Cass. 3e civ., 4 septembre 2025, n° 23-14.257
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 1er décembre 2022) et les productions, M. [G] et [M] [C], usufruitiers, et leur fille Mme [G], nue-propriétaire, d'une part, et la société Pâtisserie Reynald (la locataire), d'autre part, sont liés par un bail commercial renouvelé à compter du 11 mai 2013 portant sur un immeuble entier, comportant des locaux commerciaux en rez-de-chaussée et des appartements sur trois étages. Ce bail renouvelé comprend une clause par laquelle la locataire s'engage à remettre les appartements en « état d'habitabilité ».
2. M. [G] et [M] [C] ont délivré à la locataire par acte extrajudiciaire du 22 avril 2014 un commandement, visant la clause résolutoire du bail renouvelé, d'avoir à remettre en état d'habitabilité les appartements en étages.
3. Après dépôt par l'expert, commis par ordonnance de référé du 11 janvier 2017, de son rapport sur l'état de l'immeuble, M. [G], [M] [C] et Mme [G] ont assigné la locataire en constat de l'acquisition de la clause résolutoire du bail, condamnation à réaliser les travaux de remise en état d'habitabilité des appartements en étages et à défaut en paiement d'une provision à valoir sur le coût des travaux nécessaires, et indemnisation.
4. [M] [C] est décédée en cours d'instance et M. [G] et Mme [G] (les bailleurs) ont repris l'instance et maintenu leurs demandes.
5. La locataire a demandé, à titre reconventionnel, l'annulation du commandement du 22 avril 2014, la condamnation des bailleurs à réaliser les travaux nécessaires pour assurer la conformité électrique ainsi que le clos et le couvert des locaux, et l'indemnisation du préjudice de jouissance subi.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et cinquième branches
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième à quatrième et sixième branches
Enoncé du moyen
7. Les bailleurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en résiliation du bail aux torts de la locataire, en condamnation de celle-ci à procéder à la remise en état d'habitabilité des appartements et, à défaut d'y avoir procédé, à leur payer de ce chef une provision, de rejeter leur demande en condamnation de la locataire en paiement d'une certaine somme au titre du remboursement des travaux de remise aux normes de l'électricité ainsi que des fenêtres du troisième étage et en indemnisation du préjudice moral subi, ainsi que d'annuler le commandement du 22 avril 2014, alors :
« 2°/ que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux ; que le manquement contractuel allégué s'apprécie à la date du commandement selon les obligations contractuelles de chacune des parties ; qu'en l'espèce, en refusant les effets résolutoires de la clause expressément stipulée par les parties à cette fin et en déclarant nul le commandement délivré par les époux [G], sans se fonder sur la date exacte du commandement visant ladite clause résolutoire pour en apprécier la validité, la cour d'appel a violé l'article L. 145-41 du code de commerce par refus d'application ;
3°/ que le manquement contractuel justifiant la mise en uvre d'une clause résolutoire s'apprécie à la date précise du commandement et selon la matérialité des manquements allégués au regard des obligations contractuelles de chacune des parties ; qu'en l'espèce, pour refuser les effets résolutoires de la clause expressément stipulée par les parties à cette fin et déclarer nul le commandement délivré par les époux [G], la cour d'appel ne s'est pas placée à la date de celui-ci ; qu'en se plaçant « en 2021 » pour apprécier la validité du commandement du 22 avril 2014, la cour d'appel a encore violé l'article L. 145-41 du code de commerce par refus d'application ;
4°/ que la résiliation de plein droit d'un bail commercial par application de la clause résolutoire implique un manquement aux obligations expressément visées dans ce bail ; qu'en l'espèce, en refusant de se placer, comme elle y était expressément invitée, à la date précise du commandement du 22 avril 2014 pour se déterminer avec justesse sur « la situation locative exacte » de l'immeuble et sur « les clauses applicables dont peut se prévaloir le bailleur au cours du bail litigieux à effet au 11 mai 2013 jusqu'au 10 mai 2022 » la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 145-41 du code de commerce ;
6°/ que le jugement doit être motivé ; que le défaut de réponse à conclusions vaut défaut de motifs ; qu'en l'espèce, en statuant comme elle l'a fait, sans répondre aux conclusions des consorts [G] qui soutenaient que le défaut d'habitabilité de l'immeuble procédait d'un défaut d'entretien notoire de la société Pâtisserie Reynald et faisaient valoir un moyen pertinent selon lequel « cette occupation sans entretien régulier était la cause de l'état des lieux actuel tels que décrit aux termes du rapport d'expertise », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
8. La cour d'appel a, d'abord, par motifs propres et adoptés, à bon droit rappelé que les bailleurs ne pouvaient se prévaloir d'une clause de prise des lieux en l'état pour se décharger de leur obligation de délivrance, et constaté que le bail renouvelé à compter du 11 mai 2013 laissait aux bailleurs la charge des grosses réparations, soit celles intéressant l'immeuble dans sa structure et sa solidité générale, ainsi que celles liées à la vétusté, faute de clause expresse les mettant à la charge de la locataire.
9. Elle a, ensuite, par une appréciation souveraine des éléments de preuve soumis à son examen, retenu que l'escalier et l'appartement du troisième et dernier étage étaient en mauvais état, en raison d'une absence d'entretien de la structure de l'immeuble, qu'il était nécessaire de remplacer les menuiseries et poteaux en bois entre les vantaux, y compris l'étanchéité avec les chenaux, que ces travaux, permettant d'assurer l'étanchéité du bâtiment à l'eau, relevaient des grosses réparations, que les travaux de toiture réalisés en 2013 par les bailleurs n'avaient pas mis fin aux défauts d'étanchéité, la toiture n'ayant été refaite qu'en 2021, et qu'à la date de délivrance du commandement, des réparations dites locatives étaient insuffisantes à permettre la remise en état d'habitabilité des appartements.
10. Répondant aux conclusions dont elle était saisie et en se plaçant à la date de délivrance du commandement pour apprécier le respect, par chacune des parties, de ses obligations respectives, la cour d'appel, qui a déduit de ces motifs que la locataire, qui ne pouvait réaliser les travaux mis à sa charge par le bail tant que ceux mis à la charge des bailleurs par ce même contrat n'étaient pas exécutés, n'avait pas commis le manquement qui lui était reproché par le commandement du 22 avril 2014, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [G] et Mme [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et Mme [G] et les condamne à payer à la société Pâtisserie Reynald la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé publiquement le quatre septembre deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.