CA Lyon, 3e ch. a, 4 septembre 2025, n° 21/07801
LYON
Arrêt
Autre
N° RG 21/07801 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N47J
Décision du
Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 14 septembre 2021
RG : 2020j00355
ch n°
SAS CARNOT INVESTISSEMENT
C/
Société LE BON MARCHE MAISON ARISTIDE BOUSICAUT
S.E.L.A.R.L. [U]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 04 Septembre 2025
APPELANTE :
La S.A.S. CARNOT INVESTISSEMENT,
Immatriculée au R.C.S. de Mâcon sous le numéro 390.069.425 aux poursuites et diligences de son Président en exercice, domicilié en ladite qualité.
Sise [Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Vincent DE FOURCROY de la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1102, avocat postulant et Me Matthieu CASTILLAN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant.
INTIMEES :
La SA LE BON MARCHE MAISON ARISTIDE BOUCICAULT,
SA, au capital de 29 415 810 Euros Inscrite au RCS de Paris sous le numéro 414 728 337, Agissant en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège en cette qualité.
Sis [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, avocat postulant et Me Julie BIJAME, avocate au barreau de PARIS, avocat plaidant.
ET
La SELARLU [U],
représentée par Maître [C] [U], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ARTHEOS, SAS au capital social de 67 560.00 €, immatriculée au RCS de LYON sous le n° 750 810 103, désignée à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de LYON du 19 Juin 2019, exerçant en cette qualité [Adresse 4].
Sis [Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Thomas KAEMPF de la SELARL BK AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 438.
******
Date de clôture de l'instruction : 13 Décembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Mai 2025
Date de mise à disposition : 04 Septembre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Sophie DUMURGIER, présidente
- Aurore JULLIEN, conseillère
- Viviane LE GALL, conseillère
assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Sophie DUMURGIER, présidente, et par Céline DESPLANCHES, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Artheos exerçait, en France et à l'international, une activité de commerce de gros, demi-gros et détail d'appareils et de solutions d'éclairage, accessoires et consommables, ainsi que le service après-vente et la maintenance s'y rapportant.
En 2015, la société Artheos a développé des relations d'affaires avec la société d'affacturage Finexkap. Le 14 mars 2016, elle a ainsi conclu avec le fonds commun de titrisation (FCT) Finexkap Créances n° 1, représenté par la société Finexkap AM, un contrat de cession de créances.
Toutefois, la relation entre les sociétés Finexkap et Artheos s'est dégradée, cette dernière reprochant des anomalies dans la gestion de son compte par la société Finexkap et notamment des factures non recouvrées, seulement compensées par la cession de nouvelles factures, ainsi que d'autres ayant fait l'objet d'avoirs puis de refacturations.
A la suite de ces incidents, la société Artheos a interrompu la cession de factures à la société Finexkap à compter du 1er janvier 2019 et a informé la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicault (la société Le Bon Marché), sa cliente, que les factures devaient désormais être payées entre ses mains et non entre celles de la société Finexkap.
Le 15 janvier 2019, les sociétés Artheos et Le Bon Marché ont conclu un contrat portant sur la fourniture de 5.785 équipements d'éclairage dans le cadre d'un marché d'un montant de 528.300 euros HT.
En mars 2019, la société Le Bon Marché a suspendu tout paiement à la société Artheos et a fait séquestrer la somme de 121.794 euros sur un compte CARPA, correspondant à des factures de matériels émises au titre du marché de fourniture conclu avec cette dernière.
Par jugement du 3 avril 2019, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Artheos et nommé Me [M] en qualité de mandataire judiciaire.
Le 3 mai 2019, la société Artheos s'est vu notifier les cessions successives de créances détenues sur elle, par le fond commun de titrisation Finexkap Créances n° 1 à la société Finexkap SAS puis par la société Finexcap SAS à la société Carnot Investissement.
Par courrier du 7 mai 2019, la société Carnot Investissement a déclaré sa créance au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Artheos, pour un montant de 1.648.911,10 euros à titre chirographaire.
Par jugement du 19 juin 2019, le tribunal de commerce de Lyon a converti la procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Artheos en procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement du 19 décembre 2019, le tribunal de commerce de Lyon a nommé la SELARLU [U] prise en la personne de Me [C] [U] en qualité de liquidateur judiciaire, en remplacement de Me [M].
La société Carnot Investissement a assigné en référé la société Le Bon Marché qui a attrait le liquidateur de la société Artheos en intervention forcée, aux fins d'obtenir le paiement de la somme provisionnelle de 121.794 euros. Par ordonnance du 5 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a rejeté l'intégralité des demandes.
La créance à titre chirographaire de 1.648.911,10 euros déclarée au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Arthos par la société Carnot Investissement a été contestée et le débat a été porté devant le juge-commissaire qui a invité les parties à mieux se pourvoir.
Par acte introductif d'instance du 11 mars 2020, la société Carnot Investissement a assigné la SELARLU [U], ès qualités, et la société Le Bon Marché devant le tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement contradictoire du 14 septembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :
- jugé que la société Carnot Investissement ne démontre pas sa qualité à agir en tant que créancier,
- jugé en conséquence irrecevable l'ensemble des demandes de la société Carnot Investissement et l'a déboutée de sa demande de fixation de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos,
- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,
- condamné la société Carnot Investissement à payer à la SELARLU [U], en la personne de Me [C] [U], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos et la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicaut, à chacune, la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Carnot Investissement aux entiers dépens de l'instance et de ses suites au titre des articles 695 et 696 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions, nonobstant tout appel et sans caution.
Par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2021, la SAS Carnot Investissement a interjeté appel de ce jugement portant sur l'ensemble des chefs de la décision critiquée.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 6 juillet 2022, la société Carnot Investissement demande à la cour, au visa des articles 561 du code de procédure civile, 1103, 1104 et 1321 et suivants du code civil et L. 214-169 à L. 214-175 et L. 313-24 du code monétaire et financier, de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
- dire les demandes de la société Carnot Investissement recevables,
y faisant droit,
- condamner la société Le Bon Marché à payer à la demanderesse pour le principal de 121.794 euros,
- fixer la créance de la société Carnot Investissement au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos à la somme de 1.527.117,10 euros,
subsidiairement :
- fixer la créance de la société carnot investissement au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos à la somme de 1.648.911,10 euros,
dans tous les cas :
- rejeter les demandes formées à l'encontre de la société Carnot Investissement par la société Le Bon Marché et Me [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos,
- condamner la société Le Bon Marché et Me [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos à payer chacun à la société Carnot Investissement la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Le Bon Marché et Me [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos en tous les dépens qui comprendront le coût de l'assignation, ainsi que les frais de greffe, en ce non compris le coût des actes qui seront la suite du présent jugement, auxquelles elle demeure également condamnée.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 11 avril 2022, la SELARLU [U], ès qualités, demande à la cour, au visa des articles 122 et suivants du code de procédure civile, 1321 du code civil, L.621-7, L. 622-24, L. 622-25 et R. 622-23 du code de commerce de :
- déclarer l'appel interjeté par la société Carnot Investissement recevable mais non fondé,
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :
* constaté que la cession des droits par la société Finexkap à la société Carnot Investissement est postérieure à l'ouverture de la procédure collective de la société Artheos,
* constaté que les cessions de créances de la société Artheos sur la société Le Bon Marché ne sont pas signées, tant par la société Artheos que par l'administrateur judicaire, ès qualités,
* constaté que la société Carnot Investissement ne démontre pas sa qualité à agir en tant que créancier,
en conséquence,
* déclaré les demandes de la société Carnot Investissement irrecevables et rejeter sa demande de fixation de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos,
A titre subsidiaire,
si par extraordinaire la juridiction de céans venait à déclarer recevables les demandes de la société Carnot Investissement,
- constater que la société Carnot Investissement ne communique aucun élément permettant de justifier du quantum de sa créance,
- constater que cette créance n'est ni certaine, ni liquide et ni exigible,
en conséquence,
- débouter la société Carnot Investissement de sa demande de fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos,
sur l'appel incident de la SELARLU [U], ès qualités,
- constater que l'hypothétique créance de la société Carnot Investissement est antérieure à l'ouverture de la procédure collective de la société Artheos,
- constater que la société Le Bon Marché a reconnu devoir la somme de 121.794 euros à la SELARLU [U], représentée par Me [C] [U], en qualité de liquidateur de la société Artheos,
- constater que la société Le Bon Marché n'a déclaré aucune créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos,
- condamner la société Le Bon Marché à payer à la SELARLU [U], représentée par Me [C] [U], ès qualités, la somme 121.794 euros,
en tout état de cause,
- condamner la société Carnot Investissement ou qui mieux le devra à payer à la SELARLU [U], ès qualités, la somme 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Carnot Investissement ou qui mieux le devra aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 27 juin 2022, la société Le Bon Marché demande à la cour, au visa des articles 9 et 32-1 du code de procédure civile et 1101 et suivants, 1219 et 1353 du code civil, de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce le 14 septembre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la société Le Bon Marché à l'encontre de la société Carnot Investissement au titre de la procédure abusive,
en conséquence, statuant à nouveau,
- rejeter l'appel de la société Carnot Investissement faute d'intérêt à agir,
- rejeter l'appel incident de la SELARLU [U] en qualité de liquidateur de la société Artheos comme mal-fondé,
- rejeter en conséquence toute condamnation de la société Le Bon Marché au règlement de la somme de 121.794 euros faute d'exigibilité de la prétendue créance,
- condamner la société Carnot Investissement au règlement de 5.000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner solidairement la société Carnot Investissement et la SELARLU [U] en qualité de liquidateur de la société Artheos au règlement de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Carnot Investissement aux entiers dépens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 décembre 2022, les débats étant fixés au 22 mai 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité à agir de la société Carnot Investissement
La société Carnot Investissement fait valoir que :
- les conventions de cession de créances consenties au fond commun de titrisation Finexkap Créances n° 1 par la société Artheos ont été signées électroniquement par M. [J] [Z], dirigeant de cette dernière ; la signature électronique via Universign est valable, les attestations émises par la société Univesign le démontrent ;
- les actes datent des 5 octobre, 19 octobre et 9 novembre 2018, alors que la procédure collective de la société Artheos n'a été ouverte que le 3 avril 2019, de sorte que M. [Z] avait qualité pour engager seul la société ;
- le fond commun de titrisation Finexkap Créances n° 1 a transporté ses droits entre les mains de la société Finexkap SAS par convention du 25 avril 2019, puis la société Finexkap SAS a cédé les droits qu'elle détenait sur la société Artheos à la société Carnot Investissement, par acte sous seing privé du 2 mai 2019 ; ces cessions de créances ont été notifiées tant à la société Artheos et son mandataire judiciaire, qu'à la société Le Bon Marché ;
- en la déclarant irrecevable à agir, le tribunal a ignoré les notifications et significations effectuées et s'est mépris sur la portée des dispositions de l'article 1324 du code civil ; la jurisprudence rendue au titre des anciens articles 1689 et suivants du code civil reste valable ; l'irrecevabilité retenue par les premiers juge n'est pas encourue.
