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Décisions

Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 12-18.238

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Logidis (Sté), Carrefour Proximité France (Sté)

Défendeur :

Consorts X...

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pluyette

Avocats :

SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Odent et Poulet

Cass. 1re civ. n° 12-18.238

19 mars 2013

Sur le moyen unique, pris en ses diverses branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 31 janvier 2012), que M. et Mme X... ont conclu, le 8 mars 1994, avec la société Prodim, aux droits de laquelle se trouve la société Logidis, un contrat d'approvisionnement pour l'exploitation d'un fonds de commerce à usage d'alimentation générale, ainsi qu'un contrat de franchise ; que M. et Mme X... ont résilié les deux contrats puis, notamment, mis en oeuvre la clause d'arbitrage insérée au contrat d'approvisionnement, les sociétés Prodim et Logidis désignant M. Y... comme arbitre ; que, par sentence du 29 juillet 2002, M. et Mme X... ont été condamnés à payer diverses sommes à la société Logidis ; que leur recours en annulation a été rejeté par un arrêt de la cour d'appel de Douai du 24 juin 2004 cassé par un arrêt du 10 mai 2006 (1re Civ., 10 mai 2006, pourvoi n° 04-18. 053) ; que l'arrêt de la cour d'appel de renvoi rejetant le recours en annulation de M. et Mme X... a été cassé par arrêt du 20 octobre 2010 (1re Civ., 20 octobre 2010, pourvoi n° 09-68. 131) ;

Attendu que les sociétés Logidis et Carrefour Proximité France font grief à l'arrêt d'annuler la sentence, alors, selon le moyen :

1°/ que la partie qui, en pleine connaissance de cause, n'a pas engagé de procédure de récusation, doit être considérée comme ayant acquiescé à l'investiture de l'arbitre, ce qui lui interdit de contester ultérieurement la régularité de la composition du tribunal arbitral ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a jugé que M. et Mme X... n'avaient pas, en signant la convention d'arbitrage comportant une clause mentionnant la désignation antérieure de M. Y... par les sociétés du groupe Promodès, renoncé à contester l'investiture de l'arbitre, quand ils avaient donné mandat à leur avocat de signer l'acte de mission et que ce professionnel s'était acquitté de sa mission en connaissance de cause, puisqu'il avait lui-même participé à des instances arbitrales dans lesquelles M. Y... avait été désigné par le groupe Carrefour, a violé les articles 1452 et 1463 anciens du code de procédure civile ;

2°/ que l'aveu judiciaire fait pleine preuve contre son auteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a jugé que M. et Mme X... n'avaient pas renoncé en connaissance de cause à récuser M. Y..., sans répondre aux conclusions des exposantes ayant fait valoir que les demandeurs avaient reconnu, dans leurs propres conclusions (page 23), qu'ils n'avaient pas voulu, lors de l'instance arbitrale, engager une action en récusation au regard de la jurisprudence du moment, ce qui établissait que les recourants connaissaient depuis l'origine la cause de récusation qu'ils avaient ultérieurement invoquée à l'appui de leur recours en annulation, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que l'existence d'un courant d'affaires, susceptible de constituer une cause de récusation, entre un arbitre et l'une des parties à l'instance arbitrale, doit être caractérisé au jour de la désignation de l'arbitre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a retenu l'existence d'un tel courant d'affaires, en s'appuyant sur des désignations de M. Y... en tant qu'arbitre postérieures à l'instance arbitrale poursuivie en 2002, a violé les articles 1452, 1463 et 1484, 2°, anciens du code de procédure civile ;

4°/ que l'avocat et l'arbitre sont pareillement tenus d'un devoir de confidentialité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a énoncé que les règles relatives au secret professionnel s'opposaient à la transparence entre les affaires traitées par le conseil de M. et Mme X..., Me Z..., qui n'avait pas à les informer des dossiers de ses autres clients, tandis qu'il incombait à l'arbitre, M. Y..., d'indiquer, sans violer son devoir de confidentialité, le nombre d'arbitrages dans lesquels il avait été désigné à l'initiative des sociétés du groupe Carrefour, ce dont il résultait que Me Z...aurait pu faire de même sans trahir le secret professionnel, a violé les articles 1452, 1463 et 1484, 2°, anciens du code de procédure civile ;

5°/ que si les parties ont eu connaissance d'une cause de récusation de l'arbitre, la sentence arbitrale rendue ne peut être annulée pour méconnaissance des droits de la défense ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a annulé la sentence arbitrale pour violation des droits de la défense, quand M. Y... n'avait pas méconnu son obligation d'information, a violé les articles 1452, 1463 et 1484, 4° et 6°, anciens du code de procédure civile ;

Mais, attendu, d'une part, qu'en relevant, en premier lieu, que le fait de donner acte à M. Y..., dans la convention d'arbitrage, d'être déjà intervenu en qualité d'arbitre désigné par les sociétés du groupe Promodès, ne valait acceptation de la situation de celui-là que pour ce que M. et Mme X... en connaissaient, en second lieu, que c'est en connaissant les éléments importants qui manquaient dans la déclaration de l'arbitre que les époux X... auraient pu se déterminer, la cour d'appel, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en a exactement déduit que ces derniers n'avaient pas renoncé à contester la régularité de la composition du tribunal arbitral ;

Attendu, d'autre part, d'abord, que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que les règles relatives au secret professionnel interdisaient au conseil des époux X... de donner des informations sur les dossiers de ses autres clients, ensuite, que l'obligation d'information pesait sur l'arbitre tenu d'un devoir d'information à l'égard des parties, et décidé, à bon droit, que l'omission de révélation par l'arbitre avait porté atteinte aux droits de la défense protégés par l'ordre public procédural, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche ;

D'où il suit, que le moyen ne saurait être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les sociétés Logidis et Carrefour Proximité France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes et les condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à M. et Mme X... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils pour les sociétés Logidis et Carrefour Proximité France

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR annulé la sentence arbitrale du 29 juillet 2002,

AUX MOTIFS QUE la mention dans la « convention d'arbitrage déterminant l'objet du litige et le déroulement de la procédure pris en application de l'article XII du contrat d'approvisionnement signé entre les parties le 8 mars 1994 », selon laquelle « il est donné acte à Monsieur le Professeur Y..., que le fait d'être déjà intervenu en qualité d'arbitre désigné par les sociétés du groupe Promodès ne porte pas atteinte à son indépendance et son impartialité », ne valait de la part des époux X... acceptation de la situation de M. Y... que pour ce qu'ils en connaissaient ; que les sociétés LOGIDIS et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE ne pouvaient soutenir que les époux X..., parce qu'ils n'avaient pas demandé de renseignements supplémentaires à M. Y..., avaient accepté la situation et avaient donc renoncé à la critiquer, car c'était en connaissant les éléments importants qui manquaient dans la déclaration de l'arbitre que les époux X... auraient pu s'estimer satisfaits ou pas ; que la connaissance, par le conseil des époux X... en tant qu'avocat d'autres franchisés, des autres interventions de M. Y... comme arbitre désigné par la société PRODIM ou les autres sociétés du groupe PROMODES, ne pouvait être assimilée à une connaissance de ces faits par les recourants ; que les règles relatives au secret professionnel s'opposaient à la transparence entre les affaires traitées par leur conseil qui n'avait pas à les informer des dossiers de ses autres clients ; qu'en tout état de cause, l'arbitre n'était pas dispensé en tant que débiteur de l'obligation d'information, d'une déclaration pour permettre aux époux X... eux-mêmes d'apprécier la situation ; que les moyens d'annulation étaient donc recevables ; que, sur les moyens d'annulation, l'exercice professionnel de l'arbitrage est parfaitement licite et ne doit souffrir d'aucune suspicion par rapport à l'arbitrage occasionnel ; que les époux X... établissaient que M. Y... avait été désigné arbitre 34 fois par le groupe PROMODES-CARREFOUR, dont 18 jusqu'en 2002, année où la sentence avait été rendue, notamment en produisant un courrier de M. Y... rédigé pour les besoins d'une autre affaire ; que les sociétés LOGIDIS et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE précisaient qu'au moment de l'établissement de la « convention d'arbitrage », M. Y... avait servi dans une douzaine d'arbitrages depuis 1996, soit deux arbitrages par an, ce qui en faisait une activité totalement accessoire au regard de ses activités universitaires, d'auteur, d'avocat et de praticien habituel de l'arbitrage et elles observaient que, dans l'affaire en cause, les honoraires s'étaient élevés à 4. 565, 35 € par arbitre ; que les défenderesses au recours faisaient en outre observer que M. Y... ne pouvait, au moment de sa désignation, faire état de nominations par le groupe PROMODES qui n'étaient pas encore intervenues, la sincérité des déclarations de M. Y... devant s'apprécier au moment où elles avaient été faites, c'est-à-dire en 2001 ; que si M. Y... ne pouvait bien évidemment pas révéler un nombre d'arbitrages inconnu au moment de sa désignation en 2001, il devait en revanche révéler l'existence d'un courant d'affaires dès cette époque avec les défenderesses ; que les 30 désignations et plus de M. Y... à l'initiative de la société PRODIM ou des sociétés du groupe CARREFOUR-PROMODES démontraient que la douzaine de désignations qu'elles avaient déjà effectuées de celui-ci en 2001 s'inséraient dans un courant relationnel d'affaires entre elles et M. Y... ; que l'existence d'un courant d'affaires n'était pas liée à l'importance du revenu perçu par l'arbitre, mais à la régularité de ce revenu constitué par un grand nombre d'arbitrages, même pour des honoraires peu importants ; que les sociétés LOGIDIS et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE disaient que l'article 1452 ancien du code de procédure civile applicable à l'époque de la constitution du tribunal arbitral n'obligeait pas l'arbitre à donner une information complète et spontanée, alors que pesait sur lui une obligation de confidentialité sanctionnée pénalement ; que les sociétés LOGIDIS et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE précisaient que l'obligation d'une information complète et spontanée à la charge de l'arbitre qui se déduisait de l'état de la jurisprudence en 2010 ne pouvait s'appliquer rétroactivement à une situation de fait intervenue neuf ans auparavant, M. Y... ayant, d'après elles, parfaitement respecté les exigences de la jurisprudence du moment ; que si, en tout état de cause, nul ne peut se prévaloir du droit à une jurisprudence figée, l'exigence d'indépendance de l'arbitre est demeurée la même, l'existence d'un courant d'affaires n'étant qu'une application parmi d'autres de la règle d'indépendance ; que l'obligation d'information de l'arbitre d'après laquelle celui-ci doit révéler jusqu'à la fin de ses fonctions aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'indépendance et d'impartialité, est un moyen de vérifier cette indépendance sans se confondre avec elle ; que l'obligation d'information pèse sur l'arbitre, tenu d'un devoir d'information à l'égard des parties et non sur la partie qui le désigne, l'éventuelle responsabilité des sociétés LOGIDIS et CARREFOUR pouvant, le cas échéant, être recherchée dans une autre instance que celle en annulation de la sentence ; que les sociétés LOGIDIS et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE déduisaient de la nécessité de concilier devoir d'information et devoir de confidentialité dont la violation constitue une infraction pénale, une impossibilité pour M. Y... d'effectuer une déclaration complète et spontanée, car l'arbitre n'aurait pu se montrer plus précis dans sa déclaration, sauf à violer la règle de confidentialité de l'arbitrage réaffirmée à l'article 1464, alinéa 4 du code de procédure civile après la réforme du droit de l'arbitrage du 13 janvier 2011 ; que le principe de confidentialité est fait pour la protection des parties à l'arbitrage et non pour permettre une atteinte à la règle d'indépendance des arbitres ; qu'il n'était pas exigé de M. Y... de révéler le nom des parties ou des affaires dans lesquelles il agissait à la demande de la société PRODIM ou des sociétés du groupe PROMODES, mais seulement d'indiquer le nombre d'arbitrages dans lesquels il avait été désigné à l'initiative de ces dernières ; que les parties avaient droit à la transparence des informations, l'indépendance de l'arbitre ne pouvant être mesurée à l'aune des diverses sentences rendues par M. Y... ayant donné tort aux sociétés du groupe CARREFOUR-PROMODES comme le soutenaient les défenderesses, la question n'étant pas de savoir si l'arbitre avait été impartial, mais s'il existait des éléments qui permettaient de créer un doute raisonnable aux yeux des parties ; que si la pluralité de nominations d'un même arbitre par une même partie, entre autres pour des contrats comparables, n'était pas en soi répréhensible comme le remarquaient les sociétés LOGIDIS et CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, il en était autrement de l'omission de révélation du caractère répétitif de telles désignations par les sociétés d'un même groupe, ainsi qu'il en était pour M. Y... quant à la fréquence et à la régularité de ses nominations par les sociétés défenderesses, une omission continue jusqu'à la fin des fonctions de cet arbitre qui, rapprochée des désignations postérieures par les sociétés LOGIDIS et du groupe PROMODES mises en lumière par les recourants, démontraient l'existence de liens de nature à faire raisonnablement douter de l'indépendance de M. Y... ; que la méconnaissance, par M. Y..., de son obligation d'information, avait également frustré les époux X... de leur droit de récusation, la sentence du 29 juillet 2002 devant être annulée pour atteinte aux droits de la défense protégés par l'ordre public procédural, outre la constitution irrégulière du tribunal arbitral, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs proposés par les recourants,

1° ALORS QUE la partie qui, en pleine connaissance de cause, n'a pas engagé de procédure de récusation, doit être considérée comme ayant acquiescé à l'investiture de l'arbitre, ce qui lui interdit de contester ultérieurement la régularité de la composition du tribunal arbitral ; qu'en l'espèce, la cour, qui a jugé que M. et Mme X... n'avaient pas, en signant la convention d'arbitrage comportant une clause mentionnant la désignation antérieure de M. Y... par les sociétés du groupe PROMODES, renoncé à contester l'investiture de l'arbitre, quand ils avaient donné mandat à leur avocat de signer l'acte de mission et que ce professionnel s'était acquitté de sa mission en connaissance de cause, puisqu'il avait lui-même participé à des instances arbitrales dans lesquelles M. Y... avait été désigné par le groupe CARREFOUR, a violé les articles 1452 et 1463 anciens du code de procédure civile ;

2° ALORS QUE l'aveu judiciaire fait pleine preuve contre son auteur ; qu'en l'espèce, la cour, qui a jugé que M. et Mme X... n'avaient pas renoncé en connaissance de cause à récuser M. Y..., sans répondre aux conclusions des exposantes ayant fait valoir que les demandeurs avaient reconnu, dans leurs propres conclusions (p. 23), qu'ils n'avaient pas voulu, lors de l'instance arbitrale, engager une action en récusation au regard de la jurisprudence du moment, ce qui établissait que les recourants connaissaient depuis l'origine la cause de récusation qu'ils avaient ultérieurement invoquée à l'appui de leur recours en annulation, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3° ALORS QUE l'existence d'un courant d'affaires, susceptible de constituer une cause de récusation, entre un arbitre et l'une des parties à l'instance arbitrale, doit être caractérisé au jour de la désignation de l'arbitre ; qu'en l'espèce, la cour, qui a retenu l'existence d'un tel courant d'affaires, en s'appuyant sur des désignations de M. Y... en tant qu'arbitre postérieures à l'instance arbitrale poursuivie en 2002, a violé les articles 1452, 1463 et 1484 2° anciens du code de procédure civile ;

4° ALORS QUE l'avocat et l'arbitre sont pareillement tenus d'un devoir de confidentialité ; qu'en l'espèce, la cour, qui a énoncé que les règles relatives au secret professionnel s'opposaient à la transparence entre les affaires traitées par le conseil de M. et Mme X..., Me Z..., qui n'avait pas à les informer des dossiers de ses autres clients, tandis qu'il incombait à l'arbitre, M. Y..., d'indiquer, sans violer son devoir de confidentialité, le nombre d'arbitrages dans lesquels il avait été désigné à l'initiative des sociétés du groupe CARREFOUR, ce dont il résultait que Me Z...aurait pu faire de même sans trahir le secret professionnel, a violé les articles 1452, 1463 et 1484 2° anciens du code de procédure civile ;

5° ALORS QUE si les parties ont eu connaissance d'une cause de récusation de l'arbitre, la sentence arbitrale rendue ne peut être annulée pour méconnaissance des droits de la défense ; qu'en l'espèce, la cour, qui a annulé la sentence arbitrale pour violation des droits de la défense, quand M. Y... n'avait pas méconnu son obligation d'information, a violé les articles 1452, 1463 et 1484 4° et 6° anciens du code de procédure civile.

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