Livv
Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 3 septembre 2025, n° 24/04572

BORDEAUX

Arrêt

Autre

CA Bordeaux n° 24/04572

3 septembre 2025

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 03 SEPTEMBRE 2025

N° RG 24/04572 - N° Portalis DBVJ-V-B7I-N7JE

S.C.I. [Localité 4] BT 59

c/

S.A.R.L. LES ITALIENS

Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 26 septembre 2024 (R.G. 23/08061) par le Juge de la mise en état de la 5ème chambre civile du Tribunal Judiciaire de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 16 octobre 2024

APPELANTE :

S.C.I. [Localité 4] BT 59, inscrite au RCS de [Localité 5] sous le numéro 831 968 664, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

Représentée par Maître Marie-Anne BLATT de la SELARL CABINET CAPORALE - MAILLOT - BLATT ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A.R.L. LES ITALIENS, exerçant sous l'enseigne FELLINI, inscrite au RCS de [Localité 5] sous le numéro 527 670 442, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 6]

Représentée par Maître François CILIENTO de la SELAS CILIENTO AVOCATS, avocat au barreau de LIBOURNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 avril 2025 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. La société anonyme d'HLM Vilogia a, par bail commercial verbal du 1er octobre 2010, donné en location pour une durée de neuf années à la société à responsabilité limitée Les Italiens un local situé [Adresse 3] [Localité 4] (Gironde), au sein duquel est exploité un restaurant sous l'enseigne Le Fellini.

Par acte d'huissier de justice du 20 février 2019, la société [Localité 4] BT59, venant aux droits de la société Vilogia, a fait signifier à la locataire un congé avec offre de renouvellement et déplafonnement du loyer.

Par lettre officielle du 28 mai 2019, le conseil du preneur a notifié au conseil du bailleur l'accord de sa cliente sur le principe de renouvellement mais son désaccord sur le montant du loyer proposé.

2. La société Bègles BT59 a, par assignation délivrée le 22 avril 2022, saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bordeaux, qui, par jugement prononcé le 26 juillet 2023, a déclaré qu'il n'entrait pas dans ses pouvoirs de statuer sur la fin de non recevoir opposée par la société locataire à l'action engagée par le bailleur et a renvoyé l'affaire devant la cinquième chambre civile du tribunal judiciaire de Bordeaux.

Par conclusions d'incident du 14 mars 2024, la société Les Italiens a saisi le juge de la mise en état d'une fin de recevoir fondée sur la prescription de l'action en fixation du loyer du bail renouvelé.

Par ordonnance du 26 septembre 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- déclaré prescrite l'action engagée par la société [Localité 4] BT 59 en fixation du loyer du bail renouvelé ;

- condamné la société [Localité 4] BT 59 à supporter les dépens ;

- condamné la société [Localité 4] BT 59 à verser à la société Les Italiens la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration au greffe du 16 octobre 2024, la société [Localité 4] BT 59 a relevé appel de l'ordonnance énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la société Les Italiens.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

3. Par dernières écritures notifiées le 12 décembre 2024, la société [Localité 4] BT 59 demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles L 145-60 et R. 145-24 à R 145-26 du code du commerce
Vu la jurisprudence susvisée

- infirmer l'ordonnance du 26 septembre 2024 en ce qu'elle a déclaré prescrite l'action en fixation du loyer du bail renouvelé engagée par la société [Localité 4] BT 59, condamné le bailleur aux entiers dépens et à verser à la société Les Italiens la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau
- juger que l'action en fixation du loyer du bail renouvelé engagée par la société [Localité 4] BT 59 n'encourt pas la prescription ;

- débouter la société locataire de l'ensemble de ses demandes ;

- la condamner au paiement de la somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'incident.