Le liquidateur judiciaire réplique que :
- la société Carnot Investissement n'a aucune qualité à agir : la cession des droits de la société Kinexkap SAS par acte sous seing privé du 2 mai 2019, soit postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire, est inopposable aux organes de la procédure collective faute de notification régulière, conformément à l'article 1324 du code civil ;
- les actes de cession invoqués par la société Carnot Investissement ne sont pas signés par la société Artheos ni par l'administrateur judiciaire.
Sur ce,
L'article 122 du code de procédure civile énonce que 'constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.'
Et s'agissant de la cession de créance, l'article 1324 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, dispose que 'La cession n'est opposable au débiteur, s'il n'y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s'il en a pris acte.
Le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l'exception d'inexécution, la résolution ou la compensation des dettes connexes. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le cédant avant que la cession lui soit devenue opposable, telles que l'octroi d'un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes.
Le cédant et le cessionnaire sont solidairement tenus de tous les frais supplémentaires occasionnés par la cession dont le débiteur n'a pas à faire l'avance. Sauf clause contraire, la charge de ces frais incombe au cessionnaire.'
Il résulte des pièces produites aux débats que, le 14 mars 2016, la société Artheos a conclu avec le fonds commun de titrisation (FCT) Finexkap Créances n° 1, représenté par la société Finexkap AM, un contrat de cession de créances qui a été signé électroniquement par M. [J] [Z], dirigeant de la société Artheos. En exécution de ce contrat, des créances ont été successivement cédées, chacune par un 'acte de cession de créance' mentionnant spécifiquement la facture cédée.
Par lettre du 8 février 2019, le conseil de la société Finexkap AM a indiqué à la société Artheos qu'un certain nombre des créances cédées étaient inéligibles à la cession au regard des dispositions contractuelles, représentant un montant en principal de 1.810.670,65 euros, et la mettait en demeure de régler cette somme outre frais et intérêts.
Suivant contrat du 25 avril 2019, le FCT Finexkap Créances n° 1, représenté par la société Finexkap AM, a cédé à la société Finexkap les créances qu'il détenait sur la société Artheos, dont la liste était annexée à l'acte.
Puis, par contrat du 2 mai 2019, la société Finexkap a cédé ces créances à la société Carnot Investissement, suivant liste annexée.
La société Carnot Investissement justifie avoir notifié ces cessions pour un montant de 1.601.274,46 euros en principal, par deux lettres recommandées avec avis de réception du 3 mai 2019 adressées l'une à la société Artheos et l'autre à M. [M] qui avait été désigné mandataire judiciaire aux termes du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Artheos en date du 3 avril 2019.
Il convient de souligner que l'article 1324, alinéa 1er, précité n'exige plus une signification de la cession de créance, mais seulement une notification, laquelle peut valablement intervenir par lettre recommandée notamment, comme en l'espèce. De plus, le contenu de ces lettres recommandées informe suffisamment la société Artheos et le mandataire judiciaire des deux cessions successivement intervenues. Il s'en déduit que les cessions de créances sont opposables à la société Artheos, débiteur cédé, et à la procédure collective de celle-ci.
En outre, le 7 mai 2019, la société Carnot Investissement a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire, pour la somme de 1.601.274,46 euros en principal outre 47.636,64 euros d'intérêts échus, soit un total de 1.648.911,10 euros à titre chirographaire. Il peut être observé qu'aux termes de la cession de créances que lui avait consenti la société Finexkap, il était expressément indiqué que le débiteur cédé avait été placé en redressement judiciaire le 3 avril 2019 et que le cédant n'avait pas déclaré sa créance, ce dont le cessionnaire faisait son affaire personnelle.
Il résulte donc de ces éléments, que la société Carnot Investissement a qualité pour agir en fixation de sa créance, toute contestation relative au bien fondé de la créance et à son quantum relevant de l'appréciation de la demande au fond.
A ce titre, les contestations relatives à la signature des actes de cession de créances produits en pièces n° 15, 17 et 19 par la société Carnot Investissement relèvent de la question du bien fondé de la créance invoquée par cette dernière, dès lors que ces actes ont été pris en exécution du 'contrat de cession en vigueur', c'est-à-dire en exécution du contrat de cession de créances signé le 14 mars 2016.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Sur les créances de la société Carnot Investissement
La société Carnot Investissement fait valoir que :
- elle produit les contrats, les commandes et les factures ainsi que la trace du virement des sommes créditées au compte de la société Artheos, justifiant le montant de sa créance ; les griefs de la société Artheos invoqués par le liquidateur judiciaire ne sont justifiés par aucune pièce ;
- les contestations opposées sont les mêmes que celles opposées dans la liquidation de la société ARCE, alors que sa créance a été admise dans la procédure collective de la société ARCE pour la somme de 1.655.138,46 euros et qu'il convient de rétablir la cohérence des décisions.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que :
- la société Carnot Invesstissement ne produit que des tableaux récapitulatifs mentionnant les factures prétendument cédées, mais pas les copies de factures certifiées par un expert-comptable ; le quantum de la créance alléguée n'est aucunement justifié ;
- de nombreux griefs sont opposés à la prétendue créance, auxquels la société Carnot Investissement n'a jamais répondu ;
- le quantum de la créance est ainsi incertain, non justifié et contesté, de sorte que la demande doit être rejetée.
Sur ce,
Le contrat de cession de créances conclu par la société Artheos le 14 mars 2016 prévoyait, à la clause intitulée 'Indemnités - Recours', que le cédant devra indemniser le cessionnaire à hauteur d'un montant égal à la valeur nominale de la créance, augmentée le cas échéant de la commission d'arriéré quotidienne, si l'un des événements suivants survient :
'- la cession de la créance n'est pas valide ou n'est pas opposable au cédant, au cessionnaire ou à tout tiers, ou encore est contestée en justice ;
- une déclaration et garantie concernant la créance s'avère inexacte à la date de cession à laquelle cette déclaration et garantie avait été donnée ;
- la facture relative à la créance a été annulée, en tout ou partie, et a été remplacée par une autre facture ;
- le montant nominal de la créance a été réduit pour quelque raison que ce soit.'
Le 8 février 2019, le conseil de la société Finexkap AM a adressé à la société Artheos une lettre recommandée par laquelle il lui indiquait que sa cliente avait effectué des diligences exhaustives et approfondies lui ayant permis de constater que des créances cédées étaient inéligibles au sens du contrat de cession du 14 mars 2016, lesquelles représentaient un montant total de 1.810.670,65 euros au titre de leur valeur faciale. Il précisait que ces créances, dont la liste figurait en annexe 1 de la lettre, étaient inéligibles :
'- soit parce qu'elles sont purement et simplement inexistantes, quand bien même elles se rattachent à des marchés réels, ayant notamment fait l'objet de doubles cessions au FCT Finexkap Créances n° 1,
- soit parce qu'elles correspondent à des prestations de services ou des livraisons non encore effectuées ou en cours d'exécution, et ce sans l'accord écrit du FCT Finexkap Créances n° 1,
- soit parce que les factures qui s'y rapportent ont fait l'objet d'annulations ou d'avoirs sans l'accord du FCT Finexkap Créances n° 1.'
