100 000 euros a été arrêté sur la base des comptes au 31 octobre 2022 et tenait compte de sa rémunération à hauteur de 46 446 euros ;
- que l'intimée a donc entrepris une fraude visant à obtenir une minoration du prix de vente au profit de son associée, la société [11].
Me [J], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [4], a répliqué en premier et dernier lieu par conclusions transmises le 05 mai 2025 pour demander à la cour de débouter M. [Z] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, de confirmer l'ordonnance entreprise et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Il expose :
- que conformément à l'article 906-2 du code de procédure civile, ses premières conclusions notifiées le 25 avril 2025 l'ont été dans le délai de deux mois de la notification à sa personne des conclusions d'appelant intervenue le 26 février précédent ;
- que l'article 1986 du code civil dispose que le mandat est gratuit s'il n'y a convention contraire, de sorte que les fonctions dirigeantes d'une société peuvent être gratuites, ou rémunérées sur fixation par les associés aux termes des statuts ou lors d'une assemblée générale ;
- que si les statuts peuvent librement déterminer les modalités d'une telle rémunération, le dirigeant ne peut pas fixer unilatéralement sa propre rémunération, une telle décision prise sans l'accord des associés pouvant être considérée comme une faute de gestion et entraîner l'obligation de restituer les sommes indûment perçues ;
- qu'aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, dans le cas d'une SAS, l'attribution d'une rémunération au président et aux autres dirigeants est de nature purement contractuelle, elle s'analyse en une convention réglementée soumise à contrôle sauf si les statuts prévoient qu'elle est fixée par une décision collective des associés ;
- qu'en l'espèce, l'article 16 des statuts de la société [5] prévoit que « La rémunération du président est fixée par décision collective des associés. Elle peut être fixe ou proportionnelle, ou à la fois fixe et proportionnelle. Il pourra prétendre, en outre, au remboursement de ses frais de représentation et de déplacement, sur présentation de justificatifs. » ;
- que l'inclusion de la rémunération dans les comptes ne saurait constituer une autorisation rétroactive et se substituer aux délibérations formelles ;
- qu'aucun élément n'est produit aux débats pour justifier des prestations techniques et commerciales prétendument accomplies par M. [Z] [N] pour le compte de la société, les tâches évoquées par l'appelant correspondant à des fonctions classiques de président de société;
- qu'aucun élément ne démontre que la société [11] a agi dans le but de contourner délibérément les règles statutaires ou légales, alors même que le procès-verbal du 30 avril 2024 a valeur probante, indépendamment de son inscription ou non au registre des délibérations ;
- que la rémunération perçue par M. [Z] [N] au titre de la période du 1er novembre 2022 au 31 octobre 2023 n'a jamais été approuvée, avec toutes les conséquences en découlant et notamment la restitution des sommes indûment perçues.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 06 mai 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 27 mai suivant et mise en délibéré au 02 septembre 2025.
En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.
Motifs de la décision
- Sur la recevabilité des conclusions d'intimée,
A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application du deuxième alinéa de l'article 906-2 du code de procédure civile, l'irrecevabilité des conclusions d'intimé transmises au-delà du délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant est relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président.
Il en résulte qu'une telle demande est irrecevable devant la cour.
- Sur la demande provisionnelle,
En application de l'article 873 du code de procédure civile, le président peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
L'article L. 227-9 du code de commerce dispose que les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient.
Aux termes de l'article L. 227-10 du code précité, le commissaire aux comptes ou, s'il n'en a pas été désigné, le président de la société présente aux associés un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son président, l'un de ses dirigeants, l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3.
Les associés statuent sur ce rapport.
Les conventions non approuvées, produisent néanmoins leurs effets, à charge pour la personne intéressée et éventuellement pour le président et les autres dirigeants d'en supporter les conséquences dommageables pour la société.
Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, lorsque la société ne comprend qu'un seul associé, il est seulement fait mention au registre des décisions des conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et son dirigeant, son associé unique ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3.
