CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 4 septembre 2025, n° 24/13941
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 04 SEPTEMBRE 2025
Rôle N° RG 24/13941 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BN7HV
[C] [U]
[B] [K] veuve [U]
[T] [U]
C/
SARL ARIANE CROISETTE
Copie exécutoire délivrée
le : 4 Septembre 2025
à :
Me Françoise BOULAN
Me Agnès ERMENEUX
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de la mise en état de [Localité 10] en date du 27 Septembre 2024 enregistré au répertoire général sous le n° 21/05141.
APPELANTES
Madame [C] [U]
née le 26 Avril 1959 à [Localité 7], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Julien DUCLOUX, avocat au barreau de GRASSE
Madame [B] [K] veuve [U]
née le 09 Décembre 1932 à [Localité 9], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Julien DUCLOUX, avocat au barreau de GRASSE
Madame [T] [U]
née le 22 Mars 1962 à [Localité 7], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Julien DUCLOUX, avocat au barreau de GRASSE
INTIMÉE
SARL ARIANE CROISETTE
, demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Michel LOPRESTI, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laetitia VIGNON, Conseillère, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente
Madame Laetitia VIGNON, Conseillère
Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2025
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Suivant bail commercial du 25 novembre 1944, renouvelé à de multiples reprises et la dernière fois par avenant du 14 mars 2008, M. [W] [U] a donné à en location à la société Chartier, aux droits de laquelle se trouve désormais la SARL Ariane Croisette, un local sis [Adresse 4] devenu [Adresse 3] à [Localité 6]. Celle-ci y exploitait une agence immobilière.
Par acte d'huissier en date du 11 février 2015, M. [V] [U], usufruitier, et Mme [C] [U], nue-propriétaire, venant aux droits de M. [W] [U], ont donné congé à la locataire pour le 30 septembre 2017, terme du bail, avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction.
Par actes d'huissier en date du 21 octobre 2016, la SARL Ariane Croisette a fait assigner les consorts [U] devant le tribunal de grande instance de Grasse aux fins de paiement d'une indemnité d'éviction de 5.635.000 € outre 705.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la délivrance du congé.
Par ordonnance du 16 juin 2017, le juge de la mise en état a, notamment, ordonné une expertise confiée à Mme [X] afin de fournir au tribunal tous éléments permettant d'apprécier l'indemnité d'occupation afférente au local commercial.
Par ordonnance du 12 avril 2018, le juge de la mise en état a notamment:
- invité les parties à régulariser une éventuelle intervention volontaire de Me [T] [U] par voie de conclusions,
- ordonné la réouverture des débats afin que l'expert fasse parvenir au greffe son avis et ses observations sur la demande d'extension de sa mission sur le point de fournir au tribunal tous éléments permettant d'apprécier le montant de l'indemnité d'éviction afférente au local commercial.
Par ordonnance du 24 août 2018, le juge de la mise en état a:
- pris acte de l'intervention volontaire de Mme [T] [U],
- ordonné une extension de la mission de l'expert Mme [X], en y ajoutant la mission suivante: ' fournir au tribunal tous éléments permettant d'apprécier l'indemnité d'éviction selon notamment les modalités prévues à l'article L 145-14 du code de commerce'.
M. [V] [U] est décédé le 15 janvier 2019.
L'affaire a été radiée du rôle par ordonnance du 29 avril 2019.
Mme [F] [X] a déposé son rapport définitif le 20 novembre 2020.
L'affaire a été ré-enrôlée sous le numéro RG 21/5141 sur conclusions du conseil de la SARL Ariane Croisette signifiées par RVPA le 11 octobre 2021.
Par acte d'huissier en date du 2 mars 2022, la SARL Ariane Croisette a fait assigner Mme [T] [U] devant le tribunal judiciaire de Grasse. L'affaire a été enregistrée sous le numéro RG 22/1167 puis jointe à la procédure principale par ordonnance du juge de la mise en état du 5 septembre 2022.
Les consorts [U] ont saisi le juge de la mise en état, par conclusions du 4 novembre 2022, d'un incident aux fins de prescription de la demande de la SARL Ariane Croisette en paiement d'une indemnité d'éviction.
Par conclusions en réponse, celle-ci a sollicité l'allocation d'une provision à valoir sur l'indemnité d'éviction à hauteur de 2.400.000 €.
Par ordonnance en date du 27 septembre 2024, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Grasse a:
- dit que le juge de la mise en état n'est pas compétent pour connaître de la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par les consorts [U] et renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond,
- condamné Mme [B] [K] veuve [U] à verser à la SARL Ariane Croisette la somme de 2.185.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité d'éviction,
- réservé le sort des dépens et frais irrépétibles,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 20 janvier 2025 et enjoint au conseil de Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] à conclure au fond avant cette date.
Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a retenu que:
1. Sur la prescription soulevée par Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] :
- l'assignation introductive d'instance date du 21 octobre 2016, soit antérieurement au décret n° 2019-1333 qui a donné pouvoir au juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non recevoir, uniquement pour les instance introduites à compter du 1er janvier 2020,
- il est acquis que l'ensemble des parties étaient déjà parties à la procédure avant la radiation administrative survenue le 29 avril 2019,
- le rétablissement de l'affaire en octobre 2021 n'a pas créé une instance nouvelle mais constitue la poursuite de l'instance initiale, étant précisé que l'assignation originaire conserve son effet interruptif de prescription,
- il est inopérant d'invoquer l'assignation délivrée le 2 mars 2022 à Mme [T] [U], laquelle était déjà intervenue volontairement à la procédure,
- dans ces conditions, le juge de la mise en état n'a pas compétence pour statuer sur la fin de non recevoir titrée de la prescription soulevée par les consorts [U], étant de surcroît observé que l'effet interruptif de l'assignation délivrée le 21 octobre 2016 par la SARL Ariane Croisette ne semble pas poser de difficulté.
2. Sur la demande de provision présentée par la SARL Ariane Croisette:
- le principe de l'indemnité d'éviction n'est pas contestable compte tenu des termes du congé délivré par les bailleurs le 11 février 2015 et le moyen issu de la prescription invoqué par les consorts [U] ne constitue pas une contestation sérieuse, au regard des termes de l'assignation du 21 octobre 2016,
- il n'est pas sérieusement contestable que Mme [B] [K] veuve [U], usufruitière du bien donné à bail, est débitrice de cette indemnité d'éviction,
- il existe en revanche une contestation sérieuse concernant la qualité de débiteurs de ladite indemnité des héritiers de M. [V] [U], de sorte que Mme [C] et [T] [U] ne seront pas concernées par le paiement de la provision,
- concernant le montant de l'indemnité d'éviction, il convient de rappeler, qu'en vertu de l'article L 145-14 du code de commerce, la jurisprudence retient que la valeur du fonds de commerce comporte en toute hypothèse un élément plancher qui est celui de la valeur du droit au bail, laquelle est usuellement évaluée en retenant la différence entre le loyer tel qu'il aurait si le bail avait été renouvelé et la valeur locative du marché,
- les éléments de comparaison et de chiffrage retenus par l'expert judiciaire sont certes contestés par les bailleurs mais des réponses étayées et développées ont été apportées par l'expert en réponse aux dires,
- en toute hypothèse, quelle que soit la méthode d'évaluation, la valeur minimale du droit au bail susceptible d'être retenue s'élève à la somme de 2.185.000 €, de sorte qu'il convient d'allouer une provision à la locataire à hauteur de ce montant.
Par déclaration en date du 19 novembre 2024, Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] ont interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 30 avril 2025, Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] demandent à la cour de:
Vu l'article L 145-60 du code de commerce,
Vu l'article 2241 du code civil,
Vu les articles 4, 31, 53, 54, 55, 122, 123, 216, 217, 218, 219, 789, 906-2 et 914-4 du code de procédure civile,
Vu l'article 55 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019,
- révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 29 avril 2025, avant l'expiration du délai de l'article 906-2 du code de procédure civile,
- réformer l'ordonnance entreprise en ces chefs critiqués:
* dit que le juge de la mise en état n'est pas compétent pour connaître de la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par les consorts [U] et renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond,
* condamné Mme [B] [K] veuve [U] à verser à la SARL Ariane Croisette la somme de 2.185.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité d'éviction,
Et statuant à nouveau,
- juger que toutes les demandes de la société Ariane Croisette qui sont formulées contre Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] sont prescrites et donc irrecevables,
- déclarer la société Ariane Croisette irrecevable en ses demandes et prétentions,
En conséquence,
- débouter la société Ariane Croisette de l'intégralité de ses demandes et prétentions,
Vu l'article 789 du code de procédure civile,
Vu l'article L 145-14 du code de commerce,
Vu les articles 595, 612, 786, 873 et 1309 du code civil,
En tout état de cause,
- débouter la société Ariane Croisette de sa demande provision,
A titre subsidiaire,
- juger qui'l n'est pas possible pour la société Ariane Croisette de solliciter la condamnation in solidum de l'ensemble des héritières,
- juger qu'il appartiendra à la société Ariane Croisette de diviser ses poursuites entre:
* Mme [C] [U] pour la moitié de la dette alléguée,
* Mme [T] [U] pour l'autre moitié de la dette alléguée,
* Mme [B] [K] veuve [U] pour d'éventuels intérêts de la dette,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé qu'il existe une contestation sérieuse sur la qualité de débiteur des héritiers de ce dernier en ce qui concerne l'indemnité d'éviction, Mmes [C] et [T] [U] ne seront donc pas concernées par le paiement de la provision,
- condamner la société Ariane Croisette à payer à Mme [C] [U] et Mme [T] [U] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de Me Françoise Boulan, membre de la SELARL LX Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit.
La SARL Ariane Croisette, suivant ses conclusions déposées et notifiées par RPVA le 24 mars 2025, demande à la cour de :
Vu le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019,
Vu les articles 789, 789 3°, 122, 30, 31 et 32 du code de procédure civile,
Vu l'article L 145-14 du code de commerce,
- déclarer que la remise au rôle après une décision de retrait ne donne pas naissance à une instance nouvelle, et qu'en l'occurrence, il ne relève pas du périmètre juridictionnel du juge de la mise en état de statuer sur les fins de non recevoir, en vertu des dispositions de l'article 789 du code de procédure civile en sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, s'agissant d'une instance introduite avant le 1er janvier 2020,
- déclarer que la contestation de la demande en paiement de l'indemnité d'éviction due en application de l'article L 145-14 du code de commerce n'est pas constitutive d'une fin de non recevoir mais d'un moyen de contestation au fond,
- déclarer en conséquence Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] irrecevables en leurs demandes au titre de la fin de non recevoir tirée d'une prétendue prescription lesquelles ne ressortent pas du périmètre juridictionnel du juge de la mise en état,
- déclarer en toute hypothèse que le moyen tiré d'une prétendue prescription n'est pas consitutif d'un moyen sérieux de contestation et,
- débouter en conséquence Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] de leurs demandes, fins et conclusions,
- déclarer que l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable,
- confirmer en conséquence l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a:
* dit que le juge de la mise en état n'est pas compétent pour connaître de la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par les consorts [U] et renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond,
* condamné Mme [B] [K] veuve [U] à verser à la SARL Ariane Croisette la somme de 2.185.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité d'éviction,
- déclarer la société Ariane Croisette recevable et bien fondée ne son appel incident,
Y faisant droit,
- réformer l'ordonnance entreprise en ce qui concerne:
* le montant de la provision,
* les personnes tenues à son paiement
* le sort des dépens et des frais irrépétibles,
Et statuant à nouveau de ces chefs,
- déclarer la société Ariane Croisette recevable et bien fondée en sa demande d'allocation d'une provision à valoir sur l'indemnité d'éviction dont elle est créancière en application de l'article L 145-14 du code de commerce,
- condamner in solidum Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] à payer à la société Ariane Croisette à titre de provision à valoir sur le montant de l'indemnité d'éviction due en application de l'article L 145-14 du code de commerce, la somme de 2.400.000 €, l'indemnité d'éviction étant constitutive d'une dette successorale,
- débouter en toute hypothèse, Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner in solidum Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] à payer à la société Ariane Croisette une somme de 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Me Agnès Ermeneux, membre de la SCP Ermeneux Cauchi & associés société civile professionnelle d'avocats, avocats associés à la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 29 avril 2025. Elle a fait l'objet d'une révocation, avec l'accord de l'ensemble des parties, afin d'accueillir les dernières conclusions des consorts [U]. La procédure a été à nouveau clôturée le 14 mai 2025, avant l'ouverture des débats.
MOTIFS
A titre liminaire, sur la qualité des consorts [U], il ressort des pièces produites que:
- M. [V] [U] qui était initialement le seul propriétaire des locaux litigieux, suite au décès de M. [W] [U], en est devenu l'usufruitier suite à l'acte de donation partage du 5 juillet 1988, faite au profit de sa fille, Mme [C] [U], qui a acquis la qualité de nue-propriétaire,
- aux termes d'un acte de donation partage en date du 11 mai 2017, une partie de la nue-propriété donnée à Mme [C] [U] le 5 juillet 1988 a été réintégrée et attribuée à Mme [T] [U], la nue propriété des locaux se trouvant désormais répartie à parts égales entre les deux soeurs,
- dans l'acte de donation partage du 5 juillet 1988, a été insérée une clause de réversion entre époux et Mme [B] [K] veuve [U] est usufruitière par l'effet de cette clause de réversion l'usufruit.
Sur la prescription des demandes de la société Ariane Croisette
Les consorts [U] font grief au juge de la mise en état d'avoir retenu qu'il n'était pas compétent pour trancher cette fin de non recevoir en l'état du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 s'agissant d'une instance introduite par acte du 21 octobre 2016 alors que suivant assignation en intervention forcée en date du 2 mars 2022, la société Ariane Croisette a appelé en la cause Mme [T] [U] et que la circonstance que cette dernière soit intervenue au préalable volontairement à la procédure n'est pas de nature à priver d'effet juridique cette dernière assignation. Elles en tirent pour conséquence que cette assignation est distincte de celle initiée en 2016 et que le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur la prescription s'agissant d'une instance introduite postérieurement au 1er janvier 2020.
Sur le bien fondé de cette fin de non recevoir, elles rappellent que les actions exercées en matière de baux commerciaux se prescrivent par deux ans et que l'assignation introductive d'instance délivrée à l'initiative de la SARL Ariane Croisette le 21 octobre 2016 n'a pas pu interrompre la prescription en ce qu'elle réclame la condamnation solidaire de Mme [B] [K], ès qualités, usufruitier, et de Mme [C] [U], nu-propriétaire au paiement d'une indemnité d'éviction alors qu'elle aurait dû formuler sa demande à l'encontre de M. [V] [U] et non à l'encontre de Mme [B] [K], ès qualités, celle-ci n'ayant été que sa mandataire.
La SARL Ariane Croisette sollicite la confirmation de l'ordonnance querellée sur ce point, rappelant que l'instance ayant été introduite par assignation du 21 octobre 2016, les consorts [U] sont irrecevables en leur fin de non recevoir comme ne ressortant pas au périmètre juridictionnel du juge de la mise en état mais celui de la formation de jugement au fond.
En tout état de cause, elle relève le caractère particulièrement inconsistant d'un tel moyen, soulignant que l'assignation a été dirigée contre les auteurs du congé, tels qu'identifiés et visés dans les termes du congé, de sorte que le dispositif de l'assignation ne souffre d'aucune ambiguïté. Elle en conclut que l'instance en paiement de l'indemnité d'éviction a été valablement engagée avant l'expiration du délai de deux ans prévu à l'article L 145-60 du code de commerce et a été précisément dirigée contre les auteurs du congé.
Le moyen tiré de la prescription de l'action engagée par la SARL Ariane Croisette constitue une fin de non recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile.
Il n'est pas contesté que le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a donné pouvoir au juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non recevoir, mais uniquement pour les instances introduites à compter du 1er janvier 2020 ainsi qu'il en ressort de l'article 55 dudit décret.
S'agissant des instances introduites avant le 1er janvier 2020, le juge de la mise en état ne peut pas statuer sur une fin de non recevoir en l'absence de disposition spécifique le lui permettant.
La SARL Ariane Croisette a introduit la présente instance en condamnation des consorts [U] à lui verser une indemnité d'éviction, par assignation au fond en date du 21 octobre 2016, soit antérieurement au décret n° 2019-1333.
Comme l'a relevé à juste titre le premier juge, il est acquis que l'ensemble des parties étaient parties à la procédure avant la radiation administrative du dossier intervenue par ordonnance du 29 avril 2019, en ce que l'ordonnance du juge de la mise en état du 24 août 2018 mentionne comme parties à la procédure d'une part, la SARL Ariane Croisette et, d'autre part, M. [V] [U], pris en sa qualité d'usufruitier, représenté par Mme [B] [K] son épouse, en vertu d'une ordonnance du tribunal d'instance de Cannes en date du 6 juillet 2011, Mme [C] [U] et enfin, Mme [T] [U], intervenante volontaire. Aux termes de cette ordonnance, le juge de la mise en état a notamment pris acte de l'intervention volontaire de Mme [T] [U].
Ainsi, les consorts [U] sont déjà parties à l'instance principale, soit pour y avoir été attraits dès l'origine, soit pour être intervenus volontairement au cours de l'instance.
Par ailleurs, une instance remise au rôle après une décision de radiation n'est pas constitutive d'une instance nouvelle, de sorte que le rétablissement de l'affaire en octobre 2021 constitue la poursuite de l'instance initiale.
Dès lors, le juge de la mise en état n'a pas compétence , pour statuer, sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action de la SARL Ariane Croisette s'agissant d'une instance introduite en 2016.
Si effectivement l'assignation en intervention forcée délivrée le 2 mars 2022, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 55 du décret n° 2019-1933 du 11 décembre 2019, à l'encontre de Mme [T] [U] est distincte de l'instance initiée en 2016, la cour observe que cette dernière était déjà partie à la procédure initiée par l'assignation du 21 octobre 2016 ensuite de son intervention volontaire, de sorte que la prescription de l'action de la société Ariane Croisette à l'encontre de cette dernière sur le fondement de cette seconde assignation est sans incidence puisque l'assignation originaire a conservé son effet interruptif de prescription, en dépit de la radiation puis du rétablissement de l'affaire au rôle.
En outre, comme l'a relevé de manière exacte le premier juge, l'effet interruptif de l'assignation ne semble pas poser de difficulté, ladite assignation mentionnant expressément être délivrée à l'encontre de:
' M. [V] [U] (...) pris en sa qualité d'usufruitier , représenté par Mme [B] [K], son épouse, demeurant (...), en vertu de l'habilitation qui lui a été donnée en application de l'article 219 du code de procédure civile, suivant ordonnance du tribunal d'instance de Cannes en date du 6 juillet 2011, en sa qualité d'usufruitier du bien immobilier sis à [Adresse 8],
Mme [C] [U] ( ...) prise en sa qualité de nue-propriétaire '.
Or, il s'agit de la reprise exacte des auteurs du congé tels qu'identifiés et visés dans les termes du congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction notifié le 11 février 2015, par les bailleurs, et l'assignation a donc bien été adressée à ce que l'on veut empêcher de prescrire.
De même, le dispositif de l'assignation du 21 octobre 2016 ne souffre d'aucune ambiguïté en ce qu'il est sollicité ' la condamnation solidaire de Mme [B] [K], ès qualités, usufruitier et de Mme [C] [U], nue-propriétaire ' au paiement d'une indemnité d'éviction;
L'ordonnance entreprise sera en conséquence confirmée en ses dispositions relatives à la prescription.
Sur la demande de provision de la SARL Ariane Croisette
En vertu de l'article 789 3 ° du code de procédure civile ( article 771 3° ancien), le juge de la mise en état est compétent pour accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Une contestation sérieuse survient lorsqu'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur suscite un doute sur le sens de la décision au fond qui interviendra par la suite.
Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant, étant précisé que la condamnation provisionnelle n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Pour s'opposer à la demande reconventionnelle de la société Ariane Croisette, les consorts [U] considèrent que la provision réclamée se heurte à de multiples contestations sérieuses tenant à:
- la prescription de l'action de la locataire,
- le débiteur de l'indemnité d'éviction,
- le quantum de la provision sollicité.
Au regard des développements qui précèdent, la prescription alléguée de la demande de la société Ariane Croisette en paiement d'une indemnité d'éviction ne constitue pas une contestation sérieuse.
S'agissant du débiteur à l'indemnité d'éviction, la société Ariane Croisette fait valoir que si l'usufruitier est incontestablement redevable de cette indemnité, les héritiers de l'usufruitier y son également tenus, contrairement ce qu'a retenu le premier juge. Elle souligne que Mmes [C] et [T] [U] qui prétendent avoir la seule qualité de nue-propriétaire des locaux litigieux et cherchent ainsi à occulter leur qualité d'héritières de M. [V] [U], usufruitier, sont mal fondées en cette argumentation.
Les parties appelantes contestent une telle analyse et soutiennent que seul l'usufruitier est redevable de l'indemnité d'éviction, que le nu-propriétaire ne peut dans ces conditions être condamné in solidum avec l'usufruitier alors que seul ce dernier est débiteur de cette indemnité. Elles précisent que les locaux commerciaux en cause ne sont pas inclus dans la succession de feu [V] [U]. Elles relèvent qu'en tout état de cause, il n'existe aucune solidarité entre les héritiers et que le créancier du défunt doit diviser ses poursuites entre les différents héritiers, au prorata de leur part successorale.
En cas de démembrement de propriété, seul l'usufruitier, qui a la jouissance du bien, peut consentir un bail commercial et a donc la qualité de bailleur. Il a ainsi le pouvoir de mettre fin au bail commercial et, par la suite, de notifier au preneur un congé avec refus de renouvellement, sans le concours du nu-propriétaire. Par voie de conséquence, en tant que de bailleur, dont il assume toutes les obligations, l'usufruitier est débiteur de l'indemnité d'éviction, qui a pour objet de compenser le préjudice causé au preneur par le défaut de renouvellement du bail.
Mme [B] [K] veuve [U], usufruitière du bien donné à bail, est incontestablement débitrice de cette indemnité.
Il est également acquis que Mmes [C] et [T] [U] sont nues- propriétaires des locaux commerciaux qui avaient été donnés à bail et qu'en cette qualité, elles ne peuvent pas être tenues au paiement de l'indemnité d'éviction.
Sur le fait que celles-ci soient également débitrices de l'indemnité d'éviction, suite au décès de M. [V] [U] et par l'effet deux donations-partage concernant les locaux donnés à bail, il apparaît que:
- Mmes [C] et [T] [U] sont nues-propriétaires ( ce qu'elles étaient déjà),
- Mme [B] [K] veuve [U] en est devenue usufruitière par l'effet de la donation contenue dans l'acte de donation-partage du 5 juillet 1988.
Compte tenu de cette configuration, il existe une contestation sérieuse qui réside dans la nécessité d'apprécier si la dette de l'indemnité d'éviction suite au décès de M. [V] [U], constitue bien en l'espèce une dette successorale à la charge des héritiers, supposant d'opérer une distinction entre la qualité de nu-propriétaire d'un bien immobilier et la qualité de nu-propriétaire de l'actif successoral. Or, une telle question, par sa complexité, relève d'une appréciation des juges du fond.
Seule Mme [B] [K] veuve [U] sera ainsi concernée par le paiement de la provision.
Concernant le montant de cette provision, il convient, à titre liminaire, de préciser que le principe du droit à la société Ariane Croisette au bénéfice d'une indemnité d'éviction n'est pas sérieusement contestable, en contemplation du congé délivré le 11 février 2015 par les bailleurs avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction.
Il convient de rappeler, qu'en application de l'article L 145-14 du code commerce, l'indemnité d'éviction a pour objet de réparer le préjudice subi par le locataire en raison de son départ des locaux et doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le preneur est évincé, lequel est un élément de son fonds de commerce et ce, qu'il s'agisse de fixer une indemnité de perte de fonds ou déplacement du fonds du locataire.
Cette valeur du droit au bail constitue en outre une indemnisation minimale à laquelle peut prétendre le locataire évincé et la méthode d'évaluation de ce droit au bail consiste à calculer la différence entre le montant du loyer tel qu'il aurait été si le bail avait été renouvelé et la valeur locative de marché des locaux.
En l'espèce, il est établi que les locaux, objet du bail litigieux, ont été libérés par la SARL Ariane Croisette le 16 avril 2019 et qu'à la faveur de cette libération, les consorts [U] ont consenti, dès le 17 avril 2019, un nouveau bail commercial portant sur les mêmes locaux, au profit d'une autre agence immobilière, moyennant un loyer annuel de 600.000 €.
Mme [X], à l'issue de de ses investigations conclut à:
- une valeur du droit au bail avant impact Pinel de 2.185.000 €,
- une valeur de droit au bail après impact Pinel de 2.845.000 €,
- une valeur de droit au bail en l'absence de déplafonnement du loyer de 4.585.000€.
L'expert a retenu une valeur locative de marché de 600.000 € qui ne peut être utilement contestée par les consorts [U] en ce qu'il suffit de se référer au nouveau bail conclu le 17 avril 2019 avec la société Michael Zingraf Real Estate pour un loyer annuel de 600.000 € sur les locaux précédemment occupés par la SARL Ariane Croisette.
Concernant le loyer qui aurait été acquitté en cas de renouvellement du bail, il est établi que:
- le bail commercial venu à expiration le 30 septembre 2017, ensuite du congé délivré le 11 février 2015, avait été consenti en dernier par avenant du 14 mars 2008, moyennant un loyer annuel HT et HC de 180.0000 €,
- le loyer annuel en vigueur à l'expiration du bail au 30 septembre 2017, s'établissait à 201.081€.
Enfin l'expert, qui privilégie l'hypothèse d'un déplafonnement du loyer compte tenu de l'évolution notable des facteurs locaux de commercialité survenue entre 2008 et 2017, retient dans ce cas une valeur locative de renouvellement pouvant être fixée à 410.000 € et applique un coefficient de situation de 11,5 du fait de la très haute valeur commerciale des lieux.
Si les bailleurs contestent les termes de comparaison et de chiffrages retenus par l'expert, la cour observe que:
- d'une part, Mme [X] a répondu de manière précise et circonstanciée dans son rapport en réponse aux différents dires adressés par le conseil des bailleurs,
- d'autre part, la valeur locative de marché et le loyer en vigueur à l'expiration du bail qui ont été retenus ne souffrent d'aucune contestation,
- enfin, l'indemnité d'éviction ne peut être inférieure à la fourchette basse proposée qui prend en compte l'hypothèse d'un déplafonnement du loyer et qui constitue un avantage incontestable pour les bailleurs, dès lors qu'en l'absence de déplafonnement, le montant de cette indemnité est nécessairement plus important.
C'est donc à juste titre que le premier juge a alloué à la SARL Ariane Croisette la somme de 2.185.000 € correspondant à la valeur minimale du droit au bail susceptible d'être retenue.
En définitive, l'ordonnance entreprise sera confirmée en toutes des dispositions.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Grasse déférée,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] à payer à la société Ariane Croisette une somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] aux dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, La Présidente,
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 04 SEPTEMBRE 2025
Rôle N° RG 24/13941 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BN7HV
[C] [U]
[B] [K] veuve [U]
[T] [U]
C/
SARL ARIANE CROISETTE
Copie exécutoire délivrée
le : 4 Septembre 2025
à :
Me Françoise BOULAN
Me Agnès ERMENEUX
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de la mise en état de [Localité 10] en date du 27 Septembre 2024 enregistré au répertoire général sous le n° 21/05141.
APPELANTES
Madame [C] [U]
née le 26 Avril 1959 à [Localité 7], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Julien DUCLOUX, avocat au barreau de GRASSE
Madame [B] [K] veuve [U]
née le 09 Décembre 1932 à [Localité 9], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Julien DUCLOUX, avocat au barreau de GRASSE
Madame [T] [U]
née le 22 Mars 1962 à [Localité 7], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Julien DUCLOUX, avocat au barreau de GRASSE
INTIMÉE
SARL ARIANE CROISETTE
, demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Michel LOPRESTI, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mai 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laetitia VIGNON, Conseillère, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente
Madame Laetitia VIGNON, Conseillère
Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Septembre 2025
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Suivant bail commercial du 25 novembre 1944, renouvelé à de multiples reprises et la dernière fois par avenant du 14 mars 2008, M. [W] [U] a donné à en location à la société Chartier, aux droits de laquelle se trouve désormais la SARL Ariane Croisette, un local sis [Adresse 4] devenu [Adresse 3] à [Localité 6]. Celle-ci y exploitait une agence immobilière.
Par acte d'huissier en date du 11 février 2015, M. [V] [U], usufruitier, et Mme [C] [U], nue-propriétaire, venant aux droits de M. [W] [U], ont donné congé à la locataire pour le 30 septembre 2017, terme du bail, avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction.
Par actes d'huissier en date du 21 octobre 2016, la SARL Ariane Croisette a fait assigner les consorts [U] devant le tribunal de grande instance de Grasse aux fins de paiement d'une indemnité d'éviction de 5.635.000 € outre 705.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la délivrance du congé.
Par ordonnance du 16 juin 2017, le juge de la mise en état a, notamment, ordonné une expertise confiée à Mme [X] afin de fournir au tribunal tous éléments permettant d'apprécier l'indemnité d'occupation afférente au local commercial.
Par ordonnance du 12 avril 2018, le juge de la mise en état a notamment:
- invité les parties à régulariser une éventuelle intervention volontaire de Me [T] [U] par voie de conclusions,
- ordonné la réouverture des débats afin que l'expert fasse parvenir au greffe son avis et ses observations sur la demande d'extension de sa mission sur le point de fournir au tribunal tous éléments permettant d'apprécier le montant de l'indemnité d'éviction afférente au local commercial.
Par ordonnance du 24 août 2018, le juge de la mise en état a:
- pris acte de l'intervention volontaire de Mme [T] [U],
- ordonné une extension de la mission de l'expert Mme [X], en y ajoutant la mission suivante: ' fournir au tribunal tous éléments permettant d'apprécier l'indemnité d'éviction selon notamment les modalités prévues à l'article L 145-14 du code de commerce'.
M. [V] [U] est décédé le 15 janvier 2019.
L'affaire a été radiée du rôle par ordonnance du 29 avril 2019.
Mme [F] [X] a déposé son rapport définitif le 20 novembre 2020.
L'affaire a été ré-enrôlée sous le numéro RG 21/5141 sur conclusions du conseil de la SARL Ariane Croisette signifiées par RVPA le 11 octobre 2021.
Par acte d'huissier en date du 2 mars 2022, la SARL Ariane Croisette a fait assigner Mme [T] [U] devant le tribunal judiciaire de Grasse. L'affaire a été enregistrée sous le numéro RG 22/1167 puis jointe à la procédure principale par ordonnance du juge de la mise en état du 5 septembre 2022.
Les consorts [U] ont saisi le juge de la mise en état, par conclusions du 4 novembre 2022, d'un incident aux fins de prescription de la demande de la SARL Ariane Croisette en paiement d'une indemnité d'éviction.
Par conclusions en réponse, celle-ci a sollicité l'allocation d'une provision à valoir sur l'indemnité d'éviction à hauteur de 2.400.000 €.
Par ordonnance en date du 27 septembre 2024, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Grasse a:
- dit que le juge de la mise en état n'est pas compétent pour connaître de la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par les consorts [U] et renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond,
- condamné Mme [B] [K] veuve [U] à verser à la SARL Ariane Croisette la somme de 2.185.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité d'éviction,
- réservé le sort des dépens et frais irrépétibles,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 20 janvier 2025 et enjoint au conseil de Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] à conclure au fond avant cette date.
Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a retenu que:
1. Sur la prescription soulevée par Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] :
- l'assignation introductive d'instance date du 21 octobre 2016, soit antérieurement au décret n° 2019-1333 qui a donné pouvoir au juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non recevoir, uniquement pour les instance introduites à compter du 1er janvier 2020,
- il est acquis que l'ensemble des parties étaient déjà parties à la procédure avant la radiation administrative survenue le 29 avril 2019,
- le rétablissement de l'affaire en octobre 2021 n'a pas créé une instance nouvelle mais constitue la poursuite de l'instance initiale, étant précisé que l'assignation originaire conserve son effet interruptif de prescription,
- il est inopérant d'invoquer l'assignation délivrée le 2 mars 2022 à Mme [T] [U], laquelle était déjà intervenue volontairement à la procédure,
- dans ces conditions, le juge de la mise en état n'a pas compétence pour statuer sur la fin de non recevoir titrée de la prescription soulevée par les consorts [U], étant de surcroît observé que l'effet interruptif de l'assignation délivrée le 21 octobre 2016 par la SARL Ariane Croisette ne semble pas poser de difficulté.
2. Sur la demande de provision présentée par la SARL Ariane Croisette:
- le principe de l'indemnité d'éviction n'est pas contestable compte tenu des termes du congé délivré par les bailleurs le 11 février 2015 et le moyen issu de la prescription invoqué par les consorts [U] ne constitue pas une contestation sérieuse, au regard des termes de l'assignation du 21 octobre 2016,
- il n'est pas sérieusement contestable que Mme [B] [K] veuve [U], usufruitière du bien donné à bail, est débitrice de cette indemnité d'éviction,
- il existe en revanche une contestation sérieuse concernant la qualité de débiteurs de ladite indemnité des héritiers de M. [V] [U], de sorte que Mme [C] et [T] [U] ne seront pas concernées par le paiement de la provision,
- concernant le montant de l'indemnité d'éviction, il convient de rappeler, qu'en vertu de l'article L 145-14 du code de commerce, la jurisprudence retient que la valeur du fonds de commerce comporte en toute hypothèse un élément plancher qui est celui de la valeur du droit au bail, laquelle est usuellement évaluée en retenant la différence entre le loyer tel qu'il aurait si le bail avait été renouvelé et la valeur locative du marché,
- les éléments de comparaison et de chiffrage retenus par l'expert judiciaire sont certes contestés par les bailleurs mais des réponses étayées et développées ont été apportées par l'expert en réponse aux dires,
- en toute hypothèse, quelle que soit la méthode d'évaluation, la valeur minimale du droit au bail susceptible d'être retenue s'élève à la somme de 2.185.000 €, de sorte qu'il convient d'allouer une provision à la locataire à hauteur de ce montant.
Par déclaration en date du 19 novembre 2024, Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] ont interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 30 avril 2025, Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] demandent à la cour de:
Vu l'article L 145-60 du code de commerce,
Vu l'article 2241 du code civil,
Vu les articles 4, 31, 53, 54, 55, 122, 123, 216, 217, 218, 219, 789, 906-2 et 914-4 du code de procédure civile,
Vu l'article 55 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019,
- révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 29 avril 2025, avant l'expiration du délai de l'article 906-2 du code de procédure civile,
- réformer l'ordonnance entreprise en ces chefs critiqués:
* dit que le juge de la mise en état n'est pas compétent pour connaître de la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par les consorts [U] et renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond,
* condamné Mme [B] [K] veuve [U] à verser à la SARL Ariane Croisette la somme de 2.185.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité d'éviction,
Et statuant à nouveau,
- juger que toutes les demandes de la société Ariane Croisette qui sont formulées contre Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] sont prescrites et donc irrecevables,
- déclarer la société Ariane Croisette irrecevable en ses demandes et prétentions,
En conséquence,
- débouter la société Ariane Croisette de l'intégralité de ses demandes et prétentions,
Vu l'article 789 du code de procédure civile,
Vu l'article L 145-14 du code de commerce,
Vu les articles 595, 612, 786, 873 et 1309 du code civil,
En tout état de cause,
- débouter la société Ariane Croisette de sa demande provision,
A titre subsidiaire,
- juger qui'l n'est pas possible pour la société Ariane Croisette de solliciter la condamnation in solidum de l'ensemble des héritières,
- juger qu'il appartiendra à la société Ariane Croisette de diviser ses poursuites entre:
* Mme [C] [U] pour la moitié de la dette alléguée,
* Mme [T] [U] pour l'autre moitié de la dette alléguée,
* Mme [B] [K] veuve [U] pour d'éventuels intérêts de la dette,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé qu'il existe une contestation sérieuse sur la qualité de débiteur des héritiers de ce dernier en ce qui concerne l'indemnité d'éviction, Mmes [C] et [T] [U] ne seront donc pas concernées par le paiement de la provision,
- condamner la société Ariane Croisette à payer à Mme [C] [U] et Mme [T] [U] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de Me Françoise Boulan, membre de la SELARL LX Aix-en-Provence, avocats associés aux offres de droit.
La SARL Ariane Croisette, suivant ses conclusions déposées et notifiées par RPVA le 24 mars 2025, demande à la cour de :
Vu le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019,
Vu les articles 789, 789 3°, 122, 30, 31 et 32 du code de procédure civile,
Vu l'article L 145-14 du code de commerce,
- déclarer que la remise au rôle après une décision de retrait ne donne pas naissance à une instance nouvelle, et qu'en l'occurrence, il ne relève pas du périmètre juridictionnel du juge de la mise en état de statuer sur les fins de non recevoir, en vertu des dispositions de l'article 789 du code de procédure civile en sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, s'agissant d'une instance introduite avant le 1er janvier 2020,
- déclarer que la contestation de la demande en paiement de l'indemnité d'éviction due en application de l'article L 145-14 du code de commerce n'est pas constitutive d'une fin de non recevoir mais d'un moyen de contestation au fond,
- déclarer en conséquence Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] irrecevables en leurs demandes au titre de la fin de non recevoir tirée d'une prétendue prescription lesquelles ne ressortent pas du périmètre juridictionnel du juge de la mise en état,
- déclarer en toute hypothèse que le moyen tiré d'une prétendue prescription n'est pas consitutif d'un moyen sérieux de contestation et,
- débouter en conséquence Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] de leurs demandes, fins et conclusions,
- déclarer que l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable,
- confirmer en conséquence l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a:
* dit que le juge de la mise en état n'est pas compétent pour connaître de la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par les consorts [U] et renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond,
* condamné Mme [B] [K] veuve [U] à verser à la SARL Ariane Croisette la somme de 2.185.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnité d'éviction,
- déclarer la société Ariane Croisette recevable et bien fondée ne son appel incident,
Y faisant droit,
- réformer l'ordonnance entreprise en ce qui concerne:
* le montant de la provision,
* les personnes tenues à son paiement
* le sort des dépens et des frais irrépétibles,
Et statuant à nouveau de ces chefs,
- déclarer la société Ariane Croisette recevable et bien fondée en sa demande d'allocation d'une provision à valoir sur l'indemnité d'éviction dont elle est créancière en application de l'article L 145-14 du code de commerce,
- condamner in solidum Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] à payer à la société Ariane Croisette à titre de provision à valoir sur le montant de l'indemnité d'éviction due en application de l'article L 145-14 du code de commerce, la somme de 2.400.000 €, l'indemnité d'éviction étant constitutive d'une dette successorale,
- débouter en toute hypothèse, Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner in solidum Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] à payer à la société Ariane Croisette une somme de 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Me Agnès Ermeneux, membre de la SCP Ermeneux Cauchi & associés société civile professionnelle d'avocats, avocats associés à la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 29 avril 2025. Elle a fait l'objet d'une révocation, avec l'accord de l'ensemble des parties, afin d'accueillir les dernières conclusions des consorts [U]. La procédure a été à nouveau clôturée le 14 mai 2025, avant l'ouverture des débats.
MOTIFS
A titre liminaire, sur la qualité des consorts [U], il ressort des pièces produites que:
- M. [V] [U] qui était initialement le seul propriétaire des locaux litigieux, suite au décès de M. [W] [U], en est devenu l'usufruitier suite à l'acte de donation partage du 5 juillet 1988, faite au profit de sa fille, Mme [C] [U], qui a acquis la qualité de nue-propriétaire,
- aux termes d'un acte de donation partage en date du 11 mai 2017, une partie de la nue-propriété donnée à Mme [C] [U] le 5 juillet 1988 a été réintégrée et attribuée à Mme [T] [U], la nue propriété des locaux se trouvant désormais répartie à parts égales entre les deux soeurs,
- dans l'acte de donation partage du 5 juillet 1988, a été insérée une clause de réversion entre époux et Mme [B] [K] veuve [U] est usufruitière par l'effet de cette clause de réversion l'usufruit.
Sur la prescription des demandes de la société Ariane Croisette
Les consorts [U] font grief au juge de la mise en état d'avoir retenu qu'il n'était pas compétent pour trancher cette fin de non recevoir en l'état du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 s'agissant d'une instance introduite par acte du 21 octobre 2016 alors que suivant assignation en intervention forcée en date du 2 mars 2022, la société Ariane Croisette a appelé en la cause Mme [T] [U] et que la circonstance que cette dernière soit intervenue au préalable volontairement à la procédure n'est pas de nature à priver d'effet juridique cette dernière assignation. Elles en tirent pour conséquence que cette assignation est distincte de celle initiée en 2016 et que le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur la prescription s'agissant d'une instance introduite postérieurement au 1er janvier 2020.
Sur le bien fondé de cette fin de non recevoir, elles rappellent que les actions exercées en matière de baux commerciaux se prescrivent par deux ans et que l'assignation introductive d'instance délivrée à l'initiative de la SARL Ariane Croisette le 21 octobre 2016 n'a pas pu interrompre la prescription en ce qu'elle réclame la condamnation solidaire de Mme [B] [K], ès qualités, usufruitier, et de Mme [C] [U], nu-propriétaire au paiement d'une indemnité d'éviction alors qu'elle aurait dû formuler sa demande à l'encontre de M. [V] [U] et non à l'encontre de Mme [B] [K], ès qualités, celle-ci n'ayant été que sa mandataire.
La SARL Ariane Croisette sollicite la confirmation de l'ordonnance querellée sur ce point, rappelant que l'instance ayant été introduite par assignation du 21 octobre 2016, les consorts [U] sont irrecevables en leur fin de non recevoir comme ne ressortant pas au périmètre juridictionnel du juge de la mise en état mais celui de la formation de jugement au fond.
En tout état de cause, elle relève le caractère particulièrement inconsistant d'un tel moyen, soulignant que l'assignation a été dirigée contre les auteurs du congé, tels qu'identifiés et visés dans les termes du congé, de sorte que le dispositif de l'assignation ne souffre d'aucune ambiguïté. Elle en conclut que l'instance en paiement de l'indemnité d'éviction a été valablement engagée avant l'expiration du délai de deux ans prévu à l'article L 145-60 du code de commerce et a été précisément dirigée contre les auteurs du congé.
Le moyen tiré de la prescription de l'action engagée par la SARL Ariane Croisette constitue une fin de non recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile.
Il n'est pas contesté que le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a donné pouvoir au juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non recevoir, mais uniquement pour les instances introduites à compter du 1er janvier 2020 ainsi qu'il en ressort de l'article 55 dudit décret.
S'agissant des instances introduites avant le 1er janvier 2020, le juge de la mise en état ne peut pas statuer sur une fin de non recevoir en l'absence de disposition spécifique le lui permettant.
La SARL Ariane Croisette a introduit la présente instance en condamnation des consorts [U] à lui verser une indemnité d'éviction, par assignation au fond en date du 21 octobre 2016, soit antérieurement au décret n° 2019-1333.
Comme l'a relevé à juste titre le premier juge, il est acquis que l'ensemble des parties étaient parties à la procédure avant la radiation administrative du dossier intervenue par ordonnance du 29 avril 2019, en ce que l'ordonnance du juge de la mise en état du 24 août 2018 mentionne comme parties à la procédure d'une part, la SARL Ariane Croisette et, d'autre part, M. [V] [U], pris en sa qualité d'usufruitier, représenté par Mme [B] [K] son épouse, en vertu d'une ordonnance du tribunal d'instance de Cannes en date du 6 juillet 2011, Mme [C] [U] et enfin, Mme [T] [U], intervenante volontaire. Aux termes de cette ordonnance, le juge de la mise en état a notamment pris acte de l'intervention volontaire de Mme [T] [U].
Ainsi, les consorts [U] sont déjà parties à l'instance principale, soit pour y avoir été attraits dès l'origine, soit pour être intervenus volontairement au cours de l'instance.
Par ailleurs, une instance remise au rôle après une décision de radiation n'est pas constitutive d'une instance nouvelle, de sorte que le rétablissement de l'affaire en octobre 2021 constitue la poursuite de l'instance initiale.
Dès lors, le juge de la mise en état n'a pas compétence , pour statuer, sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action de la SARL Ariane Croisette s'agissant d'une instance introduite en 2016.
Si effectivement l'assignation en intervention forcée délivrée le 2 mars 2022, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 55 du décret n° 2019-1933 du 11 décembre 2019, à l'encontre de Mme [T] [U] est distincte de l'instance initiée en 2016, la cour observe que cette dernière était déjà partie à la procédure initiée par l'assignation du 21 octobre 2016 ensuite de son intervention volontaire, de sorte que la prescription de l'action de la société Ariane Croisette à l'encontre de cette dernière sur le fondement de cette seconde assignation est sans incidence puisque l'assignation originaire a conservé son effet interruptif de prescription, en dépit de la radiation puis du rétablissement de l'affaire au rôle.
En outre, comme l'a relevé de manière exacte le premier juge, l'effet interruptif de l'assignation ne semble pas poser de difficulté, ladite assignation mentionnant expressément être délivrée à l'encontre de:
' M. [V] [U] (...) pris en sa qualité d'usufruitier , représenté par Mme [B] [K], son épouse, demeurant (...), en vertu de l'habilitation qui lui a été donnée en application de l'article 219 du code de procédure civile, suivant ordonnance du tribunal d'instance de Cannes en date du 6 juillet 2011, en sa qualité d'usufruitier du bien immobilier sis à [Adresse 8],
Mme [C] [U] ( ...) prise en sa qualité de nue-propriétaire '.
Or, il s'agit de la reprise exacte des auteurs du congé tels qu'identifiés et visés dans les termes du congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction notifié le 11 février 2015, par les bailleurs, et l'assignation a donc bien été adressée à ce que l'on veut empêcher de prescrire.
De même, le dispositif de l'assignation du 21 octobre 2016 ne souffre d'aucune ambiguïté en ce qu'il est sollicité ' la condamnation solidaire de Mme [B] [K], ès qualités, usufruitier et de Mme [C] [U], nue-propriétaire ' au paiement d'une indemnité d'éviction;
L'ordonnance entreprise sera en conséquence confirmée en ses dispositions relatives à la prescription.
Sur la demande de provision de la SARL Ariane Croisette
En vertu de l'article 789 3 ° du code de procédure civile ( article 771 3° ancien), le juge de la mise en état est compétent pour accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Une contestation sérieuse survient lorsqu'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur suscite un doute sur le sens de la décision au fond qui interviendra par la suite.
Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant, étant précisé que la condamnation provisionnelle n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Pour s'opposer à la demande reconventionnelle de la société Ariane Croisette, les consorts [U] considèrent que la provision réclamée se heurte à de multiples contestations sérieuses tenant à:
- la prescription de l'action de la locataire,
- le débiteur de l'indemnité d'éviction,
- le quantum de la provision sollicité.
Au regard des développements qui précèdent, la prescription alléguée de la demande de la société Ariane Croisette en paiement d'une indemnité d'éviction ne constitue pas une contestation sérieuse.
S'agissant du débiteur à l'indemnité d'éviction, la société Ariane Croisette fait valoir que si l'usufruitier est incontestablement redevable de cette indemnité, les héritiers de l'usufruitier y son également tenus, contrairement ce qu'a retenu le premier juge. Elle souligne que Mmes [C] et [T] [U] qui prétendent avoir la seule qualité de nue-propriétaire des locaux litigieux et cherchent ainsi à occulter leur qualité d'héritières de M. [V] [U], usufruitier, sont mal fondées en cette argumentation.
Les parties appelantes contestent une telle analyse et soutiennent que seul l'usufruitier est redevable de l'indemnité d'éviction, que le nu-propriétaire ne peut dans ces conditions être condamné in solidum avec l'usufruitier alors que seul ce dernier est débiteur de cette indemnité. Elles précisent que les locaux commerciaux en cause ne sont pas inclus dans la succession de feu [V] [U]. Elles relèvent qu'en tout état de cause, il n'existe aucune solidarité entre les héritiers et que le créancier du défunt doit diviser ses poursuites entre les différents héritiers, au prorata de leur part successorale.
En cas de démembrement de propriété, seul l'usufruitier, qui a la jouissance du bien, peut consentir un bail commercial et a donc la qualité de bailleur. Il a ainsi le pouvoir de mettre fin au bail commercial et, par la suite, de notifier au preneur un congé avec refus de renouvellement, sans le concours du nu-propriétaire. Par voie de conséquence, en tant que de bailleur, dont il assume toutes les obligations, l'usufruitier est débiteur de l'indemnité d'éviction, qui a pour objet de compenser le préjudice causé au preneur par le défaut de renouvellement du bail.
Mme [B] [K] veuve [U], usufruitière du bien donné à bail, est incontestablement débitrice de cette indemnité.
Il est également acquis que Mmes [C] et [T] [U] sont nues- propriétaires des locaux commerciaux qui avaient été donnés à bail et qu'en cette qualité, elles ne peuvent pas être tenues au paiement de l'indemnité d'éviction.
Sur le fait que celles-ci soient également débitrices de l'indemnité d'éviction, suite au décès de M. [V] [U] et par l'effet deux donations-partage concernant les locaux donnés à bail, il apparaît que:
- Mmes [C] et [T] [U] sont nues-propriétaires ( ce qu'elles étaient déjà),
- Mme [B] [K] veuve [U] en est devenue usufruitière par l'effet de la donation contenue dans l'acte de donation-partage du 5 juillet 1988.
Compte tenu de cette configuration, il existe une contestation sérieuse qui réside dans la nécessité d'apprécier si la dette de l'indemnité d'éviction suite au décès de M. [V] [U], constitue bien en l'espèce une dette successorale à la charge des héritiers, supposant d'opérer une distinction entre la qualité de nu-propriétaire d'un bien immobilier et la qualité de nu-propriétaire de l'actif successoral. Or, une telle question, par sa complexité, relève d'une appréciation des juges du fond.
Seule Mme [B] [K] veuve [U] sera ainsi concernée par le paiement de la provision.
Concernant le montant de cette provision, il convient, à titre liminaire, de préciser que le principe du droit à la société Ariane Croisette au bénéfice d'une indemnité d'éviction n'est pas sérieusement contestable, en contemplation du congé délivré le 11 février 2015 par les bailleurs avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction.
Il convient de rappeler, qu'en application de l'article L 145-14 du code commerce, l'indemnité d'éviction a pour objet de réparer le préjudice subi par le locataire en raison de son départ des locaux et doit être fixée en tenant compte de la valeur du droit au bail des locaux dont le preneur est évincé, lequel est un élément de son fonds de commerce et ce, qu'il s'agisse de fixer une indemnité de perte de fonds ou déplacement du fonds du locataire.
Cette valeur du droit au bail constitue en outre une indemnisation minimale à laquelle peut prétendre le locataire évincé et la méthode d'évaluation de ce droit au bail consiste à calculer la différence entre le montant du loyer tel qu'il aurait été si le bail avait été renouvelé et la valeur locative de marché des locaux.
En l'espèce, il est établi que les locaux, objet du bail litigieux, ont été libérés par la SARL Ariane Croisette le 16 avril 2019 et qu'à la faveur de cette libération, les consorts [U] ont consenti, dès le 17 avril 2019, un nouveau bail commercial portant sur les mêmes locaux, au profit d'une autre agence immobilière, moyennant un loyer annuel de 600.000 €.
Mme [X], à l'issue de de ses investigations conclut à:
- une valeur du droit au bail avant impact Pinel de 2.185.000 €,
- une valeur de droit au bail après impact Pinel de 2.845.000 €,
- une valeur de droit au bail en l'absence de déplafonnement du loyer de 4.585.000€.
L'expert a retenu une valeur locative de marché de 600.000 € qui ne peut être utilement contestée par les consorts [U] en ce qu'il suffit de se référer au nouveau bail conclu le 17 avril 2019 avec la société Michael Zingraf Real Estate pour un loyer annuel de 600.000 € sur les locaux précédemment occupés par la SARL Ariane Croisette.
Concernant le loyer qui aurait été acquitté en cas de renouvellement du bail, il est établi que:
- le bail commercial venu à expiration le 30 septembre 2017, ensuite du congé délivré le 11 février 2015, avait été consenti en dernier par avenant du 14 mars 2008, moyennant un loyer annuel HT et HC de 180.0000 €,
- le loyer annuel en vigueur à l'expiration du bail au 30 septembre 2017, s'établissait à 201.081€.
Enfin l'expert, qui privilégie l'hypothèse d'un déplafonnement du loyer compte tenu de l'évolution notable des facteurs locaux de commercialité survenue entre 2008 et 2017, retient dans ce cas une valeur locative de renouvellement pouvant être fixée à 410.000 € et applique un coefficient de situation de 11,5 du fait de la très haute valeur commerciale des lieux.
Si les bailleurs contestent les termes de comparaison et de chiffrages retenus par l'expert, la cour observe que:
- d'une part, Mme [X] a répondu de manière précise et circonstanciée dans son rapport en réponse aux différents dires adressés par le conseil des bailleurs,
- d'autre part, la valeur locative de marché et le loyer en vigueur à l'expiration du bail qui ont été retenus ne souffrent d'aucune contestation,
- enfin, l'indemnité d'éviction ne peut être inférieure à la fourchette basse proposée qui prend en compte l'hypothèse d'un déplafonnement du loyer et qui constitue un avantage incontestable pour les bailleurs, dès lors qu'en l'absence de déplafonnement, le montant de cette indemnité est nécessairement plus important.
C'est donc à juste titre que le premier juge a alloué à la SARL Ariane Croisette la somme de 2.185.000 € correspondant à la valeur minimale du droit au bail susceptible d'être retenue.
En définitive, l'ordonnance entreprise sera confirmée en toutes des dispositions.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Grasse déférée,
Y ajoutant,
Condamne in solidum Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] à payer à la société Ariane Croisette une somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme [C] [U], Mme [T] [U] et Mme [B] [K] veuve [U] aux dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, La Présidente,