Dans sa déclaration de créances produite au mandataire judiciaire de la société Artheos le 7 mai 2019 pour la somme, à titre chirographaire, de 1.601.274,46 euros en principal outre 47.636,64 euros d'intérêts échus, la société Carnot Investissement a mentionné une liste de dix créances (sa pièce n° 5).
Or, il convient d'observer que le total des sommes 'exposées', qui correspondent aux montants versés à la société Artheos au titre des cessions de créances (soit le montant TTC de la facture dont est déduite la retenue de garantie), est de 1.571.872,73 euros, ce qui ne correspond donc pas à la créance déclarée dont le montant de 1.601.274,46 euros n'est pas compréhensible au vu de cette liste.
En outre, la société Carnot Investissement n'explique pas en quoi ces dix factures lui seraient dues par la société Artheos.
Dans ses écritures, elle se borne à renvoyer à sa pièce n° 46 constituée d'un tableau listant des factures avec la brève mention du motif de leur inéligibilité à la cession.
Or, ce tableau ne reprend que huit des dix factures mentionnées dans la déclaration de créance adressée au mandataire judiciaire. Les deux factures qui ne figurent pas dans ce tableau de la pièce n° 46 sont les factures n° FC1800077 dont le débiteur serait Maisons du Monde Belgique pour un montant de 76.800 euros TTC et n° FC1800115 dont le débiteur serait Celio pour un montant de 3.595,80 euros TTC, lesquelles ne sont pas versées aux débats et il n'est pas non plus justifié de leur cession par la société Artheos, ni du motif pour lequel elles seraient dues par cette dernière à la société Carnot Investissement. Ces deux factures doivent donc être écartées des créances de la société Carnot Investissement envers la société Artheos.
De plus, la corrélation du tableau de la pièce n° 46 avec les autres pièces produites (les factures et actes de cessions en pièces n°14 à 19, 42a, 43c, 43d, 43e et 44a et le relevé d'opération en pièce n° 20) fait apparaître, pour ces huit factures, que :
- s'agissant de la facture FC1800094 ayant pour débiteur la société Celio, d'un montant de 22.668 euros TTC, figurant au relevé des opérations à la date du 8 novembre 2018, il n'est pas justifié d'un acte de cession de cette créance au bénéfice du FCT Finexkap Créances n° 1. Cette créance doit donc être écartée ;
- s'agissant de la facture FC1800073 ayant pour débiteur LVMH Italia (Sephora), d'un montant de 270.361,60 euros TTC, figurant au relevé des opérations à la date du 31 août 2018, il n'est pas non plus justifié d'un acte de cession de cette créance au bénéfice du FCT Finexkap Créances n° 1, de sorte que cette créance doit également être écartée ;
- s'agissant des trois factures n° FC1800062 d'un montant de 270.361,60 euros dont le débiteur est LVMH Italia (Sephora), n° FC1800061 d'un montant de 270.361,60 euros dont le débiteur est LVMH Italia (Sephora), et n° FC1800060 d'un montant de 111.395 euros dont le débiteur est Sephora Kozmetik ([Localité 5]), seule la première fait l'objet d'un acte de cession de créance produit aux débats, de sorte que les deux dernières doivent être écartées en l'absence de preuve de leur cession au FCT Finexkap Créances n° 1. De plus, ces trois créances sont mentionnées comme inéligibles à la cession au motif qu'il s'agit de factures d'acomptes. Toutefois, les conditions particulières du contrat de cession du 14 mars 2016 ne définissent pas les créances éligibles à la cession, et les conditions générales ne sont pas produites aux débats. Pour ce motif, ces créances doivent être écartées. Mais en outre, dans une lettre du 21 mars 2019 adressée au Bon Marché, la société Artheos expliquait que, durant sa collaboration avec la société Finexkap, celle-ci avait 'progressivement élargi ses possibilités de financement et [l']avait financé des créances en germe, c'est-à-dire des factures d'acomptes sur des opérations engagées mais non finalisées'. Ceci tend à établir que des factures d'acompte pouvaient valablement être cédées au FCT Finexkap. La société Carnot Investissement ne démontre donc pas que ces créances lui sont dues ; elles doivent ainsi être écartées ;
- s'agissant enfin des trois factures dont le débiteur est Le Bon Marché, n° FC1800093 d'un montant de 122.496 euros, n° FC1800088 d'un montant de 375.264 euros et n° FC1800078 d'un montant de 375.264 euros, qui sont également des factures d'acompte, la société Carnot Investissement indique dans le tableau, 'fausse signature sur le devis. Le Bon Marché a conclu que le faux est reconnu par ARTHEOS'. Il est exact que, dans sa lettre du 12 mars 2019 adressée à la société Artheos, la société Le Bon Marché lui indiquait : 'Il y a quelques semaines nous avons eu la surprise d'être contactés par votre factor la société Finexkap nous demandant de procéder au règlement des factures suivantes :
Facture n°FC1800078 d'un montant de 312.720 euros HT
Facture n°FC1800088 d'un montant de 312.720 euros HT
Facture n°FC1800093 d'un montant de 102.080 euros HT
Devant notre incompréhension, le factor nous a précisé que ces factures correspondaient à des acomptes relatifs à une commande n°OF1800277 que nous aurions passée auprès de votre société en date du 24 septembre 2018 d'un montant de 781.800 euros HT.
A l'appui de sa demande, le factor nous a adressé copie du devis portant ma signature.
Or, comme je m'en suis étonnée auprès de vous lors de notre conversation, il se trouve que je n'ai jamais apposé ma signature sur ce devis.
Par conséquent, nous avons toutes les raisons de croire que ce document est un faux et que ma signature a été copiée/collée à partir d'un précédent devis.' La société Artheos répondait, par lettre du 21 mars 2019, que 'des factures d'acompte sur l'opération globale ont été transmises en septembre et octobre' à la société Finexkap et que 'ces pièces ont été transmises avec un devis non signé et prises en compte comme telles par Finexkap', confirmant ensuite que le devis avait finalement été transmis le 9 novembre revêtu d'une signature alors que ce document ne provenait pas du Bon Marché. Il est donc établi que la société Artheos, confiante dans le fait d'obtenir un marché de travaux avec la société Le Bon Marché, ce qu'elle confirmait au factor par e-mail du 2 octobre 2018 (pièce n° 12 de Carnot), a émis trois factures d'acompte (pièces n° 14, 16 et 18 de Carnot) qu'elle a cédées à la société Finexkap, sans que ces factures ne soient fondées sur un marché de travaux effectivement conclu avec la société Le Bon Marché à cette période. En effet, le marché de fourniture n'a finalement été signé que le 14 janvier 2019 pour un montant de 528.300 euros HT et pour lequel la société Artheos a expressément indiqué à sa cliente que les factures ne devaient pas être payées à son factor mais à elle-même. La société Artheos a ainsi obtenu un financement le 5 octobre, le 19 octobre et le 9 novembre 2018, sur la base de trois factures qui n'étaient pas dues par la société Le Bon Marché. Il en résulte nécessairement, que ces factures n'étaient pas éligibles à la cession. En conséquence, ces trois factures constituent une créance de la société Carnot Investissement sur la société Artheos.
Le liquidateur judiciaire de la société Artheos conteste les créances sans produire le moindre élément au soutien des allégations de la société Artheos et en particulier sur les 'nombreux griefs' contre le factor dont elle lui a fait part.
Au vu du relevé d'opérations (pièce n° 20 de Carnot), il convient de déduire de chacune des trois factures n° FC1800078, n° FC1800088 et n° FC1800093, la retenue de garantie et la commission afférentes prélevées par la société Finexkap. C'est ainsi la somme totale de 711.446,95 euros qu'il convient de fixer au passif de la société Artheos au titre de la créance de la société Carnot Investissement.
En revanche, la société Carnot Investissement ne démontre aucunement que les factures émises par la société Artheos résultant du marché de travaux du 14 janvier 2019 auraient été cédées à la société Finexkap dont elle tire ses droits. Dès lors que sa créance est reconnue au titre des financements consentis à tort à la société Artheos en octobre et novembre 2018, elle ne dispose d'aucune créance à l'égard de la société Le Bon Marché pour les factures non cédées émises au titre du contrat du 14 janvier 2019.
La demande de la société Carnot Investissement tendant à la condamnation de la société Le Bon Marché à lui payer la somme de 121.794 euros sera donc rejetée et sa créance sera fixée au passif de la société Artheos pour le montant total de 711.446,95 euros à titre chirographaire.