Il est constant que, dès lors que les statuts d'une SAS prévoient que la rémunération de son président doit être fixée par une décision collective des associés, cette rémunération n'est pas soumise au contrôle prévu par les dispositions susvisées dont il ne peut être valablement argué de l'inobservation.
En l'espèce, l'article 16 des statuts de la société [5] prévoit que « La rémunération du président est fixée par décision collective des associés. Elle peut être fixe ou proportionnelle, ou à la fois fixe et proportionnelle. Il pourra prétendre, en outre, au remboursement de ses frais de représentation et de déplacement, sur présentation de justificatifs. »
Il en résulte que la rémunération du président de la société doit être déterminée par décision de la collectivité des associés.
Cependant, aucune décision n'a autorisé la perception par M. [Z] [N] de la somme de 48 549,66 euros à titre de rémunération pour l'exercice ouvert le 1er novembre 2022.
L'irrégularité de cette rémunération, qui ne relève pas du mécanisme de la responsabilité civile mais de l'exécution du contrat de société dont les termes ont été définies entre les associés, est indépendante du débat relatif à la réalité des prestations fournies par M. [Z] [N] en contrepartie.
Par ailleurs, le fait que les sommes versées aient été enregistrées dans les comptes sociaux, validées ou non, est sans incidence sur le défaut d'autorisation de cette rémunération.
Il en est de même de la circonstance aux termes de laquelle les rémunérations antérieures du président de la société n'auraient jamais été fixées conformément aux statuts, alors même qu'aucun élément de nature à démontrer une fraude de l'intimée n'est produit.
Dès lors, les contestations élevées à l'encontre de la demande provisionnelle en paiement formée par la société [4] sont dépourvues de caractère sérieux.
La rémunération litigieuse n'ayant pas été autorisée conformément aux dispositions statutaires, l'ordonnance dont appel sera confirmée.
Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :
Déclare irrecevable la demande de M. [Z] [N] tendant à l'irrecevabilité des conclusions déposées pour le compte de l'intimée le 25 avril 2025 ;
Confirme, dans les limites de l'appel, l'ordonnance rendue entre les parties le 13 décembre 2024 par le président du tribunal de commerce de Vesoul ;
Condamne M. [Z] [N] aux dépens d'appel ;
Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, le déboute de sa demande et le condamne à payer à Me [W] [J], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [4], la somme de 1 500 euros avec rejet du surplus de la demande.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° de rôle : N° RG 25/00013 - N° Portalis DBVG-V-B7J-E3F5
COUR D'APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 02 SEPTEMBRE 2025
Décision déférée à la Cour : ordonnance du 13 décembre 2024 - RG N°2024002572 - PRESIDENT DU TC DE [Localité 12]
Code affaire : 36Z - Autres demandes relatives aux dirigeants du groupement
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre.
M. Cédric SAUNIER, conseiller.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés devant M. Michel WACHTER, président et M. Cédric SAUNIER, conseiller qui ont fait un rapport oral de l'affaire avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour à M. Philippe MAUREL, conseiller.
L'affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [Z] [N]
né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 6]
de nationalité française, demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Pierre-etienne MAILLARD, avocat au barreau de MONTBELIARD
ET :
INTIMÉE
S.A.S. [5]
Sise [Adresse 14]
Inscrite au RCS de [Localité 12] sous le numéro [N° SIREN/SIRET 3]
Représentée par Me Michel MIGNOT de la SELARL JURIDIL, avocat au barreau de BELFORT
INTERVENANT [Localité 9]
Maître [W] [J] pris en sa qualité de Liquidateur de la SAS [4], société en liquidation, immatriculée au RCS sous le numéro [N° SIREN/SIRET 3], dont le siège social est [Adresse 13], ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire selon jugement d'ouverture du Tribunal de Commerce de VESOUL rendu le 23 janvier 2025 publié au BODACC le 29 janvier 2025
mandataire judiciaire, demeurant [Adresse 7]
Représenté par Me Michel MIGNOT de la SELARL JURIDIL, avocat au barreau de BELFORT
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
*************
Faits, procédure et prétentions des parties
Selon deux déclarations fiscales de cession de droits sociaux datées du 31 octobre 2023, M. [Z] [N] et son fils M. [F] [N] ont cédé à la SAS [10] [O], dirigée par Mme [H] [O], respectivement 70 % et 30 % des actions composant le capital de la SAS [4] pour un prix global de 100 000 euros.
