CA Lyon, 8e ch., 3 septembre 2025, n° 24/05173
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 24/05173 -N°Portalis DBVX-V-B7I-PX35
Décision du Président du TJ de [Localité 6] en référé du 10 juin 2024
RG : 24/00591
S.A.S. IMMO SERVICE AND RENOV
C/
[N]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 03 Septembre 2025
APPELANTE :
La société IMMO SERVICE AND RENOV, société par actions simplifiée ayant son siège social [Adresse 4], inscrite au RCS de [Localité 6] sous le numéro 907 459 705,
Représentée par son représentant légal en la personne de Madame [O] [C], en sa qualité de Présidente,
Représentée par Me Ala ADAS de la SELEURL ADAS AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1661
Ayant pour avocat plaidant Me Ismaël MEZITI, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉ :
M. [F] [N]
né le 09 Juillet 1987 à [Localité 8]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Ayant pour mandataire de gestion la société CITYA BARIOZ IMMOBILIER, administrateur de biens à [Localité 7]
Représenté par Me Roxane DIMIER de la SELARL DPG, avocat au barreau de LYON, toque : 1037
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 25 Juin 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 25 Juin 2025
Date de mise à disposition : 03 Septembre 2025
Audience tenue par Véronique DRAHI, président, et Nathalie LAURENT, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Véronique DRAHI, conseiller
- Nathalie LAURENT, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE
Selon bail commercial (bail de locaux équipés à usage commercial), M. [F] [N] a loué à la société Immo Service and Rénov des locaux sis [Adresse 3] [Localité 1] moyennant à loyer annuel de 42 000 € HT payable par terme mensuel d'avance et révisable par application d'une clause d'échelle mobile.
Par acte du 9 février 2024, M. [N] a fait signifier à la société locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail et réclamant un arriéré de 26 585,47 €.
Par acte du 21 mars 2024, il a assigné la société Immo Service Rénov en référé devant le président du tribunal judiciaire de Lyon, lequel a, par ordonnance réputée contradictoire, rendue le 10 juin 2024 :
Constaté la résiliation du bail à la date du 10 mars 2024 ;
Condamné la société Immo Service Rénov à payer M. [N] la somme provisionnelle de 24 120,15 € au titre des loyers et des chargés arrêtés au moins de mai 2024, avec intérêts au taux légal à compter du commandement du 9 février 2024 ;
Condamné la société Immo Service Rénov et tout occupant de son chef à quitter les lieux, si besoin est par expulsion, avec le concours si nécessaire de la force publique et d'un serrurier ;
Dit n'y avoir lieu à application de la clause pénale ;
Condamné la société Immo Service Rénov à payer une indemnité d'occupation provisionnelle d'un montant équivalent à celui des loyers hors taxes et des charges du mois de juin 2024 jusqu'au départ effectif des lieux ;
Condamné la société Immo Service Rénov aux dépens ;
Condamné la société Immo Service Rénov à payer à M. [N] la somme de 800 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration enregistrée le 24 juin 2024, la société Immo Service Rénov a interjeté appel réformation de l'entier dispositif.
Les lieux ont repris le 28 octobre 2024.
Aux termes de ses dernières écritures remises au greffe par voie électronique le 17 juillet 2024, la société Immo Service Rénov demande à la cour de :
A titre principal,
Constater que le bail commercial dont se prévaut M. [N] est falsifié ;
Constater que le décompte présenté par M. [N] est irrégulier en raison de l'absence de mention des charges et de la présence de la taxe foncière indue ;
En conséquence,
Constater la nullité du commandement de payer ;
Infirmer l'ordonnance rendue le 10 juin 2024 par le président du tribunal judiciaire en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de la clause pénale ;
Débouter M. [N] de la totalité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
Juger qu'un délai de grâce sera accordé à la société Immo Service Rénov aux fins de régler sa dette au regard des éléments de calcul régularisés ;
Juger qu'un délai de grâce sera accordé à la société Immo Service Rénov durant lequel l'expulsion ne pourra être exécutée ;
En tout état de cause,
Condamner M. [N] à régler à la société Immo Service Rénov la somme de 1 600 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. [N] aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante invoque :
1) La falsification du prétendu bail commercial signé le 29 novembre 2021
Elle soutient n'avoir jamais conclu de bail commercial à cette date mais avoir signé un bail le 29 décembre 2021, dont la remise d'un exemplaire lui a été refusée. La production d'un bail du 29 novembre constitue non seulement un faux, mais également une escroquerie au jugement.