Sur la demande en paiement formée contre la société Le Bon Marché
La société Carnot Investissement fait valoir que :
- alors que la société Artheos n'était plus titulaire des droits de créance, elle a émis, le 15 janvier 2019, des avoirs pour des factures émise à l'égard de la société Le Bon Marché pour des prestations de livraison de spots LED, puis a refacturé à celle-ci la même prestation mais à un montant moindre ;
- ces spots Led ont bien été livrés à la société Le Bon Marché qui doit donc payer la somme de 121.794 euros ; cette somme revient à la société Carnot Investissement.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que :
- la société Le Bon Marché n'a jamais contesté devoir la somme de 121.794 euros avant la procédure judiciaire et tente ainsi de tirer profit de la procédure de liquidation pour bénéficier des travaux sans bourse délier ;
- la somme n'est pas contestable et doit revenir à la procédure collective, elle n'est pas contestée par la société Le Bon Marché qui l'a séquestrée sur un compte CARPA ;
- la société Le Bon Marché ne peut opposer une exception d'inexécution alors même qu'elle n'a pas déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire et se trouve forclose à le faire ; il en résulte que la société Le Bon Marché doit être condamnée à lui payer la somme de 121.794 euros.
La société Le Bon Marché réplique que :
- elle ne doit aucune somme, tant à la société Carnot Investissement qu'au liquidateur judiciaire, dès lors que la société Artheos n'a pas régulièrement exécuté la prestation faisant l'objet du troisième bon de commande ;
- elle a toujours contesté devoir la somme de 121.794 euros et a même résilié le contrat conclu avec la société Artheos en raison des manquements de cette dernière qui n'a pas livré les fournitures faisant l'objet de la troisième tranche de commande ; elle n'est donc redevable d'aucune somme ;
- le liquidateur judiciaire ne rapporte pas la preuve de la bonne exécution de la prestation relative à la dernière tranche de travaux ;
- l'inexécution des travaux par Artheos prive de tout fondement la demande en paiement formée également par la société Carnot Investissement dont la créance est douteuse et reconnue comme fausse par le dirigeant de la société Artheos, de surcroît fondée sur des factures antérieures au marché de travaux.
Sur ce,
Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, ils doivent être exécutés de bonne foi.
Il a été précédemment retenu que la demande en paiement de société Carnot Investissement contre la société Le Bon Marché devait être rejetée.
Quant à la demande du liquidateur judiciaire, la société Le Bon Marché a conclu le 14 janvier 2019 avec la société Artheos un contrat de fourniture d'équipement d'éclairage d'un montant de 528.300 euros HT.
Si la société Le Bon Marché a résilié ce contrat par lettre recommandée du 28 mars 2019 au motif que la société Artheos n'avait respecté ni les délais de livraison, ni le contenu des commandes quant à la nature et la quantité des produits, il résulte néanmoins des courriers échangés avant cette résiliation entre les sociétés Le Bon Marché et Artheos, qu'une partie du contrat de fourniture a valablement été exécutée.
C'est ainsi que, dans sa lettre du 12 mars 2019, la société Le Bon Marché indiquait que la première livraison était intervenue avec deux semaines de retard, que la deuxième livraison était intervenue sans difficulté le 14 février 2019, mais que la troisième commande ne lui avait jamais été livrée. Elle admettait alors expressément que les factures correspondant au matériel déjà livré devaient être payées mais demandait à la société Artheos auprès de qui, d'Artheos ou de son factor, elle devait les régler. Elle listait les factures qu'elle indiquait devoir régler, s'agissant de :
- la facture n° FC1900001 d'un montant de 41.310 euros HT
- la facture n° FC1900017 d'un montant de 31.900 euros HT
- la facture n° FC1900116 d'un montant de 23.130 euros HT
- la facture n° FC1900117 d'un montant de 155 euros HT.
Dans sa lettre de résiliation du 28 mars 2019, déjà mentionnée supra, la société Le Bon Marché concluait ainsi : 'comme indiqué dans nos précédents courriers, dans l'attente de connaître le destinataire de ce paiement et à défaut d'avoir obtenu un accord écrit entre votre société et votre factor Finexkap, nous avons déposé sur un compte CARPA la somme de 121.794,00 euros TTC correspondant aux sommes que nous vous devons.'
Enfin, dans sa lettre du 4 septembre 2019 adressée au liquidateur judiciaire de la société Artheos, la société Le Bon Marché déclarait encore 'Le Bon Marché ne conteste pas devoir la somme de 121.794 euros. Il se trouve, en revanche, pris entre deux feux de revendication'.
En dépit de ces éléments, la société Le Bon Marché ne craint pas de soutenir, en page 11 de ses écritures d'appel, que 'La société Le Bon Marché a toujours contesté devoir la somme de 121.794,00 Euros et ce, bien avant que les procédures judiciaires ne soient initiées.'
Pourtant, il résulte des lettres ci-dessus mentionnées, qu'une partie des commandes passées en exécution du marché du 14 janvier 2019 a bien été livrée. Si la troisième livraison n'a pas été exécutée, il n'est pas établi qu'elle ait été facturée, dès lors que le montant de 121.794 euros TTC dont la société Le Bon Marché admettait être redevable dès le 12 mars 2019 ne correspond pas à la totalité du marché de fourniture, lequel était de 528.300 euros HT. Dans sa lettre du 21 mars 2019, la société Artheos écrivait à la société Le Bon Marché 'les livraisons ont été faites conformément aux demandes reçues et décalées lorsque cela a été demandé [...]. Par suite de la réception de votre mise en demeure, nous avons expédié immédiatement les produits disponibles en stock et conformes au marché signé', de sorte que la preuve est rapportée qu'une partie du contrat de fourniture a bien été exécutée. Cette preuve de l'exécution partielle est confirmée par le fait que la société Le Bon Marché s'est reconnue débitrice des factures relatives au matériel effectivement fourni, comme elle l'indique expressément dans sa lettre du 12 mars 2019.
Au vu de ces éléments, la contestation de la société Le Bon Marché qui soutient à présent ne rien devoir à personne s'avère bien mal fondée.
Au surplus, comme le relève le liquidateur judiciaire, la société Le Bon Marché n'a déclaré aucune créance à la liquidation judiciaire de la société Artheos et ne rapporte pas la preuve de malfaçons.
En conséquence, la somme de 121.794 euros TTC est due par la société Le Bon Marché au liquidateur judiciaire de la société Artheos, de sorte que la première sera condamnée à payer cette somme au second.
Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société Le Bon Marché
La société Le Bon Marché fait valoir que l'obstination de la société Carnot Investissement justifie la condamnation de celle-ci à lui payer des dommages-intérêts pour procédure abusive, alors que le transfert des créances est très opaque et que la société Carnot Investissement prétend se faire payer des factures pourtant reconnues comme fausses par son cessionnaire.
La société Carnot Investissement réplique que, si la solution du litige était si évidente que son attitude est qualifiable de téméraire, alors la société Le Bon Marché n'avait pas de raison de consigner les sommes faute de savoir à qui les verser.
Sur ce,
La société Le Bon Marché vise l'article 32-1 du code de procédure civile comme fondement de cette demande. Toutefois, cet article porte sur l'amende civile que la juridiction peut prononcer contre un plaideur qui agit de manière dilatoire ou abusive, et dont le montant ne revient pas à la partie adverse puisqu'il s'agit d'une amende. C'est sur l'article 1240 du code civil que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive doit être fondée.
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à indemnisation qu'à la condition d'établir une faute dans son exercice susceptible d'engager la responsabilité de son auteur.
En l'espèce, compte tenu du litige qui existait entre la société Artheos et la société Finexkap depuis fin 2018 au moins, auquel la société Le Bon Marché était indirectement associée dès lors que les factures litigieuses entre Artheos et Finexkap concernaient la société Le Bon Marché, la procédure engagée par la société Carnot Investissement contre cette dernière n'apparaît pas abusive.
La demande de dommages-intérêts de la société Le Bon Marché contre la société Carnot Investissement pour procédure abusive sera donc rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure collective.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, il convient, en équité, de rejeter les demandes formées par chacune des parties à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare la société Carnot Investissement recevable à agir ;
Fixe la créance de la société Carnot Investissement au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos à la somme de 711.446,95 euros à titre chirographaire ;
Rejette la demande de la société Carnot Investissement tendant à la condamnation de la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicaut à lui payer la somme de 121.794 euros ;
Condamne la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicaut à payer la somme de 121.794 euros à la SELARLU [U] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos ;
Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicaut contre la société Carnot Investissement ;
Dit que les dépens de première instance et d'appel seront tirés en frais privilégiés de la procédure collective ;
Rejette toutes les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente
Décision du
Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 14 septembre 2021
RG : 2020j00355
ch n°
SAS CARNOT INVESTISSEMENT
C/
Société LE BON MARCHE MAISON ARISTIDE BOUSICAUT
S.E.L.A.R.L. [U]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 04 Septembre 2025
APPELANTE :
La S.A.S. CARNOT INVESTISSEMENT,
Immatriculée au R.C.S. de Mâcon sous le numéro 390.069.425 aux poursuites et diligences de son Président en exercice, domicilié en ladite qualité.
