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CA Paris, Pôle 1 - ch. 10, 4 septembre 2025, n° 24/19154

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/19154

4 septembre 2025

RÉPUBLIQUE FRAN'AISE

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2025

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/19154 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKLXE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Octobre 2024-Juge de l'exécution de MELUN- RG n° 24/04791

APPELANTE

S.A.R.L. [7]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Thierry JOVE DEJAIFFE de la SELARL JOVE-LANGAGNE-BOISSAVY-AVOCATS, avocat au barreau de MELUN

INTIMÉ

Monsieur [I] [F]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Romain ROSSI LANDI de la SELEURL ROSSI-LANDI AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0014

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine Lefort, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Emmanuelle Lebée, président de chambre honoraire

Madame Catherine Lefort, conseiller

Madame Valérie Distinguin, conseiller

GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier

ARRÊT

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Valérie Distinguin, conseiller pour le président empêché et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier, présent lors de la mise à disposition.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par acte authentique en date du 7 novembre 2014, M. [I] [F] a consenti un bail commercial à la Sarl [7] portant sur des locaux situés à l'angle du [Adresse 1] et du [Adresse 2].

Par ordonnance réputée contradictoire en date du 22 avril 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Melun a notamment :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire contenue au bail du 7 novembre 2014, à compter du 21 février 2022,

- ordonné l'expulsion de la société [7] dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'ordonnance,

- condamné la société [7] à payer à titre de provision à M. [F] la somme de 8 820 euros correspondant au montant des loyers impayés suivant décompte arrêté au mois de février 2022 inclus, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 janvier 2022,

- condamné la société [7] à payer à M. [F] à titre de provision une indemnité d'occupation d'un montant mensuel équivalent au montant mensuel du loyer contractuel provision sur charges en sus à compter du 21 février 2022 et jusqu'à libération effective des lieux,

- condamné la société [7] à payer à M. [F] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

L'ordonnance de référé a été signifiée à la société [7] le 20 mai 2022. Par une lettre du 13 juillet 2022, M. [F] acceptait, sous conditions limitativement énoncées, de renoncer au bénéfice de cette ordonnance.

Le 4 mai 2023, le maire de la ville de [Localité 4] a pris un premier arrêté de mise en sécurité de l'immeuble, par suite d'un rapport d'expertise du 20 avril 2023 déposé dans le cadre d'une procédure devant le tribunal administratif de Melun, qui constatait l'existence d'un danger imminent. Le 22 février 2024, il a pris un arrêté d'interdiction d'habiter, d'utiliser ou d'accéder à l'immeuble, à compter de sa date de notification dans l'attente de l'édiction de l'arrêté municipal issu du rapport d'expertise.

Le 5 avril 2024, M. [F] a fait délivrer à la Sarl [7] un commandement de quitter les lieux visant à la fois l'ordonnance de référé et l'arrêté municipal du 22 février 2024.

Par acte du 29 mai 2024, la société [7] a fait citer M. [F] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Melun auquel il a demandé d'annuler le commandement de quitter les lieux.

Par jugement du 29 octobre 2024, le juge de l'exécution a :

validé le commandement de quitter les lieux délivré le 5 avril 2024,

débouté la société [7] de l'ensemble de ses demandes,

dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société [7] aux entiers dépens,

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a constaté que les conditions exigées par M. [F] pour renoncer à se prévaloir de l'ordonnance du 22 avril 2022 n'étaient pas toutes réunies, M. [F] ayant bien précisé que dans l'hypothèse où une seule condition ferait défaut, il demanderait l'expulsion immédiate de la société [7].

Par déclaration du 12 novembre 2024, la société [7] a formé appel de ce jugement.

Par conclusions du 2 mai 2025, elle demande à la cour d'appel de :

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

prononcer la nullité du commandement de quitter les lieux du 5 avril 2024 ;

condamner M. [F] à lui payer la somme de 2 500 euros au regard des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

débouter M. [F] de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante fait valoir en premier lieu que M. [F] ne peut se prévaloir de l'ordonnance de référé puisqu'il y a renoncé ; que les conditions de la renonciation fixées par M. [F] dans sa lettre du 13 juillet 2022 ont toutes été exécutées, étant précisé que M. [F] n'a pas déclaré de créance au titre de loyers impayés dans le cadre de la procédure collective ouverte à son égard. Elle ajoute qu'elle s'est cependant trouvée dans l'impossibilité d'exécuter les travaux relatifs à la peinture de la façade de l'immeuble en ton « pierre » en raison de l'opposition des copropriétaires et du syndic de l'immeuble, soulignant que s'agissant d'un bâtiment historique, elle ne pouvait procéder auxdits travaux de peinture librement, et que s'agissant des nuisances olfactives qui lui sont reprochées, elle justifie bien de la conformité du système de ventilation de la cuisine. Elle considère que c'est donc de mauvaise foi que M. [F] a fait délivrer un commandement de quitter les lieux plus de deux ans après la lettre du 13 juillet 2022.

