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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 4 septembre 2025, n° 24/06960

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 24/06960

4 septembre 2025

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 30B

Chambre civile 1-5

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 SEPTEMBRE 2025

N° RG 24/06960 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W3JT

AFFAIRE :

S.A.S. BLOC MOTORS

C/

S.C.I. LES ELEPHANTS

S.E.L.A.R.L. [V]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 06 Septembre 2024 par le Président du TJ de [Localité 9]

N° RG : 24/00471

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 04.06.2025

à :

Me Emmanuelle BOQUET, avocat au barreau de VAL D'OISE (155)

Me Audrey ALLAIN, avocat au barreau de VERSAILLES (344)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. BLOC MOTORS

Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 952 513 018

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Emmanuelle BOQUET de la SCP BOQUET-NICLET-LAGEAT, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 155 - N° du dossier E00079HL

APPELANTE

****************

S.C.I. LES ELEPHANTS

Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 793 047 028

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentant : Me Audrey ALLAIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 344 - N° du dossier 20241105

INTIMEE

****************

S.E.L.A.R.L. [V]

Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentant : Me Emmanuelle BOQUET de la SCP BOQUET-NICLET-LAGEAT, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 155

PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Juin 2025 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de présidente,

Madame Marina IGELMAN, Conseillère,

Monsieur Hervé HENRION, Conseiller,

Greffière lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 10 juillet 2022, la SCI Les Eléphants a donné à bail commercial à la société Idprepar, pour une durée de neuf années, un local à usage professionnel lui appartenant, situé au 1er étage d'un immeuble sis [Adresse 1] à Argenteuil (95100), moyennant le paiement mensuel et d'avance d'un loyer annuel révisable hors charges de 27 626,40 euros.

Par acte sous seing privé en date du 10 juillet 2022, la SCI Les Eléphants a donné à bail commercial à la société Elkatex, pour une durée de 9 années, un local à usage professionnel lui appartenant, situé au rez-de-chaussée du même immeuble moyennant le paiement mensuel et d'avance d'un loyer annuel révisable hors charges de 27 626,40 euros.

Aux termes de deux actes sous seing privé du 18 août 2023, les sociétés Idprepar et Elkatex ont respectivement cédé leur fonds de commerce à la SAS Bloc Motors.

Par actes de commissaires de justice du 1er février 2024, la SCI Les Eléphants a fait délivrer à la société Bloc Motors deux commandements de payer visant la clause résolutoire, à hauteur de 2 960,93 euros pour le local du 1er étage et de 4 711,52 euros pour le local du rez-de-chaussée.

Les commandements sont demeurés infructueux.

Par acte de commissaire de justice délivré le 12 avril 2024, la SCI Les Eléphants a fait assigner en référé la société Bloc Motors aux fins d'obtenir principalement le constat de l'acquisition de la clause résolutoire, l'expulsion de la locataire et sa condamnation à lui payer au titre du local situé au 1er étage, la somme provisionnelle de 6 649,20 euros et au titre du local situé au rez-de-chaussez, la somme provisionnelle de 3 431,65 euros, outre une indemnité d'occupation.

Par ordonnance réputée contradictoire rendue le 6 septembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Pontoise a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire de chaque bail au 1er mars 2024,

- dit que la société Bloc Motors doit quitter et rendre libre de toute occupation les locaux situés au rez-de-chaussée et au 1er étage de l'immeuble lui appartenant, sis à [Adresse 8],

- à défaut, ordonné l'expulsion de la société Bloc Motors et de tous occupants de son chef, des locaux situés au rez-de-chaussée et au 1er étage de l'immeuble lui appartenant, sis à [Adresse 8], ainsi que celle de tous occupants de son chef, si besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier, dans les conditions fixées par le code des procédures civiles d'exécution,

- ordonné, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront séquestrés aux frais de la personne expulsée dans tel lieu choisi par la SCI Les Eléphants,

- condamné la société Bloc Motors à payer à la SCI Les Eléphants :

- au titre du local situé au 1er étage, la somme provisionnelle de 6 649,20 euros, loyer d'avril 2024 inclus,

- au titre du local situé au rez-de-chaussée, la somme provisionnelle de 3 431,65 euros, loyer d'avril 2024 inclus,

