CA Paris, Pôle 5 - ch. 3, 4 septembre 2025, n° 22/10947
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2025
(n° 126 /2025, 14 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 22/10947 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF6HU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 avril 2022- Tribunal judiciaire de PARIS (18ème chambre, 2ème section) - RG n° 18/04942
APPELANTES
Association ASSOCIATION DE PREVOYANCE DU NOTARIAT DE FRANCE
Identifiée au SIRENE sous le numéro 784 361 248
Agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 11]
Fondation FONDATION D'[Localité 19], dite 'APPRENTIS D'[Localité 19]'
Identifiée au SIRENE sous le numéro 775 688 799
Agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Localité 12]
Fondation FONDATION NOTRE DAME
Identifiée au SIRENE sous le numéro 393 739 594
Agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal pour le compte de son établissement dénommé 'La Fondation des Bernardins'
[Adresse 1]
[Localité 10]
Représentées par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de Paris, toque : D0945
Assistées de Me Bruno SCHRIMPF, avocat au barreau de Paris, toque : R228
INTIMÉS
Maître [T] [J], ès-qualités d'administrateur provisoire de la succession de [X] [C] [P] [G]
[Adresse 8]
[Localité 11]
Défaillant, non constitué. Signification de la déclaration d'appel convertie en procès-verbal de difficulté en date du 26 août 2022
S.A.S.U. ISAIA
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 20] sous le n° 823 683 784
Prise en la personne de sa Présidente ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 13]
Représentée et assistée par Me Alain RAPAPORT, avocat au barreau de Paris, toque : K0122
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 mars 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Stéphanie Dupont, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Mme Brigitte Brun-Lallemand, présidente de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 28 octobre 1998, M. [X] [C] [P] [G] a donné à bail en renouvellement àla société l'Alsace à [Localité 20], aux droits de laquelle est ultérieurement venue la société Chez Clément, divers locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble situé [Adresse 18] et [Adresse 6] à [Localité 21], pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter rétroactivement du 1er juillet 1998 et pour l'exploitation d'une activité de commerce de café, brasserie, restaurant.
La désignation des lieux est la suivante :
« La totalité du rez-de-chaussée de l'immeuble à gauche du couloir d'entrée jusqu'à la [Adresse 23]. Lesdits locaux comprenant les salles de restauration, les cuisines et services, et, en outre une cave au sous-sol n° 11 du plan des caves et une pièce au premier étage sur cour intérieure, communiquant par un escalier intérieur avec la boutique, sans accès direct sur le palier commun.
Au premier étage, sur la [Adresse 23], un appartement comprenant entrée, couloir, vestiaire, water-closet, deux pièces avec escalier conduisant au rez-de-chaussée dans la boutique. Ledit appartement n'ayant pas d'accès par les parties communes de l'immeuble.
Au sous-sol, diverses caves formant les lots 21, 22, 23 et 26 du règlement de copropriété du 22 décembre 1958, comprenant les caves proprement dites côté [Adresse 23] et [Adresse 22] et des vestiaires et sanitaires au fond à droite. Le tout représentant les 315/1.0000èmes des parties communes générales de l'immeuble. ».
Par acte extrajudiciaire des 21 et 26 décembre 2006, M. [G] a fait signifier à la société Chez Clément un congé pour le 30 juin 2007 comportant offre de renouvellement pour neuf ans à compter du 1er juillet 2007 moyennant un loyer annuel en principal HT et HC de 260.000 euros.
Par jugement du 19 avril 2013, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a fixé le loyer de renouvellement à la somme de 219.000 euros par an HT et HC à la date du 1er juillet 2007.
Par acte extrajudiciaire signifié à personne morale le 30 décembre 2015, M.[G] a donné congé à la société Chez Clément pour le 30 juin 2016, ledit congé comportant refus de renouvellement sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes, le bailleur reprochant à la société locataire de s'être « abstenue à compter du terme du premier trimestre 2013 échu le 31 mars du paiement à bonne date des loyers courants, ce qui a nécessité la délivrance de dix commandements de payer visant la clause résolutoire du bail et les articles L. 145-41 et L. 145-17-1 1° du code de commerce, en date des 29 mai, 16 juillet, 14 et 16 octobre 2013, 13 et 14 janvier, 4 avril, 7 juillet 2014, 4 février, 9 avril, 3 juillet et 8 octobre 2015 ».
Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société Chez Clément par jugement du tribunal de commerce de Paris du 10 décembre 2015.
Dans le cadre de cette procédure collective, la société Senco Saint-André des Arts, dénommée depuis Isaia, a acquis, le 20 mars 2017, les actifs du fonds de commerce de restaurant, bar, salon de thé, brasserie exploité par la société Chez Clément au [Adresse 18] et [Adresse 6] à [Localité 21], incluant le droit au bail sur les locaux, l'acquéreur ayant accepté « la reprise de tous les droits découlant des baux en l'état » et déclaré faire « son affaire personnelle des procédures en cours et des effets et conséquences du congé avec refus de renouvellement du bail pour motifs graves et légitimes signifié à la requête de Monsieur [G] le 31 décembre 2015 pour le 30 juin 2016 de sorte qu'il contracte en pleine connaissance de cause ». Le contrat de cession d'entreprise a été signifié à M. [G] par acte du 13 avril 2017.
M. [G] est décédé le 3 septembre 2017.
Par requête du 30 mars 2018, la société Isaia a demandé au président du tribunal de grande instance de Paris la désignation d'un administrateur provisoire de la succession de M. [G]. Il a été fait droit à sa demande par ordonnance du même jour désignant Maître [T] [J] ès-qualités.
Par acte du 13 avril 2018, la société Isaia a fait assigner Maître [J], en qualité d'administrateur provisoire de la succession de M. [G], devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins essentielles de contestation du motif grave et légitime fondant la délivrance du congé sans renouvellement et sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction et pour fixation de l'indemnité d'éviction à la somme de 3.860.000 euros.
L'instance a été enrôlée sous le numéro de RG 18/04942.
Par acte du 29 juin 2018, l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, légataires universelles conjointes de M. [G], ont fait assigner la société Isaia devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de la voir condamner à leur payer une indemnité d'occupation de droit commun à compter du 10 novembre 2016 à titre principal et une indemnité d'occupation statutaire sur le fondement de l'article L. 145-28 du code de commerce à titre subsidiaire.
L'instance a été enrôlée sous le numéro de RG 18/11134.
Par acte du 8 novembre 2018, la société Isaia a fait assigner l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, légataires universelles conjointes de M. [G], devant le tribunal de grande instance de Paris aux mêmes fins que l'asssignation précédémennt délivrée à Maître [J] ès-qualités.
L' instance a été enrôlée sous le numéro de RG 18/13897.
Ces trois instances ont été jointes.
Par jugement du 21 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
débouté l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame de leurs fins de non-recevoir et déclaré la société Isaia recevable en ses demandes,
dit que le bail commercial renouvelé le 1er juillet 2007 portant sur des locaux situés [Adresse 17] à [Localité 21], a pris fin le 30 juin 2016 à 24h00 par l'effet du congé avec refus de renouvellement et sans offre de paiement d'indemnité d'éviction délivré par M. [X] [G] à la société Chez Clément par acte du 30 décembre 2015,
dit que la société Isaia, cessionnaire des actifs du fonds de commerce de la société Chez Clément, peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction par suite du congé avec refus de renouvellement signifié par M.[X] [G], aux droits duquel interviennent l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame,
dit que la société Isaia est redevable, à l'égard de l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, prises ensemble, d'une indemnité d'occupation statutaire depuis le 20 mars 2017 et jusqu'à la libération effective des locaux intervenue le 5 février 2019,
débouté l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame de leur demande tendant à voir « Condamner, en tout état de cause, la société Isaia à payer à l'Association de Prévoyance du Notariat de France, à la Fondation d'[Localité 19] et à la Fondation Notre Dame une indemnité d'occupation de droit commun de 400.000 euros par an, taxes- dont la TVA- et charges en sus, à compter rétroactivement du 20 mars 2017 et jusqu'au 5 février 2019 »,
avant dire droit, sur le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation statutaire, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard, ordonné une expertise,
sursis à statuer sur les autres demandes dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise judiciaire.
Par déclaration du 8 juin 2022, l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame ont interjeté appel du jugement à l'encontre de la société Isaia et de Maître [T] [J] ès-qualités.
La société Isaia a constitué avocat.