En réponse aux écritures adverses, elle oppose qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir repeint la façade en ton pierre et de ne pas avoir décapé les corbeaux en bois, alors que d'une part, M. [F] ne produit aucun procès-verbal d'assemblée générale l'autorisant à effectuer les travaux de façade, d'autre part, l'arrêté du 22 février 2024 interdisait toute utilisation de l'immeuble.

En second lieu, elle soutient que l'intimé ne pouvait pas non plus se prévaloir de l'arrêté municipal du 22 février 2024, qui est visé au commandement de quitter les lieux litigieux, ledit arrêté ne portant que sur l'interdiction d'accéder, d'habiter ou d'utiliser l'immeuble et non sur l'expulsion des occupants, et ayant été abrogé par un arrêté municipal du 4 mars 2024 ; que l'article 5 de l'arrêté du 4 mars 2024 prévoyant que les copropriétaires sont tenus d'assurer l'hébergement temporaire des occupants, elle souhaite réintégrer les lieux une fois les travaux réalisés par les copropriétaires ; qu'ainsi, M. [F] ne peut pas non plus fonder le commandement sur ce nouvel arrêté.

Par conclusions du 13 mai 2025, M. [F] demande à la cour de :

débouter la société [7] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

condamner la société [7] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société [7] aux dépens.

Il expose tout d'abord que les conditions de sa renonciation au bénéfice de l'ordonnance, qui étaient cumulatives et devaient être remplies avant le 30 août 2022, n'ont pas été respectées par la société [7], comme cela ressort du procès-verbal de constat en date du 27 mai 2024 qu'il produit aux débats, en faisant observer à cet égard que si la société [7] conteste les constatations figurant dans ce procès-verbal, elle ne produit aucun élément en sens contraire.

Ensuite, il fait observer qu'en contestant le bien-fondé des travaux mis à sa charge, la société [7] admet ne pas les avoir réalisés ; que si la société [7] considérait qu'il ne lui appartenait pas de réaliser les travaux de décapage des corbeaux en bois et de peinture de la façade, il est surprenant que son conseil ait indiqué le 2 août 2022 qu'elle procéderait auxdits travaux ; que la société [7] ne démontre pas que la façade était déjà peinte en blanc lors de son entrée dans les lieux ; que la société [7] souhaite en réalité, obtenir de la cour qu'elle modifie les conditions qu'il a fixées dans sa lettre du 13 juillet 2022, ce dont elle n'a pas le pouvoir. Enfin, s'agissant des impossibilités d'exécution invoquées par l'appelante, il oppose que le moyen tiré de l'absence d'autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, outre qu'il est soulevé pour la première fois en appel et apparaît être de pure opportunité, est inopérant dans la mesure où aucune autorisation n'est nécessaire lorsqu'il s'agit de mettre fin à une violation du règlement de copropriété ; que l'arrêté municipal du 4 mars 2024 est postérieur de deux ans à la date butoir fixée par sa lettre du 13 juillet 2022.

Il conteste par ailleurs la sincérité de l'attestation de conformité du système de ventilation de la cuisine produite par l'appelante, qui date de 2019 et est contredite par le procès-verbal d'assemblée générale des copropriétaires du 4 juillet 2022, au cours de laquelle un copropriétaire a fait état de la persistance de nuisances olfactives.

Enfin, il soutient, outre que les développements de l'appelante fondés sur l'arrêté municipal du 22 février 2024 sont indifférents à la procédure d'expulsion poursuivie, que l'appelante ne peut prétendre à la réintégration des lieux en suite des travaux réalisés, alors que ledit arrêté n'a pas pour effet d'annuler une décision de justice définitive et qu'il n'a aucune obligation de reloger la société [7], celle-ci ne détenant plus aucun titre d'occupation du local, du fait de l'expulsion prononcée à son encontre.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d'annulation des commandements de quitter les lieux

Il résulte de l'article L.411-1 du code des procédures civiles d'exécution que l'expulsion ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux.

En l'espèce, par une lettre du 13 juillet 2022 adressée à son huissier de justice, M. [F] a indiqué renoncer à se prévaloir de l'ordonnance du 22 avril 2022, sous les conditions suivantes, devant être réalisées avant le 30 août 2022 :

- paiement de l'intégralité des loyers et charges impayés et frais de procédure,

- paiement des loyers et charges le 1er de chaque mois et au plus tard le 5 de chaque mois,

- tout faire pour respecter la copropriété et les copropriétaires conformément à la décision d'assemblée générale du 4 juillet 2022, à savoir :

- cesser les nuisances olfactives par évacuation des fumées non conforme à la réglementation,

- ne plus laisser les cagettes dans le couloir, même pour une courte durée,

- faire intervenir une société pour éliminer les cafards,

- repeindre la façade en ton pierre comme à l'origine et non pas en blanc,

- retirer des corbeaux en bois la peinture blanche et les restaurer avec une lasure,

- supprimer les bruits sonores des moteurs de la cheminée,

- ne plus faire dormir un employé dans la réserve.

Il précisait que pour le cas où une seule de ces conditions ne serait pas respectée, il demanderait l'expulsion immédiate de la société [7] conformément à l'ordonnance du 22 avril 2022.

En réponse à cette lettre, le conseil de la société [7] a écrit, le 2 août 2022, à l'huissier que le gérant de la société donnait son accord pour régler l'intégralité des loyers en retard et les charges, ainsi que les frais et la somme de 1 200 euros, s'engageait à respecter la copropriété et les copropriétaires, s'engageait à maintenir ses installations en conformité avec les normes en vigueur, et justifiait à ce titre avoir fait vérifier ses installations par la Sarl [6], laquelle a certifié la conformité du matériel en exploitation, et s'engageait à solliciter l'avis d'un certificateur si M. [F] souhaitait en désigner un. Il a ajouté que les parties communes étaient libres de tout encombrement, que personne ne dormait dans la réserve, qu'il ferait décaper les corbeaux en bois qui seraient couverts de lasure, et repeindrait la façade en couleur ton pierre.

Le règlement des loyers ne fait pas l'objet de discussions entre les parties.

S'agissant des peinture de la façade et des corbeaux, M. [F] produit un procès-verbal de constat du 27 mai 2024, qui fait apparaître qu'à cette date, la façade du restaurant était toujours peinte en blanc et que les différents corbeaux en bois étaient recouverts de peinture de couleur noire et non lasurés. C'est en vain que la Sarl [7] invoque le caractère non contradictoire de ce constat, alors qu'il s'agit d'un acte réalisé par un commissaire de justice et soumis à la libre discussion des parties. En outre, elle ne conteste pas ne pas avoir repeint la façade en ton pierre et ne pas avoir restauré les corbeaux en bois.

Il importe peu de savoir de quelle couleur se trouvait la façade lors de l'entrée dans les lieux de la Sarl [7], dès lors que cette dernière s'est engagée à la repeindre en ton pierre comme condition de la renonciation du bailleur à se prévaloir de la décision ordonnant son expulsion.

En outre, la société [7] n'établit pas s'être heurtée, comme elle le prétend, à l'opposition du syndic et des copropriétaires s'agissant de la façade à repeindre en ton pierre et des corbeaux en bois à décaper et à lasurer, ni avoir sollicité de M. [F] qu'il fasse porter à l'ordre du jour de l'assemblée générale des copropriétaires, une demande d'autorisation en ce sens. A cet égard, l'attestation de M. [H] [J], dont la valeur probante est contestée à juste titre par l'intimé au motif qu'elle émane d'un membre de la famille du gérant de la société [7], ne peut à elle seule suffire à établir cette opposition.

L'appelante ne peut non plus valablement soutenir avoir été dans l'impossibilité d'exécuter les travaux litigieux en raison de l'interdiction d'utilisation de l'immeuble prescrite par l'arrêté du 22 février 2024, alors que cette décision est postérieure de plus d'un an à la lettre de M. [F] du 13 juillet 2022, étant rappelé que les conditions devaient être réalisées avant le 30 août 2022.

Par ailleurs, concernant les nuisances olfactives, c'est à raison que l'intimé considère que l'appelante ne peut se fonder sur le certificat de conformité de ventilation de la cuisine de la société [6], dès lors que ce document date du 8 avril 2019 et que des copropriétaires de l'immeuble se sont plaints de la persistance de nuisances olfactives en juillet 2022.

Dans ces conditions, la cour considère que c'est à raison que le premier juge a débouté la société [7] de sa demande d'annulation du commandement de quitter les lieux au motif que les conditions fixées par M. [F] pour renoncer au bénéfice de l'ordonnance du 22 avril 2022 n'avaient pas été intégralement respectées, de sorte que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les demandes accessoires

L'issue du litige commande de condamner la société [7] aux dépens d'appel et à payer à M. [F] la somme de 1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 octobre 2024 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Melun,

Y ajoutant,

CONDAMNE la Sarl [7] à payer à M. [I] [F] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la Sarl [7] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Sarl [7] aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président,

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