Des conventions de garantie d'actif et de passif ont été signées le même jour entre les parties.
La cession est intervenue par référence aux comptes clos au 31 octobre 2022.
Par acte signifié le 28 août 2024, la société [4], a assigné M. [Z] [N] devant le président du tribunal de commerce de Vesoul statuant en référé, en sollicitant sa condamnation à lui rembourser une somme de 48 549,66 euros correspondant, selon les comptes clos au 31 octobre 2023, aux salaires perçus par M. [Z] [N] en qualité de président, alors que Mme [O] invoquait durant le même exercice une perte comptable chiffrée à la somme de 74 451,95 euros au jour de la cession, soit un montant de capitaux propres négatif chiffré à - 11 857 euros impliquant la perte de la moitié de son capital social avec publication légale emportant des conséquences défavorables sur le plan commercial.
Le président du tribunal de commerce de Vesoul a, par ordonnance rendue le 13 décembre 2024 :
- 'dit fondée la demande de la société [4] et rejeté la contestation sérieuse en se déclarant compétent pour connaître de cette instance' ;
- condamné M. [Z] [N] à payer à titre provisionnel à la société [5] la somme de 48 549,66 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 28 août 2024 ;
- rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamné M. [Z] [N] à payer à la société [5] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [Z] [N] aux entiers dépens de l`instance, y compris les frais de greffe.
Pour parvenir à cette décision, le juge de première instance a considéré :
- que la demande est régulièrement fondée sur l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;
- que la validation implicite des rémunérations par leur inclusion dans les comptes sociaux est sans incidence et ne se substitue pas à l'exigence statutaire d'une validation formelle par les associés, laquelle n'a pas eu lieu ;
- que la délibération de rejet des comptes, bien qu'adoptée après la clôture de l'exercice, est conforme à l'article L. 227-1 du code de commerce ;
- que par ailleurs, la clause de garantie d'actif et de passif, incluse dans le contrat de cession d'actions, s'applique aux montants litigieux qui constituent un préjudice financier pour la société ;
- qu'en l'absence d'abus de droit ou de fraude, les 'contestations sérieuses' soulevées par M. [Z] [N] doivent être écartées.
Par déclaration du 03 janvier 2025, M. [Z] [N], intimant la société [4], a interjeté appel de cette ordonnance en sollicitant son infirmation en toutes ses dispositions.
A la suite de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée de l'intimée prononcée le 23 janvier 2025, l'appelant a, par acte signifié à personne le 12 février suivant, assigné en intervention forcée Me [W] [J], liquidateur judiciaire, en sollicitant que l'arrêt à intervenir lui soit déclaré opposable.
Selon ses dernières conclusions transmises le 02 mai 2025, il conclut à son infirmation et demande à la cour :
- de déclarer irrecevables les conclusions déposées par l'intimée le 25 avril 2025 ;
- de débouter la société [4] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- de la renvoyer à mieux se pourvoir au fond ;
- de condamner Me [J], en qualité de liquidateur de la société [5], à lui payer les sommes de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;
- de le condamner en outre aux entiers dépens.