Sise [Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Vincent DE FOURCROY de la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1102, avocat postulant et Me Matthieu CASTILLAN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant.
INTIMEES :
La SA LE BON MARCHE MAISON ARISTIDE BOUCICAULT,
SA, au capital de 29 415 810 Euros Inscrite au RCS de Paris sous le numéro 414 728 337, Agissant en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège en cette qualité.
Sis [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LX LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, avocat postulant et Me Julie BIJAME, avocate au barreau de PARIS, avocat plaidant.
ET
La SELARLU [U],
représentée par Maître [C] [U], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société ARTHEOS, SAS au capital social de 67 560.00 €, immatriculée au RCS de LYON sous le n° 750 810 103, désignée à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de LYON du 19 Juin 2019, exerçant en cette qualité [Adresse 4].
Sis [Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Thomas KAEMPF de la SELARL BK AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 438.
******
Date de clôture de l'instruction : 13 Décembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Mai 2025
Date de mise à disposition : 04 Septembre 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Sophie DUMURGIER, présidente
- Aurore JULLIEN, conseillère
- Viviane LE GALL, conseillère
assistées pendant les débats de Céline DESPLANCHES, greffière
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Sophie DUMURGIER, présidente, et par Céline DESPLANCHES, greffiere, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS Artheos exerçait, en France et à l'international, une activité de commerce de gros, demi-gros et détail d'appareils et de solutions d'éclairage, accessoires et consommables, ainsi que le service après-vente et la maintenance s'y rapportant.
En 2015, la société Artheos a développé des relations d'affaires avec la société d'affacturage Finexkap. Le 14 mars 2016, elle a ainsi conclu avec le fonds commun de titrisation (FCT) Finexkap Créances n° 1, représenté par la société Finexkap AM, un contrat de cession de créances.
Toutefois, la relation entre les sociétés Finexkap et Artheos s'est dégradée, cette dernière reprochant des anomalies dans la gestion de son compte par la société Finexkap et notamment des factures non recouvrées, seulement compensées par la cession de nouvelles factures, ainsi que d'autres ayant fait l'objet d'avoirs puis de refacturations.
A la suite de ces incidents, la société Artheos a interrompu la cession de factures à la société Finexkap à compter du 1er janvier 2019 et a informé la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicault (la société Le Bon Marché), sa cliente, que les factures devaient désormais être payées entre ses mains et non entre celles de la société Finexkap.
Le 15 janvier 2019, les sociétés Artheos et Le Bon Marché ont conclu un contrat portant sur la fourniture de 5.785 équipements d'éclairage dans le cadre d'un marché d'un montant de 528.300 euros HT.
En mars 2019, la société Le Bon Marché a suspendu tout paiement à la société Artheos et a fait séquestrer la somme de 121.794 euros sur un compte CARPA, correspondant à des factures de matériels émises au titre du marché de fourniture conclu avec cette dernière.
Par jugement du 3 avril 2019, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Artheos et nommé Me [M] en qualité de mandataire judiciaire.
Le 3 mai 2019, la société Artheos s'est vu notifier les cessions successives de créances détenues sur elle, par le fond commun de titrisation Finexkap Créances n° 1 à la société Finexkap SAS puis par la société Finexcap SAS à la société Carnot Investissement.
Par courrier du 7 mai 2019, la société Carnot Investissement a déclaré sa créance au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Artheos, pour un montant de 1.648.911,10 euros à titre chirographaire.
Par jugement du 19 juin 2019, le tribunal de commerce de Lyon a converti la procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Artheos en procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement du 19 décembre 2019, le tribunal de commerce de Lyon a nommé la SELARLU [U] prise en la personne de Me [C] [U] en qualité de liquidateur judiciaire, en remplacement de Me [M].
La société Carnot Investissement a assigné en référé la société Le Bon Marché qui a attrait le liquidateur de la société Artheos en intervention forcée, aux fins d'obtenir le paiement de la somme provisionnelle de 121.794 euros. Par ordonnance du 5 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a rejeté l'intégralité des demandes.
La créance à titre chirographaire de 1.648.911,10 euros déclarée au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société Arthos par la société Carnot Investissement a été contestée et le débat a été porté devant le juge-commissaire qui a invité les parties à mieux se pourvoir.
Par acte introductif d'instance du 11 mars 2020, la société Carnot Investissement a assigné la SELARLU [U], ès qualités, et la société Le Bon Marché devant le tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement contradictoire du 14 septembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :
- jugé que la société Carnot Investissement ne démontre pas sa qualité à agir en tant que créancier,
- jugé en conséquence irrecevable l'ensemble des demandes de la société Carnot Investissement et l'a déboutée de sa demande de fixation de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos,
- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,
- condamné la société Carnot Investissement à payer à la SELARLU [U], en la personne de Me [C] [U], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos et la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicaut, à chacune, la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Carnot Investissement aux entiers dépens de l'instance et de ses suites au titre des articles 695 et 696 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions, nonobstant tout appel et sans caution.
Par déclaration reçue au greffe le 25 octobre 2021, la SAS Carnot Investissement a interjeté appel de ce jugement portant sur l'ensemble des chefs de la décision critiquée.
***
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 6 juillet 2022, la société Carnot Investissement demande à la cour, au visa des articles 561 du code de procédure civile, 1103, 1104 et 1321 et suivants du code civil et L. 214-169 à L. 214-175 et L. 313-24 du code monétaire et financier, de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
- dire les demandes de la société Carnot Investissement recevables,
y faisant droit,
- condamner la société Le Bon Marché à payer à la demanderesse pour le principal de 121.794 euros,
- fixer la créance de la société Carnot Investissement au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos à la somme de 1.527.117,10 euros,
subsidiairement :
- fixer la créance de la société carnot investissement au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos à la somme de 1.648.911,10 euros,
dans tous les cas :
- rejeter les demandes formées à l'encontre de la société Carnot Investissement par la société Le Bon Marché et Me [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos,
- condamner la société Le Bon Marché et Me [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos à payer chacun à la société Carnot Investissement la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Le Bon Marché et Me [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos en tous les dépens qui comprendront le coût de l'assignation, ainsi que les frais de greffe, en ce non compris le coût des actes qui seront la suite du présent jugement, auxquelles elle demeure également condamnée.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 11 avril 2022, la SELARLU [U], ès qualités, demande à la cour, au visa des articles 122 et suivants du code de procédure civile, 1321 du code civil, L.621-7, L. 622-24, L. 622-25 et R. 622-23 du code de commerce de :
- déclarer l'appel interjeté par la société Carnot Investissement recevable mais non fondé,
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :
* constaté que la cession des droits par la société Finexkap à la société Carnot Investissement est postérieure à l'ouverture de la procédure collective de la société Artheos,
* constaté que les cessions de créances de la société Artheos sur la société Le Bon Marché ne sont pas signées, tant par la société Artheos que par l'administrateur judicaire, ès qualités,
* constaté que la société Carnot Investissement ne démontre pas sa qualité à agir en tant que créancier,
en conséquence,
* déclaré les demandes de la société Carnot Investissement irrecevables et rejeter sa demande de fixation de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos,
A titre subsidiaire,
si par extraordinaire la juridiction de céans venait à déclarer recevables les demandes de la société Carnot Investissement,
- constater que la société Carnot Investissement ne communique aucun élément permettant de justifier du quantum de sa créance,
- constater que cette créance n'est ni certaine, ni liquide et ni exigible,
en conséquence,
- débouter la société Carnot Investissement de sa demande de fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos,
sur l'appel incident de la SELARLU [U], ès qualités,
- constater que l'hypothétique créance de la société Carnot Investissement est antérieure à l'ouverture de la procédure collective de la société Artheos,
- constater que la société Le Bon Marché a reconnu devoir la somme de 121.794 euros à la SELARLU [U], représentée par Me [C] [U], en qualité de liquidateur de la société Artheos,
- constater que la société Le Bon Marché n'a déclaré aucune créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos,
- condamner la société Le Bon Marché à payer à la SELARLU [U], représentée par Me [C] [U], ès qualités, la somme 121.794 euros,
en tout état de cause,
- condamner la société Carnot Investissement ou qui mieux le devra à payer à la SELARLU [U], ès qualités, la somme 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Carnot Investissement ou qui mieux le devra aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 27 juin 2022, la société Le Bon Marché demande à la cour, au visa des articles 9 et 32-1 du code de procédure civile et 1101 et suivants, 1219 et 1353 du code civil, de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce le 14 septembre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la société Le Bon Marché à l'encontre de la société Carnot Investissement au titre de la procédure abusive,
en conséquence, statuant à nouveau,
- rejeter l'appel de la société Carnot Investissement faute d'intérêt à agir,
- rejeter l'appel incident de la SELARLU [U] en qualité de liquidateur de la société Artheos comme mal-fondé,
- rejeter en conséquence toute condamnation de la société Le Bon Marché au règlement de la somme de 121.794 euros faute d'exigibilité de la prétendue créance,
- condamner la société Carnot Investissement au règlement de 5.000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner solidairement la société Carnot Investissement et la SELARLU [U] en qualité de liquidateur de la société Artheos au règlement de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Carnot Investissement aux entiers dépens.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 décembre 2022, les débats étant fixés au 22 mai 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité à agir de la société Carnot Investissement
La société Carnot Investissement fait valoir que :
- les conventions de cession de créances consenties au fond commun de titrisation Finexkap Créances n° 1 par la société Artheos ont été signées électroniquement par M. [J] [Z], dirigeant de cette dernière ; la signature électronique via Universign est valable, les attestations émises par la société Univesign le démontrent ;
- les actes datent des 5 octobre, 19 octobre et 9 novembre 2018, alors que la procédure collective de la société Artheos n'a été ouverte que le 3 avril 2019, de sorte que M. [Z] avait qualité pour engager seul la société ;
- le fond commun de titrisation Finexkap Créances n° 1 a transporté ses droits entre les mains de la société Finexkap SAS par convention du 25 avril 2019, puis la société Finexkap SAS a cédé les droits qu'elle détenait sur la société Artheos à la société Carnot Investissement, par acte sous seing privé du 2 mai 2019 ; ces cessions de créances ont été notifiées tant à la société Artheos et son mandataire judiciaire, qu'à la société Le Bon Marché ;
- en la déclarant irrecevable à agir, le tribunal a ignoré les notifications et significations effectuées et s'est mépris sur la portée des dispositions de l'article 1324 du code civil ; la jurisprudence rendue au titre des anciens articles 1689 et suivants du code civil reste valable ; l'irrecevabilité retenue par les premiers juge n'est pas encourue.
