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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 4 septembre 2025, n° 24/18156

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

Mme Chopin, M. Najem

Avocats :

Me Lallement, Me Berest, Me Moisan, Me Expert

Président du TC Localité 8, du 21 oct. 2…

21 octobre 2024

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 3 décembre 2008 le tribunal de commerce de Nanterre a jugé que M. [P] a régulièrement avalisé un billet à ordre consenti par la Banque populaire rives de [Localité 8] (la BPRP ou la banque) à la société Sadim design dont il était le dirigeant. Cette société ayant été mise en liquidation, M. [P] a été condamné à payer à la société BPRP la somme de 600.000 euros au titre de ce billet à ordre.

La BPRP a fait appel de ce jugement en ce qu'elle a été déboutée de sa demande complémentaire en paiement d'une somme de 200.000 euros au titre d'un second billet à ordre avalisé par M. [P].

Par arrêt du 15 avril 2010, la cour d'appel de Versailles a confirmé ce jugement du 3 décembre 2008 en ce qu'il a condamné M. [P] à payer la somme de 600.000 euros à la BPRP ; elle l'a infirmé en ce qu'il a débouté la BPRP de sa demande complémentaire et statuant à nouveau a condamné M. [P] au paiement de la somme de 200.000 euros.

Par arrêt du 6 décembre 2011, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de M. [P] formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles.

Le 29 juillet 2013, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nanterre a rendu une ordonnance de non-lieu sur la plainte avec constitution de partie civile déposée contre X le 24 juillet 2009 par M. [P], celui-ci arguant de man'uvres des employés de la BPRP dans la souscription des billets à ordre. Cette décision a été confirmée par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris en date du 30 janvier 2014.

Par arrêt du 6 mai 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. [P] contre cet arrêt du 30 janvier 2014.

Par courrier du 8 juillet 2016, M. [P] demandait à la BPRP l'ouverture d'un enquête interne afin de clarifier les circonstances, les acteurs et les responsabilités éventuelles de ses équipes et de son organisation sur son dossier.

A partir de 2017, il a adressé à la banque de nombreuses demandes de communication de l'ensemble des données personnelles le concernant contenues notamment dans le résultat de l'enquête interne sollicitée.

Se plaignant d'une obstruction de la BPRP dans la remise de ses données personnelles, M. [P] a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (la CNIL). Par décision rendue le 23 février 2023, constatant des manquements de la banque cette Commission a fait un rappel à la BPRP de ses obligations légales en matière de communication de données personnelles.

Par requête en date du 19 février 2024, M. [P] a sollicité l'exécution d'une mesure d'instruction in futurum auprès du président du tribunal des commerce de Paris, qui a rejeté cette requête par ordonnance du même jour au motif qu'il n'était pas justifié de déroger au principe de la contradiction.

Par arrêt du 19 avril 2024, le Conseil d'Etat a rejeté le recours de M. [P] contre la décision rendue par la CNIL le 23 février 2023.

Par exploit du 13 juin 2024, M. [P] a fait assigner la Banque populaire rives de [Localité 8] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :

constater qu'il justifie d'un motif légitime à solliciter une mesure d'instruction avant tout procès à l'encontre de la Banque populaire rives de [Localité 8] aux fins d'établir la réalité et, in fine, d'obtenir communication par voie forcée des données personnelles conservées par la défenderesse en violation de ses obligations légales et de voir sanctionner la résistance injustifiée de la défenderesse ainsi que l'atteinte portée à son droit d'accès sur le fondement des dispositions de la Loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 et du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

en conséquence,

désigner tel commissaire de justice compétent avec pour mission de :

se rendre au siège de la Banque populaire rives de [Localité 8] (RCS [Localité 8] 552002313) sis [Adresse 5]) ; ainsi qu'en tous lieux utiles et nécessaires que ferait ressortir d'exécution de la mesure ;

se faire remettre par les personnes rencontrées sur place ou à défaut rechercher afin d'en prendre copie sur quelque support que ce soit, matériel ou immatériel (ordinateur fixe ou portable, clé USB, DVD, CD-[Localité 10], disquette, appareil de stockage de mémoire externe, téléphone portable, tablette, serveur, cloud, ou autres matériels apparentés) ;

tout élément ou document relatif aux relations entre M. [P], la société Sadim design et la Banque populaire rives de [Localité 8] et notamment la teneur comme les résultats des investigations que la banque a admis avoir réalisé dans son courrier du 13 janvier 2017 ;

tout échange, notamment électronique (courrier, courriel, conversations WHATSAPP, SIGNAL ou autres applications apparentées) le cas échéant avec leurs pièces jointes contenant son nom ou celui de la société Sadim design à l'exception des correspondances échangées entre la banque et ses avocats et donc susceptibles d'être couvertes par le secret professionnel ;

autoriser le commissaire de justice, avec l'assistance du ou des experts informatiques de son choix :

à se munir de tout appareil approprié à l'exercice de sa mission et à brancher ou installer sur les matériels et équipements trouvés sur place, avec, en tant que de besoin, le concours des personnes s'y trouvant, tout ordinateur, logiciel, périphérique ou matériel nécessaire ;

à rechercher ou à se faire communiquer par les personnes rencontrées sur place, les codes d'accès de ces équipements et procéder, à défaut, à l'extraction des données en ayant recours en tant que de besoin à des outils appropriés, y compris de « jailbreak » ;

à prendre copie par tous moyens à sa disposition et sur tout support de son choix des éléments retrouvés en rapport avec sa mission et à remettre à l'expert informatique un exemplaire des données copiées afin que celui-ci procède aux opérations purement techniques (récupération de données, indexations et autres opérations de tri) de nature à en permettre l'exploitation des informations saisies ;

en cas de difficulté, à emporter les matériels, équipements et documents trouvés sur place, à charge pour lui de les restituer sous 48H, afin de permettre leur reproduction ;

dire que le commissaire de justice devra signifier aux personnes requises au terme de ses opérations la liste des éléments saisis ;

ordonner que ces pièces seront séquestrées pendant 30 jours et que si les personnes requises n'ont pas agi en rétractation dans ce délai le commissaire de justice pourra se libérer des pièces ;

dire que le commissaire de justice dressera un procès-verbal de constat qui sera remis aux parties et soit les comprenant la liste des éléments appréhendés, laquelle pourra être communiquée sous 48H en cas de difficultés ;

dire que les personnes requises devront s'abstenir d'entraver de quelque manière que ce opérations du commissaire de justice qui pourra recourir au concours de la force publique ainsi que d'un serrurier ;

dire que le commissaire de justice référera de toute difficulté.

Par ordonnance contradictoire du 21 octobre 2024, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

dit recevable la demande de M. [P] ;

désigné la société [S] [B] prise en la personne de Me [B] avec pour mission de :

se rendre :

au siège de la Banque populaire rives de [Localité 8] (RCS [Localité 8] 552 002 313) sis [Adresse 6] ;

ainsi qu'en tous lieux utiles et nécessaires que ferait ressortir d'exécution de la mesure, y compris auprès de la société d'archivage ACSG (RCS [Localité 9] 400 847 703) sise [Adresse 1] qui détiendrait les archives bancaires de la Sadim design ;

se faire remettre par les personnes rencontrées sur place ou à défaut rechercher afin d'en prendre copie sur quelque support que ce soit, matériel ou immatériel (ordinateur fixe ou portable, clé USB, DVD, CD-[Localité 10], disquette, appareil de stockage de mémoire externe, téléphone portable, tablette, serveur, cloud, ou autres matériels apparentés) des données personnelles de M. [V] [E] [P] qui seraient en possession de la banque et plus précisément :

tout élément ou document relatif aux données personnelles de M. [P] incluant les données que celui-ci a communiquées relativement à la société Sadim design et qui seraient encore en possession de la BPRP ainsi que la teneur et les résultats des éventuelles investigations ou de l'enquête interne ;

tout échange, notamment électronique (courrier, courriel, SMS, conversations WHATSAPP, SIGNAL ou autres applications apparentées) le cas échéant avec leurs pièces jointes contenant son nom ou celui de la société Sadim design et portant sur ces mêmes données à caractère personnel à l'exception des correspondances échangées par la banque avec ses avocats susceptibles d'être couvertes par le secret professionnel ;

autorisé le commissaire de justice, avec l'assistance du ou des experts informatiques de son choix :

à se munir de tout appareil approprié à l'exercice de sa mission et à brancher ou installer sur les matériels et équipements trouvés sur place, avec, en tant que de besoin, le concours des personnes s'y trouvant, tout ordinateur, logiciel, périphérique ou matériel nécessaire ;

à rechercher ou à se faire communiquer par les personnes rencontrées sur place, les codes d'accès de ces équipements et procéder, à défaut, à l'extraction des données en ayant recours en tant que de besoin à des outils appropriés, y compris de « jailbreak » ;

à prendre copie par tous moyens à sa disposition et sur tout support de son choix des éléments retrouvés en rapport avec sa mission et à remettre à l'expert informatique un exemplaire des données copiées afin que celui-ci procède aux opérations purement techniques (récupération de données, indexations et autres opérations de tri) de nature à permettre l'exploitation des informations saisies ;

en cas de difficulté, à emporter les matériels, équipements et documents trouvés sur place, à charge pour lui de les restituer sous 48 heures, afin de permettre leur reproduction ;

dit que le commissaire de justice devra signifier aux personnes requises au terme de ses opérations la liste des éléments saisis ;

dit que commissaire de justice dressera un procès-verbal de constat qui sera remis aux parties et comprenant la liste des éléments appréhendés, laquelle pourra être communiquée sous 48 heures en cas de difficultés ;

dit que les personnes requises devront s'abstenir d'entraver de quelque manière que ce soit les opérations du commissaire de justice qui pourra recourir au concours de la force publique ainsi que d'un serrurier ;

dit que le commissaire de justice référera de toute difficulté ;

fixé à 5.000 euros HT la provision à valoir sur ses diligences à verser par M. [P] ;

rejeté la demande de la BPRP de dommages et intérêts ;

rejeté la demande d'interdiction de la BPRP au visa de l'article 873 du code de procédure civile ;

condamné la BPRP à payer à M. [P] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné en outre la BPRP aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 79,84 euros TTC dont 12,88 euros de TVA.

Par déclaration du 25 octobre 2024, la Banque populaire rives de [Localité 8] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 23 mai 2025, elle demande à la cour, de :

A titre principal :

infirmer l'ordonnance de référé en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

déclarer les demandes de M. [P] irrecevables, ou, à défaut,

déclarer les demandes de M. [P] infondées.

débouter M. [P] de toute ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire :

infirmer l'ordonnance de référé dans ses dispositions suivantes : « à l'exception des correspondances échangées par la banque avec ses avocats susceptibles d'être couvertes par le secret professionnel » ;

statuant à nouveau sur cette disposition :

ordonner que soient exclus du périmètre de la mesure, tous les échanges entre l'avocat et son client, toute pièce du dossier, tous supports, matériels ou immatériels, les consultations adressées par un avocat à son client, les correspondances adressées par un avocat à son client, y compris les notes d'entretien, et plus généralement toutes les pièces du dossier, toutes les informations et toutes les confidences reçues par l'avocat dans l'exercice de sa profession, conformément à l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et à l'article 2.2 du R.I.N ;

à titre reconventionnel :

condamner M. [P] à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

faire interdiction à M. [P] de s'adresser directement à elle, par quelque moyen que ce soit, et ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir ;

se réserver le droit de liquider l'astreinte ;

en tout état de cause :

condamner M. [P] à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner M. [P] aux dépens.

