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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 4 septembre 2025, n° 24/03840

GRENOBLE

Arrêt

Autre

CA Grenoble n° 24/03840

4 septembre 2025

N° RG 24/03840 - N° Portalis DBVM-V-B7I-MOWV

C4

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

Me Pascale HAYS

la SELARL SELARL ROBICHON & ASSOCIES

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 04 SEPTEMBRE 2025

Appel d'une ordonnance (N° RG 2024R00684)

rendue par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE

en date du 27 août 2024

suivant déclaration d'appel du 04 novembre 2024

APPELANTE :

La société EDEIS INGENIERIE, anciennement dénommée EDEIS, société par actions simplifiée immatriculée au RCS de [Localité 8] sous le n°444 649 537, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Pascale HAYS, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉES :

La société CHUBB EUROPEAN GROUP SE, Société européenne au capital social de 896 176 662 euros, immatriculée au RCS de [Localité 7] sous le numéro 450 327 374, située [Adresse 11], représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

La société CHUBB EUROPEAN GROUP SE Succursale espagnole de la société CHUBB EUROPEAN GROUP SE, dont le numéro fiscal espagnol est W-0067389-G, sise [Adresse 10] (Espagne), représentée par son représentant en exercice domicilié en cette qualité au siège de la société

représentées par Me Jean ROBICHON de la SELARL ROBICHON & ASSOCIES, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Stéphanie SIMON, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Président,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Mme Raphaële FAIVRE, Conseillère,

Assistés lors des débats de Anne Burel, greffier.

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 mai 2025, M. Bruno, conseiller, a été entendu en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l'affaire a été mise en délibéré pour que l'arrêt soit rendu ce jour,

Faits et procédure :

1. En 2017, le département de l'Isère a décidé de remettre en service le petit train de [Localité 4] au moyen d'une délégation de service public attribuée à la Société du Train de [Localité 4] « STLM ''. Celle-ci a confié à la société Edeis Ingénierie différents travaux et prestations, dont la réhabilitation des locomotives historiques, dénommées T7, T8 et T9.

2. Par acte du 27 novembre 2019, la société Edeis a sous-traité les travaux de rénovation des locomotives à la société Tradinsa, assurée auprès de la société Chubb European Group.

3. La société Tradinsa a sous-traité une partie des prestations à la société ARMF.

4. Le procès-verbal de réception des travaux établi le 5 mai 2021, soulevant des réserves, ne sera pas signé par la société Tradinsa.

5. Le 14 mai 2021, la société Edeis a adressé à la société Tradinsa un courrier relevant les désordres et défauts, constitutifs de dysfonctionnements sur les locomotives T7, T8 et T9.

6. Selon ordonnance du président du tribunal de commerce de Grenoble du 2 juin 2021, M.[T] a été désigné en qualité d'expert judiciaire, dont la mission est toujours en cours.

7. Afin de ne pas pénaliser la saison touristique, il a été convenu que la société Edeis procède aux réparations et mises en conformité nécessaires permettant l'exploitation des locomotives T7 et T8.

8. La société Edeis estimant avoir lourdement investi pour limiter ses préjudices et ceux de la société STLM, et ne plus être en mesure de supporter les frais de remise en état des locomotives sinistrées, a sollicité, suite à la note n°43 de l'expert judiciaire, une indemnité de 3.948.190,39 euros HT. Elle a assigné les 31 octobre et 10 novembre 2023 la société Tradinsa et son assureur Chubb European Group, devant le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble, afin de voir retenue la responsabilité de la société Tradinsa, et d'obtenir, de la part de son assureur, le paiement des sommes suivantes : 1.182.434,39 euros HT, 125.756 euros HT, 2.140.000 euros HT au titre des travaux de réparation et de maintenance, outre 500.000 euros HT au titre de ses frais et débours.

9. Par ordonnance du 27 août 2024, le juge des référés a :

- rejeté la demande de nullité de l'assignation ;

- dit n'y avoir lieu à référé ;

- rejeté l'ensemble des demandes des parties ;

- laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles ;

- condamné la société Edeis Ingénierie à payer les entiers dépens.

10. La société Edeis Ingénierie a interjeté appel de cette décision le 4 novembre 2024, en toutes ses dispositions, et en ce qu'elle a omis, dans la présentation des parties, dans sa motivation et son dispositif, de mentionner l'intervention de la société Chubb European Groupe SE, société-mère, pour couvrir sa succursale espagnole. Cet appel a été dirigé contre la société Chubb European Group SE sise à [Localité 3], et contre la société Chubb European Group SE sise à [Localité 5], en sa qualité de succursale espagnole.

11. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 15 mai 2025.

Prétentions et moyens de la société Edeis Ingénierie :

12. Selon ses conclusions n°2 remises par voie électronique le 16 avril 2025, elle demande à la cour, au visa des articles 9, 11, 12, 46, 117, 873 du code de procédure civile, de l'article 6 §1 de la CEDH, des articles 1103, 1104, 1217 et 1231-1 du code civil, de l'article 124-3 du code des assurances, des articles L 131-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution :

- de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté les exceptions de nullité alléguées par la société Chubb, au besoin, par substitution de motifs ;

- d'infirmer sur tous les autres points l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé, rejeté l'ensemble des demandes des parties, laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles, condamné la concluante à payer les entiers dépens ;

- statuant à nouveau, de dire que la responsabilité de la société Tradinsa n'est pas sérieusement contestable ;

- de dire que la société Tradinsa est tenue à réparation des préjudices causés;

- de donner acte à la société Chubb European Group Limited de ce qu'elle revendique être l'assureur de responsabilité de la société Tradinsa ;

- de dire que la société Chubb European Group Limited ne justifie d'aucune limite de garantie et/ou exclusions opposables à la société Tradinsa et/ou aux tiers, dont la concluante ;

- en conséquence, de condamner la société Chubb European Group Limited à payer à la concluante, à titre de provision, les sommes de :

* 1.182.434,39 euros HT au titre des travaux de réparation engagés sur la locomotive T9,

* 125.756 euros HT au titre des frais externes de maintenance d'urgence sur les locomotives T7 et T8,

* 2.140.000 euros HT, au titre des travaux de remise en état finale à engager sur les locomotives T7 et T8,

* 500.000 euros HT, au titre des frais et débours internes de la concluante ;

- de dire que les sommes seront majorées de la TVA au taux de 20% ;

- de dire qu'elles porteront intérêts à compter de l'assignation délivrée à la société Chubb ;

- de condamner la société Chubb European Group Limited à s'exécuter sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard, pour chacune des condamnations provisionnelles, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- de condamner la société Chubb European Group Limited à supporter tous les frais et charges d'exécution, y compris tous droits proportionnels, qui seraient nécessaires d'engager à des fins d'exécution forcée de l'arrêt à intervenir ;

- de condamner la société Chubb European Group Limited à payer à la concluante la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- de condamner la société Chubb European Group Limited à payer à la concluante la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

13. L'appelante expose :

14. - que dans le cadre de la rénovation des locomotives, la concluante a réalisé une consultation au second semestre 2019, sur la base d'un dossier de consultation aux entreprises, constitué notamment par un cahier des clauses administratives particulières, et un cahier des clauses techniques particulières, prévoyant l'objet de la rénovation, avec les études, les transports des locomotives, les travaux et les essais, pour un prix global forfaitaire, afin que le matériel livré sur le site soit conforme pour une utilisation en service commercial sans aucune modification ultérieure ni mise en conformité supplémentaire ; que la société Tradinsa s'est ainsi engagée pour un prix global de 1.682.081,64 euros HT pour la réhabilitation des trois locomotives ;

15. que la concluante a proposé, le 5 mai 2021, de réceptionner les trois locomotives, mais a refusé cette réception pour la locomotive T9 en raison de problème mécanique sur l'essieu, neutralisant le véhicule en atelier, alors qu'aucun test n'a été effectué, et proposant une réception avec réserve des deux autres locomotives ; qu'elle a adressé à la société Tradinsa, le 14 mai 2021, la liste d'une trentaine de désordres portant sur les trois engins ;

16. - qu'en raison de la volonté des collectivités territoriales concernées d'ouvrir la ligne ferroviaire courant juin 2021, la concluante a fait procéder, avec l'accord de l'expert judiciaire, aux réparations et mises en conformité nécessaires, pour une remise en route des locomotives pendant cette saison, sans cependant que tous les problèmes soient résolus, pour un coût de 1.182.434,39 euros HT réglés à la société ACCM qui a effectué les travaux de réhabilitation sur la locomotive T9, outre l'engagement de plus d'un million d'euros pour la mise en service des deux autres engins ; que la société ACCM a chiffré à 2.140.000 euros les travaux de mise en conformité encore nécessaires sur les locomotives T7 et T8 ;

17. - concernant le rejet des exceptions soulevées par la société Chubb European Group SE, que la concluante a valablement assigné la société Chubb European Group SE, prise en sa succursale espagnole impliquée dans le litige, selon l'assignation délivrée le 10 novembre 2023 à l'entité Chubb European Group Limited domiciliée à Madrid ;

18. - que si la société Chubb European Group SE soutient que l'assignation est nulle au motif qu'une succursale n'a pas de personnalité juridique, ce qui est exact, une succursale est un établissement secondaire qui dispose d'une certaine latitude de gestion pour la réalisation de l'objet social de la société-mère, ayant la même personnalité que la société dont elle procède ; qu'une assignation est ainsi valable lorsqu'elle est délivrée à un établissement secondaire ou à une succursale impliqués dans le litige, dont la société-mère doit répondre ; que le droit européen prévoit ainsi que des affaires peuvent être conclus avec des établissements constituant le prolongement d'une société-mère dont le siège se trouve à l'étranger (CJCE 22-11-1978 et 6-4-1995) ; que l'incapacité de principe de la succursale, en raison d'un défaut de délégation de pouvoir de la société-mère, ne constitue pas une cause d'irrecevabilité ou de nullité opposable aux tiers, de sorte que l'organisation interne de la société Chubb European Group SE est inopposable à la concluante ;

19.- concernant la société Tradinsa, que celle-ci est débitrice d'une obligation de résultat, alors qu'il n'est pas contesté que les désordres lui sont imputables, ce que confirment les diverses notes de l'expert, qui a notamment indiqué que la réhabilitation de la locomotive T9 était irrecevable et indigne d'une entreprise ferroviaire, les travaux ayant été bâclés et les défauts dissimulés, et que les trois machines sont entachées d'un problème général lié à une incompétence notoire sur le plan électrique ;

20. - que le montant de la provision sollicitée n'est pas sérieusement contestable, au regard de la note n°43 de l'expert portant sur les différents coûts de remise en état et les frais déjà engagés par la concluante, outre le devis adressé par la société ACCM le 31 mai 2024 ;

21. - que la société Chubb European Group SE revendique être l'assureur de responsabilité de la société Tradinsa ; que si elle soutient exclure ou limiter sa garantie en raison de stipulations, celles-ci sont produites partiellement, sont rédigées en espagnol, avec des traductions libres et partielles, alors que la police d'assurance n'est pas signée par la société Tradinsa et ne comporte aucune référence à cette société ; qu'elle ne produit aucun document établissant une limite de responsabilité opposable à la concluante; que si la société Chubb European Group SE produit désormais une police établie le 14 février 2017, pour une durée de validité prévue entre le 1er et le 31 janvier 2017, il en résulte qu'elle a expiré depuis plus de cinq ans avant les faits ayant donné lieu à la mise en cause de la responsabilité de la société Tradinsa, qui n'est même pas citée dans ce document ;

22. - qu'il ne s'agit pas d'un problème lié à l'interprétation d'un contrat, mais de constater qu'aucune police n'est valablement produite ;

23. - que les seuls éléments contractuels pouvant être partiellement retenus concernent une garantie comprise entre 25 et 75 millions d'euros par sinistre ;

24. - que la société Chubb European Group SE échoue ainsi à rapporter la preuve d'une contestation sérieuse concernant son absence de garantie.

Prétentions et moyens de la succursale espagnole de la société Chubb European Group SE et de la société Chubb European Group SE:

25. Selon leurs conclusions n°2 remises par voie électronique le 5 mai 2025, elles demandent à la cour, au titre de leur appel incident :

- d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de nullité de l'assignation ;

- statuant de nouveau, de prononcer la nullité de l'assignation délivrée à la succursale espagnole de la société Chubb European Group SE, dépourvue de personnalité juridique ;

- de débouter la société Edeis de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la succursale espagnole de la société Chubb European Group SE et de la société Chubb European Group SE ;

- de rectifier l'ordonnance déférée en réparant l'omission de statuer sur la fin de non-recevoir et déclarer irrecevables l'ensemble des demandes formulées par la société Edeis à l'encontre de la succursale espagnole de la société Chubb European Group SE et de la société Chubb European Group SE ;

- de condamner la société Edeis à verser à la société Chubb European Group SE la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la société Edeis aux entiers dépens, dont distraction au profit du Cabinet Racine, avocat.

26. Elles demandent, au titre de l'appel principal :

- de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de provision formulée par la société Edeis sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de la société Chubb European Group SE au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la société Edeis à verser à la société Chubb European Group SE la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

27. Elles soutiennent :

28. - concernant la nullité de l'assignation, que le juge des référés a considéré à tort que les conclusions prises par la société Chubb European Group SE en cours de procédure ont régularisé cette assignation, puisqu'il est constant que Chubb European Group Espagne n'est qu'une succursale, dépourvue de personnalité juridique, tant selon le droit français que le droit espagnol et n'a ainsi aucune capacité pour ester ou défendre en justice ; que l'action est ainsi atteint par une irrégularité de fond, sans qu'il y ait lieu de vérifier si la succursale dispose d'une délégation de pouvoirs ;

29. - qu'une telle nullité ne peut être régularisée, puisque l'action est illégitime dès son origine ;

30. - que l'attestation d'assurance faisait mention de ce que la succursale espagnole n'était pas le siège social ;

31. - que cette assignation est également nulle au regard des articles 54 et 56 du code de procédure civile, puisque pour les personnes morales, elle doit préciser leur forme, dénomination, siège social et l'organe qui la représente légalement, alors que l'assignation n'a mentionné que les éléments suivants : « Chubb European Group Limited con NIF : W-0067389-G y domicilio social en [Adresse 6] [Adresse 9] » ; qu'aucun élément n'est traduit ; qu'on ne peut identifier ce que signifie « con NIF » ;

32. - subsidiairement, que l'ordonnance déférée n'a pas statué sur la fin de non-recevoir résultant du défaut de capacité de jouissance et de capacité pour ester en justice ;

33. - au principal, que les pièces produites, accompagnées d'une traduction libre, sont recevables et fiables ; qu'il n'existe pas d'obligation de traduction, puisque l'obligation d'utiliser le français prévue par l'ordonnance de [Localité 12] ne concerne que les actes de procédure ; que la société Chubb European Group SE produit une traduction assermentée du contrat d'assurance n°esca101999 correspondant au certificat d'assurance produit par l'appelante ;

34. - que les demandes de l'appelante sont atteintes par des contestations sérieuses, puisque la garantie n'est pas mobilisable, alors que la société Chubb European Group SE n'a pas contesté être l'assureur de la société Transinda alors que le contrat d'assurance couvrant l'année 2017 s'est renouvelé chaque année ;

35. - que le contrat contient en effet des clauses d'exclusion, concernant une inexécution contractuelle comme cela existe pour les contrats soumis au droit français ; que si la police couvre les dommages matériels, corporels et les dommages causés par les travaux effectués par l'assuré, elle ne couvre pas la réparation des travaux défectueux eux-mêmes, et exclut les dommages qui sont la conséquence directe ou indirecte des dommages subis par les ouvrages ou travaux exécutés par l'assuré ou par ses sous-traitants ;

36. - que le juge des référés n'a pas le pouvoir d'interpréter un contrat d'assurance.

*****

37. Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION :

1) Concernant la nullité de l'assignation :

38. Il résulte des art. 32 et 117 que l'irrégularité d'une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique constitue une irrégularité de fond qui ne peut être couverte.

39. Concernant les personnes morales, celles-ci ne sont pas soumises au principe de l'unité du domicile, car le code de procédure civile vise, non leur principal établissement, mais le lieu où elles sont établies. Ainsi l'article 43 du code de procédure civile dispose que le lieu où demeure le défendeur s'entend, s'il s'agit d'une personne physique, du lieu où celle-ci a son domicile ou, à défaut, sa résidence ; s'il s'agit d'une personne morale, du lieu où celle-ci est établie. L'article 690 du même code prévoit que la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial est faite au lieu de son établissement. Il s'agit de la consécration de la solution dégagée par la jurisprudence dite des « gares principales » (Req. 19 juin 1876).

40. Ainsi, toute personne morale peut être assignée, ou recevoir une notification, dans tout lieu où elle a une succursale ou une agence ayant le pouvoir de la représenter à l'égard des tiers (Civ. 1re, 15 nov. 1983), à la condition cependant que l'affaire litigieuse ait été engagée par la succursale ou l'agence (Civ. 2e, 24 janv. 1958), qu'elle se rapporte à son activité (Civ. 1re, 15 nov. 1983) ou que le fait générateur de responsabilité se soit produit dans le ressort territorial de celle-ci (Com. 12 janv. 1988). Cette solution est seulement destinée à protéger les tiers et une personne morale ne saurait s'en prévaloir à leur encontre (Civ. 2e, 29 janv. 1992, no 90-18.258).

41. En la cause, il est constant que l'assignation a été délivrée non à la société Chubb European Groupe SE domiciliée à [Localité 3], mais à sa succursale ayant un établissement en Espagne.

42. Il est également constant que la société Chubb European Groupe SE est effectivement l'assureur de la société Tradinsa. Elle se prévaut ainsi d'un contrat, lequel a été rédigé en espagnol, par sa succursale espagnole ayant son établissement à [Localité 5]. Un certificat d'assurance a été établi par la succursale espagnole au profit de la société Tradinsa en 2021.Si la société Chubb European Groupe SE soutient que cette attestation fait mention que la succursale espagnole ne constitue pas son siège social, la cour constate en premier lieu qu'aucune traduction en français de ce document rédigé en espagnol n'est produite, de sorte que la cour ne peut en comprendre les termes exacts, alors qu'en second lieu, un tel fait serait sans effet au regard des principes rappelés ci-dessus.

43. Il résulte de ces principes et faits que l'assignation n'a pas été délivrée à une personne dépourvue du droit d'agir, mais à l'encontre de la société Chubb European Groupe SE, prise en sa succursale espagnole, en raison d'un contrat d'assurance souscrit en Espagne et rédigé en espagnol. L'assignation n'a pas ainsi été délivrée contre une personne dépourvue de la capacité de défendre à l'action engagée par l'appelante.

44. Concernant ensuite la régularité de l'assignation en la forme, la cour constate que les mentions y figurant sont conformes à celles figurant sur l'attestation d'assurance. Si les prescriptions de l'article 54 du code de procédure civile concernant la forme de la personne morale et l'organe qui la représente n'ont pas été remplies, la cour constate qu'il ne s'agit que de causes de nullité pour vice de forme, nécessitant la preuve d'un grief, qui n'est pas invoqué.

45. En conséquence, l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de nullité de l'assignation.

2) Concernant la demande de provision de la société Edeis et ses demandes accessoires :

46. Il a été indiqué plus haut qu'il n'est pas contesté que la société Chubb European Groupe SE est bien l'assureur de la société Tradinsa, au titre de ses activités. La cour note que cet assureur ne dénie pas sa garantie en raison du fait que l'objet de ce contrat d'assurance ne couvre pas la société Tradinsa pour les différents litiges dont elle peut être reconnue responsable, mais qu'il oppose une clause d'exclusion.

47. Il en résulte qu'il appartient à l'assureur de rapporter la preuve de la clause d'exclusion qu'il invoque.

48. Or, la société Chubb European Groupe SE ne produit aucun contrat signé par la société Tradinsa, duquel il résulterait qu'une clause d'exclusion y figure concernant la réparation de travaux défectueux réalisés par son assuré ainsi que les dommages qui en sont la conséquence directe ou indirecte. La cour constate en effet que le contrat produit en langue espagnol, désormais accompagné d'une traduction réalisée par un interprète assermenté, n'a pas été signé par la société Trasinsa, mais par une société Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles, tant pour elle-même que des assurés additionnels. Rien ne vient établir que la société Tradinsa ait ainsi accepté la clause d'exclusion, sans qu'il y ait lieu d'interpréter le contrat produit par la société Chubb European Groupe SE.

49. Il en résulte que la société Chubb European Groupe SE doit sa garantie à la société Edeis.

50. Concernant le montant de la provision sollicitée, la cour constate que la matérialité des désordres dont fait état l'appelante n'est pas contestée.

51. Ainsi, le procès-verbal de réception du 5 mai 2021 a donné lieu à un nombre très important de réserves concernant les locomotives T7 et T8, suite aux travaux réalisés en Espagne. Les données précisées par l'expert judiciaire dans ses notes de mission indiquent que le premier jour de l'exploitation, un incident a interrompu le service commercial pendant deux jours. Il a constaté des désordres importants, y compris concernant des organes de sécurité. Au mois d'août 2021, seule la locomotive T7 fonctionnait, mais pour un service minimum, la machine T8 devant encore faire l'objet d'un minimum de finitions pour être exploitée en sécurité, alors que la locomotive T9 n'a pas été réparée.

52. Selon la note n°43 du 29 avril 2024, l'expert judiciaire a rappelé que la société Edeis a dû engager des travaux afin de permettre aux locomotives T7 et T8 de fonctionner, la réhabilitation de la machine T9 restant en cours. Il a évalué les travaux à encore entreprendre sur les locomotives T7 et T8 à 1,260 millions d'euros, les frais déjà engagés pour le maintien en exploitation de ces deux machines à 125.756 euros, et les frais à engager pour la locomotive T9 à 1.182.434,39 euros, ces sommes étant HT, soit un total provisoire des préjudices subis par la société Edeis de 2.568.190,39 euros HT.

53. Il en résulte que l'appelante justifie d'une créance non sérieusement contestable pour ce dernier montant, au sens de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le surplus de sa demande portant sur un total de 3.948.190,39 euros HT étant à parfaire.

54. L'ordonnance entreprise sera ainsi infirmée en ce que le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé. Statuant à nouveau, la cour condamnera ainsi la société Chubb European Groupe SE à payer à la société Edeis la somme de 2.568.190,39 euros HT, outre la TVA au taux de 20 %.

55. S'agissant d'une condamnation au paiement d'une somme d'argent, pouvant être recouvrée dans le cadre de l'exécution forcée, il n'y a pas lieu de l'assortir d'une astreinte.

56. Il n'appartient en outre pas à la cour de prévoir la condamnation de la société Chubb European Groupe SE à supporter les frais d'exécution, y compris concernant les droits proportionnels, s'agissant de demandes éventuelles au présent stade de la procédure.

57. Concernant la demande de dommages et intérêts de la société Edeis fondée sur une résistance abusive de la société Chubb European Groupe SE, la cour constate que l'appelante ne justifie d'aucun préjudice qui découlerait d'une telle résistance. Cette demande sera également rejetée.

58. Succombant devant cet appel, la société Chubb European Groupe SE sera condamnée à payer à la société Edeis la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens des première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l'article 873 alinéa 2 du code de commerce ;

Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à référé,

- rejeté l'ensemble des demandes des parties,

- laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles,

- condamné la société Edeis Ingénierie à payer les entiers dépens ;

Confirme l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions soumises à la cour;

statuant à nouveau ;

Déboute la société Chubb European Groupe SE de l'ensemble de ses prétentions ;

Condamne la société Chubb European Groupe SE à payer à la société Edeis Ingénierie la somme provisionnelle de 2.568.190,39 euros HT, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

Condamne également la société Chubb European Groupe SE à payer à la société Edeis Ingénierie la TVA portant sur la somme de 2.568.190,39 euros HT, au taux de 20 % ;

Condamne la société Chubb European Groupe SE à payer à la société Edeis Ingénierie la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Chubb European Groupe SE aux dépens exposés en première instance et en cause d'appel ;

Déboute la société Edeis Ingénierie du surplus de ses demandes ;

Signé par Mme FIGUET, Présidente et par Mme BERTOLO, Greffière présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

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