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Décisions

CA Lyon, ch. soc. c, 5 septembre 2025, n° 23/03695

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 23/03695

5 septembre 2025

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 23/03695 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O6RD

[P]

C/

S.A. VIEWPOINT

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG EN BRESSE

du 11 Avril 2023

RG : F20/00182

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 05 SEPTEMBRE 2025

APPELANT :

[T] [P]

né le 18 Août 1981 à [Localité 6]

[Adresse 5]

[Localité 1]

représenté par Me Philippe METIFIOT-FAVOULET, avocat au barreau d'AIN

INTIMÉE :

S.A. VIEWPOINT

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Thierry CARRON de la SELARL REQUET CHABANEL, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Mai 2025

Présidée par Agnès DELETANG, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Fernand CHAPPRON, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Agnès DELETANG, présidente

- Yolande ROGNARD, conseillère

- Régis DEVAUX, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Septembre 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Agnès DELETANG, Président et par Fernand CHAPPRON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

La société Viewpoint est une société spécialisée dans la création de logiciels innovants en biotechnologie et neurosciences destinés à l'industrie. La société dispose de deux filiales, l'une en Chine et l'autre au Canada.

La convention collective applicable est la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 (IDDC 650).

Par un contrat de travail à durée déterminée d'une durée d'un mois, M. [T] [P] a été embauché par la société Viewpoint en qualité de commercial en attendant la mise en place d'un volontariat international en entreprise, qui s'est déroulé en Chine à compter de novembre 2006.

Il intègre les effectifs de l'entreprise le 1er mars 2009 sous le régime de l'expatriation en qualité de commercial, en Chine. Il a ensuite rejoint le bureau de [Localité 4] avant de retourner en Chine.

En 2017, l'un des actionnaires de la société RND Systems (holding) a cédé ses parts sociales à M. [P].

Par un contrat à durée indéterminée, M. [P] a été engagé en qualité de Directeur commercial Monde statut cadre, position IIIC et coefficient 240 de la convention de la métallurgie, à compter du 5 avril 2018.

Par lettre en date du 16 juin 2020, M. [P] a été convoqué à un entretien en vue d'une rupture conventionnelle, laquelle n'a pas abouti.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 17 juillet 2020, M. [P] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 juillet suivant.

Par une lettre recommandée en date du 31 juillet 2020, M. [P] a été licencié pour faute grave.

Par requête en date du 17 août 2020, M. [P] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Bourg-en-Bresse de plusieurs demandes à caractère indemnitaire et salarial.

Par jugement du 11 avril 2023, le Conseil de Prud'hommes de Bourg-en-Bresse a jugé que le licenciement pour faute grave de M. [P] était justifié et a, en conséquence, débouté ce dernier de l'ensemble de ses demandes, ainsi que celle de la S.A Viewpoint, tout en mettant à la charge de M. [P] les dépens de l'instance.

Par déclaration du 2 mai 2023, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 mars 2025, M. [P] demande à la cour de :

- reformer le jugement sur les chefs déférés ;

Et statuant à nouveau :

- requalifier le licenciement pour faute grave en un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Viewpoint à payer à M. [T] [P] la somme de 21.600 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis, outre 2.160,00 euros bruts de congés payés afférents ;

- condamner la société Viewpoint à payer à M. [T] [P] la somme de 41.040 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

- condamner la société Viewpoint à payer à M. [T] [P] la somme de 86.400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Viewpoint à payer à M. [T] [P] un rappel de salaire d'un montant de 20.701,65 euros brut outre 2.070,16 euros au titre des congés payés au titre des commissions dues relativement à l'avenant du 16 octobre 2019 ;

- condamner la société Viewpoint à payer à M. [T] [P] une indemnité d'un montant 20.000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

- condamner la société Viewpoint à payer à M. [T] [P] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 avril 2025, la société Viewpoint demande à la cour de :