Elle soutient que la demande de M. [P] est irrecevable du fait de l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions de la CNIL et du Conseil d'Etat ayant constaté que la banque a fait droit à la demande d'accès de M. [P] à ses données et qu'elle ne détient pas d'autres données à caractère personnel le concernant que celles qui lui ont déjà été fournies.

A défaut, elle estime que la demande est infondée, faisant valoir :

que l'ordonnance de référé se situe hors du champ légal dès lors qu'elle a autorisé M. [P] à accéder aux documents contenant ses données personnelles et non à ses données elles-mêmes, alors que le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, que la remise d'un document contenant de la donnée personnelle n'est pas une obligation légale, que l'ordonnance déférée n'est pas suffisamment précise pour assurer que certaines données pouvant être qualifiées de personnelles ne puissent en réalité concerner les tiers et présenter un caractère confidentiel ;

que M. [P] n'est pas légitime à soutenir que son action aurait pour objet de connaître l'ampleur de la violation de son droit d'accès, alors qu'aucun indice d'une remise incomplète de ses données n'existe, à l'exception de ses seules affirmations, la CNIL et le Conseil d'Etat ayant déjà jugé qu'aucun élément ne laissait entendre que la réponse au droit d'accès était incomplète ;

que l'existence alléguée d'un enquête interne de nature à influer sur un litige qui a été déjà largement jugé au fond est d'autant moins crédible que le juge d'instruction saisi de la plainte pour escroquerie avec constitution de partie civile de M. [P] a mené des investigations et rendu une ordonnance de non-lieu, confirmée par la chambre de l'instruction par son arrêt du 30 janvier 2014, de sorte que pour les juridictions pénales il n'est pas crédible que M. [P] ait ignoré les conséquences de ses engagements contractuels envers la banque ; que la Banque populaire rives de [Localité 8] ne détient plus aucun élément à transmettre à M. [P] ;

qu'en outre le critère du caractère préalable de la mesure d'instruction n'est pas rempli puisqu'ont été préalablement formées contre la banque l'action pénale pour escroquerie et l'action devant la CNIL puis le Conseil d'Etat ; et la Cour de cassation exclut que l'article 145 du code de procédure civile ait pour objet ou pour effet de remettre en cause la chose jugée ;

que pour fonder sa demande d'instruction, il incomberait à M. [P] de démontrer un motif légitime qui justifierait d'accroire sa version des faits selon laquelle des données personnelles lui appartenant seraient encore dissimulées à son préjudice ; or ce motif légitime fait défaut, ce qui a amené la CNIL à ne pas mener d'investigations complémentaires et le Conseil d'Etat à rejeter le recours du demandeur ; qu'en outre le préjudice qui résulterait pour M. [P] d'une remise tardive et/ou incomplète est inexistant.

A titre subsidiaire, l'appelante dénonce le caractère disproportionné de la mesure, devant conduire à limiter son périmètre, en ce qu'elle permettrait à M. [P] d'avoir accès à des documents portant atteinte au secret professionnel auquel est tenue la banque.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 26 mai 2025, M. [P] demande à la cour de :

confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

ordonner la remise à M. [P] par Me [B] des pièces appréhendées suivant cette ordonnance ;

débouter la Banque populaire rives de [Localité 8] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

par ailleurs,

condamner la Banque Populaire rives de [Localité 8] à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de son comportement procédural abusif ;

condamner la Banque populaire rives de [Localité 8] à lui payer à M. [P] la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; et

condamner la Banque Populaire Rives de [Localité 8] aux entiers dépens.

Il soutient :

que les mesures probatoires qu'il sollicite ont pour objet d'engager une action en responsabilité contre la BPRP au titre de la violation de son droit d'accès à ses données personnelles, et obtenir réparation de son préjudice ;

que s'il est constant que plusieurs litiges ont déjà opposé les parties, ces précédentes instances, pas plus que la procédure de contrôle de la CNIL et le recours devant le Conseil d'Etat, n'ont le même objet que cette action en responsabilité envisagée ;

qu'il ne s'agit en aucune façon pour M. [P] de rouvrir un litige définitivement clos, mais d'exercer une action nouvelle et distincte, au titre de la rétention par la BPRP d'ores et déjà constatée par la CNIL, et dont l'étendue exacte sera déterminée par la mesure d'instruction sollicitée, sur le fondement autonome des dispositions de la loi Informatique et Libertés et du RGPD ;

qu'il est faux d'affirmer que les décisions de la CNIL ou du Conseil d'Etat ont autorité de chose jugée dans le cadre du présent litige ; la CNIL est une autorité non juridictionnelle ; aucune autorité ne peut s'attacher à de simples motifs ; il n'existe aucune identité de parties, de cause et d'objet entre ces procédures administratives et l'action en responsabilité envisagée contre la BPRP ;

qu'en outre le Conseil d'Etat n'a pas exclu la rétention de données par la BPRP, il s'est borné à s'assurer que la CNIL, pour refuser la mise en 'uvre d'investigations complémentaires, n'avait pas retenu de faits matériels erronés ni entaché sa décision d'une erreur de droit ;

qu'il est bien justifié d'un motif légitime à voir ordonner la mesure d'instruction, laquelle constitue l'unique moyen pour M. [P] de déterminer l'exacte mesure de la violation de son droit d'accès à ses données personnelles dans la perspective de l'action en responsabilité qu'il projette d'introduire contre la banque ;

que sa demande se fonde tout à la fois sur sa connaissance des documents manuscrits et formulaires signés par ses soins à l'ouverture de ses comptes, objet de sa demande d'investigations internes et dont la BPRP lui refuse depuis près de dix ans la communication, sur les contradictions et revirements de la banque tout au long de cette période, celle-ci ayant reconnu puis nié avoir diligenté de telles investigations, et enfin sur la décision rendue par la CNIL, constatant de multiples manquements de la BPRP à ses obligations et ayant permis à M. [P] de se voir communiquer des données personnelles dont la banque affirmait depuis des années ne plus disposer ; qu'en outre le courrier du 13 janvier 2017 émanant du service juridique de la BPRP évoque de manière univoque l'existence d'investigations internes et le refus par la banque d'en communiquer le résultat ;

qu'enfin la mesure qui a été ordonnée est bien strictement proportionnée au but poursuivi, à savoir établir la rétention par la BPRP de certaines des données personnelles de M. [P], l'ordonnance se bornant à permettre au commissaire de justice d'appréhender les seules données personnelles de M. [P], en parfaite conformité avec les dispositions impératives de la loi Informatique et Libertés et du RGPD, instituant un droit d'accès à ces données quel que soit leur support ; que d'ailleurs seuls 46 documents et 406 emails ont été saisis.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 juin 2025.

SUR CE, LA COUR

Sur la demande de mesure d'instruction in futurum

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 145 suppose l'existence d'un motif légitime c'est à dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui. Elle doit être pertinente et utile.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n'est pas manifestement voué à l'échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

Au cas présent, le pourvoi formé par M. [P] contre l'arrêt rendu le 15 avril 2010 par la cour d'appel de Versailles ayant été rejeté par la Cour de cassation, il est définitivement jugé que c'est en toute connaissance de cause que M. [P] a avalisé des billets à ordre à hauteur d'un montant total de 800.000 euros en garantie d'un emprunt souscrit par la société Sadim design dont il était le dirigeant.

Considérant cependant que son consentement à ces avals a été obtenu grâce aux man'uvres de préposés de la banque, M. [P] a cherché à engager la responsabilité de la BPRP sur le plan pénal. Cette action est elle aussi définitivement jugée depuis que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles a confirmé le non-lieu prononcé par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nanterre et que le pourvoi de M. [P] a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 6 mai 2015.

M. [P] demeure toutefois convaincu de la responsabilité de la banque, lui demandant par courrier du 8 juillet 2016 de diligenter une enquête interne dans ses services, enquête dont il soutient l'existence et dont il cherche à obtenir le résultat au travers de ses demandes de communication de ses données personnelles formées depuis 2017, se basant sur une réponse qui lui a été faite par la banque le 13 janvier 2017 dans laquelle celle-ci déclare lui confirmer qu'il n'y a pas lieu de lui remettre le résultat des investigations qu'il souhaite obtenir.

A cet effet, M. [P] a d'abord saisi la CNIL et par décision rendue le 10 janvier 2023, celle-ci a sanctionné la BPRP par un rappel à ses obligations légales pour avoir manqué de manière continue entre 2017 et 2021 à son obligation de fournir à la personne concernée qui en fait la demande une copie de ses données personnelles faisant l'objet d'un traitement.

Dans sa décision la CNIL, qui relate le déroulement de la procédure qu'elle a menée, précise que la banque a finalement fait droit le 17 février 2021 à la demande d'accès du plaignant en lui communiquant une copie de ses données personnelles. Elle expose notamment qu'à réception de cette communication le plaignant a indiqué à la CNIL que la réponse était incomplète en ce qu'elle ne concernait pas un certain nombre de données dont notamment celles relatives à une enquête interne le concernant, transmettant à la CNIL le courrier du 13 janvier 2017 qui attesterait de l'existence de cette enquête.

La CNIL a interrogé la banque sur ce point en janvier 2022 et les conseils de la BPRP lui ont répondu que la banque ne détient pas d'autres documents contenant des données personnelles de M. [P] que ceux qui lui ont été transmis par le courrier du 17 février 2021, indiquant qu'aucune enquête interne n'a été réalisée et que la formulation contenue dans la lettre du 13 janvier 2017 aurait gagné en compréhension si elle avait été rédigée ainsi : « Il n'y a pas à vous remettre le résultat des investigations que vous souhaitez obtenir puisqu'elles n'ont pas lieu d'être. »

En clôturant ses investigations et en sanctionnant la banque par un rappel à ses obligations légales sur une période allant de 2017 à 2021, la CNIL a estimé que la réponse de la banque était crédible et qu'il n'y avait plus d'autres données personnelles à communiquer à M. [P] après celles qui lui avaient été transmises 17 février 2021. Le Conseil d'Etat a par décision du 19 avril 2024 rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par M. [P] contre cette décision de la CNIL. Il a notamment considéré qu'« il ne ressort pas des éléments du dossier, et notamment des éléments produits par l'intéressé, qu'en se fondant sur l'affirmation selon laquelle le BPRI ne détiendrait pas d'autres données à caractère personnel le concernant que celles qui lui avait déjà été fournies par celle-ci, la CNIL aurait retenu des faits matériellement erronés, ni qu'en s'abstenant de mettre en 'uvre les pouvoirs d'investigation qu'elle détient pour vérifier la véracité des éléments fournis, elle aurait, ainsi qu'il est soutenu, entaché sa décision d'une erreur de droit. » Le Conseil d'Etat a ainsi lui-même considéré que le constat opéré par la CNIL du caractère complet de la communication des données personnelles effectuée par la banque le 17 février 2021 n'était pas erroné.

La cour observe, à la lecture des courriers adressés par la banque à M. [P], que seul celui du 13 janvier 2017 pouvait par sa rédaction laisser croire à l'existence d'une enquête interne. Par courrier du 11 mai 2023, la banque a clairement rappelé à M. [P] qu'il n'existe pas et qu'il n'a pas existé d'enquête interne, inexistence que la CNIL lui a déjà confirmée, ni de dossier manuscrit le concernant, ce qu'elle réaffirme par lettre du 11 janvier 2024.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que n'est pas crédible l'affirmation de M. [P] selon laquelle la banque retiendrait encore certaines de ses données personnelles et notamment celles contenues dans l'enquête interne qu'il lui avait demandé de diligenter en 2016.

En outre, il est manifeste à la lecture des nombreux courriers que M. [P] a adressés à la banque que la mesure d'instruction qu'il sollicite tend en réalité à l'obtention du résultat de cette hypothétique enquête interne sur les conditions dans lesquelles son aval des billets à ordre et été obtenu par la banque, alors qu'il a été définitivement jugé tant sur le plan civil que sur le plan pénal que le consentement de M. [P] a été donné en toute connaissance de cause. Il apparaît ainsi que M. [P] cherche à obtenir de nouveaux éléments de preuve destinés à lui permettre de remettre en cause les décisions déjà rendues.

Or, une mesure d'instruction ne peut être sollicitée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile qu'avant tout procès, la Cour de cassation jugeant que tel n'est pas le cas d'une demande qui tend à obtenir l'instauration d'une mesure destinée à apprécier l'opportunité d'un recours en révision à l'occasion d'un litige précédent.

L'action autonome que M. [P] affirme vouloir former sur le seul fondement des dispositions de la loi Informatique et Libertés et du RGPD n'est pas crédible, alors que la banque a finalement satisfait à cette obligation sur injonction de la CNIL et que M. [P] ne précise pas quelles données personnelles seraient encore manquantes et en la possession de la banque.

Il y a donc lieu, en l'absence de motif légitime, de rejeter la demande de mesure d'instruction in futurum formée par M. [P], par infirmation de l'ordonnance entreprise, et par voie de conséquence de débouter M. [P] de sa demande de remise des pièces appréhendées par le commissaire de justice et de sa demande de condamnation de la banque à lui payer des dommages et intérêts au titre de son comportement procédural abusif.

Il convient dès lors d'ordonner la restitution à la BPRP des pièces séquestrées.

Sur les demandes reconventionnelles de la BPRP

La banque dénonce la forme de harcèlement dont elle est victime de la part de M. [P] qui depuis plus de vingt ans multiplie les recours à son encontre et lui adresse d'incessantes correspondances contenant des propos malveillants et menaçants.

Elle sollicite, sur le fondement de l'abus de droit d'agir et du trouble manifestement illicite, d'une part le paiement d'une provision de 50.000 euros en réparation de son préjudice, d'autre part qu'il soit fait interdiction sous astreinte à M. [P] de s'adresser directement par quelque moyen que ce soit à la BPRP.

Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Si la nouvelle action engagée par M. [P] à l'encontre de la BPRP aux fins de voir prononcer une mesure d'instruction in futurum sur le fondement de son droit d'accès à ses données personnelles, ainsi que ses très nombreux courriers et sommations adressés à la banque dans le cadre de ce litige entretiennent un contentieux qui a été définitivement jugé sur le plan civil et pénal, cette action présente un nouveau fondement juridique et elle a été jugée bien fondée en première instance. Si la cour infirme cette décision, il convient de rappeler que l'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas en soi constitutive de la faute visée à l'article précité, alors en outre que la CNIL a précédemment reconnu la responsabilité de la banque dans le non-respect du droit de M. [P] à accéder à ses données personnelles.

Aussi, ne peut-il être considéré que M. [P] a manifestement abusé de son droit d'agir à l'encontre de la banque et de correspondre avec elle tant que le litige n'était pas tranché par cette cour. Les demandes de la BPRP seront rejetées.

Sur les mesures accessoires

Partie perdante, M. [P] sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à la BPRP, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 6.000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés pour les deux instances,

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a rejeté les demandes de dommages et intérêts et d'interdiction formées à titre reconventionnel par la société Banque populaire rives de [Localité 8],

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [P] de l'ensemble de ses demandes,

Dit que le commissaire de justice ayant diligenté la mesure d'instruction devra restituer les pièces saisies et séquestrées à la société Banque populaire rives de [Localité 8],

Condamne M. [P] aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Banque populaire rives de [Localité 8] la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour les deux instances.

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