CA Chambéry, chbre soc. prud'hommes, 4 septembre 2025, n° 23/01830
CHAMBÉRY
Arrêt
Autre
CS25/245
COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2025
N° RG 23/01830 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HMMA
S.A. GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE Caisse Régionale d'assurance Mutuelle Agricole de Rhône Alpes Auvergne, société anonyme régie par le Code des Assurances, représentée par ses dirigeants légaux en exercice
C/ [L] [D] [S] [X]
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 28 Novembre 2023, RG F 22/00096
APPELANTE :
S.A. GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE Caisse Régionale d'assurance Mutuelle Agricole de Rhône Alpes Auvergne, société anonyme régie par le Code des Assurances, représentée par ses dirigeants légaux en exercice
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Michel TALLENT de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
Madame [L] [D] [S] [X]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentant : Me Audrey BOLLONJEON de la SELARL BOLLONJEON, avocat au barreau de CHAMBERY - Représentant : Me Audrey GROS de la SCP JURI SOCIAL, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 15 mai 2025 par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente de la Chambre Sociale, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Madame Laëtitia BOURACHOT, Conseillère, assisté de Monsieur Bertrand ASSAILLY, greffier, lors des débats,
Et lors du délibéré par :
Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Laëtitia BOURACHOT, Conseillère,
********
Exposé du litige
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne comprend plus de 11 salariés.
Mme [L] [X] a été embauchée à compter du 14 août 2007 par la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne en qualité de conseillère commerciale en contrat à durée indéterminée du 19 juillet 2007.
Par avenant du 1er février 2010, elle a été employée comme chef des ventes du service commercial urbain d'[Localité 6] et soumise à un forfait annuel en jours à hauteur de 203 jours.
Par avenant du 1er mars 2012, Mme [L] [X] a été employée comme chef des ventes du service commercial Chablais Genevois.
Mme [L] [X] a fait l'objet d'un arrêt de travail entre le 02 novembre 2015 et le 03 avril 2016. Elle a repris son activité à temps partiel thérapeutique le 04 avril 2016 et ce jusqu'au 13 janvier 2017. Elle a ensuite repris son activité à temps plein, le médecin du travail préconisant l'exercice de son activité à hauteur de 4 demi-journées par semaine en télétravail.
Mme [L] [X] a fait l'objet d'un arrêt de travail non professionnel du 25 octobre 2019 au 26 juin 2020. Elle a alors repris son activité à temps partiel thérapeutique à hauteur de 40 % jusqu'au 19 février 2021.
Mme [L] [X] a fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail à compter du 20 février 2021 et jusqu'au 25 juillet 2021.
Le 5 mars 2021, Mme [L] [X] a été reconnue travailleur handicapé.
À compter du 26 juillet 2021, elle a repris le travail à temps partiel thérapeutique.
Mme [L] [X] a fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail à compter du 11 octobre 2021 et jusqu'au 30 novembre 2021.
Le 1er décembre 2021, le médecin du travail a déclaré Mme [L] [X] inapte à son poste et a expressément indiqué que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Par courrier envoyé en recommandé avec demande d'accusé réception du 16 décembre 2021, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a convoqué Mme [L] [X] à un entretien préalable fixé au 4 janvier 2022.
Par courrier envoyé en recommandé avec demande d'accusé réception en date du 07 janvier 2022, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a notifié à Mme [L] [X] son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Mme [L] [X] a saisi le conseil des prud'hommes d'[Localité 7] en date du 14 juin 2022 aux fins de nullité du licenciement et de paiement des dommages et intérêts afférents ainsi que des dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral, de la violation de l'obligation de sécurité et de la discrimination dont elle a fait l'objet.
Par jugement du 28 novembre 2023, le conseil des prud'hommes d'[Localité 7] a :
- débouté Mme [L] [X] de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la discrimination,
- condamné la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 25 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention,
- jugé que le licenciement n'est pas qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouté Mme [L] [X] de sa demande d'indemnité à ce titre,
- dit que l'exécution du contrat de travail est entachée de nombreuses maladresses qui ne peuvent pas être qualifiées de déloyales, ces maladresses ont nécessairement causées un préjudice à Mme [L] [X] qu'il y a lieu de réparer,
- condamné la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à verser à Mme [L] [X] la somme de 12 500 euros au titre des dommages et intérêts pour mauvaise gestion du contrat de travail,
- condamné la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- mis les dépens à la charge de la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne.
La décision a été notifiée aux parties les 04 et 05 décembre 2025. La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a interjeté appel par le réseau privé virtuel des avocats le 27 décembre 2023.
Par conclusions notifiées le 14 juin 2025, Mme [L] [X] a formé un appel incident.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 mars 2024, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne demande à la cour d'appel de :
- réformer le jugement en ce qu'il a considéré que la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a manqué à son obligation de prévention, a commis des maladresses qualifiées de déloyales et a alloué à Mme [L] [X] des dommages-intérêts à hauteur de 25 000 € et 12'500 €,
- réformer le jugement ce qu'il a alloué à Mme [L] [X] une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- statuant à nouveau, juger que la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne n'a commis aucun manquement à l'obligation de prévention et de sécurité à l'exécution de bonne foi du contrat travail,
- débouter Mme [L] [X] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme [L] [X] à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que tous les dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 13 juin 2025, Mme [L] [X] demande à la cour d'appel de :
- infirmer le conseil de prud'hommes d'Annemasse du 28 novembre 2023 en ce qu'il a :
- débouté Mme [L] [X] de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la discrimination,
- débouté Mme [L] [X] de ses demandes au titre de la nullité du licenciement et des demandes afférentes (indemnité compensatrice de préavis et dommages-intérêts),
- jugé que le licenciement n'est pas qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouté Mme [L] [X] de sa demande d'indemnité à ce titre,
- statuant à nouveau, dire qu'elle a été victime de harcèlement moral et condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 25'000 € nets de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
- dire qu'elle a été victime de discrimination en raison de son état de santé de son handicap et condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 25'000 € nets de dommages-intérêts en raison de la discrimination,
- dire que l'inaptitude de Mme [L] [X] a pour origine un harcèlement moral et un comportement discriminatoire de l'employeur,
- dire le licenciement nul et condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 75'041,82 euros à titre de dommages-intérêts,
- à titre subsidiaire, dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 47'943,39 € de dommages-intérêts,
- en tout état de cause, condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 16 675 96 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis 1 667,57 € bruts à titre de congés payés afférents,
- fixer le salaire moyen 4 168,99 €,
- juger que les condamnations indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la notification de la décision à intervenir et que les condamnations salariales porteront intérêt au taux légal à la saisine du conseil de prud'hommes,
- condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 3 500 € de l'article 700 du code de procédure civile pour la phase de la procédure d'appel,
- condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne aux dépens de la procédure d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
La clôture a été fixée au 16 avril 2025. A l'audience qui s'est tenue le 15 mai 2025, les parties ont été avisées que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 04 septembre 2025.
SUR QUOI :
À titre liminaire, il sera rappelé que la cour d'appel n'a pas à statuer sur la demande tendant à voir fixer la moyenne des salaires, une telle demande ne constituant pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais un moyen de fait à l'appui des prétentions présentées.
Sur le harcèlement moral :
Moyens des parties :
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne affirme que la salariée se contente d'alléguer avoir subi un harcèlement moral en raison d'une mise au placard et d'une modification unilatérale de ses fonctions sans satisfaire à l'obligation probatoire qui pèse sur la demanderesse, que les attestations versées n'ont pas de valeur dans la mesure où les deux salariés qui témoignent ont quitté l'établissement où exerçait Mme [L] [X] avant 2015, soit avant la date à laquelle Mme [L] [X] invoque une détérioration de ses conditions de travail en raison d'une surcharge, que les autres attestations font état de considérations générales, que lors de ses entretiens annuels Mme [L] [X] n'a jamais fait état d'une charge de travail disproportionnée ni d'une quelconque difficulté rencontrée dans l'exercice de son activité professionnelle, que les préconisations du médecin du travail ont été respectées et que le médecin du travail a même souligné le soutien apporté par la supérieure hiérarchique, que les arrêts de travail n'ont pas été considérés comme étant en lien avec la réalisation de la prestation de travail.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne expose que les problèmes de santé de Mme [L] [X] ont entraîné son retour dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique à 40 % à compter du mois de juin 2020, qu'il a été nécessaire de définir et d'alléger ses missions en conséquence, que, dans un constant dialogue avec le médecin du travail et la salariée, plusieurs solutions ont été envisagées, notamment en tenant compte des souhaits et attentes formulés par Mme [L] [X] elle-même dans le cadre de sa mobilité fonctionnelle à l'occasion de l'entretien annuel intervenu le 26 avril 2018, que la redéfinition de ses fonctions a été mise en 'uvre avec l'accord de la salariée, que la perte de rémunération variable a même été compensée.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne soutient qu'il n'existe aucun lien entre la dégradation de l'état de santé de la salariée et ses conditions de travail, que le certificat médical établi par le psychiatre ne fait que reprendre les déclarations de sa patiente à ce sujet, que c'est la même chose s'agissant de l'attestation de la psychologue, que le médecin du travail n'a retenu aucun lien, que l'état d'épuisement professionnel n'est pas établi.
Mme [L] [X] expose pour sa part que le harcèlement moral dont elle a été victime se manifeste par une augmentation de sa charge de travail, avec notamment des remplacements à effectuer en plus de sa propre activité alors qu'elle rentrait d'arrêt de travail, des pressions régulières et fortes en particulier pour qu'elle ne se fasse plus de télétravail, malgré les préconisations du médecin du travail, que cela a conduit à des arrêts de travail nombreux entre 2016 et 2019. Elle indique ne pas s'être plainte par peur de perdre son emploi.