4. Par dernières écritures notifiées le 10 février 2025, la société Les Italiens demande à la cour de :

Vu l'article L145-60 du code de commerce,

Vu les articles 2240 et suivants du code civil,

Vu les articles L145-34 et L145-33 du code de commerce

Vu l'article R 145-30 du code de commerce

Vu la jurisprudence visée

- déclarer prescrite l'action aux fins de fixation du loyer du bail renouvelé de la société [Localité 4] BT 59 ;

- confirmer l'ordonnance du 26 septembre 2024 en toutes ses dispositions ;

- condamner la société [Localité 4] BT 59 à payer à la société Les Italiens la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société [Localité 4] BT 59 aux entiers dépens.

***

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 avril 2025.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

5. Au visa des articles R.145-24 à R.145-26 du code de commerce et de l'article 33 du décret n°53-960 du 30 septembre 1953, la société [Localité 4] BT59 fait grief à l'ordonnance déférée d'avoir déclaré prescrite son action en fixation du loyer du bail renouvelé.

L'appelante fait valoir que, conformément à la procédure prévue en matière de révision du loyer commercial, elle a notifié son mémoire selon lettre recommandée avec accusé de réception du 27 septembre 2021 ; que puisque la date d'effet du congé était le 1er octobre 2021, la prescription de deux ans n'est pas acquise.

La société [Localité 4] BT59 soutient qu'il est de principe que c'est l'envoi de la lettre recommandée qui est interruptif de prescription, d'une part en vertu de l'article 33 du décret du 30 septembre 1953, d'autre part conformément aux obligations de loyauté et de bonne foi contractuelle puisqu'en l'espèce le preneur a été avisé de la présentation de la lettre recommandée mais ne l'a pas retirée ; qu'en pareil cas, la Cour de cassation sanctionne ce type de comportement puisque celui qui refuse d'aller retirer la lettre recommandée ne peut se prévaloir de sa propre carence pour chercher à obtenir un avantage, à savoir la prescription de l'action en fixation du loyer du bail renouvelé.

L'appelante indique que son conseil avait pris soin d'adresser au conseil du preneur le mémoire litigieux et les pièces, de sorte qu'il ne peut être plaidé que l'intimée n'a pas eu connaissance du mémoire préalablement à l'assignation.

6. Au visa de l'article L.145-60 du code de commerce, la société Les Italiens répond que la notification du mémoire effectuée le 27 septembre 2021 ne peut être interruptive de prescription que pour autant que le destinataire en a eu connaissance ; que le local commercial a fait l'objet d'un incendie le 1er janvier 2021, ce qui a empêché toute activité à compter de cette date et jusqu'au mois de novembre 2021 ; que puisque la société Les Italiens n'était pas dans les lieux en raison des travaux de remise en état qui y étaient réalisés, elle n'a pas été avisée de la nécessité de retirer une lettre recommandée qui lui était adressée ; que le bailleur, qui était informé de la situation, pouvait envoyer son mémoire à l'adresse de l'un des gérants du preneur ou le faire signifier par un commissaire de justice.

L'intimée ajoute qu'il est de principe que le mémoire notifié par l'envoi en lettre recommandée avec accusé de réception peut être interruptif à condition d'avoir été remis à son destinataire ; que le mémoire notifié en LRAR et retourné à l'expéditeur ne peut être interruptif qu'à la condition d'avoir été complété ultérieurement par la remise effective du mémoire à son destinataire, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

La société les Italiens conclut que, en vertu des articles 2240 et suivants du code civil, la prescription biennale de l'article L.145-60 du code de commerce ne peut être interrompue que par une citation en justice ; que l'offre de renouvellement lui a été signifiée le 20 février 2019 pour un renouvellement à effet au 1er octobre 2019, de sorte que l'action en fixation du loyer du bail renouvelé devait être mise en 'uvre avant le 1er octobre 2021 ; que, puisque l'assignation a été délivrée le 22 avril 2022, soit plus de deux ans après la date d'effet du nouveau bail, l'action de la société [Localité 4] BT59 est prescrite.

Sur ce,

7. En vertu de l'article L.145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du chapitre V relatif au bail commercial se prescrivent par deux ans.

Selon l'article 33 du décret du 30 septembre 1953, la notification du mémoire prévu par l'article R.145-23 du code de commerce interrompt la prescription.

Il est constant en droit que le délai de l'action en fixation du prix du bail renouvelé ne court qu'à compter de la date d'effet du nouveau bail ; que la notification du mémoire préalable a un effet interruptif de prescription, peu important que la lettre recommandée, dûment avisée, n'ait pas été retirée par celui auquel elle était adressée, dont il est de principe qu'il ne doit pas être le maître des effets de cette notification.

8. En l'espèce, il est établi par les pièces produites par l'appelante que la société [Localité 4] BT59 a tout d'abord fait signifier le 20 février 2019 à la société Les Italiens un congé pour la date du 30 septembre 2019 avec offre de renouvellement du bail.

L'appelante a ensuite notifié son mémoire le 23 septembre 2021 au [Adresse 2], adresse du siège social de la société Les Italiens ; que cette lettre recommandée avec accusé de réception a fait l'objet d'un avis de passage en date du 27 septembre suivant et n'a pas été retirée par l'intimée.

9. L'intimée soutient qu'elle ne pouvait prendre connaissance de l'avis de passage des services postaux dans la mesure où des travaux étaient en cours en raison de la nécessité de faire remettre les locaux en état à la suite d'un incendie criminel perpétré le 1er janvier 2021 ; elle explique qu'elle n'avait donc pas accès au local commercial puisqu'elle en avait remis les clés au bailleur.

10. Toutefois, si la preuve de l'incendie est rapportée par la société Les Italiens, il n'en est pas de même de même de la durée des travaux de remise en état et en particulier de ce que, le 27 septembre 2021, elle n'était pas en mesure de prendre connaissance de l'avis de passage des services postaux.

La seule pièce produite à ce titre est un constat réalisé le 18 décembre 2021 par Maître [E], huissier de justice, sur demande de la société locataire qui déplore en particulier la mauvaise qualité des travaux de remise en état et les dysfonctionnements de la chaudière. Toutefois, les propos de M. [L], co-gérant de la société les Italiens, rapportés par Maître [E], évoquent la reprise de l'activité commerciale du restaurant Le Fellini mais n'en précisent pas la date ; il y est mentionné un procès-verbal de livraison des travaux, qui n'est cependant pas produit aux débats.

Dès lors, aucun élément n'établit que, le 27 septembre 2021, la société locataire n'était pas en mesure de prendre possession du courrier adressé à son siège social.

11. Dans la mesure où il est de principe que c'est l'envoi de la lettre adressée en recommandé avec accusé de réception qui est interruptive de prescription et non sa réception et où le bailleur a notifié le mémoire prévu à l'article R.145-23 du code de commerce le 23 septembre 2021 tandis que le délai de deux années qui lui était imparti à ce titre expirait le 30 septembre suivant, il doit être retenu que l'action de la société [Localité 4] BT59 en fixation du loyer du bail renouvelé n'est pas prescrite.

12. L'ordonnance entreprise sera donc infirmée de ce chef ainsi qu'en ce qu'elle a condamné la société [Localité 4] BT59 à payer les dépens de première instance et à indemniser les frais irrépétibles de la société Les Italiens.

Statuant à nouveau et y ajoutant, la cour rejettera la fin de non recevoir opposée par l'intimée et condamnera celle-ci à payer les dépens de première instance et d'appel et à verser à l'appelante une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,

Infirme l'ordonnance prononcée le 26 septembre 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette la fin de non recevoir opposée par la société Les Italiens et dit que l'action de la société [Localité 4] BT59 en fixation du loyer du bail renouvelé n'est pas prescrite.

Condamne la société Les Italiens à payer les dépens de première instance et d'appel.

Condamne la société Les Italiens à payer à la société [Localité 4] BT59 une somme de 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site