Maître [J] n'a pas constitué avocat. Toutefois, dès lors qu'elle a été intimée en qualité d'administrateur provisoire de la succession de M. [G], autrement dit en qualité de représentante des indivisaires de la succession de M. [G], et que l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, seules indivisiaires de la succession sont parties à la procédure, l'arrêt est contradictoire à l'égard de l'ensemble des parties.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 février 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 17 octobre 2024, l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame demandent à la cour de :
juger qu'elles sont recevables et bien fondées en leur appel du jugement du 21 avril 2022,
infirmer ledit jugement en ce qu'il a :
débouté l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame de leurs fins de non-recevoir et déclaré la société Isaia recevable en ses demandes.
dit que la société Isaia, cessionnaire des actifs du fonds de commerce de la société Chez Clément, peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction par suite du congé avec refus de renouvellement signifié par M. [X] [G], aux droits duquel interviennent l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame.
débouté l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame de leur demande tendant à voir « Condamner, en tout état de cause, la société Isaia à payer à l'Association de Prévoyance du Notariat de France, à la Fondation d'[Localité 19] et à la Fondation Notre Dame une indemnité d'occupation de droit commun de 400.000 euros par an, taxes- dont la TVA- et charges en sus, à compter rétroactivement du 20 mars 2017 et jusqu'au 5 février 2019 » ; et de sa demande à titre infiniment subsidiaire et dans l'hypothèse où, par impossible, le Tribunal ferait droit à la contestation de la société Isaia : « sa condamnation à payer à l'Association de Prévoyance du Notariat de France, la Fondation d'[Localité 19] et la Fondation Notre Dame une indemnité d'occupation de 366.390 euros par an, taxes ' dont la TVA ' et charges en sus sur le fondement de l'article L. 145-28 du code de commerce ».
avant dire droit, sur le montant de l'indemnité d'éviction, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard,
ordonné une expertise,
sursis à statuer sur les autres demandes,
statuant à nouveau :
juger irrecevable la société Isaia en son action et en ses demandes à l'encontre de l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, en leur qualité de légataires universels conjoints de M. [X] [C] [P] [G] ;
à défaut,
débouter la société Isaia en toutes ses demandes à l'encontre de l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame ;
en tout état de cause,
condamner la société Isaia à payer à l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame une indemnité d'occupation de droit commun de 400.000 euros par an, taxes ' dont la TVA ' et charges en sus, à compter rétroactivement du 20 mars 2017 et jusqu'au 5 février 2019 ;
condamner la société Isaia à payer à l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame les intérêts au taux légal sur les compléments d'indemnité d'occupation dus ;
ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
ordonner le cas échéant la compensation à due concurrence entre les créances réciproques des parties ;
condamner la société Isaia à payer à l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame une somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.
L'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame font valoir :
Sur l'irrecevabilité de l'action et des demandes formulées par la société Isaia,
- que la société Isaia disposait d'un délai de 2 ans à compter de la date d'effet du congé délivré par M. [G] à la société Chez Clément, ce délai expirant le 30 juin 2018, pour assigner les légataires universelles conjointes de M. [G] en paiement d'une indemnité d'éviction ;
- que l'action intentée par la société Isaia contre les légataires universelles de M. [G] par assignation du 8 novembre 2018 est donc prescrite ;
- qu'il est indifférent, contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, qu'un administrateur provisoire de la succession ait été nommé par ordonnance du 30 mars 2018 dans la mesure où, par acte notarié du 15 mars 2018, la succession avait été liquidée et les légataires étaient entrées en possession de leur legs ; que la désignation, le 30 mars 2018, d'un administrateur provisoire de la succession de M. [G] était dépourvue d'objet et inopposable aux légataires sans qu'il soit besoin que ces dernières intentent un recours contre l'ordonnance litigieuse ;
- qu'il résulte du rapport de l'administrateur provisoire de la succession de M. [G] en date du 27 août 2018 que la société Isaia avait eu communication avant le 26 avril 2018, soit avant l'expiration du délai de prescription, de l'identité des légataires universelles de M. [G] et de leur acceptation du legs ;
- que l'action intentée contre l'administrateur provisoire de la succession de M.[G] n'a pas interrompu le délai de prescription ;
- qu'à la suite de la fin du bail, intervenue le 30 juin 2016, la société Chez Clément n'était plus titulaire à l'égard du bailleur que d'un droit de créance portant sur une éventuelle indemnité d'éviction ; que la créance d'indemnité d'éviction ne fait pas partie des éléments incorporels 'nécessaires à l'activité' cédés à la société Isaia , étant rappelé qu'en matière de cession de fonds de commerce, les créances et dettes du cédant ne sont pas cédées sauf stipulation expresse en ce sens ; qu'à l'occasion de la cession du fonds de commerce, le prix des éléments incorporels a été fixé à 10.000 euros et le prix des éléments corporels à 1.589.000 euros de sorte qu'il est évident que seule la licence IV a été monétisée parmi les éléments incorporels cédés ;
- que la société Isaia n'a donc ni acquis le droit au bail ni acquis le droit de créance portant sur l'indemnité d'éviction ;
- que la société Isaia ne peut revendiquer être payée d'un droit ou d'une créance qu'elle n'a pas acquis ;
Sur le bien fondé du congé avec refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes,
- que le motif du refus de paiement de l'indemnité d'éviction opposé à la société Chez Clément est opposable à la société Isaia dès lors que la date d'effet du congé, soit le 30 juin 2016, est antérieure à la cession du fonds de commerce ;
- que 10 commandements de payer visant la clause résolutoire ont été délivrés à la société Chez Clément entre le 1er janvier 2013 et le 8 octobre 2015 ; que 4 autres commandements de payer visant la clause résolutoire avaient été délivrés les 25 mars 2008, 11 juillet 2008, 13 octobre 2008 et 6 avril 2009 et qu'une procédure en acquisition de la clause résolutoire engagée en 2009 s'était terminée par un protocole transactionnel, en date du 28 octobre 2009, aux termes duquel la société Chez Clément s'était engagée, à compter du 1er juillet 2009, à payer le loyer le premier jour du terme au plus tard ; que le non-paiement répété à bonne date des loyers dus par le preneur au bailleur et la régularisation tardive des impayés constituent des causes graves et légitimes justifiant le refus de renouvellement du bail sans paiement de l'indemnité d'éviction ;
- que les premiers juges ont retenu les difficultés économiques de la société Chez Clément et la régularisation des impayés pour accueillir la demande de paiement d'une indemnité d'éviction alors que les retards de paiement de la société Chez Clément étaient systématiques depuis le 1er juillet 2007 et antérieurs à ses difficultés économiques ;
Sur la cessation d'activité,
- que la société Isaia a cessé d'exploité les locaux et restitué les clés, ce dont elle a informé les appelantes par acte signifié le 6 février 2019 ;
- qu'en procédant ainsi, la société Isaia a privé les appelantes de l'exercice de leur droit de repentir, ce qui est constitutif d'une fraude ;
- que la société Isaia avait, lors de la délivrance de l'assignation du 8 novembre 2018, déjà décidé de mettre fin à son activité compte-tenu des délais inhérents à la mise en oeuvre d'une telle décision dont notamment ceux afférents au licenciement du personnel ; que la société Isaia n'a jamais eu l'intention d'exploiter la partie du fonds de commerce afférente aux locaux qui appartenaient anciennement à M.[G] de sorte que son départ brutal des lieux est motivé par une ou plusieurs autres circonstances que le congé donné à la société Chez Clément ;
Sur l'indemnité d'occupation ,
- que par l'effet du congé avec refus de renouvellement pour motif grave et légitime qui a mis fin au bail le 30 juin 2016, la société Isaia est occupante sans droit ni titre depuis le 20 mars 2017, date de la cession du fonds de commerce, jusqu'au 6 février 2019 et redevable d'une indemnité d'occupation de droit commun qui doit être fixée à 400.000 euros par an.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 3 octobre 2022, la société Isaia demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a jugé que la Société Isaia était susceptible de se voir reprocher des faits commis par la Société Chez Clément,
Par voie de conséquence,
dire les demandes de la société Isaia recevables,
dire l'action de la société Isaia non prescrite,
dire et juger, en tout état de cause, que ce congé ne repose pas sur un motif grave et légitime au sens de l'article L. 145-17, 1° du code de commerce,
dire et juger, par voie de conséquence, que la société Isaia a droit à une indemnité d'éviction,
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a désigné Mme [M] [Y] en qualité d'expert avec la mission telle que précisée dans le jugement dont appel.
