CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 4 septembre 2025, n° 23/12773
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2025
(n° 129/2025, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 23/12773 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIAVC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 janvier 2023 - Tribunal judiciaire de Créteil (3ème chambre)- RG n° 21/06317
APPELANTE
S.A.S. [O]
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 7] sous le n° 830 724 084
Agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et assistée par Me Aouatif Abida, avocat au barreau de Paris, toque : E0622
INTIMÉ
M. [B] [X]
né le 21 janvier 1940 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Brigitte Neveu-Galli, avocat au barreau de Val-de-Marne, toque : PC 361
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 février 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie Girousse, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nathalie Renard, présidente de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Nathalie Renard, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire, présent lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Au début de l'année 2020, M. [B] [Z] [X], propriétaire de locaux commerciaux situés [Adresse 3] à [Localité 5], et M. [D] [C], président de la société [O], sont entrés en négociation en vue de la signature d'un bail commercial concernant lesdits locaux.
Un acte sous seing privé a été signé entre les parties le 27 mars 2020.
Par ordonnance du 23 novembre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil, saisi par la société [O] d'une demande visant notamment à voir enjoindre à M. [X] de lui remettre sans délai les clefs du local et à défaut à l'autoriser à changer les serrures et subsidiairement à faire interdiction au défendeur à titre conservatoire de relouer le local commercial dans l'attente d'un jugement au fond, a constaté l'existence de contestations sérieuses et l'absence de trouble manifestement illicite, a dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes présentées par la société [O] et l'a condamnée à payer, outre les dépens, la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
C'est dans ce contexte que par acte d'huissier délivré le 27 août 2021, la société [O] a fait assigner M. [B] [X] devant le tribunal judiciaire de Créteil.
Par jugement du 20 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Créteil a :
- déclaré de nul effet le contrat signé le 27 mars 2020 entre M. [B] [Z] [X] et la société [O] ;
- rejeté les demandes de la SAS [O] dirigées contre M. [B] [Z] [X] en lien avec l'exécution forcée du contrat signé le 27 mars 2020 ;
- débouté la SAS [O] de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre M. [B] [Z] [X] pour résistance abusive et injustifiée à remettre les clés ;
- déclaré M. [B] [Z] [X] responsable de la rupture abusive des pourparlers menés avec la SAS [O] ;
- débouté la SAS [O] de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre M. [B] [Z] [X] du fait de la rupture abusive des pourparlers ;
- enjoint à M. [B] [Z] [X] de donner mainlevée de la garantie bancaire de 7.500 euros souscrite auprès du CIC le 30 mars 2020 ;
- condamné M. [B] [Z] [X] à payer à la SAS [O] la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [B] [Z] [X] aux dépens ;
- rejeté toutes autres demandes ;
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration du 15 juillet 2023, la société [O] a interjeté appel du jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 janvier 2025.
MOYENS ET PRETENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 6 octobre 2023, la société [O], appelante, demande à la cour de :
A titre principal :
- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré de nul effet le contrat signé le 27 mars 2020 entre M. [B] [Z] [X] et la société [O] ;
En conséquence :
- juger que le contrat de bail entre la SAS [O] et M. [X] est formé depuis le 27 mars 2020 ;
- enjoindre à Monsieur [B] [X] de remettre sans délai à la SAS [O] les clés du local commercial situé [Adresse 3] à [Localité 5] ;
- autoriser la SAS [O] en cas de non remise des clefs dans les 24 heures suivant la signification de la décision à intervenir à changer les serrures du local situé [Adresse 3] à [Localité 5] et ce aux frais du bailleur ;
- autoriser la SAS [O] à pénétrer dans ce local en s'adjoignant le concours d'un huissier de justice de son choix pour procéder, en cas de besoin, à l'ouverture de la porte du local et à l'état des lieux du local et ce aux frais du bailleur ;
- dire que l'huissier de justice pourra procéder à l'ouverture du local, au besoin, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier aux frais du bailleur ;
- condamner Monsieur [B] [Z] [X] à la réparation du préjudice résultant de sa résistance parfaitement abusive et injustifiée à remettre les clés du local à hauteur de 4.000 euros/jours depuis la signature du bail le 27 mars 2020 et ce jusqu'à remise effective des clés du local commercial ;
- condamner Monsieur [B] [Z] [X] à la réparation du préjudice matériel à hauteur de 40.000 euros ;
A titre subsidiaire :
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré M. [B] [X] responsable de la rupture abusive des pourparlers menés avec la SAS [O] ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SAS [O] de sa demande de dommages et intérêts dirigées contre M. [B] [Z] [X] du fait de la rupture abusive des pourparlers ;
Par conséquent,
- condamner M. [X] à la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
En tout état de cause :
- condamner Monsieur [B] [Z] [X] à la somme de 6.000 euros au titre de l'article700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 5 décembre 2023, M. [B] [X], intimé, demande à la cour de :
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté l'ensemble des réclamations formulées par la société [O] ;
- constater qu'aucun accord n'est intervenu caractérisant l'intention des parties concernant la signature du bail commercial litigieux ;
- dire et juger en conséquence nul et de nul effet le contrat provisoire régularisé le 27 mars 2020 ;
- subsidiairement dire et juger la résiliation du bail du 6 avril 2020 par M. [X] légitime et régulière ;
- débouter en conséquence la SAS [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- infirmer en revanche ladite décision en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages-intérêts formulés par M. [X] ;
- condamner dès lors la société [O] au paiement d'une somme de 3.000 euros au bénéfice de M. [X] [B] à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;
- la condamner également au paiement d'une somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Neveu Galli Brigitte, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRET
A titre liminaire, il convient de souligner que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir 'dire' ou 'juger', lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions visant à conférer un droit à la partie qui les requiert et ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.