Il fait valoir :
- qu'en application de l'article 906.2 du code de procédure civile, les conclusions d'intimée sont irrecevables car ont été transmises le 25 avril 2025, soit plus de deux mois après ses propres conclusions d'appelant transmises le 23 janvier 2025 ;
- que sa rémunération litigieuse, comme les précédentes, n'a pas été fixée a priori par une décision des associés tel que prévu par les statuts, mais constituait une convention réglementée soumise à leur approbation postérieure ;
- que même à défaut d'approbation, la convention ayant conduit à lui verser une rémunération mensuelle entre les mois de novembre 2022 et d'octobre 2023 produit ses effets en application du deuxième alinéa de l'article L. 227-10 du code de commerce ;
- qu'il n'existe dès lors aucune obligation de restitution, de sorte que seul le mécanisme de la responsabilité civile, avec démonstration d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité est susceptible de fonder la demande adverse ;
- qu'en tranchant le problème de droit qui lui était soumis à cet égard, le juge des référés a outrepassé sa compétence ;
- que cette rémunération constituait la contrepartie d'une prestation de nature technique et commerciale effectuée au profit de la société, distincte de l'exercice du mandat social, de sorte qu'elle est assimilable à une convention portant sur des opérations courantes et conclue dans des conditions normales au sens de l'article L. 227-10 du code de commerce, tel que pratiqué au cours des précédents exercices à un niveau comparable ;
- que par ailleurs, la rémunération lui ayant été versée a été implicitement approuvée à l'occasion de l'élaboration de ces comptes, puisqu'elle est enregistrée sous l'intitulé 'salaires président' tandis qu'aucune écriture permettant de comptabiliser une éventuelle créance de restitution de la société à l'égard de son ancien président ne figure au bilan ;
- qu'en fondant sa demande sur son refus de valider ses propres comptes, la société [4] contrevient au principe de bonne foi, alors même que que le prix de cession des actions de 100 000 euros a été arrêté sur la base des comptes au 31 octobre 2022 et tenait compte de sa rémunération à hauteur de 46 446 euros ;
- que l'intimée a donc entrepris une fraude visant à obtenir une minoration du prix de vente au profit de son associée, la société [11].
Me [J], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [4], a répliqué en premier et dernier lieu par conclusions transmises le 05 mai 2025 pour demander à la cour de débouter M. [Z] [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, de confirmer l'ordonnance entreprise et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Il expose :
- que conformément à l'article 906-2 du code de procédure civile, ses premières conclusions notifiées le 25 avril 2025 l'ont été dans le délai de deux mois de la notification à sa personne des conclusions d'appelant intervenue le 26 février précédent ;
- que l'article 1986 du code civil dispose que le mandat est gratuit s'il n'y a convention contraire, de sorte que les fonctions dirigeantes d'une société peuvent être gratuites, ou rémunérées sur fixation par les associés aux termes des statuts ou lors d'une assemblée générale ;
- que si les statuts peuvent librement déterminer les modalités d'une telle rémunération, le dirigeant ne peut pas fixer unilatéralement sa propre rémunération, une telle décision prise sans l'accord des associés pouvant être considérée comme une faute de gestion et entraîner l'obligation de restituer les sommes indûment perçues ;
- qu'aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, dans le cas d'une SAS, l'attribution d'une rémunération au président et aux autres dirigeants est de nature purement contractuelle, elle s'analyse en une convention réglementée soumise à contrôle sauf si les statuts prévoient qu'elle est fixée par une décision collective des associés ;
- qu'en l'espèce, l'article 16 des statuts de la société [5] prévoit que « La rémunération du président est fixée par décision collective des associés. Elle peut être fixe ou proportionnelle, ou à la fois fixe et proportionnelle. Il pourra prétendre, en outre, au remboursement de ses frais de représentation et de déplacement, sur présentation de justificatifs. » ;
- que l'inclusion de la rémunération dans les comptes ne saurait constituer une autorisation rétroactive et se substituer aux délibérations formelles ;
- qu'aucun élément n'est produit aux débats pour justifier des prestations techniques et commerciales prétendument accomplies par M. [Z] [N] pour le compte de la société, les tâches évoquées par l'appelant correspondant à des fonctions classiques de président de société;
- qu'aucun élément ne démontre que la société [11] a agi dans le but de contourner délibérément les règles statutaires ou légales, alors même que le procès-verbal du 30 avril 2024 a valeur probante, indépendamment de son inscription ou non au registre des délibérations ;
- que la rémunération perçue par M. [Z] [N] au titre de la période du 1er novembre 2022 au 31 octobre 2023 n'a jamais été approuvée, avec toutes les conséquences en découlant et notamment la restitution des sommes indûment perçues.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 06 mai 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 27 mai suivant et mise en délibéré au 02 septembre 2025.