Elle ajoute que par ailleurs, le commandement de payer en date du 9 février 2024 ne désigne aucunement l'infraction au bail commercial, l'existence même de ce bail faisant défaut, et que les man'uvres de M. [N] démontrent au surplus sa mauvaise foi ; que le commandement non délivré de bonne foi est nul.
2) La nullité du commandement du fait de l'irrégularité du décompte présenté par Citya car comprenant à tort la taxe foncière.
3) Les raisons de ses difficultés de règlement :
M. [N] s'est prévalu de clauses qui faisaient notamment état de locaux meublés, équipés, et en bon état de réparation alors qu'ils étaient infestés de punaises de lit et de termites. La locataire a dû engager d'importants travaux en urgence pour pouvoir exploiter les locaux conformément à leur destination car conformément à son activité, elle les sous louait à des particuliers et réglait le loyer dû avec une partie du chiffre d'affaires généré par les locations
Le montant particulièrement important des travaux réalisés avait créé un fossé dans ses finances et la régie de Cytia, mandataire du bailleur avait fait durer au maximum les discussions afin de ne pas la rembourser.
En engageant cette procédure, M. [N] souhaitait visiblement profiter de la remise en état de ses locaux et pouvoir expulser la locataire sans indemnité d'éviction.
Ses manquements ressortaient d'abord de l'état des lieux réalisé en décembre 2021.
Aux termes de ses dernières écritures remises au greffe par voie électronique le 6 juin 2025, M. [N] demande à la cour de :
Débouter la société Immo Service Rénov de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme non fondées et injustifiées ;
Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judicaire de Lyon le 10 juin 2024, sauf à porter la condamnation de la société Immo Service Rénov à la somme provisionnelle de 38 170,26 € au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation arriérés au départ des lieux, suivant décompte arrêté au 29 janvier 2025, dépôt de garantie déduit ;
Condamner la société Immo Service Rénov à payer à M. [N] une indemnité de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la même aux entiers dépens d'appel.
Au soutien de ses conclusions, l'intimé fait valoir :
Sur la prétendue falsification du bail :
L'absence de contestation sérieuse relative à la validité de l'acte, les clés de la maison ont été remises à la locataire le 30 novembre 2021, jour de l'état des lieux d'entrée.
La régularisation ultérieure du bail, avec effet rétroactif au 1er décembre 2021.
L'insuffisance de l'indication dans l'assignation d'une date de signature erronée, reprise ensuite dans l'ordonnance, pour qualifier le contrat de faux. L'appelante était manifestement en possession du contrat puisqu'elle le verse elle-même à la procédure.
Sur l'irrégularité supposée du décompte annexé au commandement :
Le bien loué est une maison en monopropriété sans partie commune au sens de la loi du 10 juillet 1965 et la preneuse s'acquitte directement de ses consommations d'eau et d'énergie à chaque échéance, seul le loyer principal étant appelé, à l'exclusion de toute provision sur charges, expliquant de fait l'absence de ventilation reprochée.
Le loyer est indexé de plein droit en fonction de la variation de l'indice des loyers commerciaux, en application de la clause d'échelle mobile.
Il est exact en revanche que le paiement de la taxe foncière n'incombe pas à la locataire mais même en déduisant la taxe foncière 2023, l'appelante restait devoir le 9 février 2024 une somme conséquente de 25 045,47 € (26 585,47 - 1 540)
Sur l'état des locaux loués :
L'état des locaux n'a pas été dissimulé, l'état des lieux de 48 pages ayant été établi contradictoirement près d'un mois avant la signature du bail. Il décrit globalement la maison comme en étant en bon état ou état moyen, à l'exception de quelques équipements.
L'obligation de délivrance du bailleur est satisfaite dès lors que le bien donné à bail est en capacité, juridiquement et matériellement, de recevoir l'activité contractuellement convenue, ce qui était assurément le cas en l'espèce et le contraire n'est d'ailleurs pas soutenu.
La SAS Immo Service and Renov a de surcroît, accepté de prendre les lieux sans pouvoir exiger aucune réfection, adjonction d'équipements supplémentaires ou travaux quelconques, seules les grosses réparations de l'article 606 du code civil demeurant à la charge du bailleur.
Elle ne justifie pas de travaux qu'elle aurait été contrainte de réaliser à son entrée en jouissance, ni de la présence de nuisibles et encore moins que celle-ci serait imputable au bailleur.
Sur le montant de l'arriéré locatif :
Après déduction des taxes foncière 2023, 2024, des frais de procédure, du dépôt de garantie et échéance d'octobre 2024 imputée au prorata du temps effectif d'occupation, la locataire reste devoir la somme principale de 38 170,26 € suivant décompte arrêté au 29 janvier 2025.
Elle était constamment en situation d'impayé depuis l'entrée dans les lieux, n'a même pas repris le paiement des échéances courantes, et ne produit aucune pièce comptable
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 25 juin 2025.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'acquisition de la clause résolutoire et ses effets :
L'article 834 du code de procédure civile dispose que dans tous les cas d'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Au sens de ce texte, Il y a urgence dès lors qu'un retard dans la décision qui doit être prise serait de nature à compromettre les intérêts légitimes du demandeur, ce qui est nécessairement le cas lorsque la clause résolutoire est acquise, dès lors que le bailleur est privé de son droit de récupérer les locaux qui lui appartiennent.
L'article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
La cour relève en premier lieu que les copies du contrat de bail produit par chacune des deux parties sont identiques et comportent une date difficilement lisible pouvant être le 29/12/2021.
Or, les deux parties conviennent que ce contrat a été signé le 29 décembre 2021.
Il n'est donc démontré d'aucune falsification du contrat de bail mais comme le soutient le bailleur d'une erreur de date dans le commandement de payer et dans l'assignation indiquant la date du 29 novembre 2021.
Il n'est pas démontré que cette erreur aurait généré un grief pour la société locataire, laquelle a par ailleurs bien disposé d'un exemplaire du contrat puisqu'elle l'a produit devant la cour.
La contestation selon laquelle le commandement serait nul du fait de la falsification d'un contrat de bail n'est pas sérieuse.
La cour observe ensuite que le commandement de payer est régulier en sa forme si comme le reconnaît l'intimée le décompte a compris à tort la taxe foncière que la locataire ne devait pas.
Il est de jurisprudence constante que cette irrégularité n'entraîne pas la nullité du commandement de payer puisque le surplus des sommes réclamées était exigible.
La société locataire ne conteste pas le non-paiement de l'arriéré après déduction de la taxe foncière dans le délai d'un mois.
Si elle invoque le défaut de conformité des locaux à leur destination ayant obligé engager d'importants travaux en urgence pour les exploiter, l'état des lieux d'entrée a été établi contradictoirement le 30 novembre 2021 un mois avant la signature du contrat de bail.
L'état des lieux comporte 48 pages dont des clichés photographiques. D'une part, si certains meubles, éléments sanitaires, climatiseurs, et sols ont été décrits comme en mauvais état, il n'en découle pas une impossibilité de jouir des locaux. D'autre part, en considération de la date de son établissement, la société locataire pouvait ne pas signer le contrat de bail si les locaux n'étaient pas conformes à leur destination d'autant que le contrat de bail évoque un état prévisionnel des travaux que le bailleur envisageait de réaliser et que le preneur était tenu de prendre à sa charge les frais et travaux de mise en conformité rendus nécessaires par les textes.
L'appelante produit un courriel adressé au gestionnaire des locaux le 26 avril 2022 indiquant avoir notamment supporté l'achat de mobilier dans trois chambres du fait de punaises de lit et de termites, invoquant le manque à gagner ne pas avoir pu louer les chambres ensuite du dédommagement d'une locataire. Le courriel évoque également un studio objet de travaux et non opérationnel.
En l'état, la cour ignore si les termites et les punaises de lit étaient présentes dans les locaux au jour de l'entrée en vigueur du contrat de bail puisque leur présence n'a été signalée que près de cinq mois après la prise d'effet du contrat au 1er décembre 2021.
Le fait que la locataire indique qu'elle comptait payer le loyer avec la perception de celui de ses propres locations ne constitue pas une contestation sérieuse.
La locataire ne pouvait se dispenser du paiement des échéances mensuelles.
La cour confirme la décision attaquée en ce qu'elle a constaté l'acquisition des effets de la clause à la date du 10 mars 2024 et condamné la société locataire à payer une indemnité d'occupation provisionnelle d'un montant équivalent à celui des loyers hors-taxes et des charges jusqu'au départ effectif.
En considération du décompte des sommes dues au 12 juillet 2024, la cour infirme la décision attaquée en ce qu'elle a retenu une dette de 24'120,15 € au titre de l'arriéré arrêté au mois de mai 2024 et actualisant, condamne la société appelante au paiement de la somme de 30'303,27 € au titre de l'arriéré locatif arrêté au 12 juillet 2024, échéance de juillet incluse, la cour relevant que la taxe foncière a bien été déduite.
La cour confirme la décision attaquée sur le point de départ des intérêts au taux légal au jour du commandement du 9 février 2024 sur la somme de 24 120,15 € et à compter du présent arrêt pour le surplus.
Il ressort du procès-verbal d'expulsion du 28 octobre 2024 que les locaux ont été repris par le bailleur. La demande visant l'expulsion certes fondée est donc devenue sans objet.
Sur les demandes de délais :
La demande de "Juger" qu'un délai de grâce sera accordé à l'appelante durant lequel l'expulsion ne pourra être exécutée est également devenue sans objet du fait de la reprise des lieux.
Cependant, il est également demandé par l'appelante de "Juger" qu'un délai de grâce sera accordé pour régler sa dette.
Aux termes de l'article 1343-5 du code civil le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées ne porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
La cour relève que la société Immo Service and Renov ne produit aucune pièce sur sa situation financière. Sa demande de délai ne peut qu'être rejetée.
Sur les mesures accessoires :
La cour confirme la décision attaquée sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
À hauteur d'appel, la société Immo Service and Renov est également condamnée aux dépens et en équité à payer à M. [N] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sa propre demande sur le même fondement ne peut qu'être rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme la décision attaquée en ce qu'elle a condamné la société Immo Service and Renov à payer à M. [F] [N] la somme provisionnelle de 24'120,15 € au titre de l'arriéré locatif.
Statuant à nouveau,
Condamne la société Immo Service and Renov à payer à M. [F] [N] la somme provisionnelle de 30'303,27 € au titre de l'arriéré locatif arrêté au 12 juillet 2024, échéance de juillet incluse, ce avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 2024 sur la somme de 24 120,15 € et à compter du présent arrêt pour le surplus,
Confirme pour le surplus la décision attaquée sauf à constater que la condamnation à quitter les lieux et si besoin est par expulsion est devenu sans objet.
Y ajoutant,
Dit sans objet la demande de délais de grâce pour quitter les lieux,
Rejette la demande de délais de paiement,
Condamne la société Immo Service and Renov aux dépens à hauteur d'appel,
Condamne la société Immo Service and Renov à payer à M. [F] [N] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure à hauteur d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Décision du Président du TJ de [Localité 6] en référé du 10 juin 2024
RG : 24/00591
S.A.S. IMMO SERVICE AND RENOV
C/
[N]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 03 Septembre 2025
APPELANTE :
La société IMMO SERVICE AND RENOV, société par actions simplifiée ayant son siège social [Adresse 4], inscrite au RCS de [Localité 6] sous le numéro 907 459 705,
Représentée par son représentant légal en la personne de Madame [O] [C], en sa qualité de Présidente,
Représentée par Me Ala ADAS de la SELEURL ADAS AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1661
Ayant pour avocat plaidant Me Ismaël MEZITI, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉ :
M. [F] [N]
né le 09 Juillet 1987 à [Localité 8]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Ayant pour mandataire de gestion la société CITYA BARIOZ IMMOBILIER, administrateur de biens à [Localité 7]
Représenté par Me Roxane DIMIER de la SELARL DPG, avocat au barreau de LYON, toque : 1037
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Date de clôture de l'instruction : 25 Juin 2025
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 25 Juin 2025
Date de mise à disposition : 03 Septembre 2025
Audience tenue par Véronique DRAHI, président, et Nathalie LAURENT, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Véronique DRAHI, conseiller
- Nathalie LAURENT, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
Selon bail commercial (bail de locaux équipés à usage commercial), M. [F] [N] a loué à la société Immo Service and Rénov des locaux sis [Adresse 3] [Localité 1] moyennant à loyer annuel de 42 000 € HT payable par terme mensuel d'avance et révisable par application d'une clause d'échelle mobile.
Par acte du 9 février 2024, M. [N] a fait signifier à la société locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail et réclamant un arriéré de 26 585,47 €.
Par acte du 21 mars 2024, il a assigné la société Immo Service Rénov en référé devant le président du tribunal judiciaire de Lyon, lequel a, par ordonnance réputée contradictoire, rendue le 10 juin 2024 :
Constaté la résiliation du bail à la date du 10 mars 2024 ;
Condamné la société Immo Service Rénov à payer M. [N] la somme provisionnelle de 24 120,15 € au titre des loyers et des chargés arrêtés au moins de mai 2024, avec intérêts au taux légal à compter du commandement du 9 février 2024 ;
Condamné la société Immo Service Rénov et tout occupant de son chef à quitter les lieux, si besoin est par expulsion, avec le concours si nécessaire de la force publique et d'un serrurier ;
Dit n'y avoir lieu à application de la clause pénale ;
Condamné la société Immo Service Rénov à payer une indemnité d'occupation provisionnelle d'un montant équivalent à celui des loyers hors taxes et des charges du mois de juin 2024 jusqu'au départ effectif des lieux ;
Condamné la société Immo Service Rénov aux dépens ;
Condamné la société Immo Service Rénov à payer à M. [N] la somme de 800 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration enregistrée le 24 juin 2024, la société Immo Service Rénov a interjeté appel réformation de l'entier dispositif.
Les lieux ont repris le 28 octobre 2024.
Aux termes de ses dernières écritures remises au greffe par voie électronique le 17 juillet 2024, la société Immo Service Rénov demande à la cour de :
A titre principal,
Constater que le bail commercial dont se prévaut M. [N] est falsifié ;
Constater que le décompte présenté par M. [N] est irrégulier en raison de l'absence de mention des charges et de la présence de la taxe foncière indue ;
En conséquence,
Constater la nullité du commandement de payer ;
Infirmer l'ordonnance rendue le 10 juin 2024 par le président du tribunal judiciaire en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de la clause pénale ;
Débouter M. [N] de la totalité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
Juger qu'un délai de grâce sera accordé à la société Immo Service Rénov aux fins de régler sa dette au regard des éléments de calcul régularisés ;
Juger qu'un délai de grâce sera accordé à la société Immo Service Rénov durant lequel l'expulsion ne pourra être exécutée ;
En tout état de cause,
Condamner M. [N] à régler à la société Immo Service Rénov la somme de 1 600 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. [N] aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante invoque :
1) La falsification du prétendu bail commercial signé le 29 novembre 2021
Elle soutient n'avoir jamais conclu de bail commercial à cette date mais avoir signé un bail le 29 décembre 2021, dont la remise d'un exemplaire lui a été refusée. La production d'un bail du 29 novembre constitue non seulement un faux, mais également une escroquerie au jugement.
Elle ajoute que par ailleurs, le commandement de payer en date du 9 février 2024 ne désigne aucunement l'infraction au bail commercial, l'existence même de ce bail faisant défaut, et que les man'uvres de M. [N] démontrent au surplus sa mauvaise foi ; que le commandement non délivré de bonne foi est nul.
2) La nullité du commandement du fait de l'irrégularité du décompte présenté par Citya car comprenant à tort la taxe foncière.
3) Les raisons de ses difficultés de règlement :
M. [N] s'est prévalu de clauses qui faisaient notamment état de locaux meublés, équipés, et en bon état de réparation alors qu'ils étaient infestés de punaises de lit et de termites. La locataire a dû engager d'importants travaux en urgence pour pouvoir exploiter les locaux conformément à leur destination car conformément à son activité, elle les sous louait à des particuliers et réglait le loyer dû avec une partie du chiffre d'affaires généré par les locations
Le montant particulièrement important des travaux réalisés avait créé un fossé dans ses finances et la régie de Cytia, mandataire du bailleur avait fait durer au maximum les discussions afin de ne pas la rembourser.
En engageant cette procédure, M. [N] souhaitait visiblement profiter de la remise en état de ses locaux et pouvoir expulser la locataire sans indemnité d'éviction.
Ses manquements ressortaient d'abord de l'état des lieux réalisé en décembre 2021.
Aux termes de ses dernières écritures remises au greffe par voie électronique le 6 juin 2025, M. [N] demande à la cour de :
Débouter la société Immo Service Rénov de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme non fondées et injustifiées ;
Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judicaire de Lyon le 10 juin 2024, sauf à porter la condamnation de la société Immo Service Rénov à la somme provisionnelle de 38 170,26 € au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation arriérés au départ des lieux, suivant décompte arrêté au 29 janvier 2025, dépôt de garantie déduit ;
Condamner la société Immo Service Rénov à payer à M. [N] une indemnité de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la même aux entiers dépens d'appel.
Au soutien de ses conclusions, l'intimé fait valoir :
Sur la prétendue falsification du bail :
L'absence de contestation sérieuse relative à la validité de l'acte, les clés de la maison ont été remises à la locataire le 30 novembre 2021, jour de l'état des lieux d'entrée.
La régularisation ultérieure du bail, avec effet rétroactif au 1er décembre 2021.
L'insuffisance de l'indication dans l'assignation d'une date de signature erronée, reprise ensuite dans l'ordonnance, pour qualifier le contrat de faux. L'appelante était manifestement en possession du contrat puisqu'elle le verse elle-même à la procédure.
Sur l'irrégularité supposée du décompte annexé au commandement :
Le bien loué est une maison en monopropriété sans partie commune au sens de la loi du 10 juillet 1965 et la preneuse s'acquitte directement de ses consommations d'eau et d'énergie à chaque échéance, seul le loyer principal étant appelé, à l'exclusion de toute provision sur charges, expliquant de fait l'absence de ventilation reprochée.
Le loyer est indexé de plein droit en fonction de la variation de l'indice des loyers commerciaux, en application de la clause d'échelle mobile.
Il est exact en revanche que le paiement de la taxe foncière n'incombe pas à la locataire mais même en déduisant la taxe foncière 2023, l'appelante restait devoir le 9 février 2024 une somme conséquente de 25 045,47 € (26 585,47 - 1 540)
Sur l'état des locaux loués :
L'état des locaux n'a pas été dissimulé, l'état des lieux de 48 pages ayant été établi contradictoirement près d'un mois avant la signature du bail. Il décrit globalement la maison comme en étant en bon état ou état moyen, à l'exception de quelques équipements.