dire et juger que l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame n'ont pas droit à une indemnité d'occupation de droit commun,
condamner l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame à verser à la société Isaia la somme de 25.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise dont le recouvrement s'opèrera au profit de Maître Alain Rapaport, avocat à la Cour, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Isaia fait valoir :
Sur la prescription,
- que la société Isaia disposait d'un délai de 2 ans expirant le 30 juin 2018 pour saisir le tribunal d'une demande de paiement de l'indemnité d'éviction ;
- que ce délai a été interrompu par l'assignation qui a été délivrée le 13 avril 2018 à Maître [J], désignée en qualité d'administrateur provisoire de la succession de M. [G] par ordonnance du 30 mars 2018 ;
- que l'ordonnance du 30 mars 2018 a acquis autorité de la chose jugée faute d'avoir fait l'objet d'une rétractation ou d'un recours et est donc opposable aux légataires de M. [G] ;
- qu'en outre, en l'absence de notification officielle, la société Isaia n'avait aucun moyen de savoir d'une part que des legs avaient été consentis, d'autre part que la succession de M. [G] avait été liquidée de sorte qu'elle devait faire désigner un administrateur provisoire de la succession pour engager son action en paiement de l'indemnité d'éviction avant l'expiration du délai de prescription ;
- que la société Isaia n'a jamais eu connaissance du rapport du 27 août 2018 de Maitre [J] si ce n'est par sa production dans le cadre de l'instance ;
- que les appelants ne prouvent pas que l'avocat de la société Isaia avait connaissance du nom des légataires de M. [G] avant le 30 juin 2018 ;
Sur les droits de la société Isaia,
- qu'il résulte de l'acte de cession d'entreprise du 20 mars 2017, que la société Isaia a acquis l'ensemble des éléments incorporels du fonds de commerce de la société Chez Clément dont le droit au bail des locaux situés [Adresse 14] et [Adresse 3] à [Localité 20] ; que l'acte prévoit que le cessionnaire reprend la situation locative en l'état et fait son affaire personnelle des suites et conséquences du congé ; qu'il s'en déduit que la société Isaia succède dans les droits et obligations de la société Chez Clément ;
- que l'acte de cession d'entreprise, qui a été signifié à M. [G] par acte du 13 avril 2017, est opposable à ses légataires ;
Sur l'absence de motif grave et légitime de refus de renouvellement du bail sans offre d'indemnité d'éviction,
- qu'il est de jurisprudence constante que le bailleur ne peut obtenir la résiliation du bail du locataire cessionnaire pour un motif imputable au locataire cédant, sauf si les manquements se sont poursuivis (3ème Civ., 4 octobre 200, pourvoi n° 99-12722) ; que cette jurisprudence est transposable au congé pour motif grave et légitime (3e Civ., 15 septembre 2010, pourvoi n° 09-14.519) ;
- qu'il n'est pas contestable ni contesté que les loyers ont été régulièrement payés par la société Isaia ;
- qu'au demeurant, les manquements de la société Chez Clément ne constituent pas un motif grave et légitime permettant au propriétaire de priver le locataire de l'indemnité d'éviction dès lors que les causes des 10 commandements de payer délivrés à la société Chez Clément ont été réglées dans un délai raisonnable et que ces retards de paiement n'étaient pas dus à la mauvaise foi de la société Chez Clément mais à des difficultés financières réelles ;
Sur la restitution des clés intervenue le 5 février 2019,
- que c'est le droit du locataire qui a reçu un congé avec ou sans offre d'indemnité d'éviction de restituer les clés du local ; que la société Isaia a tenté d'obtenir le renouvellement du bail auprès des appelantes qui ont refusé ; que dans ces conditions, la société Isaia n'a pas pu réaliser les travaux lui permettant de rentabiliser son exploitation de sorte qu'elle a été contrainte de restituer les clés ;
- que les appelantes ne précisent pas en quoi la société Isaia aurait commis une fraude en restituant les clés ; qu'il n'est pas démontré que la société Isaia n'a jamais eu l'intention d'exploiter les lieux et que son départ, même moins de deux ans après la cession d'entreprise, a été décidé dans l'intention de nuire aux bailleurs ;
- que la jurisprudence considère que le locataire n'a pas l'obligation de prévenir le propriétaire de son départ, étant rappelé que le titulaire du droit au paiement d'une indemnité d'éviction n'est pas tenu de rester dans les lieux jusqu'au paiement de ladite indemnité ;
Sur l'indemnité d'occupation,
- qu'en vertu de l'article L. 145-28 du code de commerce, les appelantes doivent être déboutées de leur demande de paiement d'une indemnité d'occupation de droit commun ; que la société Isaia est redevable d'une indemnité d'occupation statuataire qui doit être fixée en fonction des prix couramment pratiqués dans le voisinage après expertise.
Il convient, en application de l'article 455 du code de procédure civile, de se référer aux conclusions des parties, pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
1- Sur la recevabilité de l'action de la société Isaia en paiement d'une indemnité d'éviction
1-1 Sur l'exception d'irrecevabilité tirée du défaut de qualité à agir
L'article 30 du code de procédure civile dispose que l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée et, pour l'adversaire, de discuter le bien fondé de cette prétention.
L'article 31 précise que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
En vertu de l'article 122 du code de procédure civile, le défaut de qualité à agir constitue une fin de non-recevoir.
En l'espèce, aux termes du contrat de cession d'entreprise du 20 mars 2017, conclu dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de la société Chez Clément, la société Isaia a acquis les actifs du fonds de commerce de restaurant, bar, salon de thé, brasserie exploité par la société Chez Clément au [Adresse 15] et [Adresse 5].
Ce contrat est opposable aux appelantes en ce qu'il a été signifié à M. [G], dont elles sont les légataires universelles, par acte du 13 avril 2017, soit avant le décès de M. [G], étant en outre rappelé que la cession du bail ou des droits que le locataire tient du bail commercial, qui intervient à l'occasion d'une cession d'entreprise dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire du cédant, n'est pas soumise à l'autorisation du bailleur.
Il stipule, en son article 1.1.1, que les actifs incorporels cédés à la société Isaia comprennent 'le droit au bail des locaux situé [Adresse 14] et [Adresse 4] dans les conditions précisées au 1.4, sous la réserve ci-après en ce qui concerne la situation locative de la société Chez Clément à l'égard de Monsieur [X] [G]' et, en son article 1.4.3, s'agissant des locaux appartenant à M. [G], après avoir rappelé l'historique des relations bailleur-preneur dont la délivrance du congé du 30 décembre 2015 par M. [G] avec refus de renouvellement du bail sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes, que la société Isaia 'reprend la situation locative en l'état et fait son affaire personnelle des suites et conséquences dudit congé'.
Il s'évince de ces stipulations que si le bail, qui avait pris fin le 30 juin 2016 à minuit par l'effet du congé du 30 décembre 2015, soit avant l'acte de cession d'entreprise, n'a pas pu être cédé à la société Isaia, celle-ci a acquis les droits que la société Chez Clément tirait du bail expiré et de la situation locative au moment de la cession d'entreprise, à savoir notamment le droit de solliciter une indemnité d'éviction et le droit de se maintenir dans les lieux dans les conditions prévues par l'article L. 145-28 du code de commerce.
Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la cession des droits que la société Chez Clément tirait du bail expiré et de la situation locative au moment de la cession d'entreprise, en ce qu'ils incluent le droit au maintien dans les lieux prévu à l'article L. 145-28 du code de commerce, était nécessaire à l'activité de restaurant, bar, salon de thé, brasserie.
En outre, le moyen tirée de la ventilation du prix de la cession entre les actifs incorporels et les actifs corporels du fonds de commerce de la société Chez Clément exploité au [Adresse 16] et [Adresse 5] est inopérant en ce qu'il n'est pas de nature à contredire les stipulations du bail aux termes desquelles la créance d'indemnité d'éviction due à la société Chez Clément et le droit au maintien dans les lieux de cette dernière ont été cédés à la société Isaia.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparait que la société Isaia a qualité à agir en paiement d'une indemnité d'éviction à l'encontre des appelantes.
1-2 Sur l'exception d'irrecevabilité tirée de la prescription
En application de l'article L. 145-60 du code de commerce, l'action en paiement d'une indemnité d'éviction intentée par le locataire évincé se prescrit par 2 ans.
Il est constant, lorque le bail a pris fin par l'effet d'un congé délivré par le bailleur, que ce délai commence à courir à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.
Par ailleurs, l'article 2241 du code civil dispose que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.
En l'espèce, M. [G], par acte du 30 décembre 2015, a donné congé à la société Chez Clément pour le 30 juin 2016.
La société Isaia avait donc jusqu'au 30 juin 2018 pour engager son action en paiement de l'indemnité d'éviction.
C'est par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte et auxquels elle renvoie, que les premiers juges, considérant que l'assignation délivrée à Maître [J], en qualité d'administrateur provisoire de la succession de M. [X] [G], le 13 avril 2018, avait interrompu la prescription, ont jugé que l'action de la société Isaia n'était pas prescrite.
Il convient seulement de souligner et d'ajouter les points suivants.
D'une part, il n'est pas apporté la preuve, alors que la société Isaia était la cessionnaire des droits que la société Chez Clément tirait du bail expiré et de la situation locative au moment de la cession d'entreprise, aux termes d'un contrat signifié à M. [G] antérieurement à son décès, que les appelantes aient informé, directement ou par l'intermédiaire d'un mandataire, la société Isaia qu'elles étaient les légataires universelles de M. [G] avant le 13 avril 2018.