I. Sur l'existence du contrat de bail
En application des articles 1113, 1114 et 1118, alinéa 1er du code civil, le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager, volonté qui peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur ; l'offre doit comprendre les éléments essentiels du contrat envisagé et exprimer la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. A défaut il y a seulement invitation à entrer en négociation. L'acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d'être lié dans les termes de l'offre.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que le document signé le 27 mars 2020 avec M. [X] répond aux conditions de l'article 1113 du code civil, car il a été signé par les deux parties et mentionne l'objet du contrat, l'identité des parties, le montant du loyer et la durée du bail. L'exécution du contrat, notamment, le paiement des loyers et la remise de chèques, confirme cette volonté. De plus, l'absence de signature d'une annexe ne remet pas en cause sa validité, d'autant que la signature d'annexe n'a pas été demandée lors de la signature du bail prenant effet le 1er avril 2020 et que ladite annexe n'était pas visée en fin de bail. Elle fait en outre valoir que ce bail n'a jamais fait l'objet d'aucune résiliation de la part de M. [X], les articles L. 145-1 à 145-60 du code de commerce encadrant strictement les modalités de résiliation des baux commerciaux. Enfin, elle soutient que la notion de « contrat provisoire » invoquée par M. [X] n'est définie ni par la loi ni par la jurisprudence. Dès lors, la tentative de requalification serait infondée.
L'intimé fait au contraire valoir que les volontés ne se sont pas rencontrées, au sens des articles 1113 et suivants du code civil. En effet, le bail signé le 27 mars 2020 prévoyait expressément la signature d'une annexe « charges et conditions » qui n'a pas été régularisée par la société [O]. Aucun contrat de bail n'a donc pu se former entre les parties faute de rencontre des volontés de celles-ci, car pour être valable l'engagement doit porter non seulement sur la nature même du contrat mais également sur ses modalités d'exécution. L'intimé soutient que le bail du 27 mars 2020 n'est qu'un document provisoire dont certaines mentions sont laissées vierges et prévoit une régularisation par acte sous seing privé devant préciser les conditions et charges du bail. Faute de cette annexe, le bail serait incomplet et juridiquement inexistant, raison pour laquelle l'intimé aurait restitué les chèques versés par l'appelante dès le 6 avril 2020. Il fait également valoir que l'appelante ne l'a assigné que le 20 août 2021, soit près d'un an et demi après les faits ce qui démontrerait sa mauvaise foi. Il sollicite en conséquence la confirmation du jugement déféré sur ce point.
En, l'espèce, il résulte des écritures et des pièces versées aux débats par les parties, que celles-ci ont entrepris des négociations au début de l'année 2020 et que, dans ce contexte, elles ont signé le 27 mars 2020 un acte intitulé « Bail commercial ». Si la majorité des conditions dont la conclusion définitive du contrat dépendait ont été réalisées comme, notamment, la fourniture d'une caution solidaire des dirigeants de la société preneuse et d'un caution bancaire, la souscription d'un contrat d'assurance ou encore la fourniture d'un devis détaillé relatif à des travaux à exécuter dans les locaux, il convient cependant de relever que non seulement cet acte qualifié de « Document provisoire » présentait plusieurs mentions demeurées en blanc mais encore qu'il indiquait en page 1 qu'il était établi « à titre provisoire » et remis en mains propre à la société [O] afin de lui permettre d'obtenir un Kbis ainsi que des contrats EDF et Véolia. En outre, il est indiqué en page 2 dudit document que « le bail est consenti sous les charges, clauses et condition énoncées aux articles 1 à 12 représentant sept pages figurant en annexe au présent bail » et, en fin de bail, M. [X] a fait précéder sa signature de la mention « Ce bail verra sa conclusion que si toutes les pièces sollicitées sont existantes ».