En application de l'article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.
Motifs de la décision
- Sur la recevabilité des conclusions d'intimée,
A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application du deuxième alinéa de l'article 906-2 du code de procédure civile, l'irrecevabilité des conclusions d'intimé transmises au-delà du délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant est relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président.
Il en résulte qu'une telle demande est irrecevable devant la cour.
- Sur la demande provisionnelle,
En application de l'article 873 du code de procédure civile, le président peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
L'article L. 227-9 du code de commerce dispose que les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient.
Aux termes de l'article L. 227-10 du code précité, le commissaire aux comptes ou, s'il n'en a pas été désigné, le président de la société présente aux associés un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son président, l'un de ses dirigeants, l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3.
Les associés statuent sur ce rapport.
Les conventions non approuvées, produisent néanmoins leurs effets, à charge pour la personne intéressée et éventuellement pour le président et les autres dirigeants d'en supporter les conséquences dommageables pour la société.
Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, lorsque la société ne comprend qu'un seul associé, il est seulement fait mention au registre des décisions des conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et son dirigeant, son associé unique ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3.
Il est constant que, dès lors que les statuts d'une SAS prévoient que la rémunération de son président doit être fixée par une décision collective des associés, cette rémunération n'est pas soumise au contrôle prévu par les dispositions susvisées dont il ne peut être valablement argué de l'inobservation.
En l'espèce, l'article 16 des statuts de la société [5] prévoit que « La rémunération du président est fixée par décision collective des associés. Elle peut être fixe ou proportionnelle, ou à la fois fixe et proportionnelle. Il pourra prétendre, en outre, au remboursement de ses frais de représentation et de déplacement, sur présentation de justificatifs. »
Il en résulte que la rémunération du président de la société doit être déterminée par décision de la collectivité des associés.
Cependant, aucune décision n'a autorisé la perception par M. [Z] [N] de la somme de 48 549,66 euros à titre de rémunération pour l'exercice ouvert le 1er novembre 2022.
L'irrégularité de cette rémunération, qui ne relève pas du mécanisme de la responsabilité civile mais de l'exécution du contrat de société dont les termes ont été définies entre les associés, est indépendante du débat relatif à la réalité des prestations fournies par M. [Z] [N] en contrepartie.
Par ailleurs, le fait que les sommes versées aient été enregistrées dans les comptes sociaux, validées ou non, est sans incidence sur le défaut d'autorisation de cette rémunération.
Il en est de même de la circonstance aux termes de laquelle les rémunérations antérieures du président de la société n'auraient jamais été fixées conformément aux statuts, alors même qu'aucun élément de nature à démontrer une fraude de l'intimée n'est produit.
Dès lors, les contestations élevées à l'encontre de la demande provisionnelle en paiement formée par la société [4] sont dépourvues de caractère sérieux.
La rémunération litigieuse n'ayant pas été autorisée conformément aux dispositions statutaires, l'ordonnance dont appel sera confirmée.
Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :
Déclare irrecevable la demande de M. [Z] [N] tendant à l'irrecevabilité des conclusions déposées pour le compte de l'intimée le 25 avril 2025 ;
Confirme, dans les limites de l'appel, l'ordonnance rendue entre les parties le 13 décembre 2024 par le président du tribunal de commerce de Vesoul ;
Condamne M. [Z] [N] aux dépens d'appel ;
Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, le déboute de sa demande et le condamne à payer à Me [W] [J], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [4], la somme de 1 500 euros avec rejet du surplus de la demande.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,