- écarter des débats les pièces n°1 à 39 mentionnées sur le bordereau de communication de pièces de M. [P] ;

A titre principal,

- confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Bourg en Bresse en date du 11 avril 2023 en ce qu'il a :

* dit et juge que le licenciement pour faute grave de M. [T] [P] était parfaitement justifié,

En conséquence,

* débouté M. [T] [P] de l'ensemble de ses demandes,

* dit que les dépens sont à la charge de M. [T] [P] ;

A titre subsidiaire,

- déclarer que le rappel de salaire au titre des commissions portant sur le chiffre d'affaires encaissé et réalisé en France ne peut être supérieur à la somme de 544,15 euros ;

A titre infiniment subsidiaire,

- déclarer que le rappel de salaire au titre des commissions portant sur le chiffre d'affaires de la société Viewpoint ne peut être supérieur à la somme de 2.129,40 euros ;

Y ajoutant,

- condamner M. [T] [P] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens d'appel.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

La clôture de la procédure a été ordonnée le 13 mai 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande tendant à voire écarter les pièces n° 1 à 39 produites par M. [P] :

Invoquant les dispositions des articles 15 et 906 du code de procédure civile, la société Viewpoint demande que soient écartées les pièces n° 1 à 39 produites par M. [P] au motif que ces pièces n'ont pas été produites par l'appelant à l'appui de ses conclusions notifiées par RPVA le 2 août 2023 et que malgré plusieurs demandes, dont l'une par courrier officiel du 13 septembre 2023, M. [P] n'a pas communiqué les pièces sollicitées. La société Viewpoint fait valoir qu'elle s'est trouvée contrainte de conclure sans disposer des pièces sur la base desquelles M. [P] fondait son argumentation et que le principe du contradictoire n'a donc pas été respecté. La société Viewpoint affirme qu'il en est résulté pour elle un préjudice tenant à l'impossibilité de concentrer l'ensemble de ses prétentions dès ses premières conclusions et ne lui a pas permis d'organiser correctement sa défense.

En réplique, M. [P] prétend que les pièces produites sont les mêmes que celles communiquées en première instance. Il ajoute que les pièces dont s'agit ont été communiquées le 27 novembre 2023 de manière officielle, ce qui en tout état de cause a laissé à l'intimée le temps de conclure utilement avant la clôture.

Sur ce,

L'article 15 du code de procédure civile dispose que Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

Selon l'article 906 du même code, dans sa version applicable au litige, Les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie ; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l'être à tous les avocats constitués.

Copie des conclusions est remise au greffe avec la justification de leur notification.

Les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables.

Si l'article 906 du code de procédure civile prévoit que les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie, cette prescription ne peut être sanctionnée par l'irrecevabilité des pièces communiquées ultérieurement, dès lors que cette communication intervient en temps utile dans des conditions permettant le respect du principe de la contradiction.

En l'espèce, M. [P] produit les accusés de réception de la communication de l'ensemble de ses pièces par l'intermédiaire du RPVA le 27 novembre 2023, après que les précédentes communications aient été critiquées par la société Viewpoint. Il y a lieu d'observer que ces 39 pièces avaient déjà été communiquées en première instance.

Après la communication de la totalité des pièces de M. [P] du 27 novembre 2023, la société Viewpoint a pu conclure à nouveau les 15 avril 2024, 21 juin 2024 et 24 mars 2025, avant la clôture de la procédure ordonnée le 13 mai 2025, de sorte que conformément à l'article 15 du code de procédure civile, M. [P] a fait connaître en temps utile les éléments de preuve qu'il produisait.

La demande sera donc rejetée.

Sur le bien-fondé du licenciement :

M. [P] conclut, au soutien de la demande d'infirmation du jugement, que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse au motif que :

- il n'a fait l'objet d'aucune mise à pied conservatoire et a été maintenu à son poste jusqu'à son licenciement ce qui démontre que le grief invoqué par l'employeur ne revêt pas de caractère de gravité ;

- son licenciement pour faute grave est intervenu alors même que des négociations étaient en cours entre les parties pour parvenir à une rupture conventionnelle de son contrat de travail et la cession des parts sociales qu'il détenait dans l'entreprise ; le changement d'attitude de l'employeur démontre la volonté de ce dernier de s'affranchir du paiement des sommes négociées ;

- les attestations versées aux débats dont le contenu vise à remettre en cause ses qualités professionnelles ne peuvent servir à caractériser la gravité de la faute alléguée par l'employeur, dès lors que ce dernier ne s'est pas prévalu dans la lettre de licenciement d'une absence de professionnalisme de sa part ;

- la réservation d'un nom de domaine n'est pas susceptible de constituer une faute, une concurrence déloyale ou une contrefaçon si le réservataire n'en fait pas usage ; étant associé de l'entreprise et intégré au développement du projet " Toxmate ", M. [P] soutient qu'il disposait d'une grande autonomie dans la gestion ce dossier et qu'il était amené à prendre des initiatives dans l'intérêt de l'entreprise ; c'est dans ces conditions qu'il a, à titre de précaution, réservé le vocable " Toxmate " avec différentes extensions dans le cas où un site internet serait ultérieurement créé ; or, aucune utilisation des noms de domaine n'a été effectuée puisqu'aucun site internet n'a été créé, ni exploité ;

- il n'avait aucune volonté de dissimuler la réservation des noms de domaine, lors de laquelle il a utilisé une adresse mail connue de l'employeur et fait figurer le numéro de téléphone de son épouse, elle-même salariée de la société Viewpoint ;

- il a procédé aux formalités pour le transfert des noms de domaines ;

- enfin, M. [P] indique qu'il a modifié l'intitulé de ses fonctions dès qu'il lui en a été fait la demande et ne plus avoir utilisé la qualité de directeur marketing ; il rappelle que dans une entreprise d'une vingtaine de salariés, chaque cadre est amené à avoir plusieurs casquettes et à mener des tâches qui ne lui sont pas forcément dévolues ; que la société Viewpoint l'a d'ailleurs elle-même présenté en qualité de " Directeur Commercial et Marketing " tant dans le cadre de la présentation du projet " Toxmate " auprès de la commission européenne que dans le rapport établi par Mme [Z] lors de son entretien professionnel.

Pour soutenir le bienfondé du licenciement de M. [P], l'employeur :

- développe chacun des griefs énoncés dans la lettre de licenciement ;

- soutient que la gravité de ceux-ci découle :

* de l'enregistrement des noms de domaine à l'insu de la société qui était titulaire de la marque " Toxmate " ; cet enregistrement a été effectué neuf mois auparavant par un tiers anonyme dont elle découvrira ultérieurement qu'il s'agit de M. [P], lequel a déposé les noms de domaine en son nom propre, s'appropriant ainsi les droits attachés à cette protection ; M. [P] a, lors de l'enregistrement des noms de domaine, utilisé son adresse mail personnelle et le numéro de téléphone de son épouse au lieu d'utiliser l'adresse et le numéro de téléphone de l'entreprise et procédé au paiement des frais avec sa carte bancaire personnelle alors qu'il disposait d'une carte bancaire de la société ; les explications données par M. [P] pour justifier de cet enregistrement, notamment en ce qui concerne la confidentialité du projet " Toxmate " sont inexactes, plusieurs communications ayant été faites antérieurement au dépôt des noms de domaine ; M. [P] a résisté à la demande de restitution des noms de domaine et a tenté de modifier l'enregistrement de ceux-ci ;

* de l'utilisation de la qualité de Directeur Général de la société Viewpoint France et Viewpoint Asie et de celle de Directeur Général de Viewpoint auprès des salariés de [Localité 7].

Sur ce,

L'article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L.1234-1 du même code, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Elle résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle s'apprécie in concreto, en fonction de l'ancienneté du salarié, de la qualité de son travail et de l'attitude qu'il a adoptée pendant toute la durée de la collaboration.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

Le doute doit profiter au salarié.