Il ressort également des éléments de la cause que ladite « annexe » versée aux débats par l'intimé et visée en page 2 du document litigieux, laquelle comportait de nombreuses dispositions essentielles voire obligatoires, relatives à l'état des lieux, la réalisation des diagnostics énergétiques, les réparations locatives, la garantie, la destination des lieux, la réalisation des travaux d'entretien et d'embellissements, les impôts et charges, les assurances, la cession, la sous-location et droit de préemption, n'a jamais été signée par l'appelante, ce qu'elle ne conteste pas.
A défaut de signature de ladite annexe, l'accord des volontés n'est donc pas intervenu sur certains des éléments essentiels du futur contrat, de sorte que celui-ci ne peut être considéré comme définitivement formé. Il sera simplement précisé que l'appelante ne s'est dite « disposée à accepter de signer (') si nécessaire » ladite annexe qu'après le refus de l'intimé de poursuivre les négociations, de sorte que la rencontre des consentements n'a pu intervenir.
Le contrat ne s'est donc pas trouvé formé et c'est à bon droit que le premier juge a estimé que le document signé le 27 mars 2020 entre les parties ne pouvait être considéré comme un engagement définitif. En conséquence, l'appelante n'est pas fondée à s'en prévaloir en vue d'obtenir sous astreinte les clés du local et à défaut, le changement des serrures, l'autorisation à pénétrer dans les lieux avec le cas échéant l'assistance de la force publique et d'un serrurier, ainsi que la réparation du préjudice résultant de la résistance abusive de la part de l'intimé.
L'appelante sera donc déboutée de ses demandes de ce chef et le jugement confirmé.
En revanche, le contrat de bail n'étant pas formé, il y a lieu de faire droit à la demande de l'appelante relative à la mainlevée de la garantie bancaire souscrite dans le cadre de ce bail.
Le jugement déféré faisant injonction à l'intimé de donner mainlevée de la garantie bancaire de 7.500 euros souscrite par la société [O] auprès du CIC le 31 mars 2020 sera donc également confirmé sur ce point.
II. Sur la rupture abusive des pourparlers
Conformément à l'article 1240 du code civil, il appartient à celui qui se prétend victime d'une faute de rapporter la preuve de cette dernière, de son préjudice et du lien de causalité qui existe entre les deux.
Il résulte en outre de la combinaison des articles 1114 et 1112 du même code que l'offre de contracter doit comprendre les éléments essentiels du contrat envisagé et exprimer la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation, et qu'à défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation, dont l'initiative, le déroulement et la rupture sont libres, mais doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. En cas de faute commise dans ces négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages.
Ces dispositions rappellent le principe de la libre rupture des négociations précontractuelles, à condition que ladite rupture ne soit pas fautive, c'est-à-dire réalisée de mauvaise foi, auquel cas cette faute emporte obligation pour son auteur de réparer le préjudice qui en résulte.
En l'espèce, l'appelante fait valoir à titre subsidiaire que les négociations ont duré près d'un an et que M. [X] lui a imposé de fournir une garantie bancaire, des cautionnements solidaires de M. [D] et de son épouse, la réalisation de travaux préalables qui auraient donné lieu au règlement d'un acompte de 39.053,76 euros, ainsi que la souscription d'une assurance, avant même la signature du bail. Elle soutient avoir satisfait à l'ensemble de ces conditions, avoir remis deux chèques à l'intimé, relatifs au dépôt de garantie et à la provision pour charges, de sorte que la rupture unilatérale des pourparlers de la part de l'intimé serait fautive et lui aurait causé un préjudice financier dont elle demande réparation à hauteur de 40.000 euros.
L'intimé fait quant à lui valoir que les négociations étaient achevées et que seules certaines formalités devaient être accomplies par l'appelante, qui n'avait aucune raison de ne pas signer l'annexe du contrat et n'avait proposé de régulariser ce dernier qu'après avoir reçu sa lettre de rupture. Ainsi la rupture de « prétendus pourparlers » ne serait entachée d'aucune attitude fautive de sa part, car elle était légitimée par le refus de régulariser l'annexe. En outre la réclamation de l'appelante serait manifestement abusive, car non fondée en son principe et en son montant, aucune preuve d'une perte d'un « éventuel » investissement n'étant rapportée.
Le contrat n'étant pas formé, les parties se trouvaient encore dans la période des pourparlers que l'intimé a choisi de rompre, ce qui, conformément au principe légal énoncé plus haut, correspond à son droit le plus stricte. Cependant, cette rupture doit satisfaire à l'exigence de bonne foi posée par la loi.
En l'occurrence, il ressort des écritures des parties et des pièces versées par celles-ci aux débats, qu'à la suite de la signature du document litigieux le 27 mars 2020 et de la remise, le 3 avril 2020, par l'appelante à l'intimé, de deux chèques respectivement relatifs au dépôt de garantie et à la provision pour charges, l'intimé lui a en échange remis une première facture de loyer, les éléments nécessaires au raccordement EDF et la copie de l'avis de taxe foncière. Cependant, par lettre adressée à l'appelante le 6 avril 2020, l'intimé déclare faire usage de son « droit de retrait » et ne plus désirer louer le local, objet du litige, après avoir précisé que le bail et les annexes formaient « un tout indissociable » et que « la signature de l'un des documents n'était pas suffisante ». Les deux chèques précédemment remis par l'appelante étaient joints en retour à ladite lettre. L'intimé soutient dans ses écritures que la non-signature de l'annexe par la société [O] justifiait cette rupture, alors que cette dernière prétend que jamais ce document ne lui a été préalablement soumis. Dans la mesure où l'intimé ne démontre pas avoir soumis préalablement ladite annexe à la signature de l'appelante, c'est de mauvaise foi qu'il oppose à cette dernière ce motif de rupture, laquelle apparaît en conséquence comme abusive et de nature à engager sa responsabilité. C'est ainsi à bon droit que le premier juge a estimé que l'intimé avait commis une faute en arrêtant brusquement les négociations avec l'appelante.
Cependant, il appartient à l'appelante qui se prévaut d'un préjudice d'en rapporter la preuve, ainsi que du lien de causalité existant entre la faute de l'intimé et le préjudice allégué. Or, l'appelante échoue à rapporter cette preuve, dans la mesure où pour en justifier elle verse aux débats un devis relatif à des travaux de couverture et une facture d'acompte correspondante pour un montant de 39.053,76 euros, qui ne comportent aucun cachet ni signature de l'entreprise émettrice, ni mention de bon pour accord de la part la société [O]. Elle ne justifie pas de l'existence du préjudice allégué.
Le jugement déféré, qui a rejeté sa demande, sera en conséquence confirmé de ce chef.
III. Sur la demande de dommages intérêts formée à titre reconventionnel par l'intimé
Conformément à l'article 1240 du code civil précédemment cité, il appartient à celui qui se prétend victime d'une faute de rapporter la preuve de cette dernière, de son préjudice et du lien de causalité qui existe entre les deux.
Par ailleurs, l'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.
Au soutien de sa demande, l'intimé fait valoir qu'il se trouve en situation de faiblesse, pour être âgé de 81 ans et souffrant de graves pathologies. En refusant de signer l'annexe, la société [O] aurait cherché à se dispenser des obligations et charges contenues habituellement dans un bail commercial, tentant ainsi de profiter de sa vulnérabilité. Elle se prévaut également du fait que la présente procédure serait abusive et injustifiée, pour solliciter la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts.
L'appelante n'a pas conclu en réponse.
En l'espèce, tout d'abord, l'intimé ne rapporte pas la preuve de ce que l'appelante aurait cherché à abuser d'une situation de faiblesse dans laquelle il prétend se trouver. En outre, faute pour lui de rapporter la preuve d'une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de l'appelante, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits et faute d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais de défense exposés, il sera débouté de sa demande tendant à voir réparer un préjudice lié à l'existence de la présente procédure.
Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.
IV. Sur les autres demandes
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [X], reconnu responsable de la rupture abusive des pourparlers, à supporter la charge des dépens ainsi que les frais de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance.
La société [O] succombant en appel, sera condamnée à supporter les dépens d'appel ainsi que les frais de l'article 700 exposés par M. [B] [X] en cause d'appel à hauteur de 4.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Créteil le 20 janvier 2023 (RG 21/06317) en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la société [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société [O] aux dépens de la procédure d'appel avec distraction au profit de Maître Brigitte Neveu Galli conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Condamne la société [O] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à verser à M. [B] [Z] [X] la somme de 4 000 euros.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2025
(n° 129/2025, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 23/12773 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIAVC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 janvier 2023 - Tribunal judiciaire de Créteil (3ème chambre)- RG n° 21/06317
APPELANTE
S.A.S. [O]
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 7] sous le n° 830 724 084
Agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et assistée par Me Aouatif Abida, avocat au barreau de Paris, toque : E0622
INTIMÉ
M. [B] [X]
né le 21 janvier 1940 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Brigitte Neveu-Galli, avocat au barreau de Val-de-Marne, toque : PC 361
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 février 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie Girousse, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Nathalie Renard, présidente de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Nathalie Renard, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire, présent lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Au début de l'année 2020, M. [B] [Z] [X], propriétaire de locaux commerciaux situés [Adresse 3] à [Localité 5], et M. [D] [C], président de la société [O], sont entrés en négociation en vue de la signature d'un bail commercial concernant lesdits locaux.
Un acte sous seing privé a été signé entre les parties le 27 mars 2020.
Par ordonnance du 23 novembre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil, saisi par la société [O] d'une demande visant notamment à voir enjoindre à M. [X] de lui remettre sans délai les clefs du local et à défaut à l'autoriser à changer les serrures et subsidiairement à faire interdiction au défendeur à titre conservatoire de relouer le local commercial dans l'attente d'un jugement au fond, a constaté l'existence de contestations sérieuses et l'absence de trouble manifestement illicite, a dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes présentées par la société [O] et l'a condamnée à payer, outre les dépens, la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
C'est dans ce contexte que par acte d'huissier délivré le 27 août 2021, la société [O] a fait assigner M. [B] [X] devant le tribunal judiciaire de Créteil.
Par jugement du 20 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Créteil a :
- déclaré de nul effet le contrat signé le 27 mars 2020 entre M. [B] [Z] [X] et la société [O] ;
- rejeté les demandes de la SAS [O] dirigées contre M. [B] [Z] [X] en lien avec l'exécution forcée du contrat signé le 27 mars 2020 ;
- débouté la SAS [O] de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre M. [B] [Z] [X] pour résistance abusive et injustifiée à remettre les clés ;
- déclaré M. [B] [Z] [X] responsable de la rupture abusive des pourparlers menés avec la SAS [O] ;
- débouté la SAS [O] de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre M. [B] [Z] [X] du fait de la rupture abusive des pourparlers ;
- enjoint à M. [B] [Z] [X] de donner mainlevée de la garantie bancaire de 7.500 euros souscrite auprès du CIC le 30 mars 2020 ;
- condamné M. [B] [Z] [X] à payer à la SAS [O] la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [B] [Z] [X] aux dépens ;
- rejeté toutes autres demandes ;
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration du 15 juillet 2023, la société [O] a interjeté appel du jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 janvier 2025.
MOYENS ET PRETENTIONS
Aux termes de ses conclusions notifiées le 6 octobre 2023, la société [O], appelante, demande à la cour de :
A titre principal :
- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré de nul effet le contrat signé le 27 mars 2020 entre M. [B] [Z] [X] et la société [O] ;
En conséquence :
- juger que le contrat de bail entre la SAS [O] et M. [X] est formé depuis le 27 mars 2020 ;
- enjoindre à Monsieur [B] [X] de remettre sans délai à la SAS [O] les clés du local commercial situé [Adresse 3] à [Localité 5] ;
- autoriser la SAS [O] en cas de non remise des clefs dans les 24 heures suivant la signification de la décision à intervenir à changer les serrures du local situé [Adresse 3] à [Localité 5] et ce aux frais du bailleur ;
- autoriser la SAS [O] à pénétrer dans ce local en s'adjoignant le concours d'un huissier de justice de son choix pour procéder, en cas de besoin, à l'ouverture de la porte du local et à l'état des lieux du local et ce aux frais du bailleur ;
- dire que l'huissier de justice pourra procéder à l'ouverture du local, au besoin, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier aux frais du bailleur ;
- condamner Monsieur [B] [Z] [X] à la réparation du préjudice résultant de sa résistance parfaitement abusive et injustifiée à remettre les clés du local à hauteur de 4.000 euros/jours depuis la signature du bail le 27 mars 2020 et ce jusqu'à remise effective des clés du local commercial ;
- condamner Monsieur [B] [Z] [X] à la réparation du préjudice matériel à hauteur de 40.000 euros ;
A titre subsidiaire :
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré M. [B] [X] responsable de la rupture abusive des pourparlers menés avec la SAS [O] ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SAS [O] de sa demande de dommages et intérêts dirigées contre M. [B] [Z] [X] du fait de la rupture abusive des pourparlers ;
Par conséquent,
- condamner M. [X] à la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
En tout état de cause :
- condamner Monsieur [B] [Z] [X] à la somme de 6.000 euros au titre de l'article700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées le 5 décembre 2023, M. [B] [X], intimé, demande à la cour de :
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté l'ensemble des réclamations formulées par la société [O] ;
- constater qu'aucun accord n'est intervenu caractérisant l'intention des parties concernant la signature du bail commercial litigieux ;
- dire et juger en conséquence nul et de nul effet le contrat provisoire régularisé le 27 mars 2020 ;
- subsidiairement dire et juger la résiliation du bail du 6 avril 2020 par M. [X] légitime et régulière ;
- débouter en conséquence la SAS [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- infirmer en revanche ladite décision en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages-intérêts formulés par M. [X] ;
- condamner dès lors la société [O] au paiement d'une somme de 3.000 euros au bénéfice de M. [X] [B] à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;
- la condamner également au paiement d'une somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Neveu Galli Brigitte, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE L'ARRET
A titre liminaire, il convient de souligner que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes aux fins de voir 'dire' ou 'juger', lorsqu'elles ne constituent pas des prétentions visant à conférer un droit à la partie qui les requiert et ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.
I. Sur l'existence du contrat de bail
En application des articles 1113, 1114 et 1118, alinéa 1er du code civil, le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager, volonté qui peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur ; l'offre doit comprendre les éléments essentiels du contrat envisagé et exprimer la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. A défaut il y a seulement invitation à entrer en négociation. L'acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d'être lié dans les termes de l'offre.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que le document signé le 27 mars 2020 avec M. [X] répond aux conditions de l'article 1113 du code civil, car il a été signé par les deux parties et mentionne l'objet du contrat, l'identité des parties, le montant du loyer et la durée du bail. L'exécution du contrat, notamment, le paiement des loyers et la remise de chèques, confirme cette volonté. De plus, l'absence de signature d'une annexe ne remet pas en cause sa validité, d'autant que la signature d'annexe n'a pas été demandée lors de la signature du bail prenant effet le 1er avril 2020 et que ladite annexe n'était pas visée en fin de bail. Elle fait en outre valoir que ce bail n'a jamais fait l'objet d'aucune résiliation de la part de M. [X], les articles L. 145-1 à 145-60 du code de commerce encadrant strictement les modalités de résiliation des baux commerciaux. Enfin, elle soutient que la notion de « contrat provisoire » invoquée par M. [X] n'est définie ni par la loi ni par la jurisprudence. Dès lors, la tentative de requalification serait infondée.
L'intimé fait au contraire valoir que les volontés ne se sont pas rencontrées, au sens des articles 1113 et suivants du code civil. En effet, le bail signé le 27 mars 2020 prévoyait expressément la signature d'une annexe « charges et conditions » qui n'a pas été régularisée par la société [O]. Aucun contrat de bail n'a donc pu se former entre les parties faute de rencontre des volontés de celles-ci, car pour être valable l'engagement doit porter non seulement sur la nature même du contrat mais également sur ses modalités d'exécution. L'intimé soutient que le bail du 27 mars 2020 n'est qu'un document provisoire dont certaines mentions sont laissées vierges et prévoit une régularisation par acte sous seing privé devant préciser les conditions et charges du bail. Faute de cette annexe, le bail serait incomplet et juridiquement inexistant, raison pour laquelle l'intimé aurait restitué les chèques versés par l'appelante dès le 6 avril 2020. Il fait également valoir que l'appelante ne l'a assigné que le 20 août 2021, soit près d'un an et demi après les faits ce qui démontrerait sa mauvaise foi. Il sollicite en conséquence la confirmation du jugement déféré sur ce point.
En, l'espèce, il résulte des écritures et des pièces versées aux débats par les parties, que celles-ci ont entrepris des négociations au début de l'année 2020 et que, dans ce contexte, elles ont signé le 27 mars 2020 un acte intitulé « Bail commercial ». Si la majorité des conditions dont la conclusion définitive du contrat dépendait ont été réalisées comme, notamment, la fourniture d'une caution solidaire des dirigeants de la société preneuse et d'un caution bancaire, la souscription d'un contrat d'assurance ou encore la fourniture d'un devis détaillé relatif à des travaux à exécuter dans les locaux, il convient cependant de relever que non seulement cet acte qualifié de « Document provisoire » présentait plusieurs mentions demeurées en blanc mais encore qu'il indiquait en page 1 qu'il était établi « à titre provisoire » et remis en mains propre à la société [O] afin de lui permettre d'obtenir un Kbis ainsi que des contrats EDF et Véolia. En outre, il est indiqué en page 2 dudit document que « le bail est consenti sous les charges, clauses et condition énoncées aux articles 1 à 12 représentant sept pages figurant en annexe au présent bail » et, en fin de bail, M. [X] a fait précéder sa signature de la mention « Ce bail verra sa conclusion que si toutes les pièces sollicitées sont existantes ».
Il ressort également des éléments de la cause que ladite « annexe » versée aux débats par l'intimé et visée en page 2 du document litigieux, laquelle comportait de nombreuses dispositions essentielles voire obligatoires, relatives à l'état des lieux, la réalisation des diagnostics énergétiques, les réparations locatives, la garantie, la destination des lieux, la réalisation des travaux d'entretien et d'embellissements, les impôts et charges, les assurances, la cession, la sous-location et droit de préemption, n'a jamais été signée par l'appelante, ce qu'elle ne conteste pas.
A défaut de signature de ladite annexe, l'accord des volontés n'est donc pas intervenu sur certains des éléments essentiels du futur contrat, de sorte que celui-ci ne peut être considéré comme définitivement formé. Il sera simplement précisé que l'appelante ne s'est dite « disposée à accepter de signer (') si nécessaire » ladite annexe qu'après le refus de l'intimé de poursuivre les négociations, de sorte que la rencontre des consentements n'a pu intervenir.
Le contrat ne s'est donc pas trouvé formé et c'est à bon droit que le premier juge a estimé que le document signé le 27 mars 2020 entre les parties ne pouvait être considéré comme un engagement définitif. En conséquence, l'appelante n'est pas fondée à s'en prévaloir en vue d'obtenir sous astreinte les clés du local et à défaut, le changement des serrures, l'autorisation à pénétrer dans les lieux avec le cas échéant l'assistance de la force publique et d'un serrurier, ainsi que la réparation du préjudice résultant de la résistance abusive de la part de l'intimé.
L'appelante sera donc déboutée de ses demandes de ce chef et le jugement confirmé.
En revanche, le contrat de bail n'étant pas formé, il y a lieu de faire droit à la demande de l'appelante relative à la mainlevée de la garantie bancaire souscrite dans le cadre de ce bail.
Le jugement déféré faisant injonction à l'intimé de donner mainlevée de la garantie bancaire de 7.500 euros souscrite par la société [O] auprès du CIC le 31 mars 2020 sera donc également confirmé sur ce point.
II. Sur la rupture abusive des pourparlers
Conformément à l'article 1240 du code civil, il appartient à celui qui se prétend victime d'une faute de rapporter la preuve de cette dernière, de son préjudice et du lien de causalité qui existe entre les deux.
Il résulte en outre de la combinaison des articles 1114 et 1112 du même code que l'offre de contracter doit comprendre les éléments essentiels du contrat envisagé et exprimer la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation, et qu'à défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation, dont l'initiative, le déroulement et la rupture sont libres, mais doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. En cas de faute commise dans ces négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages.
Ces dispositions rappellent le principe de la libre rupture des négociations précontractuelles, à condition que ladite rupture ne soit pas fautive, c'est-à-dire réalisée de mauvaise foi, auquel cas cette faute emporte obligation pour son auteur de réparer le préjudice qui en résulte.
En l'espèce, l'appelante fait valoir à titre subsidiaire que les négociations ont duré près d'un an et que M. [X] lui a imposé de fournir une garantie bancaire, des cautionnements solidaires de M. [D] et de son épouse, la réalisation de travaux préalables qui auraient donné lieu au règlement d'un acompte de 39.053,76 euros, ainsi que la souscription d'une assurance, avant même la signature du bail. Elle soutient avoir satisfait à l'ensemble de ces conditions, avoir remis deux chèques à l'intimé, relatifs au dépôt de garantie et à la provision pour charges, de sorte que la rupture unilatérale des pourparlers de la part de l'intimé serait fautive et lui aurait causé un préjudice financier dont elle demande réparation à hauteur de 40.000 euros.
L'intimé fait quant à lui valoir que les négociations étaient achevées et que seules certaines formalités devaient être accomplies par l'appelante, qui n'avait aucune raison de ne pas signer l'annexe du contrat et n'avait proposé de régulariser ce dernier qu'après avoir reçu sa lettre de rupture. Ainsi la rupture de « prétendus pourparlers » ne serait entachée d'aucune attitude fautive de sa part, car elle était légitimée par le refus de régulariser l'annexe. En outre la réclamation de l'appelante serait manifestement abusive, car non fondée en son principe et en son montant, aucune preuve d'une perte d'un « éventuel » investissement n'étant rapportée.
Le contrat n'étant pas formé, les parties se trouvaient encore dans la période des pourparlers que l'intimé a choisi de rompre, ce qui, conformément au principe légal énoncé plus haut, correspond à son droit le plus stricte. Cependant, cette rupture doit satisfaire à l'exigence de bonne foi posée par la loi.
En l'occurrence, il ressort des écritures des parties et des pièces versées par celles-ci aux débats, qu'à la suite de la signature du document litigieux le 27 mars 2020 et de la remise, le 3 avril 2020, par l'appelante à l'intimé, de deux chèques respectivement relatifs au dépôt de garantie et à la provision pour charges, l'intimé lui a en échange remis une première facture de loyer, les éléments nécessaires au raccordement EDF et la copie de l'avis de taxe foncière. Cependant, par lettre adressée à l'appelante le 6 avril 2020, l'intimé déclare faire usage de son « droit de retrait » et ne plus désirer louer le local, objet du litige, après avoir précisé que le bail et les annexes formaient « un tout indissociable » et que « la signature de l'un des documents n'était pas suffisante ». Les deux chèques précédemment remis par l'appelante étaient joints en retour à ladite lettre. L'intimé soutient dans ses écritures que la non-signature de l'annexe par la société [O] justifiait cette rupture, alors que cette dernière prétend que jamais ce document ne lui a été préalablement soumis. Dans la mesure où l'intimé ne démontre pas avoir soumis préalablement ladite annexe à la signature de l'appelante, c'est de mauvaise foi qu'il oppose à cette dernière ce motif de rupture, laquelle apparaît en conséquence comme abusive et de nature à engager sa responsabilité. C'est ainsi à bon droit que le premier juge a estimé que l'intimé avait commis une faute en arrêtant brusquement les négociations avec l'appelante.
Cependant, il appartient à l'appelante qui se prévaut d'un préjudice d'en rapporter la preuve, ainsi que du lien de causalité existant entre la faute de l'intimé et le préjudice allégué. Or, l'appelante échoue à rapporter cette preuve, dans la mesure où pour en justifier elle verse aux débats un devis relatif à des travaux de couverture et une facture d'acompte correspondante pour un montant de 39.053,76 euros, qui ne comportent aucun cachet ni signature de l'entreprise émettrice, ni mention de bon pour accord de la part la société [O]. Elle ne justifie pas de l'existence du préjudice allégué.
Le jugement déféré, qui a rejeté sa demande, sera en conséquence confirmé de ce chef.
III. Sur la demande de dommages intérêts formée à titre reconventionnel par l'intimé
Conformément à l'article 1240 du code civil précédemment cité, il appartient à celui qui se prétend victime d'une faute de rapporter la preuve de cette dernière, de son préjudice et du lien de causalité qui existe entre les deux.
Par ailleurs, l'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.
Au soutien de sa demande, l'intimé fait valoir qu'il se trouve en situation de faiblesse, pour être âgé de 81 ans et souffrant de graves pathologies. En refusant de signer l'annexe, la société [O] aurait cherché à se dispenser des obligations et charges contenues habituellement dans un bail commercial, tentant ainsi de profiter de sa vulnérabilité. Elle se prévaut également du fait que la présente procédure serait abusive et injustifiée, pour solliciter la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts.
L'appelante n'a pas conclu en réponse.
En l'espèce, tout d'abord, l'intimé ne rapporte pas la preuve de ce que l'appelante aurait cherché à abuser d'une situation de faiblesse dans laquelle il prétend se trouver. En outre, faute pour lui de rapporter la preuve d'une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de l'appelante, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits et faute d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais de défense exposés, il sera débouté de sa demande tendant à voir réparer un préjudice lié à l'existence de la présente procédure.
Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.
IV. Sur les autres demandes
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [X], reconnu responsable de la rupture abusive des pourparlers, à supporter la charge des dépens ainsi que les frais de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance.
La société [O] succombant en appel, sera condamnée à supporter les dépens d'appel ainsi que les frais de l'article 700 exposés par M. [B] [X] en cause d'appel à hauteur de 4.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Créteil le 20 janvier 2023 (RG 21/06317) en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de la société [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société [O] aux dépens de la procédure d'appel avec distraction au profit de Maître Brigitte Neveu Galli conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Condamne la société [O] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à verser à M. [B] [Z] [X] la somme de 4 000 euros.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE