CA Paris, Pôle 4 - ch. 5, 3 septembre 2025, n° 22/16361
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 5
ARRET DU 03 SEPTEMBRE 2025
(n° /2025, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/16361 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGNO4
Décision déférée à la Cour : jugement du 13 mai 2022 - tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2019071246
APPELANTE
S.A.S. FUTURE HOUSE prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Marianne JACOB, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.S. CLUE ME prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Bénédicte DE LAVENNE-BORREDON de la SELARL DOUCHET-DE LAVENNE-ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : J131
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Ludovic JARIEL, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Ludovic JARIEL, président de chambre,
Mme Emmanuelle BOUTIE, conseillère,
Mme Vivane SZLAMOVICZ, conseillère,
Greffier, lors des débats : M. Alexandre DARJ
ARRET :
- contradictoire.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Ludovic JARIEL président de chambre, et par Tiffany CASCIOLI, greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par contrat en date du 20 novembre 2018, la société Future House (la société Future) a commandé à la société Clue ME (la société Clue) l'aménagement en un espace de coworking de ses locaux situés [Adresse 2] à [Localité 7], pour un montant forfaitaire et global de 160 910,78 euros TTC.
Il était prévu que le chantier commence le 26 novembre 2018 et s'achève le 31 janvier 2019.
Le 19 février 2019, les travaux ont été réceptionnés avec trente réserves.
Dans le procès-verbal du 4 juin 2019, quatre réserves relatives à la pose d'une vasque et de la faïence autour, de la peinture d'une descente d'eau et d'un poteau dans un bureau n'ont pas été levées.
Le 16 septembre 2019, la société Future a fait dresser, par un huissier de justice, un procès-verbal de constat de l'état de ses locaux.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 30 septembre 2019, la société Future, se prévalant de ce constat, a mis en demeure la société Clue de débuter les travaux de reprise sous 48 heures pour les achever dans le délai d'un mois et a indiqué que, dans l'attente, elle séquestrait le solde du chantier.
La société Future n'a donc pas réglé le solde des travaux représentants 10 % du montant total, payable à la levée des réserves, soit la somme de 16 038,12 euros pour le paiement de laquelle elle a, à son tour, été mise en demeure par lettre du 15 octobre 2019.
Par acte du 6 décembre 2019, la société Clue a assigné la société Future en paiement dudit solde.
Le 8 janvier 2020, la société Future a fait dresser, par un huissier de justice, un procès-verbal de constat de l'état de la toiture de ses locaux.
Par jugement du 13 mai 2022, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :
Condamne la société Future à payer la somme de 13 514,25 euros TTC à la société Clue ;
Déboute la société Future de sa demande de faire réaliser une expertise afin de constater l'ensemble des désordres et malfaçons ;
Déboute la société Future de sa demande de faire payer une somme de 27 500 euros au titre des réparations du toit à la société Clue ;
Déboute la société Future de sa demande de 15 000 euros au titre du trouble de jouissance ;
Condamne la société Future à payer la somme de 1 500 euros à la société Clue au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne l'exécution provisoire ;
Condamne la société Future aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.
Par déclaration en date du 21 juin 2022 (n° RG 22/11645), la société Future a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour la société Clue.
Le 19 septembre 2022 (n° RG 22/16361), la société Future a procédé à une déclaration d'appel rectificative.
Par ordonnance du 28 mai 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des procédures inscrites au rôle sous les numéros RG 22/11645 et RG 22/16361 et dit qu'elles se poursuivraient sous le premier numéro.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 16 juin 2024, la société Future demande à la cour de :
Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 13 mai 2022 ;
En conséquence,
A titre principal,
Commettre toute personne de son choix afin qu'une expertise soit diligentée ;
Fixer la mission de l'expert comme suit :
- se rendre sur place, [Adresse 4] après y avoir convoqué les parties ;
- se faire remettre tous documents contractuels et techniques qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;
- visiter les lieux, entendre les parties ainsi que tous sachants ;
- examiner et décrire les travaux réalisés par la société Clue au profit de la société Future ;
- dire si l'ensemble des réserves figurant au procès-verbal de réception du 19 février 2019 ont été levées ;
- déterminer, à partir des éléments du dossier et notamment des constats d'huissiers, des devis, attestations, photographies, les désordres résultant des travaux menés par l'entreprise Clue, et notamment les malfaçons relatives aux canalisations et à la toiture ainsi que toutes les malfaçons décrites ;
- observer I'origine, I'étendue et les causes de ces désordres et malfaçons ;
- dire si les travaux réalisés sont conformes aux documents contractuels ;
- dire si les travaux réalisés ont été effectués de manière défectueuse ou non et conformément aux règles de l'art ;
- fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues ;
- après avoir exposé ses observations sur la nature des travaux propres à remédier aux désordres et leurs délais d'exécution, chiffrer, à partir des devis fournis par les parties, éventuellement assistées d'un maitre d''uvre, le coût de ces travaux ;
- fournir tout élément de nature à permettre à la juridiction saisie d'évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatériels résultant des désordres notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état ;
- faire toutes constatations et observations utiles à la solution du litige ;
- en cas d'urgence reconnue par l'expert, autoriser le demandeur à faire exécuter à ses frais avancés pour le compte de qui il appartiendra, les travaux estimés indispensables ; ces travaux étant dirigés par le maître d''uvre du demandeur et réalisés par des entreprises qualifiées de son choix, sous le constat de bonne fin de l'expert, lequel, dans ce cas, déposera un pré-rapport précisant la nature et l'importance de ces travaux ;
- dire que l'expert devra déposer son rapport dans le délai de 3 mois de sa saisine ;
- dire qu'il en sera référé à la juridiction de céans en cas de difficulté ;
- mettre la provision à valoir sur les frais et honoraires de l'expert à la charge de la société Clue ;
A titre subsidiaire,
Dire et juger qu'il subsiste des réserves non levées dans le chantier confié à la société Clue ;
Débouter la société Clue de l'ensemble de ses demandes ;
A titre reconventionnel,
Condamner la société Clue à payer à la société Future la somme de 43 579,47 euros au titre des travaux de réparations nécessaires à réfection du toit ;
Condamner la société Clue à payer à la société Future la somme de 15 000 euros au titre du trouble de jouissance subi ;
Condamner la société Clue à payer à la société Future la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 novembre 2024, la société Clue demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions ;
Condamner l'appelante à payer à la société Clue la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamner, en outre, en tous les dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 6 mai 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 4 juin 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
MOTIVATION
Sur la demande d'expertise
Moyens des parties
La société Future soutient qu'elle démontre que l'ensemble des réserves n'a pas été levé et que de nombreux désordres et malfaçons résultent de l'intervention de la société Clue.
Elle ajoute que, si elle a été contrainte de faire intervenir une entreprise afin de réaliser des travaux conservatoires, il n'en demeure pas moins que, si la cour venait à considérer qu'elle avait besoin d'éléments permettant de l'éclairer, elle pourrait alors ordonner une expertise sur les malfaçons et les désordres en cause.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 144 du code de procédure civile, les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisant pour statuer.
Aux termes de l'article 146 de ce code, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
Au cas d'espèce, alors que les travaux ont été réceptionnés le 19 février 2019 et que la société Future indique avoir procédé elle-même aux travaux réparatoires, une expertise ne serait pas de nature à éclairer la cour sur les éléments factuels nécessaires à la solution du litige.
Par suite, sa demande d'expertise sera rejetée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le solde du chantier
Moyens des parties
La société Clue soutient que les seules réserves non-levées sont celles figurant sur le procès-verbal contradictoire du 4 juin 2019 et correspondant à un montant de travaux éventuellement déductible de 2 103 euros qui ne saurait, en toute hypothèse, justifier la rétention de la somme de 16 038,12 euros.
Elle ajoute que le constat du 16 septembre 2019, dressé non-contradictoirement, est en décorrélation totale avec la réalité des travaux effectués et, qu'établi après 8 mois d'exploitation, il n'est pas probant dès lors que les équipements ont pu, durant cette période, être abîmés et que d'autres travaux ont pu être diligentés.
En réponse, la société Future fait valoir que le solde du chantier correspondant à 10 % de son montant n'est pas dû dès lors qu'il est stipulé au marché que son exigibilité est conditionnée par la levée des réserves et que celle-ci n'a pas eu lieu.
Elle ajoute que le constat du 16 septembre 2019 démontre la piètre qualité du travail effectué par la société Clue.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Selon l'article 1792-6 du code civil, la garantie de parfait achèvement, à laquelle l'entrepreneur est tenu pendant un délai d'un an, à compter de la réception, s'étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception. Les délais nécessaires à l'exécution des travaux de réparation sont fixés d'un commun accord par le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur concerné. En l'absence d'un tel accord ou en cas d'inexécution dans le délai fixé, les travaux peuvent, après mise en demeure restée infructueuse, être exécutés aux frais et risques de l'entrepreneur défaillant.
Au cas présent, il est stipulé, à l'article 6 du marché de travaux, que 10 % des paiements seront effectués à la levée des réserves faites à la réception.
S'il est constant que quatre d'entre elles n'ont pas été levées, comme l'indique le procès-verbal du 4 juin 2019, c'est exactement que les premiers juges en ont déduit que cette inexécution n'avait qu'un effet proportionné sur l'exigibilité du solde du chantier, c'est-à-dire qu'elle ne portait que sur le montant des travaux réservés, leur déduction permettant ainsi à la société Future de les faire exécuter aux frais de l'entrepreneur défaillant.
Par suite, c'est à bon droit qu'ils ont, déduction faite de ce montant, condamné la société Future à payer la société Clue la somme de 13 514,25 euros TTC.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les désordres allégués par la société Future
Moyens des parties
La société Future soutient qu'elle a eu la mauvaise surprise de découvrir que les canalisations et la toiture étaient affectées de malfaçons.
S'agissant des canalisations, elles sont affectées d'une malfaçon structurelle, révélées par des odeurs nauséabondes qui l'ont conduite à faire appel à la société Les Déboucheurs de France qui a indiqué que le défaut d'écoulement des eaux usées était directement lié à l'intervention défectueuse de la société Clue.
S'agissant de la toiture, ses tôles de zinc ont, comme le démontrent les photographies du constat du 8 janvier 2020 et l'attestation de M. [H], couvreur, été perforées par les vis du BA13.
Elle souligne que lesdites photographies établissent que ces perforations ont été faites de l'intérieur et sont parfaitement linéaires.
Elle ajoute que ces perforations lui ont causé de nombreux dommages et un trouble de jouissance important et que, faute d'avoir pu obtenir gain de cause en première instance, elle a été contrainte de réaliser, à ses frais, des travaux conservatoires à hauteur de la somme de 43 579,47 euros, au paiement de laquelle elle sollicite, en appel, la condamnation de la société Clue.
En réponse, la société Clue fait valoir que les désordres allégués sont inexistants.
En premier lieu, le prétendu problème de canalisation correspondait uniquement à une trappe fermée, la société Les Déboucheurs de France étant intervenue pour l'ouvrir ayant attesté de l'absence de perturbation du réseau.
En second lieu, la perforation des tôles de zinc ne lui est aucunement imputable pour les raisons suivantes.
D'abord, alors que le courrier du couvreur indique que les vis du BA13 ont perforé le zinc du toit, une telle information n'a pas été portée à sa connaissance ni lors du procès-verbal de réception ni lors de celui de levée des réserves.
Ensuite, les photographies du constat prouvent que la pose du BA13 ne peut être à l'origine des perforations en cause dès lors qu'elles sont éparpillées alors que ladite pose s'effectue parallèlement et de façon strictement linéaire.
Enfin, la cause des désordres est, en réalité, préexistante, comme le démontre les photographies prises avant les travaux.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Selon l'article 1792-6 du même code, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.
Au cas d'espèce, s'agissant des canalisations, il résulte du message électronique adressé le 5 novembre 2019 par la société Les Déboucheurs de France à la société Clue que les canalisations étaient saines en l'absence d'éléments de nature à perturber le réseau.
Il s'en infère que la société House échoue à démontrer l'existence d'un désordre affectant les canalisations.
S'agissant de la toiture, il résulte de la date du courrier de M. [H], couvreur, soit le 7 janvier 2019, que la société Future avait connaissance de l'existence de perforations dans sa toiture antérieurement à la réception du chantier et que, n'ayant pas réservé un tel désordre, elle ne peut plus s'en prévaloir.
A titre surabondant, la cour observera qu'il résulte de l'examen des photographies du constat que lesdites perforations ne sont aucunement linéaires, de sorte qu'elles ne peuvent avoir été occasionnées lors de la pose du BA13 par la société Clue. Il s'en infère que la société House échoue, en tout état de cause, à démontrer l'existence d'un désordre affectant le toit imputable à la société Clue.
Par suite, les demandes réparatoires seront rejetées.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sera ajouté au rejet prononcé par le tribunal celui de la demande, présentée en cause d'appel, de la société Future en condamnation de la société Clue à lui payer à la somme de 43 579,47 euros au titre des travaux de réparation nécessaires à la réfection du toit.
Par ailleurs, les désordres en cause n'étant pas imputables à la société Clue, la demande d'indemnisation du préjudice de jouissance, au demeurant non établi, de la société House, sera rejetée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les frais du procès
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, la société Future, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer à la société Clue la somme de 3 000 euros, au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Rejette la demande de la société Future House en condamnation de la société Clue ME à lui payer à la somme de 43 579,47 euros au titre des travaux de réparation nécessaires à réfection du toit ;
Condamne la société Future House aux dépens d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Future House et la condamne à payer à la société Clue ME la somme de 3 000 euros.
La greffière, Le président de chambre,
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 5
ARRET DU 03 SEPTEMBRE 2025
(n° /2025, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/16361 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGNO4
Décision déférée à la Cour : jugement du 13 mai 2022 - tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2019071246
APPELANTE
S.A.S. FUTURE HOUSE prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Marianne JACOB, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.S. CLUE ME prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Bénédicte DE LAVENNE-BORREDON de la SELARL DOUCHET-DE LAVENNE-ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : J131
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 juin 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Ludovic JARIEL, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Ludovic JARIEL, président de chambre,
Mme Emmanuelle BOUTIE, conseillère,
Mme Vivane SZLAMOVICZ, conseillère,
Greffier, lors des débats : M. Alexandre DARJ
ARRET :
- contradictoire.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Ludovic JARIEL président de chambre, et par Tiffany CASCIOLI, greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par contrat en date du 20 novembre 2018, la société Future House (la société Future) a commandé à la société Clue ME (la société Clue) l'aménagement en un espace de coworking de ses locaux situés [Adresse 2] à [Localité 7], pour un montant forfaitaire et global de 160 910,78 euros TTC.
Il était prévu que le chantier commence le 26 novembre 2018 et s'achève le 31 janvier 2019.
Le 19 février 2019, les travaux ont été réceptionnés avec trente réserves.
Dans le procès-verbal du 4 juin 2019, quatre réserves relatives à la pose d'une vasque et de la faïence autour, de la peinture d'une descente d'eau et d'un poteau dans un bureau n'ont pas été levées.
Le 16 septembre 2019, la société Future a fait dresser, par un huissier de justice, un procès-verbal de constat de l'état de ses locaux.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 30 septembre 2019, la société Future, se prévalant de ce constat, a mis en demeure la société Clue de débuter les travaux de reprise sous 48 heures pour les achever dans le délai d'un mois et a indiqué que, dans l'attente, elle séquestrait le solde du chantier.
La société Future n'a donc pas réglé le solde des travaux représentants 10 % du montant total, payable à la levée des réserves, soit la somme de 16 038,12 euros pour le paiement de laquelle elle a, à son tour, été mise en demeure par lettre du 15 octobre 2019.
Par acte du 6 décembre 2019, la société Clue a assigné la société Future en paiement dudit solde.
Le 8 janvier 2020, la société Future a fait dresser, par un huissier de justice, un procès-verbal de constat de l'état de la toiture de ses locaux.
Par jugement du 13 mai 2022, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :
Condamne la société Future à payer la somme de 13 514,25 euros TTC à la société Clue ;
Déboute la société Future de sa demande de faire réaliser une expertise afin de constater l'ensemble des désordres et malfaçons ;
Déboute la société Future de sa demande de faire payer une somme de 27 500 euros au titre des réparations du toit à la société Clue ;
Déboute la société Future de sa demande de 15 000 euros au titre du trouble de jouissance ;
Condamne la société Future à payer la somme de 1 500 euros à la société Clue au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne l'exécution provisoire ;
Condamne la société Future aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.
Par déclaration en date du 21 juin 2022 (n° RG 22/11645), la société Future a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour la société Clue.
Le 19 septembre 2022 (n° RG 22/16361), la société Future a procédé à une déclaration d'appel rectificative.
Par ordonnance du 28 mai 2024, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des procédures inscrites au rôle sous les numéros RG 22/11645 et RG 22/16361 et dit qu'elles se poursuivraient sous le premier numéro.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 16 juin 2024, la société Future demande à la cour de :
Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 13 mai 2022 ;
En conséquence,
A titre principal,
Commettre toute personne de son choix afin qu'une expertise soit diligentée ;
Fixer la mission de l'expert comme suit :
- se rendre sur place, [Adresse 4] après y avoir convoqué les parties ;
- se faire remettre tous documents contractuels et techniques qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;
- visiter les lieux, entendre les parties ainsi que tous sachants ;
- examiner et décrire les travaux réalisés par la société Clue au profit de la société Future ;
- dire si l'ensemble des réserves figurant au procès-verbal de réception du 19 février 2019 ont été levées ;
- déterminer, à partir des éléments du dossier et notamment des constats d'huissiers, des devis, attestations, photographies, les désordres résultant des travaux menés par l'entreprise Clue, et notamment les malfaçons relatives aux canalisations et à la toiture ainsi que toutes les malfaçons décrites ;
- observer I'origine, I'étendue et les causes de ces désordres et malfaçons ;
- dire si les travaux réalisés sont conformes aux documents contractuels ;
- dire si les travaux réalisés ont été effectués de manière défectueuse ou non et conformément aux règles de l'art ;
- fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues ;
- après avoir exposé ses observations sur la nature des travaux propres à remédier aux désordres et leurs délais d'exécution, chiffrer, à partir des devis fournis par les parties, éventuellement assistées d'un maitre d''uvre, le coût de ces travaux ;
- fournir tout élément de nature à permettre à la juridiction saisie d'évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatériels résultant des désordres notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état ;
- faire toutes constatations et observations utiles à la solution du litige ;
- en cas d'urgence reconnue par l'expert, autoriser le demandeur à faire exécuter à ses frais avancés pour le compte de qui il appartiendra, les travaux estimés indispensables ; ces travaux étant dirigés par le maître d''uvre du demandeur et réalisés par des entreprises qualifiées de son choix, sous le constat de bonne fin de l'expert, lequel, dans ce cas, déposera un pré-rapport précisant la nature et l'importance de ces travaux ;
- dire que l'expert devra déposer son rapport dans le délai de 3 mois de sa saisine ;
- dire qu'il en sera référé à la juridiction de céans en cas de difficulté ;
- mettre la provision à valoir sur les frais et honoraires de l'expert à la charge de la société Clue ;
A titre subsidiaire,
Dire et juger qu'il subsiste des réserves non levées dans le chantier confié à la société Clue ;
Débouter la société Clue de l'ensemble de ses demandes ;
A titre reconventionnel,
Condamner la société Clue à payer à la société Future la somme de 43 579,47 euros au titre des travaux de réparations nécessaires à réfection du toit ;
Condamner la société Clue à payer à la société Future la somme de 15 000 euros au titre du trouble de jouissance subi ;
Condamner la société Clue à payer à la société Future la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 novembre 2024, la société Clue demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions ;
Condamner l'appelante à payer à la société Clue la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamner, en outre, en tous les dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 6 mai 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 4 juin 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
MOTIVATION
Sur la demande d'expertise
Moyens des parties
La société Future soutient qu'elle démontre que l'ensemble des réserves n'a pas été levé et que de nombreux désordres et malfaçons résultent de l'intervention de la société Clue.
Elle ajoute que, si elle a été contrainte de faire intervenir une entreprise afin de réaliser des travaux conservatoires, il n'en demeure pas moins que, si la cour venait à considérer qu'elle avait besoin d'éléments permettant de l'éclairer, elle pourrait alors ordonner une expertise sur les malfaçons et les désordres en cause.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 144 du code de procédure civile, les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisant pour statuer.
Aux termes de l'article 146 de ce code, une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
Au cas d'espèce, alors que les travaux ont été réceptionnés le 19 février 2019 et que la société Future indique avoir procédé elle-même aux travaux réparatoires, une expertise ne serait pas de nature à éclairer la cour sur les éléments factuels nécessaires à la solution du litige.
Par suite, sa demande d'expertise sera rejetée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le solde du chantier
Moyens des parties
La société Clue soutient que les seules réserves non-levées sont celles figurant sur le procès-verbal contradictoire du 4 juin 2019 et correspondant à un montant de travaux éventuellement déductible de 2 103 euros qui ne saurait, en toute hypothèse, justifier la rétention de la somme de 16 038,12 euros.
Elle ajoute que le constat du 16 septembre 2019, dressé non-contradictoirement, est en décorrélation totale avec la réalité des travaux effectués et, qu'établi après 8 mois d'exploitation, il n'est pas probant dès lors que les équipements ont pu, durant cette période, être abîmés et que d'autres travaux ont pu être diligentés.
En réponse, la société Future fait valoir que le solde du chantier correspondant à 10 % de son montant n'est pas dû dès lors qu'il est stipulé au marché que son exigibilité est conditionnée par la levée des réserves et que celle-ci n'a pas eu lieu.
Elle ajoute que le constat du 16 septembre 2019 démontre la piètre qualité du travail effectué par la société Clue.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Selon l'article 1792-6 du code civil, la garantie de parfait achèvement, à laquelle l'entrepreneur est tenu pendant un délai d'un an, à compter de la réception, s'étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception, soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception. Les délais nécessaires à l'exécution des travaux de réparation sont fixés d'un commun accord par le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur concerné. En l'absence d'un tel accord ou en cas d'inexécution dans le délai fixé, les travaux peuvent, après mise en demeure restée infructueuse, être exécutés aux frais et risques de l'entrepreneur défaillant.
Au cas présent, il est stipulé, à l'article 6 du marché de travaux, que 10 % des paiements seront effectués à la levée des réserves faites à la réception.
S'il est constant que quatre d'entre elles n'ont pas été levées, comme l'indique le procès-verbal du 4 juin 2019, c'est exactement que les premiers juges en ont déduit que cette inexécution n'avait qu'un effet proportionné sur l'exigibilité du solde du chantier, c'est-à-dire qu'elle ne portait que sur le montant des travaux réservés, leur déduction permettant ainsi à la société Future de les faire exécuter aux frais de l'entrepreneur défaillant.
Par suite, c'est à bon droit qu'ils ont, déduction faite de ce montant, condamné la société Future à payer la société Clue la somme de 13 514,25 euros TTC.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les désordres allégués par la société Future
Moyens des parties
La société Future soutient qu'elle a eu la mauvaise surprise de découvrir que les canalisations et la toiture étaient affectées de malfaçons.
S'agissant des canalisations, elles sont affectées d'une malfaçon structurelle, révélées par des odeurs nauséabondes qui l'ont conduite à faire appel à la société Les Déboucheurs de France qui a indiqué que le défaut d'écoulement des eaux usées était directement lié à l'intervention défectueuse de la société Clue.
S'agissant de la toiture, ses tôles de zinc ont, comme le démontrent les photographies du constat du 8 janvier 2020 et l'attestation de M. [H], couvreur, été perforées par les vis du BA13.
Elle souligne que lesdites photographies établissent que ces perforations ont été faites de l'intérieur et sont parfaitement linéaires.
Elle ajoute que ces perforations lui ont causé de nombreux dommages et un trouble de jouissance important et que, faute d'avoir pu obtenir gain de cause en première instance, elle a été contrainte de réaliser, à ses frais, des travaux conservatoires à hauteur de la somme de 43 579,47 euros, au paiement de laquelle elle sollicite, en appel, la condamnation de la société Clue.
En réponse, la société Clue fait valoir que les désordres allégués sont inexistants.
En premier lieu, le prétendu problème de canalisation correspondait uniquement à une trappe fermée, la société Les Déboucheurs de France étant intervenue pour l'ouvrir ayant attesté de l'absence de perturbation du réseau.
En second lieu, la perforation des tôles de zinc ne lui est aucunement imputable pour les raisons suivantes.
D'abord, alors que le courrier du couvreur indique que les vis du BA13 ont perforé le zinc du toit, une telle information n'a pas été portée à sa connaissance ni lors du procès-verbal de réception ni lors de celui de levée des réserves.
Ensuite, les photographies du constat prouvent que la pose du BA13 ne peut être à l'origine des perforations en cause dès lors qu'elles sont éparpillées alors que ladite pose s'effectue parallèlement et de façon strictement linéaire.
Enfin, la cause des désordres est, en réalité, préexistante, comme le démontre les photographies prises avant les travaux.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Selon l'article 1792-6 du même code, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.
Au cas d'espèce, s'agissant des canalisations, il résulte du message électronique adressé le 5 novembre 2019 par la société Les Déboucheurs de France à la société Clue que les canalisations étaient saines en l'absence d'éléments de nature à perturber le réseau.
Il s'en infère que la société House échoue à démontrer l'existence d'un désordre affectant les canalisations.
S'agissant de la toiture, il résulte de la date du courrier de M. [H], couvreur, soit le 7 janvier 2019, que la société Future avait connaissance de l'existence de perforations dans sa toiture antérieurement à la réception du chantier et que, n'ayant pas réservé un tel désordre, elle ne peut plus s'en prévaloir.
A titre surabondant, la cour observera qu'il résulte de l'examen des photographies du constat que lesdites perforations ne sont aucunement linéaires, de sorte qu'elles ne peuvent avoir été occasionnées lors de la pose du BA13 par la société Clue. Il s'en infère que la société House échoue, en tout état de cause, à démontrer l'existence d'un désordre affectant le toit imputable à la société Clue.
Par suite, les demandes réparatoires seront rejetées.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sera ajouté au rejet prononcé par le tribunal celui de la demande, présentée en cause d'appel, de la société Future en condamnation de la société Clue à lui payer à la somme de 43 579,47 euros au titre des travaux de réparation nécessaires à la réfection du toit.
Par ailleurs, les désordres en cause n'étant pas imputables à la société Clue, la demande d'indemnisation du préjudice de jouissance, au demeurant non établi, de la société House, sera rejetée.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les frais du procès
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, la société Future, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer à la société Clue la somme de 3 000 euros, au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Rejette la demande de la société Future House en condamnation de la société Clue ME à lui payer à la somme de 43 579,47 euros au titre des travaux de réparation nécessaires à réfection du toit ;
Condamne la société Future House aux dépens d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Future House et la condamne à payer à la société Clue ME la somme de 3 000 euros.
La greffière, Le président de chambre,