Le liquidateur judiciaire réplique que :
- la société Carnot Investissement n'a aucune qualité à agir : la cession des droits de la société Kinexkap SAS par acte sous seing privé du 2 mai 2019, soit postérieurement à l'ouverture du redressement judiciaire, est inopposable aux organes de la procédure collective faute de notification régulière, conformément à l'article 1324 du code civil ;
- les actes de cession invoqués par la société Carnot Investissement ne sont pas signés par la société Artheos ni par l'administrateur judiciaire.
Sur ce,
L'article 122 du code de procédure civile énonce que 'constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.'
Et s'agissant de la cession de créance, l'article 1324 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, dispose que 'La cession n'est opposable au débiteur, s'il n'y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s'il en a pris acte.
Le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l'exception d'inexécution, la résolution ou la compensation des dettes connexes. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le cédant avant que la cession lui soit devenue opposable, telles que l'octroi d'un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes.
Le cédant et le cessionnaire sont solidairement tenus de tous les frais supplémentaires occasionnés par la cession dont le débiteur n'a pas à faire l'avance. Sauf clause contraire, la charge de ces frais incombe au cessionnaire.'
Il résulte des pièces produites aux débats que, le 14 mars 2016, la société Artheos a conclu avec le fonds commun de titrisation (FCT) Finexkap Créances n° 1, représenté par la société Finexkap AM, un contrat de cession de créances qui a été signé électroniquement par M. [J] [Z], dirigeant de la société Artheos. En exécution de ce contrat, des créances ont été successivement cédées, chacune par un 'acte de cession de créance' mentionnant spécifiquement la facture cédée.
Par lettre du 8 février 2019, le conseil de la société Finexkap AM a indiqué à la société Artheos qu'un certain nombre des créances cédées étaient inéligibles à la cession au regard des dispositions contractuelles, représentant un montant en principal de 1.810.670,65 euros, et la mettait en demeure de régler cette somme outre frais et intérêts.
Suivant contrat du 25 avril 2019, le FCT Finexkap Créances n° 1, représenté par la société Finexkap AM, a cédé à la société Finexkap les créances qu'il détenait sur la société Artheos, dont la liste était annexée à l'acte.
Puis, par contrat du 2 mai 2019, la société Finexkap a cédé ces créances à la société Carnot Investissement, suivant liste annexée.
La société Carnot Investissement justifie avoir notifié ces cessions pour un montant de 1.601.274,46 euros en principal, par deux lettres recommandées avec avis de réception du 3 mai 2019 adressées l'une à la société Artheos et l'autre à M. [M] qui avait été désigné mandataire judiciaire aux termes du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Artheos en date du 3 avril 2019.
Il convient de souligner que l'article 1324, alinéa 1er, précité n'exige plus une signification de la cession de créance, mais seulement une notification, laquelle peut valablement intervenir par lettre recommandée notamment, comme en l'espèce. De plus, le contenu de ces lettres recommandées informe suffisamment la société Artheos et le mandataire judiciaire des deux cessions successivement intervenues. Il s'en déduit que les cessions de créances sont opposables à la société Artheos, débiteur cédé, et à la procédure collective de celle-ci.
En outre, le 7 mai 2019, la société Carnot Investissement a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire, pour la somme de 1.601.274,46 euros en principal outre 47.636,64 euros d'intérêts échus, soit un total de 1.648.911,10 euros à titre chirographaire. Il peut être observé qu'aux termes de la cession de créances que lui avait consenti la société Finexkap, il était expressément indiqué que le débiteur cédé avait été placé en redressement judiciaire le 3 avril 2019 et que le cédant n'avait pas déclaré sa créance, ce dont le cessionnaire faisait son affaire personnelle.
Il résulte donc de ces éléments, que la société Carnot Investissement a qualité pour agir en fixation de sa créance, toute contestation relative au bien fondé de la créance et à son quantum relevant de l'appréciation de la demande au fond.
A ce titre, les contestations relatives à la signature des actes de cession de créances produits en pièces n° 15, 17 et 19 par la société Carnot Investissement relèvent de la question du bien fondé de la créance invoquée par cette dernière, dès lors que ces actes ont été pris en exécution du 'contrat de cession en vigueur', c'est-à-dire en exécution du contrat de cession de créances signé le 14 mars 2016.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Sur les créances de la société Carnot Investissement
La société Carnot Investissement fait valoir que :
- elle produit les contrats, les commandes et les factures ainsi que la trace du virement des sommes créditées au compte de la société Artheos, justifiant le montant de sa créance ; les griefs de la société Artheos invoqués par le liquidateur judiciaire ne sont justifiés par aucune pièce ;
- les contestations opposées sont les mêmes que celles opposées dans la liquidation de la société ARCE, alors que sa créance a été admise dans la procédure collective de la société ARCE pour la somme de 1.655.138,46 euros et qu'il convient de rétablir la cohérence des décisions.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que :
- la société Carnot Invesstissement ne produit que des tableaux récapitulatifs mentionnant les factures prétendument cédées, mais pas les copies de factures certifiées par un expert-comptable ; le quantum de la créance alléguée n'est aucunement justifié ;
- de nombreux griefs sont opposés à la prétendue créance, auxquels la société Carnot Investissement n'a jamais répondu ;
- le quantum de la créance est ainsi incertain, non justifié et contesté, de sorte que la demande doit être rejetée.
Sur ce,
Le contrat de cession de créances conclu par la société Artheos le 14 mars 2016 prévoyait, à la clause intitulée 'Indemnités - Recours', que le cédant devra indemniser le cessionnaire à hauteur d'un montant égal à la valeur nominale de la créance, augmentée le cas échéant de la commission d'arriéré quotidienne, si l'un des événements suivants survient :
'- la cession de la créance n'est pas valide ou n'est pas opposable au cédant, au cessionnaire ou à tout tiers, ou encore est contestée en justice ;
- une déclaration et garantie concernant la créance s'avère inexacte à la date de cession à laquelle cette déclaration et garantie avait été donnée ;
- la facture relative à la créance a été annulée, en tout ou partie, et a été remplacée par une autre facture ;
- le montant nominal de la créance a été réduit pour quelque raison que ce soit.'
Le 8 février 2019, le conseil de la société Finexkap AM a adressé à la société Artheos une lettre recommandée par laquelle il lui indiquait que sa cliente avait effectué des diligences exhaustives et approfondies lui ayant permis de constater que des créances cédées étaient inéligibles au sens du contrat de cession du 14 mars 2016, lesquelles représentaient un montant total de 1.810.670,65 euros au titre de leur valeur faciale. Il précisait que ces créances, dont la liste figurait en annexe 1 de la lettre, étaient inéligibles :
'- soit parce qu'elles sont purement et simplement inexistantes, quand bien même elles se rattachent à des marchés réels, ayant notamment fait l'objet de doubles cessions au FCT Finexkap Créances n° 1,
- soit parce qu'elles correspondent à des prestations de services ou des livraisons non encore effectuées ou en cours d'exécution, et ce sans l'accord écrit du FCT Finexkap Créances n° 1,
- soit parce que les factures qui s'y rapportent ont fait l'objet d'annulations ou d'avoirs sans l'accord du FCT Finexkap Créances n° 1.'
Dans sa déclaration de créances produite au mandataire judiciaire de la société Artheos le 7 mai 2019 pour la somme, à titre chirographaire, de 1.601.274,46 euros en principal outre 47.636,64 euros d'intérêts échus, la société Carnot Investissement a mentionné une liste de dix créances (sa pièce n° 5).
Or, il convient d'observer que le total des sommes 'exposées', qui correspondent aux montants versés à la société Artheos au titre des cessions de créances (soit le montant TTC de la facture dont est déduite la retenue de garantie), est de 1.571.872,73 euros, ce qui ne correspond donc pas à la créance déclarée dont le montant de 1.601.274,46 euros n'est pas compréhensible au vu de cette liste.
En outre, la société Carnot Investissement n'explique pas en quoi ces dix factures lui seraient dues par la société Artheos.
Dans ses écritures, elle se borne à renvoyer à sa pièce n° 46 constituée d'un tableau listant des factures avec la brève mention du motif de leur inéligibilité à la cession.
Or, ce tableau ne reprend que huit des dix factures mentionnées dans la déclaration de créance adressée au mandataire judiciaire. Les deux factures qui ne figurent pas dans ce tableau de la pièce n° 46 sont les factures n° FC1800077 dont le débiteur serait Maisons du Monde Belgique pour un montant de 76.800 euros TTC et n° FC1800115 dont le débiteur serait Celio pour un montant de 3.595,80 euros TTC, lesquelles ne sont pas versées aux débats et il n'est pas non plus justifié de leur cession par la société Artheos, ni du motif pour lequel elles seraient dues par cette dernière à la société Carnot Investissement. Ces deux factures doivent donc être écartées des créances de la société Carnot Investissement envers la société Artheos.
De plus, la corrélation du tableau de la pièce n° 46 avec les autres pièces produites (les factures et actes de cessions en pièces n°14 à 19, 42a, 43c, 43d, 43e et 44a et le relevé d'opération en pièce n° 20) fait apparaître, pour ces huit factures, que :
- s'agissant de la facture FC1800094 ayant pour débiteur la société Celio, d'un montant de 22.668 euros TTC, figurant au relevé des opérations à la date du 8 novembre 2018, il n'est pas justifié d'un acte de cession de cette créance au bénéfice du FCT Finexkap Créances n° 1. Cette créance doit donc être écartée ;
- s'agissant de la facture FC1800073 ayant pour débiteur LVMH Italia (Sephora), d'un montant de 270.361,60 euros TTC, figurant au relevé des opérations à la date du 31 août 2018, il n'est pas non plus justifié d'un acte de cession de cette créance au bénéfice du FCT Finexkap Créances n° 1, de sorte que cette créance doit également être écartée ;
- s'agissant des trois factures n° FC1800062 d'un montant de 270.361,60 euros dont le débiteur est LVMH Italia (Sephora), n° FC1800061 d'un montant de 270.361,60 euros dont le débiteur est LVMH Italia (Sephora), et n° FC1800060 d'un montant de 111.395 euros dont le débiteur est Sephora Kozmetik ([Localité 5]), seule la première fait l'objet d'un acte de cession de créance produit aux débats, de sorte que les deux dernières doivent être écartées en l'absence de preuve de leur cession au FCT Finexkap Créances n° 1. De plus, ces trois créances sont mentionnées comme inéligibles à la cession au motif qu'il s'agit de factures d'acomptes. Toutefois, les conditions particulières du contrat de cession du 14 mars 2016 ne définissent pas les créances éligibles à la cession, et les conditions générales ne sont pas produites aux débats. Pour ce motif, ces créances doivent être écartées. Mais en outre, dans une lettre du 21 mars 2019 adressée au Bon Marché, la société Artheos expliquait que, durant sa collaboration avec la société Finexkap, celle-ci avait 'progressivement élargi ses possibilités de financement et [l']avait financé des créances en germe, c'est-à-dire des factures d'acomptes sur des opérations engagées mais non finalisées'. Ceci tend à établir que des factures d'acompte pouvaient valablement être cédées au FCT Finexkap. La société Carnot Investissement ne démontre donc pas que ces créances lui sont dues ; elles doivent ainsi être écartées ;
- s'agissant enfin des trois factures dont le débiteur est Le Bon Marché, n° FC1800093 d'un montant de 122.496 euros, n° FC1800088 d'un montant de 375.264 euros et n° FC1800078 d'un montant de 375.264 euros, qui sont également des factures d'acompte, la société Carnot Investissement indique dans le tableau, 'fausse signature sur le devis. Le Bon Marché a conclu que le faux est reconnu par ARTHEOS'. Il est exact que, dans sa lettre du 12 mars 2019 adressée à la société Artheos, la société Le Bon Marché lui indiquait : 'Il y a quelques semaines nous avons eu la surprise d'être contactés par votre factor la société Finexkap nous demandant de procéder au règlement des factures suivantes :
Facture n°FC1800078 d'un montant de 312.720 euros HT
Facture n°FC1800088 d'un montant de 312.720 euros HT
Facture n°FC1800093 d'un montant de 102.080 euros HT
Devant notre incompréhension, le factor nous a précisé que ces factures correspondaient à des acomptes relatifs à une commande n°OF1800277 que nous aurions passée auprès de votre société en date du 24 septembre 2018 d'un montant de 781.800 euros HT.
A l'appui de sa demande, le factor nous a adressé copie du devis portant ma signature.
Or, comme je m'en suis étonnée auprès de vous lors de notre conversation, il se trouve que je n'ai jamais apposé ma signature sur ce devis.
Par conséquent, nous avons toutes les raisons de croire que ce document est un faux et que ma signature a été copiée/collée à partir d'un précédent devis.' La société Artheos répondait, par lettre du 21 mars 2019, que 'des factures d'acompte sur l'opération globale ont été transmises en septembre et octobre' à la société Finexkap et que 'ces pièces ont été transmises avec un devis non signé et prises en compte comme telles par Finexkap', confirmant ensuite que le devis avait finalement été transmis le 9 novembre revêtu d'une signature alors que ce document ne provenait pas du Bon Marché. Il est donc établi que la société Artheos, confiante dans le fait d'obtenir un marché de travaux avec la société Le Bon Marché, ce qu'elle confirmait au factor par e-mail du 2 octobre 2018 (pièce n° 12 de Carnot), a émis trois factures d'acompte (pièces n° 14, 16 et 18 de Carnot) qu'elle a cédées à la société Finexkap, sans que ces factures ne soient fondées sur un marché de travaux effectivement conclu avec la société Le Bon Marché à cette période. En effet, le marché de fourniture n'a finalement été signé que le 14 janvier 2019 pour un montant de 528.300 euros HT et pour lequel la société Artheos a expressément indiqué à sa cliente que les factures ne devaient pas être payées à son factor mais à elle-même. La société Artheos a ainsi obtenu un financement le 5 octobre, le 19 octobre et le 9 novembre 2018, sur la base de trois factures qui n'étaient pas dues par la société Le Bon Marché. Il en résulte nécessairement, que ces factures n'étaient pas éligibles à la cession. En conséquence, ces trois factures constituent une créance de la société Carnot Investissement sur la société Artheos.
Le liquidateur judiciaire de la société Artheos conteste les créances sans produire le moindre élément au soutien des allégations de la société Artheos et en particulier sur les 'nombreux griefs' contre le factor dont elle lui a fait part.
Au vu du relevé d'opérations (pièce n° 20 de Carnot), il convient de déduire de chacune des trois factures n° FC1800078, n° FC1800088 et n° FC1800093, la retenue de garantie et la commission afférentes prélevées par la société Finexkap. C'est ainsi la somme totale de 711.446,95 euros qu'il convient de fixer au passif de la société Artheos au titre de la créance de la société Carnot Investissement.
En revanche, la société Carnot Investissement ne démontre aucunement que les factures émises par la société Artheos résultant du marché de travaux du 14 janvier 2019 auraient été cédées à la société Finexkap dont elle tire ses droits. Dès lors que sa créance est reconnue au titre des financements consentis à tort à la société Artheos en octobre et novembre 2018, elle ne dispose d'aucune créance à l'égard de la société Le Bon Marché pour les factures non cédées émises au titre du contrat du 14 janvier 2019.
La demande de la société Carnot Investissement tendant à la condamnation de la société Le Bon Marché à lui payer la somme de 121.794 euros sera donc rejetée et sa créance sera fixée au passif de la société Artheos pour le montant total de 711.446,95 euros à titre chirographaire.
Sur la demande en paiement formée contre la société Le Bon Marché
La société Carnot Investissement fait valoir que :
- alors que la société Artheos n'était plus titulaire des droits de créance, elle a émis, le 15 janvier 2019, des avoirs pour des factures émise à l'égard de la société Le Bon Marché pour des prestations de livraison de spots LED, puis a refacturé à celle-ci la même prestation mais à un montant moindre ;
- ces spots Led ont bien été livrés à la société Le Bon Marché qui doit donc payer la somme de 121.794 euros ; cette somme revient à la société Carnot Investissement.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que :
- la société Le Bon Marché n'a jamais contesté devoir la somme de 121.794 euros avant la procédure judiciaire et tente ainsi de tirer profit de la procédure de liquidation pour bénéficier des travaux sans bourse délier ;
- la somme n'est pas contestable et doit revenir à la procédure collective, elle n'est pas contestée par la société Le Bon Marché qui l'a séquestrée sur un compte CARPA ;
- la société Le Bon Marché ne peut opposer une exception d'inexécution alors même qu'elle n'a pas déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire et se trouve forclose à le faire ; il en résulte que la société Le Bon Marché doit être condamnée à lui payer la somme de 121.794 euros.
La société Le Bon Marché réplique que :
- elle ne doit aucune somme, tant à la société Carnot Investissement qu'au liquidateur judiciaire, dès lors que la société Artheos n'a pas régulièrement exécuté la prestation faisant l'objet du troisième bon de commande ;
- elle a toujours contesté devoir la somme de 121.794 euros et a même résilié le contrat conclu avec la société Artheos en raison des manquements de cette dernière qui n'a pas livré les fournitures faisant l'objet de la troisième tranche de commande ; elle n'est donc redevable d'aucune somme ;
- le liquidateur judiciaire ne rapporte pas la preuve de la bonne exécution de la prestation relative à la dernière tranche de travaux ;
- l'inexécution des travaux par Artheos prive de tout fondement la demande en paiement formée également par la société Carnot Investissement dont la créance est douteuse et reconnue comme fausse par le dirigeant de la société Artheos, de surcroît fondée sur des factures antérieures au marché de travaux.
Sur ce,
Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, ils doivent être exécutés de bonne foi.
Il a été précédemment retenu que la demande en paiement de société Carnot Investissement contre la société Le Bon Marché devait être rejetée.
Quant à la demande du liquidateur judiciaire, la société Le Bon Marché a conclu le 14 janvier 2019 avec la société Artheos un contrat de fourniture d'équipement d'éclairage d'un montant de 528.300 euros HT.
Si la société Le Bon Marché a résilié ce contrat par lettre recommandée du 28 mars 2019 au motif que la société Artheos n'avait respecté ni les délais de livraison, ni le contenu des commandes quant à la nature et la quantité des produits, il résulte néanmoins des courriers échangés avant cette résiliation entre les sociétés Le Bon Marché et Artheos, qu'une partie du contrat de fourniture a valablement été exécutée.
C'est ainsi que, dans sa lettre du 12 mars 2019, la société Le Bon Marché indiquait que la première livraison était intervenue avec deux semaines de retard, que la deuxième livraison était intervenue sans difficulté le 14 février 2019, mais que la troisième commande ne lui avait jamais été livrée. Elle admettait alors expressément que les factures correspondant au matériel déjà livré devaient être payées mais demandait à la société Artheos auprès de qui, d'Artheos ou de son factor, elle devait les régler. Elle listait les factures qu'elle indiquait devoir régler, s'agissant de :
- la facture n° FC1900001 d'un montant de 41.310 euros HT
- la facture n° FC1900017 d'un montant de 31.900 euros HT
- la facture n° FC1900116 d'un montant de 23.130 euros HT
- la facture n° FC1900117 d'un montant de 155 euros HT.
Dans sa lettre de résiliation du 28 mars 2019, déjà mentionnée supra, la société Le Bon Marché concluait ainsi : 'comme indiqué dans nos précédents courriers, dans l'attente de connaître le destinataire de ce paiement et à défaut d'avoir obtenu un accord écrit entre votre société et votre factor Finexkap, nous avons déposé sur un compte CARPA la somme de 121.794,00 euros TTC correspondant aux sommes que nous vous devons.'
Enfin, dans sa lettre du 4 septembre 2019 adressée au liquidateur judiciaire de la société Artheos, la société Le Bon Marché déclarait encore 'Le Bon Marché ne conteste pas devoir la somme de 121.794 euros. Il se trouve, en revanche, pris entre deux feux de revendication'.
En dépit de ces éléments, la société Le Bon Marché ne craint pas de soutenir, en page 11 de ses écritures d'appel, que 'La société Le Bon Marché a toujours contesté devoir la somme de 121.794,00 Euros et ce, bien avant que les procédures judiciaires ne soient initiées.'
Pourtant, il résulte des lettres ci-dessus mentionnées, qu'une partie des commandes passées en exécution du marché du 14 janvier 2019 a bien été livrée. Si la troisième livraison n'a pas été exécutée, il n'est pas établi qu'elle ait été facturée, dès lors que le montant de 121.794 euros TTC dont la société Le Bon Marché admettait être redevable dès le 12 mars 2019 ne correspond pas à la totalité du marché de fourniture, lequel était de 528.300 euros HT. Dans sa lettre du 21 mars 2019, la société Artheos écrivait à la société Le Bon Marché 'les livraisons ont été faites conformément aux demandes reçues et décalées lorsque cela a été demandé [...]. Par suite de la réception de votre mise en demeure, nous avons expédié immédiatement les produits disponibles en stock et conformes au marché signé', de sorte que la preuve est rapportée qu'une partie du contrat de fourniture a bien été exécutée. Cette preuve de l'exécution partielle est confirmée par le fait que la société Le Bon Marché s'est reconnue débitrice des factures relatives au matériel effectivement fourni, comme elle l'indique expressément dans sa lettre du 12 mars 2019.
Au vu de ces éléments, la contestation de la société Le Bon Marché qui soutient à présent ne rien devoir à personne s'avère bien mal fondée.
Au surplus, comme le relève le liquidateur judiciaire, la société Le Bon Marché n'a déclaré aucune créance à la liquidation judiciaire de la société Artheos et ne rapporte pas la preuve de malfaçons.
En conséquence, la somme de 121.794 euros TTC est due par la société Le Bon Marché au liquidateur judiciaire de la société Artheos, de sorte que la première sera condamnée à payer cette somme au second.
Sur la demande de dommages-intérêts formée par la société Le Bon Marché
La société Le Bon Marché fait valoir que l'obstination de la société Carnot Investissement justifie la condamnation de celle-ci à lui payer des dommages-intérêts pour procédure abusive, alors que le transfert des créances est très opaque et que la société Carnot Investissement prétend se faire payer des factures pourtant reconnues comme fausses par son cessionnaire.
La société Carnot Investissement réplique que, si la solution du litige était si évidente que son attitude est qualifiable de téméraire, alors la société Le Bon Marché n'avait pas de raison de consigner les sommes faute de savoir à qui les verser.
Sur ce,
La société Le Bon Marché vise l'article 32-1 du code de procédure civile comme fondement de cette demande. Toutefois, cet article porte sur l'amende civile que la juridiction peut prononcer contre un plaideur qui agit de manière dilatoire ou abusive, et dont le montant ne revient pas à la partie adverse puisqu'il s'agit d'une amende. C'est sur l'article 1240 du code civil que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive doit être fondée.
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à indemnisation qu'à la condition d'établir une faute dans son exercice susceptible d'engager la responsabilité de son auteur.
En l'espèce, compte tenu du litige qui existait entre la société Artheos et la société Finexkap depuis fin 2018 au moins, auquel la société Le Bon Marché était indirectement associée dès lors que les factures litigieuses entre Artheos et Finexkap concernaient la société Le Bon Marché, la procédure engagée par la société Carnot Investissement contre cette dernière n'apparaît pas abusive.
La demande de dommages-intérêts de la société Le Bon Marché contre la société Carnot Investissement pour procédure abusive sera donc rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure collective.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, il convient, en équité, de rejeter les demandes formées par chacune des parties à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare la société Carnot Investissement recevable à agir ;
Fixe la créance de la société Carnot Investissement au passif de la liquidation judiciaire de la société Artheos à la somme de 711.446,95 euros à titre chirographaire ;
Rejette la demande de la société Carnot Investissement tendant à la condamnation de la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicaut à lui payer la somme de 121.794 euros ;
Condamne la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicaut à payer la somme de 121.794 euros à la SELARLU [U] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Artheos ;
Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Le Bon Marché Maison Aristide Boucicaut contre la société Carnot Investissement ;
Dit que les dépens de première instance et d'appel seront tirés en frais privilégiés de la procédure collective ;
Rejette toutes les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente