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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 4 septembre 2025, n° 21/11422

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/11422

4 septembre 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-4

ARRÊT AU FOND

DU 04 SEPTEMBRE 2025

Rôle N° RG 21/11422 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BH4JD

S.A.R.L. HOTEL LUTETIA

C/

S.C.I. LUTETIA

Copie exécutoire délivrée

le : 4 Septembre 2025

à :

Me Benjamin AYOUN

Me Benjamin CARDELLA

Décision déférée à la Cour :

Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 4] en date du 01 Juin 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 17/13726.

APPELANTE

S.A.R.L. HOTEL LUTETIA

, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Benjamin AYOUN, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Rachid BENDJEBAR, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.C.I. LUTETIA

, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Benjamin CARDELLA, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 806 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mai 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :

Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président Rapporteur,

et Madame Laetitia VIGNON, conseiller- rapporteur,

chargés du rapport qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :

Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente

Madame Laetitia VIGNON, Conseillère

Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2025.

Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte sous seing privé du 3 juillet 2008, la SCI Lutetia a donné à bail commercial à la SARL Hôtel Lutetia, pour une durée de 9 années à compter du 1er juillet 2008, un immeuble de cinq étages sis [Adresse 2] à Marseille (1er) moyennant un loyer annuel de 54000 euros hors taxes et hors charges.

La SCI Lutetia a fait délivrer le 22 décembre 2016 à la SARL Hôtel Lutetia un congé avec offre de renouvellement au prix annuel de 70000 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er juillet 2009. La preneuse a accepté le principe du renouvellement du bail et refusé l'augmentation du prix du loyer.

Par jugement du 25 juin 2019, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Marseille, saisi par la bailleresse, a :

- dit que le bail renouvelé entre les parties a pris effet au 1er juillet 2017,

- constaté le caractère monovalent des locaux,

- dit que le prix du loyer sera fixé selon les usages observés dans la branche d'activité de l'hôtellerie par application de l'article R.145-10 du code de commerce,

- ordonné une expertise confiée à Mme [N] [Y],

- déclaré irrecevables les demandes reconventionnelles de la preneuse,

- fixé le loyer pendant la durée de l'instance à 60000 euros HT et HC.

L'expert a clôturé son rapport le 22 octobre 2020, retenant une valeur locative annuelle au 1er juillet 2017 de 74600 euros, et précisant qu'un abattement de 10% prenant en compte les travaux d'amélioration n'ayant pas fait accession au bailleur pouvait être retenu.

La SCI Lutetia a sollicité la fixation du prix du loyer à 74600 euros, la SARL Hôtel Lutetia demandant pour sa part que le loyer soit fixé à 64206,64 euros.

Par jugement du 1er juin 2021, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Marseille a :

- fixé le loyer annuel du bail renouvelé au 1er juillet 2017 à la somme de 74600 euros hors taxes et hors charges,

- dit n'y avoir lieu à prononcer de condamnation,

- dit que les intérêts au taux légal courent sur chaque échéance sur la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis le renouvellement, à compter du 11 décembre 2017, date de l'assignation, et qu'ils seront capitalisés par années entières,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- fait masse des dépens comprenant les frais d'expertise, qui seront partagés par moitié entre les parties à la procédure,

- dit n'y avoir lieu à distraction des dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.

La SARL Hôtel Lutetia a interjeté appel de cette décision le 27 juillet 2021.

Par conclusions déposées et notifiées le 7 février 2025, la société Hôtel Lutetia demande à la cour, vu les articles L.145-8 et L.145-33 es suivants du code de commerce, de :

- infirmer le jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Marseille du 1er juin 2021,

Statuant à nouveau,

- fixer le loyer annuel du bail renouvelé au 1er juillet 2017 à la somme de 38990,26 euros en principal,

- condamner la SCI Lutetia au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions déposées et notifiées le 27 février 2025, la SCI Lutetia demande à la cour, vu les articles L.145-33 et suivants et R.145-10 du code de commerce de :

- débouter la société Hôtel Lutetia de toutes ses demandes,

- confirmer le jugement rendu par le juge des loyers commerciaux qui fixe le loyer annuel du bail renouvelé au 1er juillet 2017 à la somme de 74600 euros hors charges et hors taxes,

- condamner la société Hôtel Lutetia au paiement d'une somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- venir la SARL Hôtel Lutetia s'entendre condamner aux dépens compris les frais d'expertise dont distraction au profit de Maître Benjamin Cardella en vertu de l'article 699 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée le 22 avril 2025.

MOTIFS

Conformément aux termes du jugement du 25 juin 2019, non frappé d'appel, ayant constaté le caractère monovalent des locaux, la valeur locative de l'hôtel doit être déterminée selon les usages de la profession, à savoir en l'espèce selon la 'méthode hôtelière', en application des dispositions de l'article R.145-10 du code de commerce.

Ainsi que le rappelle l'expert désigné par le juge des loyers, la méthode hôtelière consiste à déterminer la valeur locative des hôtels par référence à une recette théorique à laquelle on applique un taux d'occupation, puis un taux sur recette déterminé selon la catégorie de l'établissement à partir des usages de la profession.

Selon les constatations de l'expert, les locaux donnés à bail sont situés au centre ville de [Localité 4] à proximité immédiate de la gare [5], dans un immeuble ancien datant vraisemblablement du 19ème siècle, accueillant 29 chambres équipées de sanitaires privatifs complets, dont 18 rénovées.

Les locaux présentent un état général très correct.

L'établissement était homologué en 2 étoiles jusqu'en 2016 et n'est plus classé depuis.

L'expert a par ailleurs constaté que l'ascenseur était hors service, en raison de non-conformités constatées en 2016 et non résolues malgré des travaux réalisés par la bailleresse pour un coût de 24816,32 euros TTC en 2017 avant renouvellement du bail et de 22165,85 euros TTC en 2018 après renouvellement.

Sur la détermination de la recette théorique annuelle :

Pour la partie hébergement, l'expert calcule la recette théorique en multipliant le prix pratiqué à la chambre par le nombre de chambre puis par le nombre de jours d'exploitation.

Cette méthode, correspondant à la 'méthode hôtelière classique' par opposition à la 'méthode hôtelière rénovée', n'est pas remise en cause par les parties.

La preneuse reproche à l'expert d'avoir retenu un prix moyen HT à la chambre de 57,59 euros, sans prendre en considération, selon elle, le marché environnant et le manque d'attractivité de l'hôtel non classé, concurrencé par les résidences de tourisme et locations Airbnb et qui ne profite pas du dynamisme du tourisme à [Localité 4].

Elle préconise l'application d'un prix moyen par chambre de 45 euros correspondant à un tarif dégressif selon l'étage compte tenu de la mise hors service de l'ascenseur.

Ainsi que l'a relevé le premier juge, l'expert a noté que la localisation de l'hôtel présentait certains inconvénients à la tombée de la nuit avec un phénomène d'insécurité malgré les efforts des pouvoirs publics, que l'hôtel non classé et sans service s'adresse à une clientèle aux revenus modestes et que si l'établissement peut capter une certaine clientèle touristique de passage à la nuitée, il s'adresse également à une clientèle exprimant un besoin de logement temporaire. L'expert note également que l'évolution favorable du tourisme à [Localité 4] a une incidence assez limitée sur cette catégorie d'hôtel.

S'agissant en particulier de la détermination du prix moyen HT à la chambre, les critiques de l'appelante ne sont en tout état de cause pas fondées puisque le prix de 57,59 euros retenu par l'expert est précisément celui communiqué par le conseil de la preneuse comme étant le prix moyen HT de la chambre pour l'année 2017, tel qu'il ressort du logiciel de gestion comptable de l'hôtel Lutetia.

L'expert précise que cette tarification, donnée par l'exploitant lui-même, lui paraît cohérente par rapport aux établissements de catégorie comparable du même secteur géographique.

Ce prix de base sera en conséquence entériné.

Ce prix doit être multiplié par le nombre de chambres de l'hôtel soit 29, le fait que l'exploitant fasse le choix d'affecter l'une des chambres à un gardien étant sans incidence pour le calcul de la recette théorique.

Concernant les recettes annexes, c'est à tort que la preneuse reproche à l'expert d'avoir considéré que 100% des clients prenaient un petit déjeuner à 9 euros TTC.

L'expert a au contraire précisé que compte tenu de la catégorie de l'hôtel, des habitudes de la clientèle et de la situation en centre ville, pouvant fortement limiter l'utilisation de ce service, il pouvait être retenu le principe d'un petit déjeuner à 8,18 euros HT pour 9 chambres, soit environ 30% de la capacité de l'hôtel.

La preneuse ne conteste pas qu'en l'absence de période de fermeture annuelle, la recette journalière doit être multipliée par 365.

S'agissant du taux de fréquentation, contrairement à ce qu'affirme la bailleresse, la preneuse ne conteste pas le taux de 65% appliqué par l'expert, soit un taux légèrement inférieur au taux moyen de 66,8% ressortant des statistiques de l'observatoire local du tourisme pour les établissements classés 'super économique' sur la période de 2014 à 2017.

(La preneuse déduit 35%, ce qui équivaut à multiplier par 65%).

La recette théorique de base ainsi déterminée s'élève à 414388 euros, le calcul de l'expert étant entériné.

Sur cette recette théorique, l'expert applique un taux de prélèvement correspondant à la rémunération du bailleur.

Il sera retenu le taux de 18% proposé par l'expert, tenant compte des caractéristiques propres des locaux considérés, étant précisé que la fourchette admise pour les hôtels équivalents à 1 ou 2 étoiles est comprise entre 18% et 21%.

La valeur locative des locaux considérés ressort ainsi à 74600 euros.

S'agissant des travaux d'amélioration invoqués par la preneuse, l'expert a examiné l'ensemble des factures produites par la SARL Hôtel Lutetia et retenu, comme se rapportant à des améliorations effectuées entre le 1er juillet 2008 et le 1er juillet 2017, des factures de matériaux portant sur la fourniture de peinture, carrelage, électricité, plomberie, d'un montant total d'environ 6000 euros HT et quantifié l'industrie personnelle de l'exploitant à 12000 euros.

C'est à juste titre que le premier juge a écarté l'application d'un abattement au titre des travaux réalisés par le preneur dès lors que :

- s'agissant des travaux relevant de l'article L.311-1 du code du tourisme, soit en l'espèce, plomberie, électricité, équipement sanitaire, il est de principe que le locataire qui ne procède pas à la notification au bailleur de l'intention de réaliser des travaux par la lettre recommandée prévue à l'article L.311-2 du même code, ne peut prétendre à aucune réduction de la valeur locative du bien en raison des travaux réalisés ; la SARL Hôtel Lutetia ne justifie pas avoir procédé à cette notification ;

- l'article R.145-8 du code de commerce invoqué par l'appelante n'est pas applicable lorsque s'agissant de locaux monovalents, la valeur locative est déterminée, conformément à l'article R.145-10 et par dérogation aux articles L.145-33 et R.145-3 et suivants, selon les usages observés dans la branche d'activité considérée.

Le jugement sera en conséquence également confirmé sur ce point.

L'appelante conteste la valeur locative retenue par le premier juge qui selon elle, ne tient pas compte de la dépréciation de l'hôtel résultant de la mise à l'arrêt de l'ascenseur depuis 2016, qui ne permet plus l'exploitation normale des chambres situées en étage et est à l'origine de la perte du classement en 2 étoiles.

Elle prétend qu'il s'agit d'un problème de délivrance qui fait perdre au bien loué sa destination contractuelle d'hôtel de tourisme, l'établissement accueillant maintenant des jeunes migrants pris en charge par une association subventionnée par le conseil départemental.

La mise à l'arrêt de l'ascenseur est un problème d'exécution du bail qui oppose les parties dans le cadre d'une procédure distincte et ne relève pas de la compétence du juge des loyers commerciaux.

Il sera relevé en outre que pour déterminer la recette théorique annuelle, l'expert a retenu le tarif effectivement pratiqué par l'exploitant sur l'année 2017, soit sur une période pendant laquelle l'ascenseur était déjà à l'arrêt selon l'appelante. Le grief n'est donc pas fondé.

Les conventions signées avec des associations en 2018 et 2021 pour l'accueil de jeunes migrants sont des événements postérieurs à la date de renouvellement du bail et ne peuvent en conséquence avoir d'incidence sur la fixation du prix du bail au 1er juillet 2017.

En tout état de cause, et comme le souligne la bailleresse, ces conventions, qui ont permis à la preneuse d'augmenter fortement son chiffre d'affaires, visent expressément une prestation de location de chambres d'hôtel et n'entraînent aucun changement de destination du bail.

Partie succombante sur son appel, la SARL Hôtel Lutetia sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la SARL Hôtel Lutetia de ses demandes,

Condamne la SARL Hôtel Lutetia à payer à la SCI Lutetia la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SARL Hôtel Lutetia aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, La Présidente,

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