D'autre part, l'examen du rapport de Maître [J] du 27 août 2018 n'établit pas avec certitude la date à laquelle la société Isaia a eu connaissance de l'existence et de l'identité des légataires universelles de M. [G]. Il n'établit notamment pas que la société Isaia ait eu connaissance de l'existence et de l'identité des légataires universelles de M. [G] avant de demander la désignation d'un administrateur provisoire de la succession en justice et de faire assigner l'administrateur ainsi désigné en paiement de l'indemnité d'éviction.
Dans ces conditions, l'assignation délivrée par la société Isaia à Maître [J], ès-qualités, le 13 avril 2018, a interrompu le délai de prescription, peu important que la société Isaia ait eu connaissance, avant l'expiration du délai de prescription mais postérieurement à la délivrance de cet acte, de l'existence et de l'identité des légataires universelles de M. [G].
En conséquence, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté les appelantes de leurs fins de non-recevoir et déclaré la société Isaia recevable en ses demandes.
2- Sur l'indemnité d'éviction
2-1 Sur le refus de paiement d'une indemnité d'éviction tiré de l'existence d'un motif grave et légitime
En application des articles L. 145-14 et L. 145-17 du code de commerce, le bailleur peut toujours refuser le renouvellement du bail. Toutefois, il doit payer au locataire évincé une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, sauf, notamment, s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. S'il s'agit soit de l'inexécution d'une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, compte-tenu des dispositions de l'article L. 145-8, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser.
En l'espèce, le bail qui liait M. [G], aux droits duquel viennent ses légataires universelles, et la société Chez Clément a pris fin le 30 juin 2016 à minuit, par l'effet du congé délivré le 30 décembre 2015 par M. [G].
Ce bail avait donc expiré avant l'acquisition par la société Isaia des actifs du fonds de commerce exploité par la société Chez Clément au [Adresse 15] et [Adresse 5].
Dans ces conditions, c'est à raison, par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte et auxquels elle renvoie, que le tribunal a considéré que les motifs invoqués par M. [G] pour refuser de payer à la société Chez Clément une indemnité d'éviction étaient opposables à la société Isaia. En effet, la société Isaia, qui n'a jamais eu la qualité de locataire à titre personnel et qui a acquis la créance d'indemnité d'éviction due à la société Chez Clément et le droit au maintien dans les lieux de cette dernière, ne saurait avoir plus de droits que ceux acquis auprès de la société Chez Clément.
Pour refuser de payer une indemnité d'éviction à la société Chez Clément, M. [G] reproche à cette dernière, dans le congé qu'il lui a fait délivrer le 30 décembre 2015, de s'être 'abstenue à compter du terme du premier trimestre 2013 échu le 31 mars du paiement à bonne date des loyers courants, ce qui a nécessité la délivrance de dix commandements de payer visant la clause résolutoire du bail et les articles L. 145-41 et L. 145-17-1 1° du code de commerce en date des 29 mai, 16 juillet, 14 et 16 octobre 2013, 13 et 14 janvier, 4 avril, 7 juillet, 4 février, 9 avril, 3 juillet et 8 octobre 2015'.
Le tribunal, compte-tenu des efforts de la société Chez Clément pour régulariser ses impayés de loyer dans des délais raisonnables, étant observé qu'aucun des 10 commandements ci-dessus rappelés n'a été suivi de l'introduction d'une instance en acquisition de la clause résolutoire, et des difficultés économiques rencontrées par la société Chez Clément, a justement apprécié les faits de l'espèce en considérant que les retards de paiement de la société Chez Clément de 2013 à 2015 ne constituaient pas un motif grave et légitime de lui refuser le paiement d'une indemnité d'éviction au sens du I 1° de l'article L. 145-17 du code de commerce.
Par ailleurs, il est rappelé que le bailleur ne peut pas invoquer en cours de procédure d'autres motifs que ceux exprimés dans le congé sauf si de nouveaux motifs sont nés ou ont été découverts postérieurement au congé.
Dans ces conditions, le moyen tiré de l'existence de retards de paiement antérieurs à ceux mentionnés par M. [G] dans le congé du 30 décembre 2015 est inopérant.
La société Isaia ne peut donc pas être déboutée de sa demande d'indemnité d'éviction sur ce fondement.
2-2 Sur le refus du paiement de l'indemnité d'éviction tiré de la cessation par la société Isaia de l'exploitation des locaux le 5 février 2019
En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.
Il est constant que le locataire évincé, sauf condition expresse figurant dans le bail, n'est pas tenu de rester dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction.
En l'espèce, la société Isaia, par actes des 5 et 6 février 2019, a fait signifier aux appelantes qu'elle leur restituait les locaux et les clés à la date du 5 février 2019, en précisant qu'elle ne renonçait pour autant pas au bénéfice de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction en cours.
Dès lors que la société Isaia, qui tenait son droit de se maintenir dans les lieux des droits qu'elle avait acquis auprès de la société Chez Clément à l'occasion du contrat de cession d'entreprise du 20 mars 2017, n'avait pas l'obligation de rester dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en l'absence de stipulation contractuelle contraire, sa restitution des locaux, le 5 février 2019, n'est pas fautive et ne constitue pas intrinséquement une fraude, même si elle prive les appelantes de la possibilité d'exercer le droit de repentir prévu à l'article L. 145-58 du code de commerce et même si elle intervient moins de 2 ans après la cession d'entreprise.
Par ailleurs, il n'est pas apporté la preuve d'un comportement frauduleux de la société Isaia qui, selon les appelantes, aurait acquis les actifs du fonds de commerce de la société Chez Clément exploité au [Adresse 15] et [Adresse 5] sans avoir eu l'intention d'exploiter ledit fonds de commerce.
Le fait que la société Isaia ait acquis les actifs du fonds de commerce litigieux au prix d'1.600.000 €, qu'elle ait repris les 22 contrats de travail à durée indéterminée et les 7 contrats de travail à durée déterminée afférents à ce fonds de commerce, qu'elle ait exploité pendant deux ans ce fonds de commerce générant un chiffre d'affaire d'1.293.191 € la première année et de 825.878 euros la deuxième année ne démontre pas l'absence d'intention de la société Isaia d'exploiter ce fonds de commerce.
Il n'est pas non plus apporté la preuve de ce que la restitution des locaux par la société Isaia aurait été motivée par une ou plusieurs autres circonstances que le congé donné à la société Chez Clément.
Les appelantes se bornent à procéder par voie d'affirmation, étant observé que le fait que l'incertitude de la situation locative perdure, deux ans après la cession d'entreprise, était de nature à gêner la société Isaia dans son exploitation du fonds de commerce en la dissuadant de procéder à des investissements.
La société Isaia ne peut donc pas non plus être déboutée de sa demande d'indemnité d'éviction sur ce fondement.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Isaia peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction par suite du congé avec refus de renouvellement signifié par M. [X] [G], aux droits duquel viennent l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame.
2-3 Sur le montant de l'indemnité d'éviction
Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné une expertise aux fins notamment de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction .
3- Sur l'indemnité d'occupation
En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, le locataire, qui peut prétendre à une indemnité d'éviction et qui se maintient dans les lieux jusqu'au paiement de celle-ci, est redevable d'une indemnité d'occupation déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte-tenu de tous éléments d'appréciation.
Dans la mesure où le jugement entrepris a été confirmé en ce qu'il a dit que la société Isaia peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction, la société Isaia est redevable d'une indemnité d'occupation statutaire et non d'une indemnité d'occupation de droit commun.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les appelantes de leur demande tendant à voir condamner la société Isaia à leur payer une indemnité d'occupation de droit commun de 400.000 euros par an, taxes et charges en sus.
Faute pour la cour de disposer des éléments nécessaires à l'appréciation du montant de l'indemnité d'occupation statutaire due par la société Isaia, il convient également de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné une expertise aux fins notamment de déterminer le montant de l'indemnité d'occupation exigible au 1er juillet 2016 conformément aux modalités prévues par l'article L. 145-28 du code de commerce.
4- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les appelantes, qui succombent dans la procédure d'appel, sont condamnées aux dépens de la procédure d'appel qui ne comprennent pas les frais de l'expertise ordonnée en première instance. Le sort des frais de l'expertise dépendra de la condamnation aux dépens prononcée par le tribunal judiciaire de Paris dans son jugement après expertise.
L'équité commande de condamner les appelantes à payer à la société Isaia la somme de 7.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés par celle-ci en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 21 avril 2022 (RG n° 18/4942) en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame aux dépens de la procédure d'appel qui ne comprennent pas les frais d'expertise ordonnée en première instance, dont distraction au profit de Maître Alain Rapaport, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame à payer à la société Isaia la somme de 7.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La greffière, La présidente,
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2025
(n° 126 /2025, 14 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 22/10947 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF6HU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 avril 2022- Tribunal judiciaire de PARIS (18ème chambre, 2ème section) - RG n° 18/04942
APPELANTES
Association ASSOCIATION DE PREVOYANCE DU NOTARIAT DE FRANCE
Identifiée au SIRENE sous le numéro 784 361 248
Agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 11]
Fondation FONDATION D'[Localité 19], dite 'APPRENTIS D'[Localité 19]'
Identifiée au SIRENE sous le numéro 775 688 799
Agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 7]
[Localité 12]
Fondation FONDATION NOTRE DAME
Identifiée au SIRENE sous le numéro 393 739 594
Agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal pour le compte de son établissement dénommé 'La Fondation des Bernardins'
[Adresse 1]
[Localité 10]
Représentées par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de Paris, toque : D0945
Assistées de Me Bruno SCHRIMPF, avocat au barreau de Paris, toque : R228
INTIMÉS
Maître [T] [J], ès-qualités d'administrateur provisoire de la succession de [X] [C] [P] [G]
[Adresse 8]
[Localité 11]
Défaillant, non constitué. Signification de la déclaration d'appel convertie en procès-verbal de difficulté en date du 26 août 2022
S.A.S.U. ISAIA
Immatriculée au R.C.S. de [Localité 20] sous le n° 823 683 784
Prise en la personne de sa Présidente ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 13]
Représentée et assistée par Me Alain RAPAPORT, avocat au barreau de Paris, toque : K0122
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 mars 2025, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Stéphanie Dupont, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Mme Brigitte Brun-Lallemand, présidente de chambre
Mme Stéphanie Dupont, conseillère
Mme Marie Girousse, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 28 octobre 1998, M. [X] [C] [P] [G] a donné à bail en renouvellement àla société l'Alsace à [Localité 20], aux droits de laquelle est ultérieurement venue la société Chez Clément, divers locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble situé [Adresse 18] et [Adresse 6] à [Localité 21], pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter rétroactivement du 1er juillet 1998 et pour l'exploitation d'une activité de commerce de café, brasserie, restaurant.
La désignation des lieux est la suivante :
« La totalité du rez-de-chaussée de l'immeuble à gauche du couloir d'entrée jusqu'à la [Adresse 23]. Lesdits locaux comprenant les salles de restauration, les cuisines et services, et, en outre une cave au sous-sol n° 11 du plan des caves et une pièce au premier étage sur cour intérieure, communiquant par un escalier intérieur avec la boutique, sans accès direct sur le palier commun.
Au premier étage, sur la [Adresse 23], un appartement comprenant entrée, couloir, vestiaire, water-closet, deux pièces avec escalier conduisant au rez-de-chaussée dans la boutique. Ledit appartement n'ayant pas d'accès par les parties communes de l'immeuble.
Au sous-sol, diverses caves formant les lots 21, 22, 23 et 26 du règlement de copropriété du 22 décembre 1958, comprenant les caves proprement dites côté [Adresse 23] et [Adresse 22] et des vestiaires et sanitaires au fond à droite. Le tout représentant les 315/1.0000èmes des parties communes générales de l'immeuble. ».
Par acte extrajudiciaire des 21 et 26 décembre 2006, M. [G] a fait signifier à la société Chez Clément un congé pour le 30 juin 2007 comportant offre de renouvellement pour neuf ans à compter du 1er juillet 2007 moyennant un loyer annuel en principal HT et HC de 260.000 euros.
Par jugement du 19 avril 2013, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a fixé le loyer de renouvellement à la somme de 219.000 euros par an HT et HC à la date du 1er juillet 2007.
Par acte extrajudiciaire signifié à personne morale le 30 décembre 2015, M.[G] a donné congé à la société Chez Clément pour le 30 juin 2016, ledit congé comportant refus de renouvellement sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes, le bailleur reprochant à la société locataire de s'être « abstenue à compter du terme du premier trimestre 2013 échu le 31 mars du paiement à bonne date des loyers courants, ce qui a nécessité la délivrance de dix commandements de payer visant la clause résolutoire du bail et les articles L. 145-41 et L. 145-17-1 1° du code de commerce, en date des 29 mai, 16 juillet, 14 et 16 octobre 2013, 13 et 14 janvier, 4 avril, 7 juillet 2014, 4 février, 9 avril, 3 juillet et 8 octobre 2015 ».
Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société Chez Clément par jugement du tribunal de commerce de Paris du 10 décembre 2015.
Dans le cadre de cette procédure collective, la société Senco Saint-André des Arts, dénommée depuis Isaia, a acquis, le 20 mars 2017, les actifs du fonds de commerce de restaurant, bar, salon de thé, brasserie exploité par la société Chez Clément au [Adresse 18] et [Adresse 6] à [Localité 21], incluant le droit au bail sur les locaux, l'acquéreur ayant accepté « la reprise de tous les droits découlant des baux en l'état » et déclaré faire « son affaire personnelle des procédures en cours et des effets et conséquences du congé avec refus de renouvellement du bail pour motifs graves et légitimes signifié à la requête de Monsieur [G] le 31 décembre 2015 pour le 30 juin 2016 de sorte qu'il contracte en pleine connaissance de cause ». Le contrat de cession d'entreprise a été signifié à M. [G] par acte du 13 avril 2017.
M. [G] est décédé le 3 septembre 2017.
Par requête du 30 mars 2018, la société Isaia a demandé au président du tribunal de grande instance de Paris la désignation d'un administrateur provisoire de la succession de M. [G]. Il a été fait droit à sa demande par ordonnance du même jour désignant Maître [T] [J] ès-qualités.
Par acte du 13 avril 2018, la société Isaia a fait assigner Maître [J], en qualité d'administrateur provisoire de la succession de M. [G], devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins essentielles de contestation du motif grave et légitime fondant la délivrance du congé sans renouvellement et sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction et pour fixation de l'indemnité d'éviction à la somme de 3.860.000 euros.
L'instance a été enrôlée sous le numéro de RG 18/04942.
Par acte du 29 juin 2018, l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, légataires universelles conjointes de M. [G], ont fait assigner la société Isaia devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de la voir condamner à leur payer une indemnité d'occupation de droit commun à compter du 10 novembre 2016 à titre principal et une indemnité d'occupation statutaire sur le fondement de l'article L. 145-28 du code de commerce à titre subsidiaire.
L'instance a été enrôlée sous le numéro de RG 18/11134.
Par acte du 8 novembre 2018, la société Isaia a fait assigner l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, légataires universelles conjointes de M. [G], devant le tribunal de grande instance de Paris aux mêmes fins que l'asssignation précédémennt délivrée à Maître [J] ès-qualités.
L' instance a été enrôlée sous le numéro de RG 18/13897.
Ces trois instances ont été jointes.
Par jugement du 21 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
débouté l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame de leurs fins de non-recevoir et déclaré la société Isaia recevable en ses demandes,
dit que le bail commercial renouvelé le 1er juillet 2007 portant sur des locaux situés [Adresse 17] à [Localité 21], a pris fin le 30 juin 2016 à 24h00 par l'effet du congé avec refus de renouvellement et sans offre de paiement d'indemnité d'éviction délivré par M. [X] [G] à la société Chez Clément par acte du 30 décembre 2015,
dit que la société Isaia, cessionnaire des actifs du fonds de commerce de la société Chez Clément, peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction par suite du congé avec refus de renouvellement signifié par M.[X] [G], aux droits duquel interviennent l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame,
dit que la société Isaia est redevable, à l'égard de l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, prises ensemble, d'une indemnité d'occupation statutaire depuis le 20 mars 2017 et jusqu'à la libération effective des locaux intervenue le 5 février 2019,
débouté l'association Prévoyance Notariat France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame de leur demande tendant à voir « Condamner, en tout état de cause, la société Isaia à payer à l'Association de Prévoyance du Notariat de France, à la Fondation d'[Localité 19] et à la Fondation Notre Dame une indemnité d'occupation de droit commun de 400.000 euros par an, taxes- dont la TVA- et charges en sus, à compter rétroactivement du 20 mars 2017 et jusqu'au 5 février 2019 »,
avant dire droit, sur le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation statutaire, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard, ordonné une expertise,
sursis à statuer sur les autres demandes dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise judiciaire.
Par déclaration du 8 juin 2022, l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame ont interjeté appel du jugement à l'encontre de la société Isaia et de Maître [T] [J] ès-qualités.
La société Isaia a constitué avocat.