L'obligation de délivrance du bailleur est satisfaite dès lors que le bien donné à bail est en capacité, juridiquement et matériellement, de recevoir l'activité contractuellement convenue, ce qui était assurément le cas en l'espèce et le contraire n'est d'ailleurs pas soutenu.
La SAS Immo Service and Renov a de surcroît, accepté de prendre les lieux sans pouvoir exiger aucune réfection, adjonction d'équipements supplémentaires ou travaux quelconques, seules les grosses réparations de l'article 606 du code civil demeurant à la charge du bailleur.
Elle ne justifie pas de travaux qu'elle aurait été contrainte de réaliser à son entrée en jouissance, ni de la présence de nuisibles et encore moins que celle-ci serait imputable au bailleur.
Sur le montant de l'arriéré locatif :
Après déduction des taxes foncière 2023, 2024, des frais de procédure, du dépôt de garantie et échéance d'octobre 2024 imputée au prorata du temps effectif d'occupation, la locataire reste devoir la somme principale de 38 170,26 € suivant décompte arrêté au 29 janvier 2025.
Elle était constamment en situation d'impayé depuis l'entrée dans les lieux, n'a même pas repris le paiement des échéances courantes, et ne produit aucune pièce comptable
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 25 juin 2025.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé des moyens venant à l'appui de leurs prétentions.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'acquisition de la clause résolutoire et ses effets :
L'article 834 du code de procédure civile dispose que dans tous les cas d'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Au sens de ce texte, Il y a urgence dès lors qu'un retard dans la décision qui doit être prise serait de nature à compromettre les intérêts légitimes du demandeur, ce qui est nécessairement le cas lorsque la clause résolutoire est acquise, dès lors que le bailleur est privé de son droit de récupérer les locaux qui lui appartiennent.
L'article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
La cour relève en premier lieu que les copies du contrat de bail produit par chacune des deux parties sont identiques et comportent une date difficilement lisible pouvant être le 29/12/2021.
Or, les deux parties conviennent que ce contrat a été signé le 29 décembre 2021.
Il n'est donc démontré d'aucune falsification du contrat de bail mais comme le soutient le bailleur d'une erreur de date dans le commandement de payer et dans l'assignation indiquant la date du 29 novembre 2021.
Il n'est pas démontré que cette erreur aurait généré un grief pour la société locataire, laquelle a par ailleurs bien disposé d'un exemplaire du contrat puisqu'elle l'a produit devant la cour.
La contestation selon laquelle le commandement serait nul du fait de la falsification d'un contrat de bail n'est pas sérieuse.
La cour observe ensuite que le commandement de payer est régulier en sa forme si comme le reconnaît l'intimée le décompte a compris à tort la taxe foncière que la locataire ne devait pas.
Il est de jurisprudence constante que cette irrégularité n'entraîne pas la nullité du commandement de payer puisque le surplus des sommes réclamées était exigible.
La société locataire ne conteste pas le non-paiement de l'arriéré après déduction de la taxe foncière dans le délai d'un mois.
Si elle invoque le défaut de conformité des locaux à leur destination ayant obligé engager d'importants travaux en urgence pour les exploiter, l'état des lieux d'entrée a été établi contradictoirement le 30 novembre 2021 un mois avant la signature du contrat de bail.
L'état des lieux comporte 48 pages dont des clichés photographiques. D'une part, si certains meubles, éléments sanitaires, climatiseurs, et sols ont été décrits comme en mauvais état, il n'en découle pas une impossibilité de jouir des locaux. D'autre part, en considération de la date de son établissement, la société locataire pouvait ne pas signer le contrat de bail si les locaux n'étaient pas conformes à leur destination d'autant que le contrat de bail évoque un état prévisionnel des travaux que le bailleur envisageait de réaliser et que le preneur était tenu de prendre à sa charge les frais et travaux de mise en conformité rendus nécessaires par les textes.
L'appelante produit un courriel adressé au gestionnaire des locaux le 26 avril 2022 indiquant avoir notamment supporté l'achat de mobilier dans trois chambres du fait de punaises de lit et de termites, invoquant le manque à gagner ne pas avoir pu louer les chambres ensuite du dédommagement d'une locataire. Le courriel évoque également un studio objet de travaux et non opérationnel.
En l'état, la cour ignore si les termites et les punaises de lit étaient présentes dans les locaux au jour de l'entrée en vigueur du contrat de bail puisque leur présence n'a été signalée que près de cinq mois après la prise d'effet du contrat au 1er décembre 2021.
Le fait que la locataire indique qu'elle comptait payer le loyer avec la perception de celui de ses propres locations ne constitue pas une contestation sérieuse.
La locataire ne pouvait se dispenser du paiement des échéances mensuelles.
La cour confirme la décision attaquée en ce qu'elle a constaté l'acquisition des effets de la clause à la date du 10 mars 2024 et condamné la société locataire à payer une indemnité d'occupation provisionnelle d'un montant équivalent à celui des loyers hors-taxes et des charges jusqu'au départ effectif.
En considération du décompte des sommes dues au 12 juillet 2024, la cour infirme la décision attaquée en ce qu'elle a retenu une dette de 24'120,15 € au titre de l'arriéré arrêté au mois de mai 2024 et actualisant, condamne la société appelante au paiement de la somme de 30'303,27 € au titre de l'arriéré locatif arrêté au 12 juillet 2024, échéance de juillet incluse, la cour relevant que la taxe foncière a bien été déduite.
La cour confirme la décision attaquée sur le point de départ des intérêts au taux légal au jour du commandement du 9 février 2024 sur la somme de 24 120,15 € et à compter du présent arrêt pour le surplus.
Il ressort du procès-verbal d'expulsion du 28 octobre 2024 que les locaux ont été repris par le bailleur. La demande visant l'expulsion certes fondée est donc devenue sans objet.
Sur les demandes de délais :
La demande de "Juger" qu'un délai de grâce sera accordé à l'appelante durant lequel l'expulsion ne pourra être exécutée est également devenue sans objet du fait de la reprise des lieux.
Cependant, il est également demandé par l'appelante de "Juger" qu'un délai de grâce sera accordé pour régler sa dette.
Aux termes de l'article 1343-5 du code civil le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées ne porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
La cour relève que la société Immo Service and Renov ne produit aucune pièce sur sa situation financière. Sa demande de délai ne peut qu'être rejetée.
Sur les mesures accessoires :
La cour confirme la décision attaquée sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
À hauteur d'appel, la société Immo Service and Renov est également condamnée aux dépens et en équité à payer à M. [N] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sa propre demande sur le même fondement ne peut qu'être rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme la décision attaquée en ce qu'elle a condamné la société Immo Service and Renov à payer à M. [F] [N] la somme provisionnelle de 24'120,15 € au titre de l'arriéré locatif.
Statuant à nouveau,
Condamne la société Immo Service and Renov à payer à M. [F] [N] la somme provisionnelle de 30'303,27 € au titre de l'arriéré locatif arrêté au 12 juillet 2024, échéance de juillet incluse, ce avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 2024 sur la somme de 24 120,15 € et à compter du présent arrêt pour le surplus,
Confirme pour le surplus la décision attaquée sauf à constater que la condamnation à quitter les lieux et si besoin est par expulsion est devenu sans objet.
Y ajoutant,
Dit sans objet la demande de délais de grâce pour quitter les lieux,
Rejette la demande de délais de paiement,
Condamne la société Immo Service and Renov aux dépens à hauteur d'appel,
Condamne la société Immo Service and Renov à payer à M. [F] [N] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure à hauteur d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT