Livv
Décisions

CA Chambéry, chbre soc. prud'hommes, 4 septembre 2025, n° 23/01761

CHAMBÉRY

Arrêt

Autre

CA Chambéry n° 23/01761

4 septembre 2025

CS25/256

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2025

N° RG 23/01761 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HMD6

[F] [W]

C/ [D] [Y] - etc...

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BONNEVILLE en date du 09 Octobre 2023, RG F 22/00067

APPELANT :

Monsieur [F] [W]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentant : Me Véronique COUDRAY de la SARL BALLALOUD ET ASSOCIES, avocat au barreau de BONNEVILLE

INTIMES :

Maître [D] [Y] - Appelé en cause -

SELALR ANASTA

[Adresse 3]

[Localité 4]

Monsieur [O] [N] désigné es qualité de liquidateur judiciaire de la Société TRANS'AT SERVICES suite au jugement de liquidation judiciaire rendu par le Tribunal de commerce d'Annecy le 21 juin 2024.

[Adresse 1]

[Adresse 15]

[Localité 5]

Représentant : Me Sébastien VILLEMAGNE de la SELAS ABAD & VILLEMAGNE - AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de GRENOBLE

UNEDIC - AGS CGEA D'[Localité 11]

[Adresse 13]

[Adresse 8]

[Localité 6]

S.A.S.U. TRANS'AT SERVICES SASU TRANS'AT SERVICES au capital de 15000 euros RCS 828 750 000 dont le siège social est [Adresse 10] prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège

[Adresse 9]

[Localité 4]

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 15 mai 2025 par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente de la Chambre Sociale, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Madame Laëtitia BOURACHOT, Conseillère, assisté de Monsieur Bertrand ASSAILLY, greffier, lors des débats,

Et lors du délibéré par :

Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,

Madame Laëtitia BOURACHOT, Conseillère,

********

Exposé du litige :

M. [W] a été embauché le 25 janvier 2021 par la SASU Trans'at services en qualité de chauffeur en contrat à durée indéterminée pour 35 heures par semaine et une rémunération de 1539,45 € bruts par mois.

La relation de travail est régie par la convention collective nationale des transports.

La SASU Trans'at services comprend plus de 11 salariés.

Le 14 juin 2021, M. [W] a déposé une main courante à la gendarmerie de [Localité 14] (74) aux termes de laquelle il a indiqué qu'il avait un litige avec son employeur, que les conditions de travail n'étaient pas respectées et qu'il avait utilisé le matin même son droit de retrait avant d'effectuer sa tournée, qu'il avait constitué un dossier pour l'inspection du travail, que le jeudi dernier il avait eu une altercation avec son patron, qu'il lui avait dit que le camion était défaillant et qu'il ne tournerait donc pas avec. Le patron lui ayant mis la main derrière le cou pour qu'il se dirige vers l'entrepôt... M. [W] indiquant être parti avant qu'il en vienne aux mains.

Le 15 juin 2021, M. [W] a fait l'objet d'un arrêt de travail pour 15 jours qui a été prolongés à plusieurs reprises jusqu'au 6 septembre 2021.

Le 9 juillet 2021, la SASU Trans'at services a adressé un courrier à M. [W] le mettant en demeure de justifier son absence injustifiée depuis le 7 juillet 2021

Par courrier recommandé reçu le 8 septembre 2021, M. [W] a informé son employeur de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité s'agissant du « mauvais état du véhicule qui lui était attribué » à savoir « une usure très importante, défaillance freinage, défaillance cardan (Bruit lourd à chaque virage), pas de roue de secours, pas de signalisation de sécurité, pas de carnet d'entretien, pas de suivi du véhicule, Covid (pas de masque ni de gel fourni), aucune fiche de paie fournie') »

M. [W] a saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 12], en date du 2 juin 2022 aux fins de requalification de sa prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, paiement de rappel de salaire et indemnités diverses notamment au titre du non-respect des dispositions légales sur le temps de travail.

Par jugement du 9 octobre 2023, le conseil des prud'hommes de [Localité 12] a :

Jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur de M. [W] s'analyse en une démission

Débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes

Condamné M. [W] à payer à M. [W] la somme de 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Débouté la SASU Trans'at services du reste de ses demandes

Mis les dépens à la charge de M. [W]

La décision a été notifiée aux parties et M. [W] en a interjeté appel par le Réseau Privé Virtuel des Avocats le 14 décembre 2023.

Par jugement du tribunal de commerce d'Annecy en date du 1er mars 2024, une procédure de redressement judiciaire était ouverte à l'encontre de la SASU Trans'at services et Maître [N] était désigné ès-qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du tribunal de commerce d'Annecy du 21 juin 2024, la procédure de redressement judiciaire faisait l'objet d'une conversion en liquidation judiciaire etMaître [N] désigné ès-qualité de liquidateur judiciaire.

Par dernières conclusions en date du 23 avril 2025, M. [W] demande à la cour d'appel de :

Le déclarer recevable en son appel

Réformer en toutes ses dispositions la décision déférée et statuant à nouveau

Déclaré comme recevable et bien fondées ses demandes

Dire qu'il a droit à des rappels de salaire

Condamner la SASU Trans'at service ou fixer au passif de la société les sommes suivantes :

8040,65 € au titre des primes de nuit chez des rappels de salaires concernant les heures supplémentaires

2000 € au titre de l'indemnité pour violation des temps de repos

954,20 € au titre du complément d'indemnité de congés payés

Constater les manquements graves et répétés de l'employeur rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise

Requalifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse

Condamner à lui payer ou fixer au passif de la société les sommes suivantes :

4009,02 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

4009,02 € au titre de l'indemnité de préavis

400,90 € au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis

3000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

Condamner à lui payer ou fixer au passif de la société la somme de 672,14 € figurant au solde de tout compte sous astreinte de 50 € par jour à compter du prononcé de la décision

Condamner à lui payer ou fixer au passif de la société la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Condamner la SASU Trans'at services aux dépens

Déclarer l'arrêt intervenir comment est opposable à l'AGS CGEA d'[Localité 11] dans la limite de sa garantie légale.

Par dernières conclusions en réponse en date du 15 avril 2025, Me [N], es qualité de liquidateur judiciaire de la SASU Trans'at services demande à la cour d'appel de :

A TITRE LIMINAIRE

' DIRE ET JUGER que les demandes de Monsieur [W] afférentes à des rappels de salaire sont irrecevables en ce que le solde de tout compte n'a pas fait l'objet de contestation dans un délai de 6 mois ;

A TITRE PRINCIPAL

' CONFIRMER le jugement rendu le 9 octobre 2023 par le Conseil de prud'hommes de Bonneville en toutes ses dispositions ;

A TITRE SUBSIDIAIRE

Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

' DEBOUTER Monsieur [W] de sa demande de rappel de salaire au titre du travail de nuit ;

' DEBOUTER Monsieur [W] de sa demande au titre des heures supplémentaires ;

' DEBOUTER Monsieur [W] de sa demande de rappel de salaire au titre des sommes inscrites au solde de tout compte ;

' DEBOUTER Monsieur [W] de sa demande à hauteur de 2.000 € au titre de l'indemnité pour violation des temps de repos ;

' DEBOUTER Monsieur [W] de sa demande de versement de reliquat à hauteur de 954,20 € sur l'indemnité de congés payés ;

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

' DIRE ET JUGER que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Monsieur [W] doit s'analyser en une démission ;

' DEBOUTER Monsieur [W] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;

' DEBOUTER Monsieur [W] de sa demande à hauteur de 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral.

A titre infiniment subsidiaire,

' LIMITER à la somme de 1.905,40 € le rappel de salaire alloué à Monsieur [W] au titre du travail de nuit, outre les congés payés afférents ;

' LIMITER à la somme de 2.051,09 € bruts l'indemnité allouée à Monsieur [W] à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

' LIMITER à la somme de 2.051,09 € bruts l'indemnité allouée à Monsieur [W] à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents ;

En tout état de cause,

' DIRE ET JUGER qu'aucune astreinte ne saurait être prononcée à l'encontre de Maître [N] ès-qualité ;

' DEBOUTER Monsieur [W] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

' CONDAMNER Monsieur [W] à payer à Maître [N] ès-qualité la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

' CONDAMNER Monsieur [W] aux entiers dépens d'instance.

M. [W] justifie avoir dénoncé ses conclusions à l'AGS par voie d'huissier le 30 avril 2025.L'AGS ne s'est pas constitué.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2025.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

SUR QUOI :

Sur l'irrecevabilité des demandes de rappel de salaire tirée de l'effet libératoire du solde de tout compte :

Moyens des parties :

Me [N], es qualité de liquidateur judiciaire de la SASU Trans'at services soutient au visa de l'article de l'article L. 1234-20 du code du travail que le salarié a signé le solde de tout compte en date du 8 septembre 2021 qui a dès lors un effet libératoire et que le salarié ne peut désormais le contester depuis le 8 mars 2022. L'argument selon lequel la date n'aurait pas été inscrite par le salarié est inopérante au vu de la position de la jurisprudence et le salarié ne démontre pas qu'il aurait renvoyé le solde de tout compte signé par courrier du 21 décembre 2021.

M. [W] conteste pour sa part avoir signé le solde de tout compte le 8 septembre 2021. Il fait observer que l'écriture de la date en question n'est absolument pas similaire à sa signature. A contrario l'écriture de la date du 8 septembre 2021 correspond parfaitement avec l'écriture et la date retranscrite par l'employeur sur le certificat de travail. Le solde de tout compte a été renvoyé à l'employeur uniquement signé, non daté en date du 22 décembre 2021.

Le salarié fait par ailleurs valoir que le conseil des prud'hommes a bien été saisi dans le délai de six mois de l'article L. 1234-20 du code du travail.

L'AGS n'a pas constitué avocat.

Sur ce,

Il incombe à l'employeur de démontrer, notamment par la production de pièces comptables que le salaire dû afférent au travail effectivement effectué a été payé.

En application de l'article L. 1234-20 du code du travail, le solde de tout compte, établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail. Le reçu pour solde de tout compte peut-être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.

En l'espèce il ressort du document intitulé « solde de tout compte » versé par les parties qu'il est signé et daté de manière manuscrite du 8 septembre 2021. Non seulement l'accusé réception versé aux débats par le salarié en date du 22 décembre 2021 ne démontre pas comme conclu qu'il a adressé à son employeur le solde de tout compte à cette date ni avec la date non mentionnée, mais il ne ressort pas des éléments versés aux débats que la date serait manifestement d'une écriture différente de celle du salarié.

Il convient dès lors de constater que le solde de tout compte n'a pas été contesté dans le délai légal de 6 mois et qu'il a dès lors eu un effet libératoire au 8 mars 2022 soit avant sa contestation. Les demandes de rappel de salaires M. [W] à ce titre sont donc prescrites et irrecevables par voie de confirmation du jugement déféré.

Sur la demande de paiement du solde de tout compte :

Moyens des parties :

M. [W] soutient que la somme prévue au solde de tout compte de 672,14 € ne lui a jamais été versée par l'employeur et que la photocopie du chèque versé aux débats par le liquidateur ne suffit pas à démontrer que ce chèque a effectivement été débité à son profit s'agissant qu'habituellement l'employeur procédait par virement bancaire. Il sollicite la somme de 500 € de dommages et intérêts en raison du préjudice subi du fait de l'absence de versement de cette somme.

Me [N], es qualité de liquidateur judiciaire de la SASU Trans'at services ne conclut pas sur ce point.

Sur ce,

Il ressort des dispositions de l'article 1353 du code civil que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Il incombe à l'employeur de démontrer, notamment par la production de pièces comptables que le salaire dû afférent au travail effectivement effectué a été payé et lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire.

La seule copie du chèque produite ne permet pas de démontrer que l'employeur a versé la somme litigieuse au salarié alors qu'il lui incombe la charge de cette preuve.

Il convient dès lors de fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 672,14 € due au titre du solde tout compte.

Faute pour M. [W] de justifier d'un préjudice distinct de celui indemnisé par le versement de cette somme qui produira intérêts, il convient de le débouter de sa demande de dommages et intérêts à ce titre. La demande d'astreinte sera rejetée car elle n'est pas utile à l'exécution dans la présente décision.

Sur la rupture du contrat de travail :

Moyens des parties :

M. [W] soutient que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il expose qu'il devrait se rendre au dépôt pour récupérer le fourgon et charger les marchandises qu'il devait ensuite livrer à différents endroits, que dès le début il a constaté le très mauvais état du fourgon et en a attiré l'attention de l'employeur à de très nombreuses reprises sans que ce dernier prenne ses remarques en compte et indique qu'il s'y sentait particulièrement en danger. A la suite d'une altercation le jeudi 10 juin avec son employeur qui a bien failli se terminer par des violences physiques, il a fini par refuser le 14 juin au matin d'effectuer sa tournée avec le véhicule en si mauvais état pouvant mettre en danger sa vie et celle des usagers de la route. Il a exercé son droit de retrait jusqu'au 16 juin 2021 date à laquelle il a été placé en arrêt de travail. Il a pris acte de son contrat de travail sur les conseils de sa protection juridique le 6 septembre 2021.

Me [N], es qualité de liquidateur judiciaire de la SASU Trans'at services fait valoir que les manquements invoqués par le salarié ne sont pas démontrés et que rien ne permet de penser qu'ils étaient d'actualité au jour de la prise d'acte le 6 septembre 2021 pendant l'arrêt maladie du salarié prolongé à plusieurs reprises. Les faits reprochés par le salarié datant de trois mois. La prise d'acte de la rupture du contrat de travail devra produire les effets d'une démission.

Il expose par ailleurs que le salarié ne précise ni dans la lettre de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail ni dans ses conclusions quel véhicule lui aurait été attribué en mauvais état (modèle, numéro d'immatriculation). Le salarié produit en réalité des photographies de l'intérieur d'un véhicule qui avait subi des sinistres non responsables et se trouvait sur le parking en attente de réparation et d'expertise par l'expert des assurances, véhicule que M. [W] ne pouvait donc conduire. Les photographies non datées de pneus produites et de compteurs dont les authenticités n'est pas prouvées ne peuvent être reliées avec certitude au véhicule qui lui était attribué, la SASU Trans'at services disposant d'un stock important de véhicules permettant d'effectuer les réparations nécessaires lorsqu'un véhicule présent un désordre ainsi que d'un stock conséquent de pneus ce qui permet de les changer en cas de besoin sans avoir recours à un garagiste. Les réparations étaient effectivement systématiquement réalisées dès le signalement du chauffeur pour la sécurité des salariés mais également pour le respect du cahier des charges très strictes avec le donneur d'ordre OCP. Me [N], es qualité de liquidateur judiciaire de la SASU Trans'at services expose que M. [W] a par ailleurs refusé à plusieurs reprises de ramener son véhicule au dépôt de [Localité 12] malgré les demandes du dirigeant de la société, le tutoiement mis en place dans les messages à l'égard de l'employeur et le changement de syntaxe laissant perplexe. M. [A] n'ayant jamais été le collègue de travail de M. [W], M. [I] n'étant pas affecté sur la tournée OCP mais sur TCS avec un véhicule de tourisme Clio Renault.

Sur ce,

Le salarié qui reproche à l'employeur des manquements à ses obligations peut prendre acte de la rupture de son contrat. Lorsque le salarié justifie de manquements suffisamment graves de la part de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et dans le cas contraire d'une démission. La prise d'acte ne nécessite aucun formalisme particulier mais doit être transmise directement à l'employeur.

Il est de principe que lorsque les manquements reprochés à l'employeur ne sont pas établis ou ne sont pas suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat travail, la prise d'acte produit les effets d'une démission et le salarié qui ne peut prétendre à aucune indemnité de rupture, peut être condamné à verser à l'employeur une indemnité pour non-respect du préavis sauf si l'employeur l'en a dispensé.

Lorsque la prise d'acte produit les effets d'une démission, le salarié est redevable de l'indemnité compensatrice de préavis même en l'absence de préjudice pour l'employeur.

Les juges du fond doivent examiner l'ensemble des manquements de l'employeur invoqués par le salarié sans se limiter aux seuls griefs énoncés dans la lettre de prise d'acte.

Aucune indemnité compensatrice de préavis ne peut être mise à la charge du salarié s'il s'est trouvé dans l'impossibilité d'effectuer ce préavis du fait de son incapacité, notamment en raison de la maladie.

L'article L. 4121-1 du code du travail prévoit que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Dans sa version en vigueur depuis le 1er octobre 2017, ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1

2° Des actions d'information et de formation

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'article L. 4121-2 du même code décline les principes généraux de prévention sur la base desquels l'employeur met en 'uvre ces mesures. Enfin, il est de jurisprudence constante que respecte son obligation légale de sécurité, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En l'espèce, le salarié allègue au titre de manquements de l'employeur pour justifier sa prise d'acte aux torts exclusifs de ce dernier, le très mauvais état du fourgon qu'il devait utiliser pour exécuter ses livraisons malgrè de nombreuses alertes et encontradiction de l'obligation de sécurité.

Les photographies versées aux débats par le salarié d'un pneu et de compteurs dont on ignore l'origine non attestée ainsi que celle d'un fourgon immatriculé FC 553 HY avec l'enseigne « Toualoc » sans qu'on puisse déterminer le lieu de la photographie ni sa date et les captures d'écran versées aux débats de recherche de localisation (P 26) sont insuffisantes pour démontrer la localisation de la prise de ces photographies.

Il convient de retenir avec circonspection les attestations de proches de M. [W] (sa mère et M. [H], ami de cette dernière) confirmant les dires de M. [W] sur le très mauvais état de son fourgon au mois de juin 2021 quand ce dernier s'est déplacé à l'hôtel pour les voir avec le véhicule.

Toutefois M. [W] justifie avoir dans le cadre d'échanges SMS avec son employeur du 17 mars 2021 au 10 juin 2021, fait état des éléments suivants : défaillance du « feu de croisement côté conducteur et essuie-glace à changer » le 17 mars, « clignotant droit, feu de recul » le 31 mars, demande de « faire les freins car ils commencent à manger » le 14 avril 2021, « faut que tu me laisses un autre camion que le toualoc les freins ils vont sauter, vendredi ils ont bloqué 2 fois et j'ai failli faire du tout droit » le 25 avril 2021, « si tu peux changer les pneu du master ce serait top car ils sont mort ... et y aura les frein du man à malik aussi » le 21 mai 2021, « faudra faire les pneu du master demain car merdi je'peux pas tourner comme ca », le 21 mai 2021. L'employeur répondant le même jour, qu'il a vu et qu'il a les pneus et va les changer quand M. [W] reviendra au dépôt à 12 heures, « pense a faire les freins du man de malik », le 26 mai, idem le 9 juin et le 10 juin « il faut que tu me passes un autre camion, le Man cest mort je tourne plus avec ...».

Aucune réponse de l'employeur n'est produite s'agissant des dernières alertes sur « les pneus du man » alors même que l'employeur avait indiqué qu'il les changerait le 21 mai 2021.

M. [W] justifie avoir ensuite dès le lundi 14 juin 2021, déposé une main courante à la gendarmerie de [Localité 14] (74) aux termes de laquelle il a indiqué qu'il avait un litige avec son employeur, que les conditions de travail n'étaient pas respectées et qu'il avait utilisé le matin même son droit de retrait avant d'effectuer sa tournée, qu'il avait constitué un dossier pour l'inspection du travail, que le jeudi dernier (10 juin 2021) il avait eu une altercation avec son patron, qu'il lui avait dit que le camion était défaillant et qu'il ne tournerait donc pas avec. Le patron lui ayant mis la main derrière le cou pour qu'il se dirige vers l'entrepôt... M. [W] indiquant être parti avant qu'il en vienne aux mains.

L'attestation de M. [T], salarié de la SASU Trans'at services versée par l'employeur qui indique « qu'il a toujours eu un camion bien entretenu et presque neuf, les véhicules étaient révisés et les pneus toujours niquel...on avait juste à déclarer si on constate un truc et le lendemain c'est réglé, il faut juste poser le camion chez le garagiste [U] « centre de pneu » à [Localité 12] derrière le dépôt » apparaît non seulement en contradiction avec les conclusions de l'employeur qui indique qu'il disposait d'un stock important de pneus ce qui permettait de les changer en cas de besoin sans avoir recours à un garagiste, mais également avec celles de M. [I], salarié de la SASU Trans'at services de novembre à décembre 2021 qui témoigne de « l'état dangereux pour la sécurité des camions » à savoir, pneus lisses (été) en période d'hiver.., plaquettes de frein en très mauvais état... », et celles de M. [A], ancien salarié et collègue de M. [W] pour les charges de nuit du 25 janvier 2021 au 9 septembre 2021 qui note « l'état déplorable des fourgons avec lesquel il arrivait , bruits de ferraille quand il freinait, de cardan quand il tournait sans parler de l'état des pneus et de la carrosserie ».. De plus le salarié produit une seconde attestation de M. [T] qui certifie ne pas être l'auteur de la première attestation susvisée produite en son nom par l'employeur.

Le 24 juin 2021, M. [W] a adressé par courrier recommandé avec accusé de réception, une lettre d'alerte à l'inspection du travail s'agissant de l'état des véhicules mis à la disposition des salariés (pneus usure très importantes, défaillances cardans et freinage absence de roue de secours, absence de carnet d'entretien...)

La seule attestation du donneur d'ordre OCP qui indique que 'les règles sont strictes en matière de tenue des véhicules pour assurer la sécurité des tournées et que des factures d'entretien peuvent être réclamées au sous-traitant sur simple constat visuel du chef de quai OCP (pare-brise fissuré, pneu, carrosserie, contrôle technique) et que les véhicules de la SASU Trans'at services étaient bien entretenus et récents', est insuffisante à démontrer le respect par l'employeur de l'obligation de sécurité sur tous les véhicules, étant noté que le donneur d'ordre présente un intérêt à témoigner du bon état des véhicules qui impliquait également sa responsabilité en cas d'accident.

Enfin, s'il doit être noté que M. [W] a pris acte de la rupture de son contrat de travail durant la suspension de celui-ci et après un arrêt de travail du 15 juin au 6 septembre 2021 sans démontrer que les faits dénoncés étaient toujours d'actualité à cette date, il doit être rappelé qu'il appartient à l'employeur de justifier qu'il a valablement respecté son obligation de sécurité, M. [W] ayant pour sa part justifié avoir alerté la SASU Trans'at services à plusieurs reprises de défaillances sur les véhicules conduits et sur la sécurité avant la suspension. Or, Me [N], es qualité de liquidateur judiciaire de la SASU Trans'at services qui allègue que les travaux étaient faits en temps et en heure et produit l'attestation de son donneur d'ordre et d'un salarié, sans produire d'éléments précis et objectifs tels que carnet d'entretien, factures de révisions et de travaux et prestations ne justifie pa que l'employeur a respecté son obligation légale de sécurité.

S'agissant de la réalisation de tournée et de livraisons avec des véhicules chargés, le non-respect de l'obligation de sécurité des salariés impliquant également celle des autres usagers de la route par l'employeur constitue un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifiant la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur. Cette prise d'acte produisant dès lors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse par voie d'infirmation du jugement déféré.

Il convient dès lors de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SASU Trans'at services les sommes suivantes :

2051,99 € au titre de l'indemnité de licenciement (1 mois de salaire)

2051,99 € au titre de l 'indemnité compensatrice de préavis en application de la convention collective nationale des transports routiers (1 mois de salaire) outre 205,20 € de congés payés afférents

Vu l'article 1240 du code civil,

En application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; et, si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ce texte.

Or, M. [W] qui disposait d'une ancienneté au service de son employeur (+ de 11 salariés) de moins d'une année, peut par application des dispositions précitées, prétendre à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise d'au maximum 1 mois de salaire. Il ne verse par ailleurs aucun élément sur sa situation d'emploi et personnelle après la rupture de son contrat de travail ni sur le préjudice moral ou financier qu'il aurait subi. Il convient dès lors de fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 2051,99 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la procédure collective en cours :

Il résulte des dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce que le jugement d'ouverture de la procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

En conséquence, les sommes susvisées seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la SASU Trans'at services.

Sur la garantie de l'UNEDIC délégation AGS CGEA D'[Localité 11] :

L'UNEDIC délégation AGS CGEA D'[Localité 11] devra sa garantie à M. [W] dans les conditions des articles L. 3253-6 et suivants et D. 3253-5 du code du travail dès lors qu'il s'agit de créances antérieures à l'ouverture de la procédure collective nonobstant l'adoption d'un plan de redressement.

Il est également de principe que les dommages et intérêts dus au salarié à raison de l'inexécution par l'employeur d'une obligation découlant du contrat de travail en application des dispositions de l'article L. 3253-8 du code du travail sont garanties par l'AGS dans les conditions prévues à l'article L. 143-11-1 du Code du travail à l'exception de la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les demandes accessoires :

Il convient d'infirmer la décision de première instance s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.

M. [W] a été contraint d'engager des frais non taxables de représentation en justice ; il est contraire à l'équité de les laisser à sa charge. La créance du salarié en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la SASU Trans'at services à la somme globale de 2 000 € tant au titre de la procédure de première instance que d'appel. Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la SASU Trans'at services.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes de rappels de salaires,

L'INFIRME pour le surplus,

STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,

DIT que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de M. [W] du 6 septembre 2021produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la SASU Trans'at services les sommes suivantes :

2051,99 € au titre de l'indemnité de licenciement

2051,99 € au titre de l'indemnité de préavis outre 205,20 € de congés payés afférents

2051,99 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Y ajoutant,

FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la SASU Trans'at services la somme de 672,14 € au titre du solde tout compte,

DEBOUTE M. [W] de de sa demande de dommages et intérêts à ce titre,

REJETE la demande d'astreinte,

DIT que le présent arrêt est opposable à l'AGS représentée par l'AGS-CGEA d'[Localité 11] et qu'elle doit sa garantie dans les conditions définies par l'article L.3253-8 du code du travail dans la limite des plafonds légaux ;

DIT que l'obligation de l'AGS de faire l'avance des sommes allouées à M. [W] devra couvrir la totalité des sommes allouées à M. [W] à l'exception de la condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile

DIT que son obligation de faire l'avance des sommes allouées à gg ne pourra s'exécuter que sur justification par le mandataire judiciaire de l'absence de fonds disponibles pour procéder à leur paiement ;

CONDAMNE Me [N], es qualité de liquidateur judiciaire de la SASU Trans'at aux dépens de l'instance et DIT qu'ils seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la SASU Trans'at services,

Ainsi prononcé publiquement le 04 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente, et Monsieur Bertrand ASSAILLY,Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier La Présidente

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site