- les intérêts produits par les sommes précitées, calculés au taux légal à compter du 1er février 2024, date de signification des commandements de payer,

- la somme provisionnelle de 504,04 euros, représentant 5% des sommes dues à titre d'indemnité forfaitaire en application de la clause pénale prévue aux termes de chacun des baux commerciaux litigieux du 10 juillet 2022,

- pour chaque bail commercial, une indemnité mensuelle d'occupation provisionnelle, d'un montant qu'il convient de fixer à celui du loyer contractuel, révisable comme lui et augmentée des charges locatives, devra également être versée à la SCI Les Eléphants par la société Bloc Motors à compter du 1er mai 2024 jusqu'à la libération effective des lieux,

- la somme de 2 400 euros à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Bloc Motors aux entiers dépens, y compris le coût des commandements de payer, de l'assignation et de signification de la décision,

- débouté la SCI Les Eléphants du surplus de ses prétentions,

- rappelé que la décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Par déclaration reçue au greffe le 31 octobre 2024, la société Bloc Motors a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a débouté la SCI Les Eléphants du surplus de ses prétentions.

Par jugement rendu le 17 mars 2025, le tribunal de commerce de Pontoise a placé la société Bloc Motors en redressement judiciaire et a nommé Maître [E] [S] [V] en qualité de mandataire judiciaire.

Dans ses dernières conclusions déposées le 25 novembre 2024 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Bloc Motors demande à la cour de :

'- infirmer l'ordonnance du 06 septembre 2024,

statuant de nouveau,

- constater l'existence d'une contestation sérieuse,

- dire n'y avoir lieu à référé,

- débouter la SCI des Eléphants de ses demandes,

- condamner la SCI des Eléphants à payer à la société Bloc Motors somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SCI des Eléphants aux entiers dépens,

subsidiairement,

- accorder à la société Bloc Motors des délais de paiement à raison de 12 mensualités,

- ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire contenue dans les baux commerciaux du 10 juillet 2022,

- dire que la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais jouée,

très subsidiairement,

- ordonner la réduction de la clause pénale à un euro symbolique.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 20 décembre 2024 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCI Les Eléphants demande à la cour, au visa des articles L. 145-41 du code de commerce et 1343-5 du code civil, de :

'- confirmer l'ordonnance de référé du 6 septembre 2024 en ce qu'elle a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail au 1er mars 2024,

- dit que la société Bloc Motors doit quitter et rendre libre les locaux du rez de chaussée et du 1er étage de l'immeuble [Adresse 2],

- ordonné l'expulsion de la société Bloc Motors des mêmes locaux et de tous occupants de son chef,

- ordonné la séquestration des meubles aux frais de la personne expulsée,

- condamné la société Bloc Motors à payer à la SCI des Eléphants les sommes de 6 649,20 euros, 3 431,65 euros, les intérêts sur ces sommes au taux légal à compter du 1er février 2024, 504,04 euros au titre de la clause pénale, une indemnité mensuelle d'occupation comprenant le montant du loyer et des charges locatives, révisable comme le loyer à compter du 1er mai 2024, 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens de première instance,

- débouter la société Bloc Motors de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Bloc Motors à payer à la SCI Les Eléphants une indemnité de 5% au titre de la clause pénale sur toutes les condamnations supplémentaires prononcées par la cour d'appel,

- condamner la société Bloc Motors à payer à la SCI Les Eléphants la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

- condamner la société Bloc Motors aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Audrey Allain, avocat au Barreau de Versailles, par application de l'article 699 du code de procédure civile.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 4 juin 2025 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SELARL [V], prise en la personne de Maître [S] [V], ès qualités de mandataire judiciaire de la société Bloc Motors, demande à la cour :

'- accueillir Maître [E] [S] [V] ès qualité de mandataire judiciaire de la société en redressement SAS BLOC MOTORS en son intervention volontaire,

- infirmer l'ordonnance du 06 septembre 2024,

statuant de nouveau,

- constater l'existence d'une contestation sérieuse,

- dire n'y avoir lieu à référé,

- débouter la SCI des Eléphants de ses demandes,

- condamner la SCI des Eléphants à payer à la Société par actions simplifiée Bloc Motors la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SCI des Eléphants aux entiers dépens,

subsidiairement,

- accorder à la société Bloc Motors des délais de paiement à raison de 12 mensualités,

- ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire contenue dans les baux commerciaux du 10 juillet 2022,

- dire que la clause résolutoire sera réputée n'avoir jamais jouée,

très subsidiairement,

- ordonner la réduction de la clause pénale à un euro symbolique.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 juin 2025.

Par message RPVA en date du 16 juin 2025, il a été demandé aux parties de transmettre leurs observations, sous forme de note en délibéré, sur :

- la recevabilité de la demande tendant à la constatation en référé de l'acquisition d'une clause

résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement de loyers échus avant l'ouverture de

la procédure collective, en application des dispositions de l'article L.622.21 du code de commerce ;

- la recevabilité de la demande de fixer au passif de la société faisant l'objet d'une procédure collective une créance alors qu'une provision susceptible d'être accordée par le juge des référés n'est par nature qu'une créance provisoire.

Par note en délibéré du 17 juin 2025, le conseil de la société civile immobilière Les Eléphants rappelle la chronologie du dossier et fait valoir qu'au moment de ses premières conclusions, aucune procédure collective n'avait été mise en oeuvre, de sorte qu'elle ne pouvait que conclure à la confirmation de l'ordonnance attaquée.

Elle conclut : ' le cas échéant, vous jugerez que la poursuite de la procédure d'appel par la société Bloc Motors est abusive'.

Par note en délibéré du 18 juin 2025, le conseil de la société Bloc Motors indique qu'à la suite de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire, comme la demande de provision formée par la société civile immobilière Les Eléphants, doivent être déclarées irrecevables.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article L. 622-21 I du code de commerce dispose que le jugement d'ouverture d'une procédure collective " interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :

1° À la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;

2° À la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent."

En application de ces dispositions, applicables à la procédure de redressement judiciaire par renvoi de l'article L. 631-14, le jugement d'ouverture d'une procédure collective interrompt les instances en cours qui tendent à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ainsi qu'à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.

Il résulte donc de ces dispositions que la bailleresse ne peut pas poursuivre en justice le constat de l'acquisition de la clause résolutoire pour des loyers et des charges impayés échus avant l'ouverture de la procédure collective une fois le redressement prononcé compte tenu de l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers.

Au cas présent, la décision dont appel date du 6 septembre 2024 et l'appel a été interjeté le 31 octobre 2024, tandis que la procédure de redressement judiciaire de la société Bloc Motors a été ouverte par jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 17 mars 2025, de sorte qu'à cette date, elle n'était pas passée en force de chose jugée.

En application des textes susvisés, à défaut de décision passée en force de chose jugée antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, une demande tendant à la constatation en référé de l'acquisition d'une clause résolutoire d'un bail commercial pour défaut de paiement de loyers échus avant l'ouverture de la procédure collective se heurte à l'interdiction des poursuites et doit être déclarée irrecevable.

Il est par ailleurs constant que seules les condamnations prononcées par le juge du fond peuvent faire l'objet d'une fixation au passif d'une société en redressement judiciaire et qu'une provision susceptible d'être accordée par le juge des référés n'étant par nature qu'une créance provisoire, ne peut faire l'objet d'une telle fixation, la demande concernant cette créance devant être soumise au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances.

Par voie d'infirmation, il convient dès lors de déclarer la société Les Eléphants irrecevable en toutes ses demandes formées à l'encontre de la société Bloc Motors.

Aucun abus de procédure ne peut en revanche être reproché à la société Bloc Motors, qui disposait d'un intérêt certain à ne pas laisser subsister dans l'ordonnancement judiciaire une décision résiliant son bail et la condamnant à titre provisionnel.

Sur les demandes accessoires

Au regard de la nature de la présente décision, l'infirmation relevant pour l'essentiel de l'ouverture d'une procédure collective au profit de la société Bloc Motors, la décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Pour le même motif, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel.

En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Vu le jugement d'ouverture de la procédure collective rendu le 17 mars 2025 par le tribunal de commerce de Pontoise intéressant la société Bloc Motors,

Infirme l'ordonnance entreprise à l'exception de ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité procédurale ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare la société Les Eléphants irrecevable en ses demandes d'acquisition de la clause résolutoire et en paiement formées à l'encontre de la société Bloc Motors ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseillère faisant fonction de Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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