Mme [L] [X] affirme qu'elle occupait un poste de responsable de secteur mais qu'à son retour d'arrêt maladie alors qu'elle se trouvait en mi-temps thérapeutique, le secteur du Genevois lui a été retiré et que ses nouvelles missions ont été circonscrites au coaching des collaborateurs du secteur et des nouveaux managers, que le poste de responsable de secteur a été ensuite attribué à d'autres personnes, qu'elle avait été jugée apte par le médecin à reprendre son poste et que l'employeur n'a pas contesté cet avis, que ses missions n'auraient pas dû varier, seul son temps de travail se trouvait diminué, qu'à son retour en janvier 2021 plus aucune mission ne lui était confiée, que la mission de créer une bibliothèque pour les managers n'était accompagnée d'aucun moyen ni d'aucune directive, qu'elle a découvert sur son bulletin de salaire que son statut avait changé, devenant chargée de mission, qu'elle a refusé la régularisation proposée par la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne, que sa rétrogradation est le résultat d'une décision unilatérale de la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne. Elle ajoute avoir parallèlement subi une baisse de rémunération, précisant que le manque de considération a conduit à un nouvel arrêt de travail.
Mme [L] [X] indique que les certificats médicaux font état de l'épuisement professionnel qu'elle présente depuis 2018, que le contenu du dossier médical renseigne aussi sur le fait que les différents arrêts de travail ayant conduit à l'inaptitude sont en lien avec son épuisement professionnel, que les agissements de son employeur sont incontestablement à l'origine de la dégradation de son état de santé ayant entraîné l'avis d'inaptitude.
Sur ce,
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fût-ce sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.
Suivant les dispositions de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral ; dans l'affirmative, il appartient ensuite à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse ne dispense pas celle-ci d'établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu'elle présente au soutien de l'allégation selon laquelle elle subirait un harcèlement moral au travail.
En l'espèce, Mme [L] [X] invoque deux types d'agissements fautifs constituant le harcèlement moral et qu'il convient d'envisager successivement:
* augmentation de la charge de travail accompagnée de pressions
Mme [L] [X] verse de nombreuses attestations faisant état d'une charge importante de travail pour les managers et de pressions exercées par la hiérarchie. Toutefois, la plupart des attestations ne contiennent que des affirmations non étayées. Le fait que des comptes-rendus hebdomadaires voire pluri-hebdomadaires soient demandés au manager ne suffit pas en lui-même à établir l'existence de pressions et relève seulement de l'exercice de son pouvoir de direction par l'employeur. De même, les comptes-rendus des questions posées par les délégués du personnel en septembre 2018 et février 2019 ne font pas état d'une charge de travail anormale des responsables de secteur, les délégués du personnel souhaitant même que ces derniers participent à l'accueil du public dans les agences qui présentent un taux de vacance de postes important. Le seul élément évoqué est relatif au fait que les propos de la direction concernant les managers sont dénués de bienveillance et de soutien au motif qu'il est reproché un 'management au galon' de type 'caporaux chefs'. Or, rien n'établit que des critiques de ce type aient été adressées à Mme [L] [X], dont les entretiens d'évaluation étaient positifs. En outre, il est normal que la société dispose d'un regard sur la façon dont les responsables de secteur dirigent leurs équipes.
S'agissant des pressions exercées pour qu'elle renonce au télétravail, Mme [L] [X] verse uniquement son dossier à la médecine du travail qui fait état de ses déclarations sur le fait qu'elle a du mal à télétravailler au regard du nombre de réunions et qu'elle a cessé de télétravailler à compter d'avril 2018. Il ne s'agit que de ses propres déclarations qui ne sont pas corroborées par d'autres éléments objectifs. En outre, elle ne fait pas état de pression pour qu'elle renonce à télétravailler et le fait que l'employeur ait avisé dès le début de la mesure le médecin du travail que la situation ne pouvait pas se pérenniser au regard du poste occupé par Mme [L] [X] et des contraintes que cela imposait n'établit pas davantage que des pressions aient pu être exercées sur elle à ce titre.
Selon plusieurs attestations, Mme [L] [X] devait assister aux assemblées générales se déroulant entre mars et mai de chaque année ainsi qu'à différents événements pour développer son secteur, notamment sur ses soirées et ses week-ends, que sa présence est ainsi attestée par plusieurs témoins aux événements régulièrement organisés par l'association des entrepreneurs de [Localité 9] en 2018 et 2019, ce qui représente quelques événements dans l'année. Au regard des diverses attestations versées, cela ressort de l'activité normale d'un responsable de secteur. La seule participation à ses événements ne justifie pas l'existence d'une charge excessive de travail.
Il ressort de courriels et attestations produits qu'au cours des mois de septembre et octobre 2019, Mme [L] [X] a assumé, en plus de ses missions habituelles, l'intérim de la fonction de responsable du secteur Mont Blanc. Il apparaît que par le passé elle avait déjà vu son périmètre d'activité élargi lors de la restructuration de 2014 ayant conduit à créer un secteur multi-marchés. En outre, l'évaluation individuelle effectuée en mars 2019 fait état que l'année 2018 a été éprouvante, selon son supérieur hiérarchique, avec de nombreux départs ou suspensions de contrat de travail sur son secteur. Cela ressort également de plusieurs attestations. À cette époque, la salariée était déjà fragilisée sur le plan médical et devait à ce titre bénéficier de quatre demi-journées de télétravail par semaine jusqu'en fin d'année 2019.
Néanmoins, cette hausse d'activité ne peut s'analyser en une surcharge de travail alors que dans le même temps, c'est à sa demande qu'à compter de 2018, elle s'est vue confier de nouvelles attributions complémentaires concernant l'accompagnement des nouveaux chefs de secteur, pour un temps de travail supplémentaire de quatre jours par mois selon l'évaluation de l'employeur, en plus de ses missions actuelles. Dans son évaluation de 2019, elle a même remercié son employeur pour la confiance accordée dans le cadre de ses nouvelles fonctions, sans faire état d'une difficulté quelconque au regard des différentes tâches qui lui était confiées. Si elle avait été en surcharge de travail, elle n'aurait pas sollicité de nouvelles missions complémentaires.
En conséquence, il n'est pas établi l'existence de pressions et d'une surcharge de travail.
* modification de son contrat de travail
Selon le dernier avenant conclu le 1er mars 2012, Mme [L] [X] est employée comme chef des ventes classe 5. À partir du 1er avril 2019, son salaire de fonction annuel a été fixé à la somme de 40'361,62 euros. Il résulte des différentes pièces qu'elle exerce alors la fonction de responsable du secteur Genevois.
Or, il ressort de deux courriels des 18 décembre 2020 et 29 août 2022 de M. [O] [K] à la direction de la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne que Mme [L] [X] n'exerce plus comme responsable de secteur à compter de son retour le 29 juin 2020, qu'elle s'occupe seulement de l'animation et le vit mal. Ceci est également évoqué par l'intéressée dans un courriel du 07 janvier 2021 dans lequel elle se plaint que ses nouvelles fonctions ne sont pas clairement définies et qu'on lui a retiré de manière unilatérale ses précédentes fonctions.
En outre, il ressort de plusieurs échanges de courriels et documents internes à la société que le secteur du genevois dont elle était la responsable a été supprimé à l'automne 2020 et réparti entre d'autres secteurs de la Haute-Savoie, que des tensions sont nées concernant la définition des nouvelles fonctions confiées à Mme [L] [X], lesquelles restaient à définir en dehors semble-t-il de l'élaboration d'une bibliothèque des savoirs-faire à destination des managers et des chargés de clientèle.
Il apparaît également à la lecture des échanges de courriels qu'un avenant à son contrat de travail a été proposé à Mme [L] [X] en février 2021 qu'elle a refusé de signer. Cependant, à compter de février 2021 ses bulletins de salaire indique qu'elle est désormais chargée de missions.
S'agissant de sa rémunération, elle a reçu le 17 février 2021 un courrier lui indiquant la modification de la structure de sa rémunération avec l'allocation d'une prime différentielle de 6 000 euros par an en raison de l'emploi occupé. Par ailleurs, il résulte des bulletins de salaire qu'à compter du mois de février 2021 la salariée n'a plus perçu la rémunération variable de 367 €, ni la rémunération forfaitaire de performance de 500 € et que cette perte n'a été que partiellement compensée par l'allocation d'une prime différentielle d'un montant de 500 € entre février et avril 2021 puis d'un montant de 834 € à compter du mois de mai 2021.
En conséquence, Mme [L] [X] démontre l'existence d'une modification de son contrat de travail se traduisant par un retrait de ses missions à compter du mois de juin 2020, officialisé à l'automne 2020, puis par un changement de statut et une baisse de rémunération à compter de février 2021.
Les faits susvisés établis pris dans leur ensemble, tant par leur durée, leur répétition et leur enchaînement sont de nature à entraîner une dégradation des conditions de travail de la salariée concernée et une altération de sa santé et sont ainsi susceptibles de constituer des faits de harcèlement moral.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne met en avant le fait que la modification du contrat de travail de Mme [L] [X] est objectivement justifiée par l'état de santé de la salariée nécessitant son reclassement et par l'acceptation de cette dernière d'une modification de ses missions.
Or, d'une part, bien que le médecin du travail ait préconisé une reprise du travail en juin 2020 à temps partiel à hauteur de 40 %, il a déclaré Mme [L] [X] apte à continuer d'assurer la mission de responsable de secteur. Cette décision n'a pas été contestée par l'employeur qui ne démontre donc pas que le changement de poste était rendu nécessaire par la décision du médecin du travail.
D'autre part, si Mme [L] [X] a accepté en 2018 une mission d'accompagnement des nouveaux chefs de secteur, c'est en complément de son activité principale de responsable de secteur et la modification globale de son activité n'a jamais été acceptée par la salariée, qui s'en est plainte par un courriel du 16 janvier 2021, a refusé de signer un avenant concernant ce changement de fonction et a réitéré son opposition dans un courrier d'octobre 2021.
Dès lors, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne ne justifie d'aucune raison objective de nature à expliquer les agissements répétés à l'encontre de la salariée. Mme [L] [X] a par conséquent été victime de harcèlement moral.
La salariée verse aux débats les attestations de son médecin psychiatre et de sa psychologue indiquant qu'elle est suivie depuis octobre 2018 pour épuisement professionnel. Si ces professionnels se fondent nécessairement sur les déclarations de la patiente, ils sont à même de poser le diagnostic d'un épuisement professionnel et des répercussions sur la santé de la patiente. De plus, il résulte du dossier de la médecine du travail que les différents arrêts maladie depuis 2016 sont liés à un épuisement professionnel, il est fait état d'une hospitalisation et d'une médication en plus du suivi thérapeutique régulier mis en place. Enfin, l'état psychique de Mme [L] [X] est également attesté par plusieurs personnes qui indiquent que son état de santé se dégradait qu'elle semblait surmenée et épuisée, victime de stress.
En particulier, s'agissant de la période à laquelle a débuté le harcèlement, il a été souligné par plusieurs personnes qu'elle vivait mal son retour dans l'entreprise à compter de juin 2020, date à laquelle ses missions principales lui ont été retirées. Il ressort du dossier de la médecine du travail, que dès le 07 juillet 2020, le médecin du travail lui a conseillé de consulter la psychologue du travail, ce qu'elle fera. Selon le médecin généraliste, elle relevait d'une hospitalisation en novembre 2020, ce qu'elle a refusée. Ceci est intervenu quelques jours après l'émergence de tensions au sein de la société relatives à ses missions d'assistance et l'officialisation du retrait de ses missions de responsable de secteur. Enfin, Mme [L] [X] a fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail le 19 février 2021, juste après la notification de son changement de rémunération.
Au regard de la concordance des dates, de la nature des troubles présentés et de l'absence de toute autre explication y compris par les professionnels de santé, il apparaît que la dégradation de l'état de santé de Mme [L] [X] est en lien avec le harcèlement moral qu'elle a subi.
Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement du conseil des prud'hommes d'[Localité 7] et de condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision, en vertu de l'article 1231-7 du code civil.
Sur la discrimination :
Moyens des parties :
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne conteste le fait que la réorganisation des fonctions exercées par Mme [L] [X] à son retour d'arrêt maladie en juin 2020 soit discriminatoire et indique que les restrictions objectives formulées par le médecin du travail imposaient une adaptation des missions de l'intéressé, qui correspondait de surcroît pleinement aux souhaits et attentes de mobilité fonctionnelle de la salariée et ce sans perte de rémunération.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne indique qu'elle ne pouvait donner suite aux interrogations formulées le 14 octobre 2021 par Mme [L] [X] qui se trouvait alors en arrêt maladie, qu'aucune mesure ne pouvait être prise pour permettre à Mme [L] [X] de conserver son emploi alors que le médecin du travail l'a déclarée inapte et a retenu une impossibilité de reclassement.
Mme [L] [X] expose qu'elle a fait l'objet d'une discrimination en raison de son état de santé à son retour d'arrêt de travail en juin 2020 dans la mesure où elle n'a pas retrouvé les missions qui étaient les siennes en qualité de responsable de secteur, missions qui ont été dévolues à un autre salarié, que son contrat de travail a été unilatéralement modifié, entraînant une rétrogradation et une baisse de sa rémunération. Elle affirme que la façon dont elle a été traitée à son retour d'arrêt maladie a eu des conséquences sur son état de santé.
En outre, Mme [L] [X] explique qu'elle a le statut de travailleur handicapé, ce dont la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne était informée depuis le 7 avril 2021, que néanmoins aucune mesure n'a été prise pour qu'elle puisse conserver son emploi, que le refus de prendre les mesures prévues à l'article L.5213-6 peut constituer une discrimination, ce texte instituant par ce biais une présomption de discrimination liée à la situation de handicap du salarié, que l'employeur ne prouve pas que l'absence de prise de mesures appropriées était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Sur ce,
1. Discrimination en raison de l'état de santé :
Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi no 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».
En vertu de l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, il a été mis en évidence que Mme [L] [X] s'est vue retirer son poste de responsable de secteur à son retour d'arrêt maladie le 29 juin 2020 et que son contrat a été modifié unilatéralement avec perte de rémunération à compter de février 2021. Ces éléments de fait avérés laissent supposer l'existence d'une discrimination directe et il incombe donc à la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Or, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne reconnaît que l'évolution des missions confiées à Mme [L] [X] et la modification de son contrat de travail sont justifiées par le fait que cette dernière ne pouvait pas reprendre une activité à temps plein en raison de son état de santé. Il s'agit d'une mesure discriminatoire, en l'absence de déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, seule une baisse d'activité devait être opérée selon les préconisations médicales. De plus, il a été précédemment démontré que Mme [L] [X] n'a pas consenti à la modification de son contrat de travail. En conséquent, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne ne justifie pas d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination relative à l'état de santé de la salariée.
2. Discrimination en raison du handicap :
Aux termes de l'article L.5213-6 du code du travail, « afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l'article L.5212-13 d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.
L'employeur s'assure que les logiciels installés sur le poste de travail des personnes handicapées et nécessaires à leur exercice professionnel sont accessibles. Il s'assure également que le poste de travail des personnes handicapées est accessible en télétravail.
En cas de changement d'employeur, la conservation des équipements contribuant à l'adaptation du poste de travail des travailleurs handicapés, lorsqu'il comporte les mêmes caractéristiques dans la nouvelle entreprise, peut être prévue par convention entre les deux entreprises concernées. Cette convention peut également être conclue entre une entreprise privée et un employeur public au sens de l'article L.131-8 du code général de la fonction publique.
Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en 'uvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L.5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur.
Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L.1133-3 ».
Le juge saisi d'une action au titre de la discrimination en raison du handicap doit, en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination, tels que le refus, même implicite, de l'employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d'aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le CSE, ou son refus d'accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d'aide à l'emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures ; il appartient, en second lieu, au juge de rechercher si l'employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap tenant à l'impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l'entreprise des charges consécutives à leur mise en 'uvre (Soc. 15 mai 2024, n°22-11.652).
En l'espèce, Mme [L] [X] s'est vue reconnaître le statut de travailleur handicapé par décision du 2 mars 2021 qu'elle a communiquée à son employeur par courriel du 7 avril 2021. Entre cette date et la déclaration d'inaptitude du 1er décembre 2021, Mme [L] [X] a travaillé à temps partiel à hauteur de 40 % entre le 25 juillet 2021 et le 11 octobre 2021, conformément aux préconisations du médecin du travail. En outre, il apparaît que sur les deux mois durant lesquels elle a travaillé, elle a posé trois semaines de congés. Sur le reste de la période, elle était en arrêt de travail. Pendant la période d'exécution du contrat de travail, elle a vu à deux reprises le médecin du travail le 27 juillet dans le cadre de la visite de reprise ainsi que le 8 octobre. Elle a également été reçue par ses supérieurs hiérarchiques le 20 septembre 2021, s'agissant de l'adaptation de son poste de travail. La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne démontre ainsi avoir respecté les préconisations du médecin du travail et avoir permis un suivi régulier par la médecine du travail.
Néanmoins, alors que la salariée avant son arrêt maladie avait fait part de son mal-être face au retrait de ses missions de responsable de secteur et à l'indétermination de ses nouvelles missions et de son refus de signer un avenant à son contrat de travail, aucune disposition n'a été prise par l'employeur qui n'a pas davantage défini les missions confiées à la salariée, ou tiré les conséquences de son refus de modification de son contrat de travail, ni consulté un organisme d'aide à l'emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de mesures appropriées à son handicap.
En conséquence, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a implicitement refusé de prendre les mesures nécessaires à l'adaptation du poste de Mme [L] [X] à son handicap sans justifier d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En conclusion, il convient d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse en ce qu'il a débouté Mme [L] [X] de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination. En réparation du préjudice moral subi par Mme [L] [X] du fait de la discrimination, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne sera condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Sur la violation de l'obligation de sécurité :
Moyens des parties :
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne expose que la décision rendue par le conseil des prud'hommes est incompréhensible en ce que le juge de première instance a retenu le fait que l'employeur avait respecté les préconisations du médecin du travail, que la seule attestation de M. [K] indiquant que Mme [L] [X] vivait mal son retour fait état d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et que le reproche est dénué de tout sérieux. Elle conteste toute augmentation de la charge de travail de la salariée notamment au cours de l'année 2019.
Mme [L] [X] soutient que son employeur avait connaissance de la fragilité de son état depuis 2018, que cependant il n'a cessé de la soumettre à une charge de travail toujours plus forte, ce qui a entraîné la dégradation de son état de santé et son placement en arrêt maladie, qu'il est démontré que la société a manqué à son obligation de prévention en méconnaissant la préconisation formulée par le médecin du travail relative à une aptitude à exercer les fonctions de responsable de secteur avec obligation de quatre demi-journées de télétravail, qu'aucune mesure n'a été prise pour faire cesser l'état de souffrance au travail qu'elle présentait et qui était connu et apparent pour son employeur.
Sur ce,
En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, celui-ci doit protéger la dignité et la santé mentale des salariés. L'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité en démontrant qu'il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail ou qu'il ne pouvait anticiper le risque.
En l'espèce, entre 2016 et 2020, le médecin du travail a formulé plusieurs contre-indications dans le cadre d'avis d'aptitude rendus soit à l'occasion de visites de reprise après arrêt maladie, soit sur sa propre initiative dans le cadre du suivi de Mme [L] [X].
Ainsi, à plusieurs reprises entre le 23 décembre 2016 et le 5 juin 2019, le médecin du travail a préconisé la mise en place d'un travail à domicile à raison de quatre demi-journées par semaine. Dès janvier 2017, la direction des ressources humaines de la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne écrivait au médecin du travail pour lui indiquer que la mise en place d'un télétravail ne pouvait pas être envisageable de façon pérenne compte tenu de la nature de l'emploi et demandait une limitation dans le temps de la durée de la contre-indication ou la mise en place de la procédure d'inaptitude avec le reclassement. Pour autant, elle n'a pas contesté les avis rendus par le médecin du travail. La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne était donc tenue de respecter les préconisations du médecin du travail, conformément à l'article L.4624-6 du code du travail.
Selon le dossier tenu par la médecine du travail, le temps de télétravail pour effectuer les tâches administratives n'a pas été forcément respecté, la salariée indiquant avoir trop de réunions et ne plus télétravailler à compter du mois d'avril 2018.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne, qui a la charge de la preuve, verse l'attestation de Mme [E] [F], supérieure hiérarchique de Mme [L] [X], qui indique que les préconisations du médecin du travail ont été respectées, qu'elle a été vigilante à ce que les préconisations concernant le télétravail soient respectées par Mme [L] [X], qui pouvait facilement se mettre dans une situation de fragilité en minimisant son état de santé. Aucun autre élément venant corroborer cette attestation n'est produit. Cette attestation est donc insuffisante à justifier du respect par l'employeur de son obligation d'adapter le poste de travail conformément aux préconisations du médecin du travail.
Par ailleurs, alors que les problèmes de santé de Mme [L] [X] étaient connus de son employeur depuis plusieurs années, que ses supérieurs hiérarchiques avaient connaissance de son mal-être à la suite du retrait de ses fonctions de responsable de secteur en juin 2020, aucune mesure n'a été prise pour faire cesser la souffrance au travail de la salariée malgré son refus de signer un avenant consacrant la modification de son contrat de travail.
Il est donc établi que la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a manqué à ses obligations en matière de santé et de sécurité. Il convient d'allouer à Mme [L] [X] en réparation de son préjudice la somme de 1 500 euros de dommages et intérêts.
Sur l'exécution déloyale du contrat :
Moyens des parties :
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne indique que le conseil des prud'hommes a fait droit à la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat sans aucune motivation, que les négligences et maladresses qui lui sont reprochées ne sont nullement caractérisées, que l'adaptation du poste de travail pour une reprise à temps partiel thérapeutique de 40 % imposait une modification des missions confiées à la salariée, que le fait que la salariée ne se soit pas sentie bien à son retour dans l'entreprise n'est pas en soi la preuve du manquement de l'employeur ou d'une mauvaise exécution du contrat mais constitue le seul ressenti de la salariée.
Mme [L] [X] expose que la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne n'a pas exécuté de manière loyale le contrat de travail dès lors qu'elle a retiré ses responsabilités à la salariée lors de son retour d'arrêt de travail en appliquant d'office une modification de son poste de travail, emportant une rétrogradation et une baisse de rémunération, que cela des répercussions sur son état de santé.
Sur ce,
En vertu de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi. L'employeur doit respecter les dispositions du contrat de travail et fournir au salarié le travail prévu et les moyens nécessaires à son exécution en lui payant le salaire convenu.
En l'espèce, la modification unilatérale du contrat de travail de Mme [L] [X] a été démontrée. Ceci caractérise une exécution déloyale du contrat de travail. Toutefois, la salariée n'invoque aucun préjudice distinct du préjudice moral précédemment réparé au titre de la discrimination, du harcèlement moral et du manquement à l'obligation de sécurité. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement du conseil des prud'hommes et de débouter Mme [L] [X] de sa demande à ce titre.
Sur le licenciement :
Moyens des parties :
Mme [L] [X] indique que les manquements et le comportement de son employeur, constitutifs de harcèlement moral et de discrimination, étant à l'origine de l'inaptitude constatée par le médecin du travail, le licenciement prononcé par la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne est nul, d'autant qu'aucune mesure n'a été prise pour lui permettre de conserver son emploi alors qu'elle avait le statut de travailleur handicapé.
À titre subsidiaire, elle indique que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où l'inaptitude est consécutive au manquement de son employeur à l'obligation de sécurité.
Mme [L] [X] soutient que la perte de son emploi lui a nécessairement causé un préjudice important, qu'elle justifie d'une ancienneté de plus de 13 ans, qu'elle a retrouvé un emploi le 28 février 2022 à temps partiel d'aide aux élèves handicapés dans une école, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, qu'elle a subi une perte conséquente de salaire, qu'elle assume seule la charge de sa fille âgée de 15 ans.
Elle ajoute que l'inaptitude ayant un caractère professionnel, elle est fondée à obtenir l'indemnité compensatrice de préavis bien qu'elle n'ait pas été en mesure d'effectuer celui-ci et que la requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvre également droit au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis.
Sur ce,
1. La nullité du licenciement :
En vertu de l'article L. 1132-4 du code du travail, les licenciements prononcés en violation du principe de non-discrimination sont annulés.
En application des dispositions de l'article L.1152-3 du code du travail, « toute rupture du contrat de travail intervenu en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition, tout acte contraire est nul ».
Le licenciement d'un salarié victime de harcèlement moral est nul dès lors qu'il présente un lien avec des faits de harcèlement : soit que le licenciement trouve directement son origine dans ces faits ou leur dénonciation, soit que le licenciement soit dû la dégradation de l'état de santé du salarié rendant impossible son maintien dans l'entreprise. (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n°09-69.444).
En l'espèce, il ressort des éléments médicaux précédemment évoqués que l'inaptitude prononcée par le médecin du travail a pour origine la dégradation des conditions de travail de la salariée consécutive au harcèlement moral et à la discrimination dont elle a fait l'objet.
En conséquence, le licenciement doit être annulé. Le jugement du conseil des prud'hommes sera infirmé sur ce point.
2. Les conséquences du licenciement :
a. L'indemnité de préavis :
Lorsque l'inaptitude trouve son origine dans le harcèlement de l'employeur, sont dus au salariés au titre de ces droits des dommages et intérêts pour licenciement illicite ainsi que l'indemnité de préavis et les droits à congés payés afférents (Soc., 27 mai 2020, pourvoi n° 18-25.193).
En l'espèce, il a été mis en évidence que l'inaptitude médicale est constitutive au harcèlement moral et à la discrimination qu'a subi Mme [L] [X]. Elle est donc en droit d'obtenir l'indemnité légale de préavis. Le jugement de première instance sera infirmé sur ce point. Au regard du statut de cadre de Mme [L] [X] et de son ancienneté, le préavis est de trois mois en vertu de l'accord national relatif au statut conventionnel du personnel Groupama du 10 septembre 1999.
Il convient donc de condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 12 506,97 euros, au titre de l'indemnité de préavis, outre 1 250,70 euros au titre des congés payés afférents, outre intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 27 juin 2022, date de la réception de la requête par le défendeur, conformément à l'article 1231-6 du code civil.
b. Les dommages et intérêts :
Aux termes de l'article L.1235-3-1 du code du travail, « l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
1° La violation d'une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits;
5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat;
6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre I du titre I du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle ».
En l'espèce, Mme [L] [X] justifie d'une ancienneté de 14 ans. Au jour du licenciement, elle est âgée de 36 ans. Elle est travailleur handicapé et justifie avoir retrouvé un emploi d'accompagnement des élèves en situation de handicap dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de trois ans du 28 février 2022 au 27 février 2025 pour un salaire mensuel de 996,53 € bruts. Bien qu'elle indique assumer seule la charge de sa fille de 15 ans, elle n'en justifie nullement.
Au regard de ces différents éléments, le jugement déféré sera infirmé et il convient de condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 58 365,86 euros, correspondant à 14 mois de salaire, au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Sur le remboursement des allocations chômage :
Il conviendra, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, (dans version applicable au 1er mai 2008, issue de la loi du 8 août 2016 et applicable au 10 août 2016, issue de la loi du 5 septembre 2018 et applicable au 1er janvier 2019) d'ordonner d'office à l'employeur le remboursement des allocations chômages perçues par le salarié du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, les organismes intéressés n'étant pas intervenus à l'audience et n'ayant pas fait connaître le montant des indemnités versés.
Une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi (France Travail) à la diligence du greffe de la présente juridiction.
Sur l'exécution provisoire :
Le présent arrêt est exécutoire de droit, un éventuel pourvoi en cassation n'étant pas suspensif en application notamment de l'article 1009-1 du code de procédure civile.
Sur les demandes accessoires :
Il convient de confirmer la décision de première instance s'agissant des dépens et frais irrépétibles.
En outre, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [L] [X] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
L'INFIRME pour le surplus dans les limites de l'appel entrepris,
STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de deux mille euros (2 000 euros), à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de trois mille euros (3 000 euros), à titre de dommages et intérêts en réparation des faits de discrimination subis, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de mille cinq cents euros (1 500 euros), à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi à la suite de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
DÉBOUTE Mme [L] [X] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,
DIT que le licenciement notifié à Mme [L] [X] le 07 janvier 2022 est nul,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de douze mille cinq cent six euros et quatre-vingt-dix-sept centimes (12 506,97 euros), au titre de l'indemnité de préavis et la somme de mille deux cent cinquante euros et soixante-dix centimes (1 250,70 euros) au titre des congés payés afférents, outre intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 27 juin 2022,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de cinquante-huit mille trois cent soixante-cinq euros et quatre-vingt-six euros (58 365,86 euros, correspondant à 14 mois de salaire), à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
ORDONNE le remboursement des allocations chômages perçues par le salarié du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, Une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi (France Travail) à la diligence du greffe de la présente juridiction.
DIT qu'à cette fin, une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée à France Travail Rhône-Alpes - [Adresse 8] [Adresse 1], à la diligence du greffe de la présente juridiction,
Y ajoutant,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne aux dépens exposés en appel,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de deux mille euros (2 000 euros), au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 04 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente, et Monsieur Bertrand ASSAILLY,Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente
COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2025
N° RG 23/01830 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HMMA
S.A. GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE Caisse Régionale d'assurance Mutuelle Agricole de Rhône Alpes Auvergne, société anonyme régie par le Code des Assurances, représentée par ses dirigeants légaux en exercice
C/ [L] [D] [S] [X]
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANNEMASSE en date du 28 Novembre 2023, RG F 22/00096
APPELANTE :
S.A. GROUPAMA RHONE ALPES AUVERGNE Caisse Régionale d'assurance Mutuelle Agricole de Rhône Alpes Auvergne, société anonyme régie par le Code des Assurances, représentée par ses dirigeants légaux en exercice
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Michel TALLENT de la SELARL ACTIVE AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
Madame [L] [D] [S] [X]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentant : Me Audrey BOLLONJEON de la SELARL BOLLONJEON, avocat au barreau de CHAMBERY - Représentant : Me Audrey GROS de la SCP JURI SOCIAL, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 15 mai 2025 par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente de la Chambre Sociale, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Madame Laëtitia BOURACHOT, Conseillère, assisté de Monsieur Bertrand ASSAILLY, greffier, lors des débats,
Et lors du délibéré par :
Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,
Madame Laëtitia BOURACHOT, Conseillère,
********
Exposé du litige
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne comprend plus de 11 salariés.
Mme [L] [X] a été embauchée à compter du 14 août 2007 par la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne en qualité de conseillère commerciale en contrat à durée indéterminée du 19 juillet 2007.
Par avenant du 1er février 2010, elle a été employée comme chef des ventes du service commercial urbain d'[Localité 6] et soumise à un forfait annuel en jours à hauteur de 203 jours.
Par avenant du 1er mars 2012, Mme [L] [X] a été employée comme chef des ventes du service commercial Chablais Genevois.
Mme [L] [X] a fait l'objet d'un arrêt de travail entre le 02 novembre 2015 et le 03 avril 2016. Elle a repris son activité à temps partiel thérapeutique le 04 avril 2016 et ce jusqu'au 13 janvier 2017. Elle a ensuite repris son activité à temps plein, le médecin du travail préconisant l'exercice de son activité à hauteur de 4 demi-journées par semaine en télétravail.
Mme [L] [X] a fait l'objet d'un arrêt de travail non professionnel du 25 octobre 2019 au 26 juin 2020. Elle a alors repris son activité à temps partiel thérapeutique à hauteur de 40 % jusqu'au 19 février 2021.
Mme [L] [X] a fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail à compter du 20 février 2021 et jusqu'au 25 juillet 2021.
Le 5 mars 2021, Mme [L] [X] a été reconnue travailleur handicapé.
À compter du 26 juillet 2021, elle a repris le travail à temps partiel thérapeutique.
Mme [L] [X] a fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail à compter du 11 octobre 2021 et jusqu'au 30 novembre 2021.
Le 1er décembre 2021, le médecin du travail a déclaré Mme [L] [X] inapte à son poste et a expressément indiqué que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Par courrier envoyé en recommandé avec demande d'accusé réception du 16 décembre 2021, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a convoqué Mme [L] [X] à un entretien préalable fixé au 4 janvier 2022.
Par courrier envoyé en recommandé avec demande d'accusé réception en date du 07 janvier 2022, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a notifié à Mme [L] [X] son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Mme [L] [X] a saisi le conseil des prud'hommes d'[Localité 7] en date du 14 juin 2022 aux fins de nullité du licenciement et de paiement des dommages et intérêts afférents ainsi que des dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral, de la violation de l'obligation de sécurité et de la discrimination dont elle a fait l'objet.
Par jugement du 28 novembre 2023, le conseil des prud'hommes d'[Localité 7] a :
- débouté Mme [L] [X] de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la discrimination,
- condamné la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 25 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention,
- jugé que le licenciement n'est pas qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouté Mme [L] [X] de sa demande d'indemnité à ce titre,
- dit que l'exécution du contrat de travail est entachée de nombreuses maladresses qui ne peuvent pas être qualifiées de déloyales, ces maladresses ont nécessairement causées un préjudice à Mme [L] [X] qu'il y a lieu de réparer,
- condamné la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à verser à Mme [L] [X] la somme de 12 500 euros au titre des dommages et intérêts pour mauvaise gestion du contrat de travail,
- condamné la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- mis les dépens à la charge de la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne.
La décision a été notifiée aux parties les 04 et 05 décembre 2025. La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a interjeté appel par le réseau privé virtuel des avocats le 27 décembre 2023.
Par conclusions notifiées le 14 juin 2025, Mme [L] [X] a formé un appel incident.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 mars 2024, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne demande à la cour d'appel de :
- réformer le jugement en ce qu'il a considéré que la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a manqué à son obligation de prévention, a commis des maladresses qualifiées de déloyales et a alloué à Mme [L] [X] des dommages-intérêts à hauteur de 25 000 € et 12'500 €,
- réformer le jugement ce qu'il a alloué à Mme [L] [X] une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- statuant à nouveau, juger que la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne n'a commis aucun manquement à l'obligation de prévention et de sécurité à l'exécution de bonne foi du contrat travail,
- débouter Mme [L] [X] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme [L] [X] à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que tous les dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 13 juin 2025, Mme [L] [X] demande à la cour d'appel de :
- infirmer le conseil de prud'hommes d'Annemasse du 28 novembre 2023 en ce qu'il a :
- débouté Mme [L] [X] de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la discrimination,
- débouté Mme [L] [X] de ses demandes au titre de la nullité du licenciement et des demandes afférentes (indemnité compensatrice de préavis et dommages-intérêts),
- jugé que le licenciement n'est pas qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouté Mme [L] [X] de sa demande d'indemnité à ce titre,
- statuant à nouveau, dire qu'elle a été victime de harcèlement moral et condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 25'000 € nets de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
- dire qu'elle a été victime de discrimination en raison de son état de santé de son handicap et condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 25'000 € nets de dommages-intérêts en raison de la discrimination,
- dire que l'inaptitude de Mme [L] [X] a pour origine un harcèlement moral et un comportement discriminatoire de l'employeur,
- dire le licenciement nul et condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 75'041,82 euros à titre de dommages-intérêts,
- à titre subsidiaire, dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 47'943,39 € de dommages-intérêts,
- en tout état de cause, condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 16 675 96 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis 1 667,57 € bruts à titre de congés payés afférents,
- fixer le salaire moyen 4 168,99 €,
- juger que les condamnations indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la notification de la décision à intervenir et que les condamnations salariales porteront intérêt au taux légal à la saisine du conseil de prud'hommes,
- condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 3 500 € de l'article 700 du code de procédure civile pour la phase de la procédure d'appel,
- condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne aux dépens de la procédure d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
La clôture a été fixée au 16 avril 2025. A l'audience qui s'est tenue le 15 mai 2025, les parties ont été avisées que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 04 septembre 2025.
SUR QUOI :
À titre liminaire, il sera rappelé que la cour d'appel n'a pas à statuer sur la demande tendant à voir fixer la moyenne des salaires, une telle demande ne constituant pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais un moyen de fait à l'appui des prétentions présentées.
Sur le harcèlement moral :
Moyens des parties :
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne affirme que la salariée se contente d'alléguer avoir subi un harcèlement moral en raison d'une mise au placard et d'une modification unilatérale de ses fonctions sans satisfaire à l'obligation probatoire qui pèse sur la demanderesse, que les attestations versées n'ont pas de valeur dans la mesure où les deux salariés qui témoignent ont quitté l'établissement où exerçait Mme [L] [X] avant 2015, soit avant la date à laquelle Mme [L] [X] invoque une détérioration de ses conditions de travail en raison d'une surcharge, que les autres attestations font état de considérations générales, que lors de ses entretiens annuels Mme [L] [X] n'a jamais fait état d'une charge de travail disproportionnée ni d'une quelconque difficulté rencontrée dans l'exercice de son activité professionnelle, que les préconisations du médecin du travail ont été respectées et que le médecin du travail a même souligné le soutien apporté par la supérieure hiérarchique, que les arrêts de travail n'ont pas été considérés comme étant en lien avec la réalisation de la prestation de travail.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne expose que les problèmes de santé de Mme [L] [X] ont entraîné son retour dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique à 40 % à compter du mois de juin 2020, qu'il a été nécessaire de définir et d'alléger ses missions en conséquence, que, dans un constant dialogue avec le médecin du travail et la salariée, plusieurs solutions ont été envisagées, notamment en tenant compte des souhaits et attentes formulés par Mme [L] [X] elle-même dans le cadre de sa mobilité fonctionnelle à l'occasion de l'entretien annuel intervenu le 26 avril 2018, que la redéfinition de ses fonctions a été mise en 'uvre avec l'accord de la salariée, que la perte de rémunération variable a même été compensée.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne soutient qu'il n'existe aucun lien entre la dégradation de l'état de santé de la salariée et ses conditions de travail, que le certificat médical établi par le psychiatre ne fait que reprendre les déclarations de sa patiente à ce sujet, que c'est la même chose s'agissant de l'attestation de la psychologue, que le médecin du travail n'a retenu aucun lien, que l'état d'épuisement professionnel n'est pas établi.
Mme [L] [X] expose pour sa part que le harcèlement moral dont elle a été victime se manifeste par une augmentation de sa charge de travail, avec notamment des remplacements à effectuer en plus de sa propre activité alors qu'elle rentrait d'arrêt de travail, des pressions régulières et fortes en particulier pour qu'elle ne se fasse plus de télétravail, malgré les préconisations du médecin du travail, que cela a conduit à des arrêts de travail nombreux entre 2016 et 2019. Elle indique ne pas s'être plainte par peur de perdre son emploi.
Mme [L] [X] affirme qu'elle occupait un poste de responsable de secteur mais qu'à son retour d'arrêt maladie alors qu'elle se trouvait en mi-temps thérapeutique, le secteur du Genevois lui a été retiré et que ses nouvelles missions ont été circonscrites au coaching des collaborateurs du secteur et des nouveaux managers, que le poste de responsable de secteur a été ensuite attribué à d'autres personnes, qu'elle avait été jugée apte par le médecin à reprendre son poste et que l'employeur n'a pas contesté cet avis, que ses missions n'auraient pas dû varier, seul son temps de travail se trouvait diminué, qu'à son retour en janvier 2021 plus aucune mission ne lui était confiée, que la mission de créer une bibliothèque pour les managers n'était accompagnée d'aucun moyen ni d'aucune directive, qu'elle a découvert sur son bulletin de salaire que son statut avait changé, devenant chargée de mission, qu'elle a refusé la régularisation proposée par la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne, que sa rétrogradation est le résultat d'une décision unilatérale de la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne. Elle ajoute avoir parallèlement subi une baisse de rémunération, précisant que le manque de considération a conduit à un nouvel arrêt de travail.
Mme [L] [X] indique que les certificats médicaux font état de l'épuisement professionnel qu'elle présente depuis 2018, que le contenu du dossier médical renseigne aussi sur le fait que les différents arrêts de travail ayant conduit à l'inaptitude sont en lien avec son épuisement professionnel, que les agissements de son employeur sont incontestablement à l'origine de la dégradation de son état de santé ayant entraîné l'avis d'inaptitude.
Sur ce,
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fût-ce sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.
Suivant les dispositions de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral ; dans l'affirmative, il appartient ensuite à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Les règles de preuve plus favorables à la partie demanderesse ne dispense pas celle-ci d'établir la matérialité des éléments de fait précis et concordants qu'elle présente au soutien de l'allégation selon laquelle elle subirait un harcèlement moral au travail.
En l'espèce, Mme [L] [X] invoque deux types d'agissements fautifs constituant le harcèlement moral et qu'il convient d'envisager successivement:
* augmentation de la charge de travail accompagnée de pressions
Mme [L] [X] verse de nombreuses attestations faisant état d'une charge importante de travail pour les managers et de pressions exercées par la hiérarchie. Toutefois, la plupart des attestations ne contiennent que des affirmations non étayées. Le fait que des comptes-rendus hebdomadaires voire pluri-hebdomadaires soient demandés au manager ne suffit pas en lui-même à établir l'existence de pressions et relève seulement de l'exercice de son pouvoir de direction par l'employeur. De même, les comptes-rendus des questions posées par les délégués du personnel en septembre 2018 et février 2019 ne font pas état d'une charge de travail anormale des responsables de secteur, les délégués du personnel souhaitant même que ces derniers participent à l'accueil du public dans les agences qui présentent un taux de vacance de postes important. Le seul élément évoqué est relatif au fait que les propos de la direction concernant les managers sont dénués de bienveillance et de soutien au motif qu'il est reproché un 'management au galon' de type 'caporaux chefs'. Or, rien n'établit que des critiques de ce type aient été adressées à Mme [L] [X], dont les entretiens d'évaluation étaient positifs. En outre, il est normal que la société dispose d'un regard sur la façon dont les responsables de secteur dirigent leurs équipes.
S'agissant des pressions exercées pour qu'elle renonce au télétravail, Mme [L] [X] verse uniquement son dossier à la médecine du travail qui fait état de ses déclarations sur le fait qu'elle a du mal à télétravailler au regard du nombre de réunions et qu'elle a cessé de télétravailler à compter d'avril 2018. Il ne s'agit que de ses propres déclarations qui ne sont pas corroborées par d'autres éléments objectifs. En outre, elle ne fait pas état de pression pour qu'elle renonce à télétravailler et le fait que l'employeur ait avisé dès le début de la mesure le médecin du travail que la situation ne pouvait pas se pérenniser au regard du poste occupé par Mme [L] [X] et des contraintes que cela imposait n'établit pas davantage que des pressions aient pu être exercées sur elle à ce titre.
Selon plusieurs attestations, Mme [L] [X] devait assister aux assemblées générales se déroulant entre mars et mai de chaque année ainsi qu'à différents événements pour développer son secteur, notamment sur ses soirées et ses week-ends, que sa présence est ainsi attestée par plusieurs témoins aux événements régulièrement organisés par l'association des entrepreneurs de [Localité 9] en 2018 et 2019, ce qui représente quelques événements dans l'année. Au regard des diverses attestations versées, cela ressort de l'activité normale d'un responsable de secteur. La seule participation à ses événements ne justifie pas l'existence d'une charge excessive de travail.
Il ressort de courriels et attestations produits qu'au cours des mois de septembre et octobre 2019, Mme [L] [X] a assumé, en plus de ses missions habituelles, l'intérim de la fonction de responsable du secteur Mont Blanc. Il apparaît que par le passé elle avait déjà vu son périmètre d'activité élargi lors de la restructuration de 2014 ayant conduit à créer un secteur multi-marchés. En outre, l'évaluation individuelle effectuée en mars 2019 fait état que l'année 2018 a été éprouvante, selon son supérieur hiérarchique, avec de nombreux départs ou suspensions de contrat de travail sur son secteur. Cela ressort également de plusieurs attestations. À cette époque, la salariée était déjà fragilisée sur le plan médical et devait à ce titre bénéficier de quatre demi-journées de télétravail par semaine jusqu'en fin d'année 2019.
Néanmoins, cette hausse d'activité ne peut s'analyser en une surcharge de travail alors que dans le même temps, c'est à sa demande qu'à compter de 2018, elle s'est vue confier de nouvelles attributions complémentaires concernant l'accompagnement des nouveaux chefs de secteur, pour un temps de travail supplémentaire de quatre jours par mois selon l'évaluation de l'employeur, en plus de ses missions actuelles. Dans son évaluation de 2019, elle a même remercié son employeur pour la confiance accordée dans le cadre de ses nouvelles fonctions, sans faire état d'une difficulté quelconque au regard des différentes tâches qui lui était confiées. Si elle avait été en surcharge de travail, elle n'aurait pas sollicité de nouvelles missions complémentaires.
En conséquence, il n'est pas établi l'existence de pressions et d'une surcharge de travail.
* modification de son contrat de travail
Selon le dernier avenant conclu le 1er mars 2012, Mme [L] [X] est employée comme chef des ventes classe 5. À partir du 1er avril 2019, son salaire de fonction annuel a été fixé à la somme de 40'361,62 euros. Il résulte des différentes pièces qu'elle exerce alors la fonction de responsable du secteur Genevois.
Or, il ressort de deux courriels des 18 décembre 2020 et 29 août 2022 de M. [O] [K] à la direction de la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne que Mme [L] [X] n'exerce plus comme responsable de secteur à compter de son retour le 29 juin 2020, qu'elle s'occupe seulement de l'animation et le vit mal. Ceci est également évoqué par l'intéressée dans un courriel du 07 janvier 2021 dans lequel elle se plaint que ses nouvelles fonctions ne sont pas clairement définies et qu'on lui a retiré de manière unilatérale ses précédentes fonctions.
En outre, il ressort de plusieurs échanges de courriels et documents internes à la société que le secteur du genevois dont elle était la responsable a été supprimé à l'automne 2020 et réparti entre d'autres secteurs de la Haute-Savoie, que des tensions sont nées concernant la définition des nouvelles fonctions confiées à Mme [L] [X], lesquelles restaient à définir en dehors semble-t-il de l'élaboration d'une bibliothèque des savoirs-faire à destination des managers et des chargés de clientèle.
Il apparaît également à la lecture des échanges de courriels qu'un avenant à son contrat de travail a été proposé à Mme [L] [X] en février 2021 qu'elle a refusé de signer. Cependant, à compter de février 2021 ses bulletins de salaire indique qu'elle est désormais chargée de missions.
S'agissant de sa rémunération, elle a reçu le 17 février 2021 un courrier lui indiquant la modification de la structure de sa rémunération avec l'allocation d'une prime différentielle de 6 000 euros par an en raison de l'emploi occupé. Par ailleurs, il résulte des bulletins de salaire qu'à compter du mois de février 2021 la salariée n'a plus perçu la rémunération variable de 367 €, ni la rémunération forfaitaire de performance de 500 € et que cette perte n'a été que partiellement compensée par l'allocation d'une prime différentielle d'un montant de 500 € entre février et avril 2021 puis d'un montant de 834 € à compter du mois de mai 2021.
En conséquence, Mme [L] [X] démontre l'existence d'une modification de son contrat de travail se traduisant par un retrait de ses missions à compter du mois de juin 2020, officialisé à l'automne 2020, puis par un changement de statut et une baisse de rémunération à compter de février 2021.
Les faits susvisés établis pris dans leur ensemble, tant par leur durée, leur répétition et leur enchaînement sont de nature à entraîner une dégradation des conditions de travail de la salariée concernée et une altération de sa santé et sont ainsi susceptibles de constituer des faits de harcèlement moral.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne met en avant le fait que la modification du contrat de travail de Mme [L] [X] est objectivement justifiée par l'état de santé de la salariée nécessitant son reclassement et par l'acceptation de cette dernière d'une modification de ses missions.
Or, d'une part, bien que le médecin du travail ait préconisé une reprise du travail en juin 2020 à temps partiel à hauteur de 40 %, il a déclaré Mme [L] [X] apte à continuer d'assurer la mission de responsable de secteur. Cette décision n'a pas été contestée par l'employeur qui ne démontre donc pas que le changement de poste était rendu nécessaire par la décision du médecin du travail.
D'autre part, si Mme [L] [X] a accepté en 2018 une mission d'accompagnement des nouveaux chefs de secteur, c'est en complément de son activité principale de responsable de secteur et la modification globale de son activité n'a jamais été acceptée par la salariée, qui s'en est plainte par un courriel du 16 janvier 2021, a refusé de signer un avenant concernant ce changement de fonction et a réitéré son opposition dans un courrier d'octobre 2021.
Dès lors, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne ne justifie d'aucune raison objective de nature à expliquer les agissements répétés à l'encontre de la salariée. Mme [L] [X] a par conséquent été victime de harcèlement moral.
La salariée verse aux débats les attestations de son médecin psychiatre et de sa psychologue indiquant qu'elle est suivie depuis octobre 2018 pour épuisement professionnel. Si ces professionnels se fondent nécessairement sur les déclarations de la patiente, ils sont à même de poser le diagnostic d'un épuisement professionnel et des répercussions sur la santé de la patiente. De plus, il résulte du dossier de la médecine du travail que les différents arrêts maladie depuis 2016 sont liés à un épuisement professionnel, il est fait état d'une hospitalisation et d'une médication en plus du suivi thérapeutique régulier mis en place. Enfin, l'état psychique de Mme [L] [X] est également attesté par plusieurs personnes qui indiquent que son état de santé se dégradait qu'elle semblait surmenée et épuisée, victime de stress.
En particulier, s'agissant de la période à laquelle a débuté le harcèlement, il a été souligné par plusieurs personnes qu'elle vivait mal son retour dans l'entreprise à compter de juin 2020, date à laquelle ses missions principales lui ont été retirées. Il ressort du dossier de la médecine du travail, que dès le 07 juillet 2020, le médecin du travail lui a conseillé de consulter la psychologue du travail, ce qu'elle fera. Selon le médecin généraliste, elle relevait d'une hospitalisation en novembre 2020, ce qu'elle a refusée. Ceci est intervenu quelques jours après l'émergence de tensions au sein de la société relatives à ses missions d'assistance et l'officialisation du retrait de ses missions de responsable de secteur. Enfin, Mme [L] [X] a fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail le 19 février 2021, juste après la notification de son changement de rémunération.
Au regard de la concordance des dates, de la nature des troubles présentés et de l'absence de toute autre explication y compris par les professionnels de santé, il apparaît que la dégradation de l'état de santé de Mme [L] [X] est en lien avec le harcèlement moral qu'elle a subi.
Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement du conseil des prud'hommes d'[Localité 7] et de condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision, en vertu de l'article 1231-7 du code civil.
Sur la discrimination :
Moyens des parties :
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne conteste le fait que la réorganisation des fonctions exercées par Mme [L] [X] à son retour d'arrêt maladie en juin 2020 soit discriminatoire et indique que les restrictions objectives formulées par le médecin du travail imposaient une adaptation des missions de l'intéressé, qui correspondait de surcroît pleinement aux souhaits et attentes de mobilité fonctionnelle de la salariée et ce sans perte de rémunération.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne indique qu'elle ne pouvait donner suite aux interrogations formulées le 14 octobre 2021 par Mme [L] [X] qui se trouvait alors en arrêt maladie, qu'aucune mesure ne pouvait être prise pour permettre à Mme [L] [X] de conserver son emploi alors que le médecin du travail l'a déclarée inapte et a retenu une impossibilité de reclassement.
Mme [L] [X] expose qu'elle a fait l'objet d'une discrimination en raison de son état de santé à son retour d'arrêt de travail en juin 2020 dans la mesure où elle n'a pas retrouvé les missions qui étaient les siennes en qualité de responsable de secteur, missions qui ont été dévolues à un autre salarié, que son contrat de travail a été unilatéralement modifié, entraînant une rétrogradation et une baisse de sa rémunération. Elle affirme que la façon dont elle a été traitée à son retour d'arrêt maladie a eu des conséquences sur son état de santé.
En outre, Mme [L] [X] explique qu'elle a le statut de travailleur handicapé, ce dont la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne était informée depuis le 7 avril 2021, que néanmoins aucune mesure n'a été prise pour qu'elle puisse conserver son emploi, que le refus de prendre les mesures prévues à l'article L.5213-6 peut constituer une discrimination, ce texte instituant par ce biais une présomption de discrimination liée à la situation de handicap du salarié, que l'employeur ne prouve pas que l'absence de prise de mesures appropriées était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Sur ce,
1. Discrimination en raison de l'état de santé :
Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi no 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d'horaires de travail, d'évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte, au sens, respectivement, du I de l'article 6 et des 1° et 2° de l'article 6-1 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».
En vertu de l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l'espèce, il a été mis en évidence que Mme [L] [X] s'est vue retirer son poste de responsable de secteur à son retour d'arrêt maladie le 29 juin 2020 et que son contrat a été modifié unilatéralement avec perte de rémunération à compter de février 2021. Ces éléments de fait avérés laissent supposer l'existence d'une discrimination directe et il incombe donc à la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne de démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Or, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne reconnaît que l'évolution des missions confiées à Mme [L] [X] et la modification de son contrat de travail sont justifiées par le fait que cette dernière ne pouvait pas reprendre une activité à temps plein en raison de son état de santé. Il s'agit d'une mesure discriminatoire, en l'absence de déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, seule une baisse d'activité devait être opérée selon les préconisations médicales. De plus, il a été précédemment démontré que Mme [L] [X] n'a pas consenti à la modification de son contrat de travail. En conséquent, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne ne justifie pas d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination relative à l'état de santé de la salariée.
2. Discrimination en raison du handicap :
Aux termes de l'article L.5213-6 du code du travail, « afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l'article L.5212-13 d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée.
L'employeur s'assure que les logiciels installés sur le poste de travail des personnes handicapées et nécessaires à leur exercice professionnel sont accessibles. Il s'assure également que le poste de travail des personnes handicapées est accessible en télétravail.
En cas de changement d'employeur, la conservation des équipements contribuant à l'adaptation du poste de travail des travailleurs handicapés, lorsqu'il comporte les mêmes caractéristiques dans la nouvelle entreprise, peut être prévue par convention entre les deux entreprises concernées. Cette convention peut également être conclue entre une entreprise privée et un employeur public au sens de l'article L.131-8 du code général de la fonction publique.
Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en 'uvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L.5213-10 qui peut compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur.
Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L.1133-3 ».
Le juge saisi d'une action au titre de la discrimination en raison du handicap doit, en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une telle discrimination, tels que le refus, même implicite, de l'employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d'aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le CSE, ou son refus d'accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d'aide à l'emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures ; il appartient, en second lieu, au juge de rechercher si l'employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap tenant à l'impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l'entreprise des charges consécutives à leur mise en 'uvre (Soc. 15 mai 2024, n°22-11.652).
En l'espèce, Mme [L] [X] s'est vue reconnaître le statut de travailleur handicapé par décision du 2 mars 2021 qu'elle a communiquée à son employeur par courriel du 7 avril 2021. Entre cette date et la déclaration d'inaptitude du 1er décembre 2021, Mme [L] [X] a travaillé à temps partiel à hauteur de 40 % entre le 25 juillet 2021 et le 11 octobre 2021, conformément aux préconisations du médecin du travail. En outre, il apparaît que sur les deux mois durant lesquels elle a travaillé, elle a posé trois semaines de congés. Sur le reste de la période, elle était en arrêt de travail. Pendant la période d'exécution du contrat de travail, elle a vu à deux reprises le médecin du travail le 27 juillet dans le cadre de la visite de reprise ainsi que le 8 octobre. Elle a également été reçue par ses supérieurs hiérarchiques le 20 septembre 2021, s'agissant de l'adaptation de son poste de travail. La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne démontre ainsi avoir respecté les préconisations du médecin du travail et avoir permis un suivi régulier par la médecine du travail.
Néanmoins, alors que la salariée avant son arrêt maladie avait fait part de son mal-être face au retrait de ses missions de responsable de secteur et à l'indétermination de ses nouvelles missions et de son refus de signer un avenant à son contrat de travail, aucune disposition n'a été prise par l'employeur qui n'a pas davantage défini les missions confiées à la salariée, ou tiré les conséquences de son refus de modification de son contrat de travail, ni consulté un organisme d'aide à l'emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de mesures appropriées à son handicap.
En conséquence, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a implicitement refusé de prendre les mesures nécessaires à l'adaptation du poste de Mme [L] [X] à son handicap sans justifier d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En conclusion, il convient d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Annemasse en ce qu'il a débouté Mme [L] [X] de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination. En réparation du préjudice moral subi par Mme [L] [X] du fait de la discrimination, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne sera condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Sur la violation de l'obligation de sécurité :
Moyens des parties :
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne expose que la décision rendue par le conseil des prud'hommes est incompréhensible en ce que le juge de première instance a retenu le fait que l'employeur avait respecté les préconisations du médecin du travail, que la seule attestation de M. [K] indiquant que Mme [L] [X] vivait mal son retour fait état d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et que le reproche est dénué de tout sérieux. Elle conteste toute augmentation de la charge de travail de la salariée notamment au cours de l'année 2019.
Mme [L] [X] soutient que son employeur avait connaissance de la fragilité de son état depuis 2018, que cependant il n'a cessé de la soumettre à une charge de travail toujours plus forte, ce qui a entraîné la dégradation de son état de santé et son placement en arrêt maladie, qu'il est démontré que la société a manqué à son obligation de prévention en méconnaissant la préconisation formulée par le médecin du travail relative à une aptitude à exercer les fonctions de responsable de secteur avec obligation de quatre demi-journées de télétravail, qu'aucune mesure n'a été prise pour faire cesser l'état de souffrance au travail qu'elle présentait et qui était connu et apparent pour son employeur.
Sur ce,
En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, celui-ci doit protéger la dignité et la santé mentale des salariés. L'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité en démontrant qu'il a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail ou qu'il ne pouvait anticiper le risque.
En l'espèce, entre 2016 et 2020, le médecin du travail a formulé plusieurs contre-indications dans le cadre d'avis d'aptitude rendus soit à l'occasion de visites de reprise après arrêt maladie, soit sur sa propre initiative dans le cadre du suivi de Mme [L] [X].
Ainsi, à plusieurs reprises entre le 23 décembre 2016 et le 5 juin 2019, le médecin du travail a préconisé la mise en place d'un travail à domicile à raison de quatre demi-journées par semaine. Dès janvier 2017, la direction des ressources humaines de la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne écrivait au médecin du travail pour lui indiquer que la mise en place d'un télétravail ne pouvait pas être envisageable de façon pérenne compte tenu de la nature de l'emploi et demandait une limitation dans le temps de la durée de la contre-indication ou la mise en place de la procédure d'inaptitude avec le reclassement. Pour autant, elle n'a pas contesté les avis rendus par le médecin du travail. La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne était donc tenue de respecter les préconisations du médecin du travail, conformément à l'article L.4624-6 du code du travail.
Selon le dossier tenu par la médecine du travail, le temps de télétravail pour effectuer les tâches administratives n'a pas été forcément respecté, la salariée indiquant avoir trop de réunions et ne plus télétravailler à compter du mois d'avril 2018.
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne, qui a la charge de la preuve, verse l'attestation de Mme [E] [F], supérieure hiérarchique de Mme [L] [X], qui indique que les préconisations du médecin du travail ont été respectées, qu'elle a été vigilante à ce que les préconisations concernant le télétravail soient respectées par Mme [L] [X], qui pouvait facilement se mettre dans une situation de fragilité en minimisant son état de santé. Aucun autre élément venant corroborer cette attestation n'est produit. Cette attestation est donc insuffisante à justifier du respect par l'employeur de son obligation d'adapter le poste de travail conformément aux préconisations du médecin du travail.
Par ailleurs, alors que les problèmes de santé de Mme [L] [X] étaient connus de son employeur depuis plusieurs années, que ses supérieurs hiérarchiques avaient connaissance de son mal-être à la suite du retrait de ses fonctions de responsable de secteur en juin 2020, aucune mesure n'a été prise pour faire cesser la souffrance au travail de la salariée malgré son refus de signer un avenant consacrant la modification de son contrat de travail.
Il est donc établi que la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne a manqué à ses obligations en matière de santé et de sécurité. Il convient d'allouer à Mme [L] [X] en réparation de son préjudice la somme de 1 500 euros de dommages et intérêts.
Sur l'exécution déloyale du contrat :
Moyens des parties :
La compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne indique que le conseil des prud'hommes a fait droit à la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat sans aucune motivation, que les négligences et maladresses qui lui sont reprochées ne sont nullement caractérisées, que l'adaptation du poste de travail pour une reprise à temps partiel thérapeutique de 40 % imposait une modification des missions confiées à la salariée, que le fait que la salariée ne se soit pas sentie bien à son retour dans l'entreprise n'est pas en soi la preuve du manquement de l'employeur ou d'une mauvaise exécution du contrat mais constitue le seul ressenti de la salariée.
Mme [L] [X] expose que la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne n'a pas exécuté de manière loyale le contrat de travail dès lors qu'elle a retiré ses responsabilités à la salariée lors de son retour d'arrêt de travail en appliquant d'office une modification de son poste de travail, emportant une rétrogradation et une baisse de rémunération, que cela des répercussions sur son état de santé.
Sur ce,
En vertu de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi. L'employeur doit respecter les dispositions du contrat de travail et fournir au salarié le travail prévu et les moyens nécessaires à son exécution en lui payant le salaire convenu.
En l'espèce, la modification unilatérale du contrat de travail de Mme [L] [X] a été démontrée. Ceci caractérise une exécution déloyale du contrat de travail. Toutefois, la salariée n'invoque aucun préjudice distinct du préjudice moral précédemment réparé au titre de la discrimination, du harcèlement moral et du manquement à l'obligation de sécurité. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement du conseil des prud'hommes et de débouter Mme [L] [X] de sa demande à ce titre.
Sur le licenciement :
Moyens des parties :
Mme [L] [X] indique que les manquements et le comportement de son employeur, constitutifs de harcèlement moral et de discrimination, étant à l'origine de l'inaptitude constatée par le médecin du travail, le licenciement prononcé par la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne est nul, d'autant qu'aucune mesure n'a été prise pour lui permettre de conserver son emploi alors qu'elle avait le statut de travailleur handicapé.
À titre subsidiaire, elle indique que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où l'inaptitude est consécutive au manquement de son employeur à l'obligation de sécurité.
Mme [L] [X] soutient que la perte de son emploi lui a nécessairement causé un préjudice important, qu'elle justifie d'une ancienneté de plus de 13 ans, qu'elle a retrouvé un emploi le 28 février 2022 à temps partiel d'aide aux élèves handicapés dans une école, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, qu'elle a subi une perte conséquente de salaire, qu'elle assume seule la charge de sa fille âgée de 15 ans.
Elle ajoute que l'inaptitude ayant un caractère professionnel, elle est fondée à obtenir l'indemnité compensatrice de préavis bien qu'elle n'ait pas été en mesure d'effectuer celui-ci et que la requalification du licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvre également droit au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis.
Sur ce,
1. La nullité du licenciement :
En vertu de l'article L. 1132-4 du code du travail, les licenciements prononcés en violation du principe de non-discrimination sont annulés.
En application des dispositions de l'article L.1152-3 du code du travail, « toute rupture du contrat de travail intervenu en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition, tout acte contraire est nul ».
Le licenciement d'un salarié victime de harcèlement moral est nul dès lors qu'il présente un lien avec des faits de harcèlement : soit que le licenciement trouve directement son origine dans ces faits ou leur dénonciation, soit que le licenciement soit dû la dégradation de l'état de santé du salarié rendant impossible son maintien dans l'entreprise. (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n°09-69.444).
En l'espèce, il ressort des éléments médicaux précédemment évoqués que l'inaptitude prononcée par le médecin du travail a pour origine la dégradation des conditions de travail de la salariée consécutive au harcèlement moral et à la discrimination dont elle a fait l'objet.
En conséquence, le licenciement doit être annulé. Le jugement du conseil des prud'hommes sera infirmé sur ce point.
2. Les conséquences du licenciement :
a. L'indemnité de préavis :
Lorsque l'inaptitude trouve son origine dans le harcèlement de l'employeur, sont dus au salariés au titre de ces droits des dommages et intérêts pour licenciement illicite ainsi que l'indemnité de préavis et les droits à congés payés afférents (Soc., 27 mai 2020, pourvoi n° 18-25.193).
En l'espèce, il a été mis en évidence que l'inaptitude médicale est constitutive au harcèlement moral et à la discrimination qu'a subi Mme [L] [X]. Elle est donc en droit d'obtenir l'indemnité légale de préavis. Le jugement de première instance sera infirmé sur ce point. Au regard du statut de cadre de Mme [L] [X] et de son ancienneté, le préavis est de trois mois en vertu de l'accord national relatif au statut conventionnel du personnel Groupama du 10 septembre 1999.
Il convient donc de condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à lui payer la somme de 12 506,97 euros, au titre de l'indemnité de préavis, outre 1 250,70 euros au titre des congés payés afférents, outre intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 27 juin 2022, date de la réception de la requête par le défendeur, conformément à l'article 1231-6 du code civil.
b. Les dommages et intérêts :
Aux termes de l'article L.1235-3-1 du code du travail, « l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
1° La violation d'une liberté fondamentale ;
2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;
4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits;
5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat;
6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre I du titre I du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle ».
En l'espèce, Mme [L] [X] justifie d'une ancienneté de 14 ans. Au jour du licenciement, elle est âgée de 36 ans. Elle est travailleur handicapé et justifie avoir retrouvé un emploi d'accompagnement des élèves en situation de handicap dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de trois ans du 28 février 2022 au 27 février 2025 pour un salaire mensuel de 996,53 € bruts. Bien qu'elle indique assumer seule la charge de sa fille de 15 ans, elle n'en justifie nullement.
Au regard de ces différents éléments, le jugement déféré sera infirmé et il convient de condamner la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 58 365,86 euros, correspondant à 14 mois de salaire, au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Sur le remboursement des allocations chômage :
Il conviendra, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, (dans version applicable au 1er mai 2008, issue de la loi du 8 août 2016 et applicable au 10 août 2016, issue de la loi du 5 septembre 2018 et applicable au 1er janvier 2019) d'ordonner d'office à l'employeur le remboursement des allocations chômages perçues par le salarié du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, les organismes intéressés n'étant pas intervenus à l'audience et n'ayant pas fait connaître le montant des indemnités versés.
Une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi (France Travail) à la diligence du greffe de la présente juridiction.
Sur l'exécution provisoire :
Le présent arrêt est exécutoire de droit, un éventuel pourvoi en cassation n'étant pas suspensif en application notamment de l'article 1009-1 du code de procédure civile.
Sur les demandes accessoires :
Il convient de confirmer la décision de première instance s'agissant des dépens et frais irrépétibles.
En outre, la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [L] [X] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
L'INFIRME pour le surplus dans les limites de l'appel entrepris,
STATUANT à nouveau sur les chefs d'infirmation,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de deux mille euros (2 000 euros), à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de trois mille euros (3 000 euros), à titre de dommages et intérêts en réparation des faits de discrimination subis, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de mille cinq cents euros (1 500 euros), à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi à la suite de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
DÉBOUTE Mme [L] [X] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,
DIT que le licenciement notifié à Mme [L] [X] le 07 janvier 2022 est nul,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de douze mille cinq cent six euros et quatre-vingt-dix-sept centimes (12 506,97 euros), au titre de l'indemnité de préavis et la somme de mille deux cent cinquante euros et soixante-dix centimes (1 250,70 euros) au titre des congés payés afférents, outre intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 27 juin 2022,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de cinquante-huit mille trois cent soixante-cinq euros et quatre-vingt-six euros (58 365,86 euros, correspondant à 14 mois de salaire), à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
ORDONNE le remboursement des allocations chômages perçues par le salarié du jour de son licenciement au jour de la présente décision dans la limite de six mois, Une copie de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi (France Travail) à la diligence du greffe de la présente juridiction.
DIT qu'à cette fin, une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée à France Travail Rhône-Alpes - [Adresse 8] [Adresse 1], à la diligence du greffe de la présente juridiction,
Y ajoutant,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne aux dépens exposés en appel,
CONDAMNE la compagnie d'assurances Groupama Rhône-Alpes Auvergne à payer à Mme [L] [X] la somme de deux mille euros (2 000 euros), au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 04 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Valéry CHARBONNIER, Présidente, et Monsieur Bertrand ASSAILLY,Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente