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CA Paris, Pôle 4 - ch. 5, 3 septembre 2025, n° 24/15817

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 24/15817

3 septembre 2025

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 5

ARRET DU 03 SEPTEMBRE 2025

(n° /2025, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 24/15817 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CKBA7

Décision déférée à la Cour : ordonnance du 13 mai 2024 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de MEAUX - RG n° 23/01670

APPELANTE

S.A. ABEILLE IARD & SANTE anciennement dénommée AVIVA prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée à l'audience par Me Naïma AHMED-AMMAR, avocat au barreau de PARIS, toque : R050

INTIMEE

S.C.I. DE LA DIME prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250

Ayant pour avocat plaidant à l'audience Me Emmanuel RABIER de la SELARL CABINET RABIER, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 avril 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Emmanuelle BOUTIE, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Ludovic JARIEL, président de chambre,

Mme Emmanuelle BOUTIE, conseillère

Mme Viviane SZLAMOVICZ, conseillère

Greffier, lors des débats : M. Alexandre DARJ

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, délibéré initialement prévu le 09 juillet 2025 et prorogé au 03 septembre 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Ludovic JARIEL, président de chambre et par Tiffany CASCIOLI, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société de la Dime a entrepris, en qualité de maître d'ouvrage, la construction d'un ensemble immobilier de 12 logements collectifs et de 14 places de stationnement sur un terrain situé [Adresse 3] à [Localité 6] (77).

Sont notamment intervenus dans la réalisation de l'opération :

- la société Groupe Satim, maître d'ouvrage délégué,

- la société La Francilienne de travaux, entreprise générale,

- M. [L], maître d''uvre de conception et suivi architectural,

- la société M2OP, maître d''uvre d'exécution et organisation pilotage coordination,

- la société Socotec, bureau de contrôle,

- la société Socotec SPS, coordinateur sécurité,

- la société SFP Isobat, sous-traitant, lot isolation cloison doublage.

Pour les besoins de l'opération, une police d'assurance dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Aviva, désormais dénommée la société Abeille Iard & Santé (la société Abeille Iard).

Le 21 octobre 2016, la réception des lots isolation, cloison, doublage et menuiserie intérieure a été prononcée avec réserves, concernant essentiellement des portes palières voilées et la planéité des plaques de placo.

La société de la Dime a sollicité la levée des réserves auprès des sociétés Satim et SFP Isobat ainsi que la réparation de désordres apparus après la réception.

Elle a adressé à la société Abeille Iard une déclaration de sinistre et un rapport préliminaire dommages-ouvrage a été établi le 1er février 2018 par la société Eurisk, mandatée par l'assureur le 18 décembre 2017.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 5 février 2018 adressée à la société de la Dime, la société Abeille Iard a reconnu sa garantie pour un seul désordre et l'a déniée pour les cinq autres.

Par ordonnance en date du 13 mars 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Meaux a, à la demande de la société de la Dime, désigné M. [D] en qualité d'expert judiciaire.

Le 18 novembre 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Meaux a, à la requête de la société de la Dime, rendu les dispositions de l'ordonnance de référé du 13 mars 2019 communes et opposables à la société Abeille Iard.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 26 juin 2021.

Par acte en date du 6 avril 2023, la société de la Dime a assigné la société Abeille Iard en condamnation au paiement de la somme de 7 000 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 4 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par ordonnance du 13 mai 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Meaux a statué en ces termes :

Dit que la société Abeille Iard ne peut plus opposer à la société de la Dime la prescription biennale pour ce qui concerne l'action en réparation des dommages matériels ;

Déclare prescrite l'action de la société de la Dime concernant les dommages immatériels ;

Condamne la société Abeille Iard et la société de la Dime aux dépens, chacune pour moitié ;

Rejette toutes les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Renvoie l'examen de l'affaire à l'audience de mise en état du 3 juin 2024 pour clôture et fixation, sauf conclusions en demande ;

Rappelle que les envois doivent être effectués impérativement au plus tard le jeudi précédant l'audience à 23h59mn, à défaut ils ne seront pas pris en compte.

Par déclaration en date du 4 septembre 2024, la société Abeille Iard a interjeté appel de l'ordonnance, intimant devant la cour la société de la Dime.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 mars 2025, la société Abeille Iard demande à la cour de :

Juger la société Abeille Iard, ès qualités, recevable en son action et la dire bien fondée en ses demandes ;

Reformer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Meaux le 6 mai 2024 sous le RG 23/01670 ;

Statuant à nouveau,

Juger que le premier acte interruptif de prescription pris par la société de la Dime à l'encontre de la société Abeille Iard, ès qualités, date de l'assignation en référé aux fins d'ordonnance commune signifiée le 15 octobre 2020, tandis que la déclaration de sinistre litigieuse date du 7 décembre 2017 ;

Juger que les désordres affectant les portes palières portent sur des éléments d'équipement dissociables, soumis à la garantie biennale de bon fonctionnement ;

Juger que les préjudices immatériels sont exclus du champ des garanties de l'assureur dommages-ouvrages, assureur de choses ;

Ce faisant,

Juger l'action de la société de la Dime prescrite à l'égard de la société Abeille Iard, à défaut d'avoir interrompu la prescription dans les deux ans suivant la désignation par l'assureur dommages-ouvrage de l'expert pour compte commun intervenue le 18 décembre 2017, subsidiairement dans les 2 ans suivant la position de refus de garantir notifiée le 5 février 2018 par la société Abeille Iard ;

Juger l'action de la société de la Dime forclose sur le fondement de la garantie biennale de bon fonctionnement ;

Rejeter l'appel incident formé par la société de la Dime visant à obtenir la réparation de ses préjudices immatériels, exclus du champ des garanties dommages-ouvrage ;

Condamner la société de la Dime à payer à la société Abeille Iard la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 3 mars 2025, la société de la Dime demande à la cour de :

Confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'il a été jugé que la société Abeille Iard ne peut opposer à la société de la Dime la prescription biennale pour ce qui concerne l'action en réparation des dommages matériels ;

Débouter la société Abeille Iard de l'ensemble de ses demandes formées dans le cadre de cette procédure ;

Recevoir la société de la Dime en son appel incident et l'y juger bien fondée ;

Infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré prescrite l'action de la société de la Dime concernant les dommages immatériels, condamné pour moitié les parties aux dépens et rejeté la demande d'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Déclarer l'action de la société de la Dime recevable ;

Condamner la société Abeille Iard à payer à la société de la Dime la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens du présent incident.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 1er avril 2025 et l'affaire a été appelée à l'audience du 9 avril 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Sur la prescription

Moyens des parties

La société Abeille Iard fait valoir que la société de la Dime a déclaré un sinistre le 6 décembre 2017 portant, notamment, sur le défaut de planéité des murs en placoplâtre et sur le caractère voilé des portes palières de certains appartements et que l'expert a été missionné, à ce titre, le 18 décembre 2017.

Elle précise que la société de la Dime n'a introduit aucune action interruptive de prescription avant le 18 décembre 2019 et que suivant notification du 5 février 2018, elle a pris une position de refus de garantie avant d'être assignée en référé aux fins d'ordonnance commune suivant acte d'huissier de justice du 15 octobre 2020, date à laquelle la prescription était déjà acquise.

Elle soutient, qu'alors que l'expert judiciaire a déposé son rapport le 15 avril 2021, la société de la Dime a attendu le 6 avril 2023 pour l'assigner au fond aux fins d'obtenir l'indemnisation des désordres.

Enfin, elle expose que l'action aux fins d'indemnisation d'éléments dissociables de l'ouvrage devait être introduite avant le 21 octobre 2018 dès lors que la réception est intervenue le 21 octobre 2016 et que l'assignation au fond n'a été délivrée par la société de la Dime que le 15 octobre 2020, soit plus de deux ans après la réception de l'ouvrage et la notification du refus de garantie.

En réponse, la société de la Dime fait valoir que le courrier du 10 février 2020 s'analyse en une déclaration de sinistre et que la société Abeille Iard n'a notifié sa position de non-garantie que le 17 juin 2020, soit au-delà du délai de 60 jours prévu par l'article L. 242-1 du code des assurances.

Elle soutient que le courrier du 14 octobre 2022 était adressé à l'assureur pour interrompre le délai de prescription biennal, soit dans le délai de deux ans à compter de l'ordonnance de référé du 18 novembre 2020.

Elle ajoute qu'une assignation au fond en ouverture de rapport a été délivrée à la société Abeille Iard le 6 avril 2023, de sorte que son action n'est pas prescrite, et que, le cas échéant, l'assureur ne peut s'en prévaloir alors qu'il n'a pas respecté le délai de soixante jours prévu par l'article L. 242-1 du code des assurances.

En outre, elle avance que le caractère décennal des désordres générés par des éléments d'équipements permet à l'assuré bénéficiaire d'une police dommages-ouvrages ou d'une police décennale, d'agir dans un délai de dix ans à compter de la réception des travaux et que dans son assignation au fond, elle a justifié la mise en cause de son assureur dommages-ouvrages en démontrant le caractère décennal des désordres allégués.

Réponse de la cour

Aux termes des dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances, dans sa version applicable au présent litige, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'évènement qui y donne naissance.

L'article L. 242-1, alinéa 3, du même code dispose que l'assureur a un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la date de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l'assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat.

Il est établi que l'assuré dispose, pour réclamer l'exécution des garanties souscrites d'un délai de deux ans à compter de la connaissance qu'il a des désordres survenus dans les dix ans qui ont suivi la réception des travaux (1re Civ., 4 mai 1999, pourvoi n° 97-13.198, Bulletin civil 1999, I, n° 141 ; 3e Civ., 19 mai 2016, pourvoi n° 15-16.688, diffusé).

L'assureur dommages-ouvrage est tenu de répondre dans le délai prévu à l'article L. 242-1 du code des assurances à toute déclaration de sinistre. A défaut, il ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date d'expiration de ce délai (3e Civ., 26 novembre 2003, pourvoi n° 01-12.469, publié au Bulletin).

Ainsi, l'assureur dispose d'un délai de soixante jours à compter de la déclaration de sinistre pour notifier à son assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat.

Au cas d'espèce, il est constant que la société de la Dime a souscrit une police dommages-ouvrage auprès de la société Abeille Iard le 18 février 2016 et que la réception des travaux est intervenue avec réserves le 21 octobre 2016.

Si la société de la Dime soutient que le courrier recommandé avec accusé de réception du 10 février 2020 constitue une déclaration de sinistre, force est de constater que ce dernier concerne les mêmes désordres que ceux dénoncés dans la déclaration de sinistre du 5 octobre 2017, s'agissant notamment du défaut de planéité des murs et du voile des portes palières et fait expressément référence à une déclaration de sinistre du " 26 juin 2017 " de sorte qu'il ne saurait être analysé en une déclaration de sinistre.

Alors que le rapport d'expertise extra-judiciaire établi par la société Eurisk a été établi le 1er février 2018, il mentionne la date du 5 octobre 2017 comme étant celle de la déclaration de sinistre réalisée par la société de la Dime à la suite de la découverte des désordres affectant les immeubles, cette date n'étant pas contestée par les parties et étant cohérente avec l'intervention de la société Eurisk, mandatée par l'assureur pour réaliser une expertise extra-judiciaire le 6 décembre 2017.

Ainsi, le juge de la mise en état a justement retenu la date du 5 octobre 2017 comme étant celle de la déclaration de sinistre adressée par la société de la Dime à la société Abeille Iard et ayant donné lieu à la réalisation d'une expertise extra-judiciaire de sorte que l'assureur avait jusqu'au 5 décembre 2017 pour notifier à la société de la Dime sa décision quant au principe de la mise en jeu de ses garanties.

Alors que l'assureur a procédé à la notification de sa décision de non-garantie le 5 février 2018 soit après l'expiration du délai de soixante jours prévue par les dispositions de l'article L. 242-1, alinéa 3 du code des assurances précité, c'est à juste titre que le premier juge a retenu qu'il ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date d'expiration de ce délai et ne peut plus contester sa garantie ni le caractère décennal des désordres déclarés par la société de la Dime.

Toutefois, l'article L. 242-1, alinéa 5, du code des assurances, qui sanctionne le retard ou le défaut, par l'assureur, de la mise en 'uvre de la garantie, est inapplicable aux dommages immatériels dès lors que cette garantie obligatoire ne concerne pas cette sorte de préjudice mais seulement les dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs sur le fondement de l'article 1792 du Code civil (3e Civ., 12 janvier 2005, pourvoi n° 03-18.989, publié au Bulletin), de sorte que cette sanction ne vaut que pour les préjudices matériels.

Au cas d'espèce, suite à la déclaration de sinistre du 5 octobre 2017, la société de la Dime ne justifie pas avoir réalisé un acte interruptif de prescription avant le 15 octobre 2020, date de l'assignation en référé de la société Abeille Iard ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 18 novembre 2020.

En conséquence, la prescription biennale était acquise au jour de la délivrance de l'assignation en référé, de sorte que l'action de la société de la Dime est prescrite concernant les dommages immatériels.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée de ces chefs.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer l'ordonnance sur la condamnation aux dépens et sur ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile.

En cause d'appel, la société Abeille Iard, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer à la société de la Dime la somme de 3 000 euros, au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne la société Abeille Iard et santé aux dépens d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Abeille Iard et santé et la condamne à payer à la société de la Dime la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

La greffière, Le président de chambre,

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