En l'espèce, la lettre de licenciement notifiée le 31 juillet 2020 à M. [P], qui fixe les termes du litige, est ainsi libellée :

" Vous exercez depuis le 5 avril 2018 les fonctions de directeur commercial monde au sein de notre société.

Début juin 2020, nous avons souhaité procéder au dépôt des noms de domaine de notre marque ToxMate, [H] [Z] étant en effet chargée de créer un site internet dédié en vue d'une parution d'un article prévue le 20 juin faisant référence au site.

A cette occasion, nous avons eu la désagréable surprise de constater que vous aviez procédé au dépôt de domaines en votre nom personnel ou celui de votre épouse, sans nous en avoir informés ni en avoir reçu l'autorisation, et alors même que vous saviez que la marque ToxMate avait été déposée antérieurement par la Société.

Vous avez ainsi réservé les noms de domaine litigieux suivants : (.eu) le 30 septembre 2019, (.fr) le 09 octobre 2019 et (.cn) le 10 octobre 2019, soit seulement quelques jours après l'enregistrement international de la marque " ToxMate " du 26 septembre 2019.

Vous connaissiez d'ailleurs parfaitement le périmètre de protection, puisque vous étiez en charge du projet " Toxmate ". Votre agissement n'est donc pas une erreur matérielle, ni le fruit du hasard.

- La méthode employée, de même que votre silence sur ces dépôts démontrent que vous aviez l'intention de dissimuler frauduleusement vos actes.

1° En effet, afin de procéder à ce dépôt, vous avez utilisé votre propre adresse électronique et celle de votre épouse et non curieusement celle de la Société alors qu'il n'existait aucune justification objective d'agir ainsi.

2° De surcroît, vous avez utilisé le service d'anonymisation des données pour le .fr et le .eu. au motif qu'il ne fallait pas communiquer sur le projet "ToxMate".

Or, à l'époque de l'enregistrement des noms de domaines, la marque "ToxMate" avait déjà été déposée et était déjà publiée sur les bases de données de propriété intellectuelle, de sorte que les tiers pouvaient connaitre le nom du titulaire de ces droits de marque. Vous avez ensuite contesté le fait que les dépôts aient été effectués de façon anonyme, l'adresse mail et le téléphone apparaissant sur Whois. Cette tentative de justification ne correspond pas à la réalité puisque nous avons dû recourir à l'AFNIC et prouver que nous avions déposé la marque pour pouvoir accéder à ces informations.

Vous avez enfin tenté d'expliquer vos agissements par le refus de la société Viewpoint de créer un site dédié ToxMate alors même qu'aux dates de dépôt des domaines, les réunions mensuelles sur le projet n'avaient pas débuté et la question du site internet n'était donc encore pas tranchée.

3° Enfin vous avez utilisé votre propre carte bancaire alors que vous avez à disposition la carte bancaire de l'entreprise. Une fois encore, il n'existait aucune justification objective à procéder ainsi. D'ailleurs le simple fait de ne pas avoir établi de note de frais pour cette dépense démontre que vous souhaitiez que votre démarche reste occulte et nous soit inconnue.

- Vous avez ouvertement menti à [H] [Z], cette dernière ayant découvert la supercherie, en lui écrivant que vous n'aviez déposé aucun autre nom de domaine.

Le 19 juin 2020, Madame [Z] vous demandait (après s'être étonnée qu'un salarié puisse déposer à titre individuel des noms de domaine d'une marque appartenant à son employeur), s'il y avait d'autres domaines qui auraient été déposés.

Vous allez attendre 22h30 pour lui répondre par la négative et dans les termes suivants: "je n'ai pas d'autre domaine déposé ou autre chose à mon nom appartenant à Viewpoint ;"

Or il est apparu que vous aviez également déposé les noms de domaines (.cn) le 10 octobre 2019 pour la Chine et (.eu) le 30 septembre 2019 pour l'Europe.

A fortiori, vous avez réservé le nom de domaine "toxmate.cn" pour empêcher la Société de protéger sa marque sur la Chine et de s'y implanter.

- De surcroît, vous avez fait de la résistance pour transmettre les noms de domaine .eu et .cn.

Dans votre mail du 25 juin 2020, vous indiquez en effet " De toute évidence les domaines ne concernent pas les ressources humaines. ['] Merci de me diriger vers la personne en charge du marketing qui comprendra surement le fonctionnement des domaines ".

Ce mépris affiché pour votre collègue de travail n'est pas non plus admissible dès lors que cette dernière vient de relever vos man'uvres.

De toute évidence, votre intention était donc bien de priver votre employeur d'un signe nécessaire dans son activité, la marque internationale antérieure détenue par la Société ne désignant pas la Chine par exemple.

Vous saviez pertinemment que vous ne pouviez pas déposer ces noms de domaine et votre tentative d'explication consistant à dire que dans la mesure où la société avait dans un premier temps décidé de ne pas déposer de nom de domaine, vous étiez fondé en tant que directeur marketing à les enregistrer avant que quelqu'un d'autre ne l'enregistre n'abusera personne.

Si tel avait été le cas, vous auriez au moins informé votre direction qui n'a appris vos agissements que de manière fortuite et 7 mois après !

D'ailleurs pendant le délai de restitution des accès aux comptes OVH pour la Chine et l'Europe, vous avez modifié les données des comptes afin de tenter de nous faire croire qu'ils avaient bien été enregistrés au nom de Viewpoint. Les mouvements sur ces comptes sont visibles sur Whois et apparaissent également dans l'historique des comptes ce qui ne laisse aucun doute sur votre volonté de nous tromper.

Ces agissements démontrent un comportement déloyal vis-à-vis de votre employeur, ainsi qu'une parfaite mauvaise foi.

Par ailleurs vous ne tenez aucun compte des instructions qui vous sont données ce qui caractérise un acte d'insubordination manifeste vis-à-vis de votre hiérarchie.

Le 5 mai dernier, alors que nous vous demandions pour la énième fois de respecter l'intitulé contractuel de vos fonctions, en l'espèce Directeur commercial monde (un compte rendu de cette réunion a même été établi), vous persistez à vous présenter aux yeux des tiers en qualité de Directeur des ventes et marketing (cf votre profil du 16/07/20). Or comme vous le savez, cette dernière fonction ne fait pas partie de vos attributions' Le 14 mai, vous nous avez soutenu avoir modifié la présentation de vos fonctions alors même que le profil du 16 juillet démontre le contraire, ce qui démontre encore une fois votre mauvaise foi.

Ces agissements avérés vous sont imputables et sont constitutifs d'une faute grave caractérisée.

L'absence d'exécution de bonne foi de vos obligations professionnelles ne permet plus une poursuite normale de votre contrat de travail.

Les explications que vous nous avez fournies lors de l'entretien préalable ne permettant pas de modifier notre appréciation des faits, nous vous notifions en conséquence votre licenciement pour faute grave ".

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la chambre sociale de la cour de cassation que l'absence de mise à pied conservatoire pendant le cours de la procédure de licenciement ne prive pas l'employeur de fonder celui-ci sur une faute grave ( Cass. soc., 4 nov. 1992, nº 91-41.189. - Cass. soc., 24 févr. 2004, nº 01-47.000. - Cass. soc., 18 mars 2014, nº 12-35.108 ) et que l'employeur n'est pas tenu de procéder à une mise à pied conservatoire avant d'engager une procédure disciplinaire ( Cass. soc., 9 févr. 2022, nº 20-17.140).

En tout état de cause, l'absence mise à pied conservatoire pendant le cours de la procédure de licenciement n'est pas de nature à retirer aux faits leur caractère de gravité.

Il convient d'examiner les différents griefs faits à M. [P].

* sur la réservation et l'enregistrement des noms de domaine

M. [P] reconnaît avoir entrepris les démarches nécessaires pour réserver auprès de la société Ionos les noms de domaine " Toxmate.fr ", " Toxmate.org " et " Toxmate.net " et enregistré auprès d'OVH les noms de domaine " Toxmate.cn " et " Toxmate.eu ", en son nom propre et non au nom de l'entreprise dont il n'ignorait pas que la société Viewpoint avait déposé la marque. Les conditions dans lesquelles il a déposé ces noms de domaine, en ayant recours à une personne physique et non une personne morale, en utilisant à la fois une adresse mail personnelle ainsi que sa propre carte bancaire et le numéro de téléphone de son épouse, démontrent d'une part, qu'il a entendu profiter de l'anonymisation du dépôt dont bénéficient automatiquement les personnes physiques et, d'autre part, qu'il a volontairement effectué ces enregistrements à l'insu de l'employeur en évitant toute traçabilité de ceux-ci. La prétendue confidentialité du projet " Toxmate " alléguée par le salarié pour expliquer ses agissements, qui est contredite par les pièces produites par la société Viewpoint, ne peut justifier le choix de M. [P] d'enregistrer, en son nom propre, différents noms de domaine en lien avec le projet développé par l'entreprise et, en tout état de cause, de n'avoir jamais informé l'employeur des démarches entreprises par ses soins. Il importe peu que M. [P] n'ait pas fait usage des noms de domaine, cette circonstance n'est pas de nature à ôter tout caractère fautif à ses agissements étant rappelé que l'appréciation de la faute par la juridiction prud'homale est indépendante de celle d'agissements de concurrence déloyale ou de contrefaçon.

Par ailleurs, si ce dernier indique avoir restitué les noms de domaine à l'employeur, force est de constater qu'il n'a déféré à la demande de la société Viewpoint de transfert de ceux-ci que lorsque cette dernière a découvert les premiers enregistrements et a, sciemment tenté de dissimuler les autres. Il ressort ainsi des échanges de courriels que, bien qu'interrogé le 19 juin 2020 par la société Viewpoint sur le point de savoir si d'autres noms de domaine avaient été déposés, M. [P] a indiqué qu'il " n'avait pas d'autre domaine déposé ou autre chose à [son] nom appartenant à Viewpoint ". Or, la société Viewpoint a découvert ultérieurement que M. [P] avait déposé un autre nom de domaine.

Ces faits, dont la matérialité est établie, constituent un manquement caractérisé à la bonne foi contractuelle, un comportement déloyal envers l'employeur.

S'agissant de l'utilisation de la qualité de Directeur commercial et marketing par M. [P], ce dernier produit deux documents de la société Viewpoint élaborés pour la présentation du projet " Toxmate " ainsi que le projet de compte rendu d'entretien professionnel qui lui a été adressé le 23 octobre 2019 démontrant qu'il est effectivement présenté comme exerçant les fonctions de Directeur commercial et marketing au sein de l'entreprise. Toutefois, il est mentionné dans le compte rendu de la réunion " point marketing et commercial " du 5 mai 2020 que " [T] [[P]], Directeur Commercial Monde dans son contrat de travail, se présente comme Directeur Marketing et Commercial (') ". Il est adjoint à ce compte rendu une fiche de poste mentionnant " Directeur Commercial Marché des neurosciences ". Le 20 mai suivant, M. [P] a adressé un courriel aux salariés de la société Viewpoint afin de " rectifier la présentation de [ses] fonctions (') conformément aux mentions de [son] contrat de travail, à savoir Directeur Commercial Monde " et de les informer que " les fonctions marketing ne sont plus de [sa] responsabilité (ni celles de production) et que [son] poste est recentré sur l'activité commerciale sur les marchés historiques exclusivement ". Si M. [P] établit ainsi, comme il le soutient, avoir communiqué auprès du personnel de l'entreprise, la société Viewpoint démontre toutefois, par la production de captures d'écran du site Linkedin produit par la société Viewpoint. qu'à l'égard des tiers, M. [P] a continué à se prévaloir de la qualité de Directeur commercial et marketing. Cette situation s'analyse effectivement en un refus d'une directive de l'employeur et donc un acte d'insubordination, la matérialité de ce grief étant établie.

Nonobstant l'ancienneté de M. [P] et l'absence d'antécédent disciplinaire, les faits commis par le salarié rendaient impossible son maintien dans l'entreprise.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il a jugé le licenciement pour faute grave justifié.

La faute grave étant retenue, M. [P] sera débouté de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture (demandes d'indemnité de préavis, d'indemnité légale de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail :

M. [P] demande par infirmation du jugement la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

La société Viewpoint s'oppose à cette demande.

Sur ce,

En application de l'article L. 1222-1 du code du travail, tout contrat de travail comporte une obligation de loyauté qui impose à l'employeur d'exécuter le contrat de bonne foi.

La preuve de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur doit être rapportée par le salarié qui l'allègue.

Enfin, l'exécution déloyale du contrat de travail peut donner lieu à l'attribution de dommages et intérêts, à condition que le salarié démontre un préjudice spécifique causé par ce manquement à la bonne foi.

A l'examen des pièces produites, la cour retient que M. [P] est mal fondé dans cette demande au motif qu'aucun des éléments produits par ce dernier ne permet de retenir que la société Viewpoint a eu un comportement déloyal, étant ajouté que le salarié ne justifie aucunement du préjudice qu'il invoque à hauteur de 20.000 euros.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Sur la demande de rappel de salaire au titre de la prime d'objectifs :

Se prévalant de l'avenant du 16 octobre 2019, M. [P] soutient qu' il est fondé à réclamer le paiement de la prime d'objectifs, laquelle doit être calculée sur le chiffre d'affaires encaissé par la société Viewpoint France et non pas sur le chiffre d'affaires réalisé en France. Il affirme que celui-ci s'élève à la somme de 2.070.165 euros au regard du compte de résultat, ce montant étant celui pris en compte par l'administration fiscale. Il estime donc remplir les conditions prévues dans l'avenant du 16 octobre 2019 et qu'en tout état de cause, dans le doute, il convient d'interpréter la clause litigieuse en faveur du salarié.

En réplique, la société Viewpoint soutient que le seuil de commissionnement tel que fixé dans l'avenant à 1.000.000 d'euros sur le chiffre d'affaires de Viewpoint France n'est pas atteint de sorte que M . [P] n'est pas fondé à réclamer le paiement de la prime d'objectifs. Elle souligne que seul le chiffre d'affaires de Viewpoint France est à prendre en compte, à l'exclusion du chiffre d'affaires lié aux exportations et livraisons internationales et que la clause contractuelle, dont la formulation est claire et non équivoque, n'a pas à être interprétée.

A titre subsidiaire, la société Viewpoint fait valoir que le commissionnement de M. [P] n'est prévu que sur la période allant du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020. M. [P] ayant quitté l'entreprise à la fin du premier semestre 2020, le calcul des sommes dues doit être effectué prorata temporis. En outre, le compte de résultat produit par les parties porte sur un exercice de 18 mois et ne peut donc servir comme assiette du commissionnement. Sur la base du chiffre d'affaires réalisé en France, M. [P] ne prétendre à un commissionnement supérieur à la somme de 544,15 euros, et le cas échéant, en retenant le chiffre d'affaires global de la société sur le premier semestre 2020, à la somme de 2.129,40 euros.

Sur ce,

En application de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

A ce titre, une clause du contrat de travail peut prévoir une variation de la rémunération dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, qu'elle ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et qu'elle n'a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels.

Conformément aux articles 1104 du code civil et L. 1221-1 du code du travail relatifs à l'exigence de bonne foi dans l'exécution du contrat, les objectifs peuvent être définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, à condition que d'une part, les objectifs fixés soient réalisables, et d'autre part, que ces objectifs aient été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice.

En application de l'article 1353 du code civil, il appartient à l'employeur de communiquer les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable d'un salarié et, lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, de rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation.

Lorsqu'il est prévu que les objectifs seront fixés unilatéralement par l'employeur, celui-ci est tenu de produire les éléments de calcul de la rémunération variable dont il dispose afin de permettre au salarié de vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail ; à défaut, la défaillance de l'employeur ouvre au salarié le droit au montant maximal de la rémunération variable.

Lorsque la partie variable de la rémunération est fixée en fonction du chiffre d'affaires annuel réalisé personnellement par le salarié, l'intéressé, qui quitte l'entreprise avant la fin de l'année civile, ne peut pas être privé d'un élément de rémunération versé en contrepartie de son activité auquel il peut prétendre au prorata de son temps de présence.

Lorsqu'une prime constitue la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité, elle s'acquiert au prorata du temps de présence du salarié dans l'entreprise au cours de l'exercice " . Il est inutile de prévoir la proratisation de ce complément de salaire en cas de départ en cours d'exercice dans le contrat de travail.

En l'espèce, l'avenant au contrat de travail de M. [P], daté du 16 octobre 2019 précise " Pour la période du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020, les modalités de commissionnement sont fixées comme suit :

CA H.T.

CA H.T. > 1 000 000 €

1% du chiffre d'affaires Hors Taxe réalisé et encaissé par VIEWPOINT France

Ce pourcentage est alors appliqué à la tranche de CA H.T. de 0 € au montant du CA H.T. atteint ".

Le chiffre d'affaires d'une entreprise est défini comme la somme des ventes réalisées dans le cadre de son activité normale, qui peut être exprimé hors taxes (HT) ou toutes taxes comprises (TTC).

En l'absence de précision dans l'avenant du 16 octobre 2019, il y a lieu de retenir le chiffre d'affaires global réalisé par la société Viewpoint.

Le contrat de travail de M. [P] ayant pris fin le 31 juillet 2020, ce dernier n'est fondé à réclamer le paiement de la prime de résultat que pour la période allant du 1er janvier 2020 au 31 juillet 2020.

Le compte de résultat produit concerne la période courant du 1er juillet 2019 au 31 décembre 2020 de sorte que le montant du chiffre d'affaires y figurant, à savoir 2.070.165 euros ne peut donc être retenu.

L'employeur communique les éléments nécessaires au calcul de la part de rémunération variable du salarié.

Au regard des éléments produis, l'assiette de calcul du chiffre d'affaires devant être retenue pour la période considérée sera fixée à la somme de 212.940,47 euros.

Par application du pourcentage prévu à l'avenant susvisé, le montant de la prime d'objectifs dus à M. [P] sera fixé à la somme de 2.129,40 euros, outre la somme de 212,94 euros au titre des congés afférents..

Par infirmation du jugement entrepris, la société Viewpoint sera condamnée au paiement de ces sommes.

Sur les intérêts :

Il sera rappelé qu'en vertu des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a statué les frais irrépétibles et les dépens.

La société Viewpoint, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de M. [P].

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe,

Rejette la demande de la société Viewpoint tendant à voir écarter les pièces n° 1 à 39 produites par M. [T] [P],

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse en date du 11 avril 2023 sauf en ce qu'il a débouté M. [T] [P] de sa demande rappel de salaire au titre de la prime d'objectifs,

L'infirme de ce chef,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la SA Viewpoint payer à M. [T] [P] la somme de 2.129,40 euros, outre la somme de 212,94 euros au titre des congés afférents à titre de rappel de salaire;

Rappelle que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes ;

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA Viewpoint aux dépens d'appel.

Le greffier La présidente

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