Maître [J] n'a pas constitué avocat. Toutefois, dès lors qu'elle a été intimée en qualité d'administrateur provisoire de la succession de M. [G], autrement dit en qualité de représentante des indivisaires de la succession de M. [G], et que l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, seules indivisiaires de la succession sont parties à la procédure, l'arrêt est contradictoire à l'égard de l'ensemble des parties.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 février 2025.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 17 octobre 2024, l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame demandent à la cour de :
juger qu'elles sont recevables et bien fondées en leur appel du jugement du 21 avril 2022,
infirmer ledit jugement en ce qu'il a :
débouté l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame de leurs fins de non-recevoir et déclaré la société Isaia recevable en ses demandes.
dit que la société Isaia, cessionnaire des actifs du fonds de commerce de la société Chez Clément, peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction par suite du congé avec refus de renouvellement signifié par M. [X] [G], aux droits duquel interviennent l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame.
débouté l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame de leur demande tendant à voir « Condamner, en tout état de cause, la société Isaia à payer à l'Association de Prévoyance du Notariat de France, à la Fondation d'[Localité 19] et à la Fondation Notre Dame une indemnité d'occupation de droit commun de 400.000 euros par an, taxes- dont la TVA- et charges en sus, à compter rétroactivement du 20 mars 2017 et jusqu'au 5 février 2019 » ; et de sa demande à titre infiniment subsidiaire et dans l'hypothèse où, par impossible, le Tribunal ferait droit à la contestation de la société Isaia : « sa condamnation à payer à l'Association de Prévoyance du Notariat de France, la Fondation d'[Localité 19] et la Fondation Notre Dame une indemnité d'occupation de 366.390 euros par an, taxes ' dont la TVA ' et charges en sus sur le fondement de l'article L. 145-28 du code de commerce ».
avant dire droit, sur le montant de l'indemnité d'éviction, tous droits et moyens des parties demeurant réservés à cet égard,
ordonné une expertise,
sursis à statuer sur les autres demandes,
statuant à nouveau :
juger irrecevable la société Isaia en son action et en ses demandes à l'encontre de l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame, en leur qualité de légataires universels conjoints de M. [X] [C] [P] [G] ;
à défaut,
débouter la société Isaia en toutes ses demandes à l'encontre de l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame ;
en tout état de cause,
condamner la société Isaia à payer à l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame une indemnité d'occupation de droit commun de 400.000 euros par an, taxes ' dont la TVA ' et charges en sus, à compter rétroactivement du 20 mars 2017 et jusqu'au 5 février 2019 ;
condamner la société Isaia à payer à l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame les intérêts au taux légal sur les compléments d'indemnité d'occupation dus ;
ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
ordonner le cas échéant la compensation à due concurrence entre les créances réciproques des parties ;
condamner la société Isaia à payer à l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame une somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.
L'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame font valoir :
Sur l'irrecevabilité de l'action et des demandes formulées par la société Isaia,
- que la société Isaia disposait d'un délai de 2 ans à compter de la date d'effet du congé délivré par M. [G] à la société Chez Clément, ce délai expirant le 30 juin 2018, pour assigner les légataires universelles conjointes de M. [G] en paiement d'une indemnité d'éviction ;
- que l'action intentée par la société Isaia contre les légataires universelles de M. [G] par assignation du 8 novembre 2018 est donc prescrite ;
- qu'il est indifférent, contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, qu'un administrateur provisoire de la succession ait été nommé par ordonnance du 30 mars 2018 dans la mesure où, par acte notarié du 15 mars 2018, la succession avait été liquidée et les légataires étaient entrées en possession de leur legs ; que la désignation, le 30 mars 2018, d'un administrateur provisoire de la succession de M. [G] était dépourvue d'objet et inopposable aux légataires sans qu'il soit besoin que ces dernières intentent un recours contre l'ordonnance litigieuse ;
- qu'il résulte du rapport de l'administrateur provisoire de la succession de M. [G] en date du 27 août 2018 que la société Isaia avait eu communication avant le 26 avril 2018, soit avant l'expiration du délai de prescription, de l'identité des légataires universelles de M. [G] et de leur acceptation du legs ;
- que l'action intentée contre l'administrateur provisoire de la succession de M.[G] n'a pas interrompu le délai de prescription ;
- qu'à la suite de la fin du bail, intervenue le 30 juin 2016, la société Chez Clément n'était plus titulaire à l'égard du bailleur que d'un droit de créance portant sur une éventuelle indemnité d'éviction ; que la créance d'indemnité d'éviction ne fait pas partie des éléments incorporels 'nécessaires à l'activité' cédés à la société Isaia , étant rappelé qu'en matière de cession de fonds de commerce, les créances et dettes du cédant ne sont pas cédées sauf stipulation expresse en ce sens ; qu'à l'occasion de la cession du fonds de commerce, le prix des éléments incorporels a été fixé à 10.000 euros et le prix des éléments corporels à 1.589.000 euros de sorte qu'il est évident que seule la licence IV a été monétisée parmi les éléments incorporels cédés ;
- que la société Isaia n'a donc ni acquis le droit au bail ni acquis le droit de créance portant sur l'indemnité d'éviction ;
- que la société Isaia ne peut revendiquer être payée d'un droit ou d'une créance qu'elle n'a pas acquis ;
Sur le bien fondé du congé avec refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes,
- que le motif du refus de paiement de l'indemnité d'éviction opposé à la société Chez Clément est opposable à la société Isaia dès lors que la date d'effet du congé, soit le 30 juin 2016, est antérieure à la cession du fonds de commerce ;
- que 10 commandements de payer visant la clause résolutoire ont été délivrés à la société Chez Clément entre le 1er janvier 2013 et le 8 octobre 2015 ; que 4 autres commandements de payer visant la clause résolutoire avaient été délivrés les 25 mars 2008, 11 juillet 2008, 13 octobre 2008 et 6 avril 2009 et qu'une procédure en acquisition de la clause résolutoire engagée en 2009 s'était terminée par un protocole transactionnel, en date du 28 octobre 2009, aux termes duquel la société Chez Clément s'était engagée, à compter du 1er juillet 2009, à payer le loyer le premier jour du terme au plus tard ; que le non-paiement répété à bonne date des loyers dus par le preneur au bailleur et la régularisation tardive des impayés constituent des causes graves et légitimes justifiant le refus de renouvellement du bail sans paiement de l'indemnité d'éviction ;
- que les premiers juges ont retenu les difficultés économiques de la société Chez Clément et la régularisation des impayés pour accueillir la demande de paiement d'une indemnité d'éviction alors que les retards de paiement de la société Chez Clément étaient systématiques depuis le 1er juillet 2007 et antérieurs à ses difficultés économiques ;
Sur la cessation d'activité,
- que la société Isaia a cessé d'exploité les locaux et restitué les clés, ce dont elle a informé les appelantes par acte signifié le 6 février 2019 ;
- qu'en procédant ainsi, la société Isaia a privé les appelantes de l'exercice de leur droit de repentir, ce qui est constitutif d'une fraude ;
- que la société Isaia avait, lors de la délivrance de l'assignation du 8 novembre 2018, déjà décidé de mettre fin à son activité compte-tenu des délais inhérents à la mise en oeuvre d'une telle décision dont notamment ceux afférents au licenciement du personnel ; que la société Isaia n'a jamais eu l'intention d'exploiter la partie du fonds de commerce afférente aux locaux qui appartenaient anciennement à M.[G] de sorte que son départ brutal des lieux est motivé par une ou plusieurs autres circonstances que le congé donné à la société Chez Clément ;
Sur l'indemnité d'occupation ,
- que par l'effet du congé avec refus de renouvellement pour motif grave et légitime qui a mis fin au bail le 30 juin 2016, la société Isaia est occupante sans droit ni titre depuis le 20 mars 2017, date de la cession du fonds de commerce, jusqu'au 6 février 2019 et redevable d'une indemnité d'occupation de droit commun qui doit être fixée à 400.000 euros par an.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 3 octobre 2022, la société Isaia demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a jugé que la Société Isaia était susceptible de se voir reprocher des faits commis par la Société Chez Clément,
Par voie de conséquence,
dire les demandes de la société Isaia recevables,
dire l'action de la société Isaia non prescrite,
dire et juger, en tout état de cause, que ce congé ne repose pas sur un motif grave et légitime au sens de l'article L. 145-17, 1° du code de commerce,
dire et juger, par voie de conséquence, que la société Isaia a droit à une indemnité d'éviction,
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a désigné Mme [M] [Y] en qualité d'expert avec la mission telle que précisée dans le jugement dont appel.
dire et juger que l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame n'ont pas droit à une indemnité d'occupation de droit commun,
condamner l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame à verser à la société Isaia la somme de 25.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise dont le recouvrement s'opèrera au profit de Maître Alain Rapaport, avocat à la Cour, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Isaia fait valoir :
Sur la prescription,
- que la société Isaia disposait d'un délai de 2 ans expirant le 30 juin 2018 pour saisir le tribunal d'une demande de paiement de l'indemnité d'éviction ;
- que ce délai a été interrompu par l'assignation qui a été délivrée le 13 avril 2018 à Maître [J], désignée en qualité d'administrateur provisoire de la succession de M. [G] par ordonnance du 30 mars 2018 ;
- que l'ordonnance du 30 mars 2018 a acquis autorité de la chose jugée faute d'avoir fait l'objet d'une rétractation ou d'un recours et est donc opposable aux légataires de M. [G] ;
- qu'en outre, en l'absence de notification officielle, la société Isaia n'avait aucun moyen de savoir d'une part que des legs avaient été consentis, d'autre part que la succession de M. [G] avait été liquidée de sorte qu'elle devait faire désigner un administrateur provisoire de la succession pour engager son action en paiement de l'indemnité d'éviction avant l'expiration du délai de prescription ;
- que la société Isaia n'a jamais eu connaissance du rapport du 27 août 2018 de Maitre [J] si ce n'est par sa production dans le cadre de l'instance ;
- que les appelants ne prouvent pas que l'avocat de la société Isaia avait connaissance du nom des légataires de M. [G] avant le 30 juin 2018 ;
Sur les droits de la société Isaia,
- qu'il résulte de l'acte de cession d'entreprise du 20 mars 2017, que la société Isaia a acquis l'ensemble des éléments incorporels du fonds de commerce de la société Chez Clément dont le droit au bail des locaux situés [Adresse 14] et [Adresse 3] à [Localité 20] ; que l'acte prévoit que le cessionnaire reprend la situation locative en l'état et fait son affaire personnelle des suites et conséquences du congé ; qu'il s'en déduit que la société Isaia succède dans les droits et obligations de la société Chez Clément ;
- que l'acte de cession d'entreprise, qui a été signifié à M. [G] par acte du 13 avril 2017, est opposable à ses légataires ;
Sur l'absence de motif grave et légitime de refus de renouvellement du bail sans offre d'indemnité d'éviction,
- qu'il est de jurisprudence constante que le bailleur ne peut obtenir la résiliation du bail du locataire cessionnaire pour un motif imputable au locataire cédant, sauf si les manquements se sont poursuivis (3ème Civ., 4 octobre 200, pourvoi n° 99-12722) ; que cette jurisprudence est transposable au congé pour motif grave et légitime (3e Civ., 15 septembre 2010, pourvoi n° 09-14.519) ;
- qu'il n'est pas contestable ni contesté que les loyers ont été régulièrement payés par la société Isaia ;
- qu'au demeurant, les manquements de la société Chez Clément ne constituent pas un motif grave et légitime permettant au propriétaire de priver le locataire de l'indemnité d'éviction dès lors que les causes des 10 commandements de payer délivrés à la société Chez Clément ont été réglées dans un délai raisonnable et que ces retards de paiement n'étaient pas dus à la mauvaise foi de la société Chez Clément mais à des difficultés financières réelles ;
Sur la restitution des clés intervenue le 5 février 2019,
- que c'est le droit du locataire qui a reçu un congé avec ou sans offre d'indemnité d'éviction de restituer les clés du local ; que la société Isaia a tenté d'obtenir le renouvellement du bail auprès des appelantes qui ont refusé ; que dans ces conditions, la société Isaia n'a pas pu réaliser les travaux lui permettant de rentabiliser son exploitation de sorte qu'elle a été contrainte de restituer les clés ;
- que les appelantes ne précisent pas en quoi la société Isaia aurait commis une fraude en restituant les clés ; qu'il n'est pas démontré que la société Isaia n'a jamais eu l'intention d'exploiter les lieux et que son départ, même moins de deux ans après la cession d'entreprise, a été décidé dans l'intention de nuire aux bailleurs ;
- que la jurisprudence considère que le locataire n'a pas l'obligation de prévenir le propriétaire de son départ, étant rappelé que le titulaire du droit au paiement d'une indemnité d'éviction n'est pas tenu de rester dans les lieux jusqu'au paiement de ladite indemnité ;
Sur l'indemnité d'occupation,
- qu'en vertu de l'article L. 145-28 du code de commerce, les appelantes doivent être déboutées de leur demande de paiement d'une indemnité d'occupation de droit commun ; que la société Isaia est redevable d'une indemnité d'occupation statuataire qui doit être fixée en fonction des prix couramment pratiqués dans le voisinage après expertise.
Il convient, en application de l'article 455 du code de procédure civile, de se référer aux conclusions des parties, pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
1- Sur la recevabilité de l'action de la société Isaia en paiement d'une indemnité d'éviction
1-1 Sur l'exception d'irrecevabilité tirée du défaut de qualité à agir
L'article 30 du code de procédure civile dispose que l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée et, pour l'adversaire, de discuter le bien fondé de cette prétention.
L'article 31 précise que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
En vertu de l'article 122 du code de procédure civile, le défaut de qualité à agir constitue une fin de non-recevoir.
En l'espèce, aux termes du contrat de cession d'entreprise du 20 mars 2017, conclu dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de la société Chez Clément, la société Isaia a acquis les actifs du fonds de commerce de restaurant, bar, salon de thé, brasserie exploité par la société Chez Clément au [Adresse 15] et [Adresse 5].
Ce contrat est opposable aux appelantes en ce qu'il a été signifié à M. [G], dont elles sont les légataires universelles, par acte du 13 avril 2017, soit avant le décès de M. [G], étant en outre rappelé que la cession du bail ou des droits que le locataire tient du bail commercial, qui intervient à l'occasion d'une cession d'entreprise dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire du cédant, n'est pas soumise à l'autorisation du bailleur.
Il stipule, en son article 1.1.1, que les actifs incorporels cédés à la société Isaia comprennent 'le droit au bail des locaux situé [Adresse 14] et [Adresse 4] dans les conditions précisées au 1.4, sous la réserve ci-après en ce qui concerne la situation locative de la société Chez Clément à l'égard de Monsieur [X] [G]' et, en son article 1.4.3, s'agissant des locaux appartenant à M. [G], après avoir rappelé l'historique des relations bailleur-preneur dont la délivrance du congé du 30 décembre 2015 par M. [G] avec refus de renouvellement du bail sans offre de paiement d'une indemnité d'éviction pour motifs graves et légitimes, que la société Isaia 'reprend la situation locative en l'état et fait son affaire personnelle des suites et conséquences dudit congé'.
Il s'évince de ces stipulations que si le bail, qui avait pris fin le 30 juin 2016 à minuit par l'effet du congé du 30 décembre 2015, soit avant l'acte de cession d'entreprise, n'a pas pu être cédé à la société Isaia, celle-ci a acquis les droits que la société Chez Clément tirait du bail expiré et de la situation locative au moment de la cession d'entreprise, à savoir notamment le droit de solliciter une indemnité d'éviction et le droit de se maintenir dans les lieux dans les conditions prévues par l'article L. 145-28 du code de commerce.
Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, la cession des droits que la société Chez Clément tirait du bail expiré et de la situation locative au moment de la cession d'entreprise, en ce qu'ils incluent le droit au maintien dans les lieux prévu à l'article L. 145-28 du code de commerce, était nécessaire à l'activité de restaurant, bar, salon de thé, brasserie.
En outre, le moyen tirée de la ventilation du prix de la cession entre les actifs incorporels et les actifs corporels du fonds de commerce de la société Chez Clément exploité au [Adresse 16] et [Adresse 5] est inopérant en ce qu'il n'est pas de nature à contredire les stipulations du bail aux termes desquelles la créance d'indemnité d'éviction due à la société Chez Clément et le droit au maintien dans les lieux de cette dernière ont été cédés à la société Isaia.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparait que la société Isaia a qualité à agir en paiement d'une indemnité d'éviction à l'encontre des appelantes.
1-2 Sur l'exception d'irrecevabilité tirée de la prescription
En application de l'article L. 145-60 du code de commerce, l'action en paiement d'une indemnité d'éviction intentée par le locataire évincé se prescrit par 2 ans.
Il est constant, lorque le bail a pris fin par l'effet d'un congé délivré par le bailleur, que ce délai commence à courir à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.
Par ailleurs, l'article 2241 du code civil dispose que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription.
En l'espèce, M. [G], par acte du 30 décembre 2015, a donné congé à la société Chez Clément pour le 30 juin 2016.
La société Isaia avait donc jusqu'au 30 juin 2018 pour engager son action en paiement de l'indemnité d'éviction.
C'est par des motifs exacts et pertinents, que la cour adopte et auxquels elle renvoie, que les premiers juges, considérant que l'assignation délivrée à Maître [J], en qualité d'administrateur provisoire de la succession de M. [X] [G], le 13 avril 2018, avait interrompu la prescription, ont jugé que l'action de la société Isaia n'était pas prescrite.
Il convient seulement de souligner et d'ajouter les points suivants.
D'une part, il n'est pas apporté la preuve, alors que la société Isaia était la cessionnaire des droits que la société Chez Clément tirait du bail expiré et de la situation locative au moment de la cession d'entreprise, aux termes d'un contrat signifié à M. [G] antérieurement à son décès, que les appelantes aient informé, directement ou par l'intermédiaire d'un mandataire, la société Isaia qu'elles étaient les légataires universelles de M. [G] avant le 13 avril 2018.
D'autre part, l'examen du rapport de Maître [J] du 27 août 2018 n'établit pas avec certitude la date à laquelle la société Isaia a eu connaissance de l'existence et de l'identité des légataires universelles de M. [G]. Il n'établit notamment pas que la société Isaia ait eu connaissance de l'existence et de l'identité des légataires universelles de M. [G] avant de demander la désignation d'un administrateur provisoire de la succession en justice et de faire assigner l'administrateur ainsi désigné en paiement de l'indemnité d'éviction.
Dans ces conditions, l'assignation délivrée par la société Isaia à Maître [J], ès-qualités, le 13 avril 2018, a interrompu le délai de prescription, peu important que la société Isaia ait eu connaissance, avant l'expiration du délai de prescription mais postérieurement à la délivrance de cet acte, de l'existence et de l'identité des légataires universelles de M. [G].
En conséquence, il convient de confirmer le jugement querellé en ce qu'il a débouté les appelantes de leurs fins de non-recevoir et déclaré la société Isaia recevable en ses demandes.
2- Sur l'indemnité d'éviction
2-1 Sur le refus de paiement d'une indemnité d'éviction tiré de l'existence d'un motif grave et légitime
En application des articles L. 145-14 et L. 145-17 du code de commerce, le bailleur peut toujours refuser le renouvellement du bail. Toutefois, il doit payer au locataire évincé une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, sauf, notamment, s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. S'il s'agit soit de l'inexécution d'une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, compte-tenu des dispositions de l'article L. 145-8, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser.
En l'espèce, le bail qui liait M. [G], aux droits duquel viennent ses légataires universelles, et la société Chez Clément a pris fin le 30 juin 2016 à minuit, par l'effet du congé délivré le 30 décembre 2015 par M. [G].
Ce bail avait donc expiré avant l'acquisition par la société Isaia des actifs du fonds de commerce exploité par la société Chez Clément au [Adresse 15] et [Adresse 5].
Dans ces conditions, c'est à raison, par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte et auxquels elle renvoie, que le tribunal a considéré que les motifs invoqués par M. [G] pour refuser de payer à la société Chez Clément une indemnité d'éviction étaient opposables à la société Isaia. En effet, la société Isaia, qui n'a jamais eu la qualité de locataire à titre personnel et qui a acquis la créance d'indemnité d'éviction due à la société Chez Clément et le droit au maintien dans les lieux de cette dernière, ne saurait avoir plus de droits que ceux acquis auprès de la société Chez Clément.
Pour refuser de payer une indemnité d'éviction à la société Chez Clément, M. [G] reproche à cette dernière, dans le congé qu'il lui a fait délivrer le 30 décembre 2015, de s'être 'abstenue à compter du terme du premier trimestre 2013 échu le 31 mars du paiement à bonne date des loyers courants, ce qui a nécessité la délivrance de dix commandements de payer visant la clause résolutoire du bail et les articles L. 145-41 et L. 145-17-1 1° du code de commerce en date des 29 mai, 16 juillet, 14 et 16 octobre 2013, 13 et 14 janvier, 4 avril, 7 juillet, 4 février, 9 avril, 3 juillet et 8 octobre 2015'.
Le tribunal, compte-tenu des efforts de la société Chez Clément pour régulariser ses impayés de loyer dans des délais raisonnables, étant observé qu'aucun des 10 commandements ci-dessus rappelés n'a été suivi de l'introduction d'une instance en acquisition de la clause résolutoire, et des difficultés économiques rencontrées par la société Chez Clément, a justement apprécié les faits de l'espèce en considérant que les retards de paiement de la société Chez Clément de 2013 à 2015 ne constituaient pas un motif grave et légitime de lui refuser le paiement d'une indemnité d'éviction au sens du I 1° de l'article L. 145-17 du code de commerce.
Par ailleurs, il est rappelé que le bailleur ne peut pas invoquer en cours de procédure d'autres motifs que ceux exprimés dans le congé sauf si de nouveaux motifs sont nés ou ont été découverts postérieurement au congé.
Dans ces conditions, le moyen tiré de l'existence de retards de paiement antérieurs à ceux mentionnés par M. [G] dans le congé du 30 décembre 2015 est inopérant.
La société Isaia ne peut donc pas être déboutée de sa demande d'indemnité d'éviction sur ce fondement.
2-2 Sur le refus du paiement de l'indemnité d'éviction tiré de la cessation par la société Isaia de l'exploitation des locaux le 5 février 2019
En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.
Il est constant que le locataire évincé, sauf condition expresse figurant dans le bail, n'est pas tenu de rester dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction.
En l'espèce, la société Isaia, par actes des 5 et 6 février 2019, a fait signifier aux appelantes qu'elle leur restituait les locaux et les clés à la date du 5 février 2019, en précisant qu'elle ne renonçait pour autant pas au bénéfice de l'action en paiement de l'indemnité d'éviction en cours.
Dès lors que la société Isaia, qui tenait son droit de se maintenir dans les lieux des droits qu'elle avait acquis auprès de la société Chez Clément à l'occasion du contrat de cession d'entreprise du 20 mars 2017, n'avait pas l'obligation de rester dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en l'absence de stipulation contractuelle contraire, sa restitution des locaux, le 5 février 2019, n'est pas fautive et ne constitue pas intrinséquement une fraude, même si elle prive les appelantes de la possibilité d'exercer le droit de repentir prévu à l'article L. 145-58 du code de commerce et même si elle intervient moins de 2 ans après la cession d'entreprise.
Par ailleurs, il n'est pas apporté la preuve d'un comportement frauduleux de la société Isaia qui, selon les appelantes, aurait acquis les actifs du fonds de commerce de la société Chez Clément exploité au [Adresse 15] et [Adresse 5] sans avoir eu l'intention d'exploiter ledit fonds de commerce.
Le fait que la société Isaia ait acquis les actifs du fonds de commerce litigieux au prix d'1.600.000 €, qu'elle ait repris les 22 contrats de travail à durée indéterminée et les 7 contrats de travail à durée déterminée afférents à ce fonds de commerce, qu'elle ait exploité pendant deux ans ce fonds de commerce générant un chiffre d'affaire d'1.293.191 € la première année et de 825.878 euros la deuxième année ne démontre pas l'absence d'intention de la société Isaia d'exploiter ce fonds de commerce.
Il n'est pas non plus apporté la preuve de ce que la restitution des locaux par la société Isaia aurait été motivée par une ou plusieurs autres circonstances que le congé donné à la société Chez Clément.
Les appelantes se bornent à procéder par voie d'affirmation, étant observé que le fait que l'incertitude de la situation locative perdure, deux ans après la cession d'entreprise, était de nature à gêner la société Isaia dans son exploitation du fonds de commerce en la dissuadant de procéder à des investissements.
La société Isaia ne peut donc pas non plus être déboutée de sa demande d'indemnité d'éviction sur ce fondement.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Isaia peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction par suite du congé avec refus de renouvellement signifié par M. [X] [G], aux droits duquel viennent l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation Apprentis d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame.
2-3 Sur le montant de l'indemnité d'éviction
Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné une expertise aux fins notamment de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction .
3- Sur l'indemnité d'occupation
En application de l'article L. 145-28 du code de commerce, le locataire, qui peut prétendre à une indemnité d'éviction et qui se maintient dans les lieux jusqu'au paiement de celle-ci, est redevable d'une indemnité d'occupation déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte-tenu de tous éléments d'appréciation.
Dans la mesure où le jugement entrepris a été confirmé en ce qu'il a dit que la société Isaia peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction, la société Isaia est redevable d'une indemnité d'occupation statutaire et non d'une indemnité d'occupation de droit commun.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les appelantes de leur demande tendant à voir condamner la société Isaia à leur payer une indemnité d'occupation de droit commun de 400.000 euros par an, taxes et charges en sus.
Faute pour la cour de disposer des éléments nécessaires à l'appréciation du montant de l'indemnité d'occupation statutaire due par la société Isaia, il convient également de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné une expertise aux fins notamment de déterminer le montant de l'indemnité d'occupation exigible au 1er juillet 2016 conformément aux modalités prévues par l'article L. 145-28 du code de commerce.
4- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les appelantes, qui succombent dans la procédure d'appel, sont condamnées aux dépens de la procédure d'appel qui ne comprennent pas les frais de l'expertise ordonnée en première instance. Le sort des frais de l'expertise dépendra de la condamnation aux dépens prononcée par le tribunal judiciaire de Paris dans son jugement après expertise.
L'équité commande de condamner les appelantes à payer à la société Isaia la somme de 7.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés par celle-ci en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt rendu contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 21 avril 2022 (RG n° 18/4942) en toutes ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame aux dépens de la procédure d'appel qui ne comprennent pas les frais d'expertise ordonnée en première instance, dont distraction au profit de Maître Alain Rapaport, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne l'association de Prévoyance du Notariat de France, la fondation d'[Localité 19] et la fondation Notre Dame à payer à la société Isaia la somme de 7.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La greffière, La présidente,