Livv
Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 4 septembre 2025, n° 21/07487

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brasserie De (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Dumurgier

Conseillers :

Jullien, Le Gall

Avocats :

Belabbas, Emin

T. com. Lyon, ch. n° Y, du 15 juill. 202…

15 juillet 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé en date du 28 juillet 2016, la SAS Le Bacchus a acquis un fonds de commerce de café, bar, restaurant situé [Adresse 2] à [Localité 10], auprès de la société 111, pour un montant de 680 000 euros.

Le fonds de commerce a été financé à concurrence de 220 000 euros sur les deniers propres de l'acquéreur et de 460 000 euros suivant octroi d'un prêt bancaire n°93557703 consenti par la banque CIC Lyonnaise de Banque [Localité 10] Liberté sur une période de 84 mois.

A titre de garantie, un nantissement et un privilège ont été inscrits sur le fonds de commerce et M. [Z] [Y], président de la société Le Bacchus, s'est porté caution solidaire.

Le 11 avril 2017, la société Le Bacchus a conclu avec la SAS Brasserie de [Localité 12], une convention de fourniture exclusive de bières. En contrepartie de cette convention, la société Brasserie de [Localité 12] a accepté d'être caution solidaire de premier rang à hauteur de 100% d'un prêt de facilité de trésorerie.

Le 20 avril 2017, suite à cet accord, la banque CIC Nord-Ouest a accordé à la société Le Bacchus, un prêt de facilité de trésorerie d'un montant de 90 500 euros.

M. [Y] s'est porté caution solidaire de l'engagement de la société Brasserie de [Localité 12].

Par jugement rendu le 15 novembre 2018, le tribunal de commerce de Nice a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Le Bacchus rendant exigible le prêt souscrit auprès de la banque CIC Nord-Ouest. Le 17 avril 2018, la société Brasserie de [Localité 12] a dû s'acquitter auprès de la banque de la somme de 89 749,49 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mai 2018, la société Brasserie de [Localité 12] a mis en demeure M. [Y] de lui rembourser la somme de 89 749,49 euros selon quittance subrogative délivrée par la banque au titre de son engagement de caution solidaire de ce prêt.

À défaut d'accord entre les parties, la société Brasserie de Saint-Omer a fait assigner M. [Y] devant le tribunal de commerce de Lyon, par acte introductif d'instance du 19 février 2019.

Par jugement contradictoire du 15 juillet 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

condamné M. [Z] [Y] au paiement de la somme de 89 794,49 euros avec intérêt au taux majoré de 8,5% l'an à compter de la mise en demeure soit le 29 mai 2018, dans la limite de la somme de 90 500 euros TTC, à la société Brasserie de [Localité 12],

ordonné la capitalisation annuelle et successive des intérêts au titre de l'article 1343-2 du code civil,

rejeté la demande de la société Brasserie de [Localité 12] de paiement de la somme de 1 500 euros au titre de dommages et intérêts par M. [Y],

débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions,

ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant opposition ou appel et sans caution,

dit qu'il n'y a lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [Y] aux entiers dépens de l'instance,

rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties.

Par déclaration reçue au greffe le 11 octobre 2021, M. [Z] [Y] a interjeté appel de ce jugement portant sur les chefs de la décision expressément critiqués suivants :

condamné M. [Z] [Y] au paiement de la somme de 89 794,49 euros avec intérêt au taux majoré de 8,5% l'an à compter de la mise en demeure soit le 29 mai 2018, dans la limite de la somme de 90 500 euros TTC, à la société Brasserie de [Localité 12],

ordonné la capitalisation annuelle et successive des intérêts au titre de l'article 1343-2 du code civil,

débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions,

ordonné l'exécution provisoire,

condamné M. [Y] aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 10 janvier 2022, M. [Y] demande à la cour, au visa des articles L. 334-1 du code de la consommation (abrogé), L. 332-1 du code de la consommation, 37 de la loi du 10 juillet 1991 et 700, 2° du code de procédure civile, de :

À titre principal,

déclarer M. [Y] recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit,

infirmer l'intégralité du jugement,

annuler l'engagement de caution signé par M. [Y] le 11 avril 2017,

condamner l'intimée au versement de 2 500 euros à titre d'indemnité qualifiée de frais et honoraires auprès de Me [X], conseil de M. [Y], qui pourra directement les recouvrer, au visa des articles 35 et 75 de la loi du 10 juillet 1991,

donner acte, à Me [X] de ce qu'il s'engage à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle si, dans les douze mois du jour où la décision à intervenir est passée en force de chose jugée, il parvient à recouvrer auprès de la demanderesse la somme allouée, et si cette somme est supérieure à l'indemnité qui aurait été versée au titre de l'aide juridictionnelle,

condamner l'intimée aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 22 mars 2022, la société Brasserie de [Localité 12] demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants, 2288 et 2298 du code civil, de :

confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 15 juillet 2021,

en conséquence ;

débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

condamner M. [Y] à payer à la société Brasserie de [Localité 12] la somme de 89 749,49 euros avec intérêts au taux contractuel majoré, de 8,5% l'an à compter de la mise en demeure soit le 29 mai 2018, dans la limite de la somme de 90 500 euros,

prononcer la capitalisation annuelle et successive des intérêts,

condamner M. [Y] à payer à la société Brasserie de [Localité 12] la somme de 2 500 euros,

le condamner aux entiers frais et dépens de l'instance y compris d'appel.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 mai 2022, les débats étant fixés au 22 mai 2025.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, renvoi sera effectué à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la disproportion de l'engagement de caution

M. [Y] fait valoir que :

le droit de la consommation lui est applicable puisque le contrat conclu avec l'intimée est un contrat de bière soit une opération économique conclue entre la banque, le brasseur, lui-même et sa société,

l'intimée, dans ses relations avec lui, en se portant caution des engagements de sa société s'est comportée comme un créancier professionnel, cet engagement étant l'accessoire du contrat de bière exclusif conclu entre les deux parties,

lors de l'acquisition de son fonds de commerce, il a réalisé un apport de 220.000 euros et a dû contracter un emprunt de 400.000 euros,

lors de la signature de son engagement de caution au profit de l'intimée, il ne disposait plus que de 572.194 euros d'avoirs dont 34.349,76 euros, 99.959 sur son PEA et 12.421,04 euros sur un contrat d'assurance au 3 mars 2017 puis 6.301 euros au 30 avril 2017,

il disposait également d'un revenu mensuel de 4.000 euros outre une surface financière détenue par la Caisse d'Épargne pour 50.000 euros et devait assumer des charges de 1.500 euros par mois,

il avait déjà consenti un engagement de caution auprès du CIC pour l'acquisition du fonds de commerce à hauteur de 180.000 euros à hauteur de 50%, ainsi qu'un autre engagement de caution personnel,

la disproportion de son engagement de caution au profit de la société Brasserie de [Localité 11] était avérée dans le cadre du contrat de bière, d'autant plus que celle-ci avait connaissance de son engagement en qualité de caution personnelle et du nantissement du fonds de commerce consenti à la banque, lors de la signature du contrat le désignant comme sous-caution solidaire,

il n'est plus imposable depuis la liquidation judiciaire de sa société.

La société Brasserie de [Localité 11] fait valoir que :

elle n'est pas un créancier professionnel comme l'ont reconnu plusieurs cours d'appel dans des arrêts postérieurs à celui fourni par l'appelant,

son engagement auprès de la banque ne lui donne pas qualité de créancier du débiteur principal au sens de l'article L.332-1 du code de la consommation mais la qualité de caution de premier rang susceptible de devenir créancière de la sous-caution ce qui exclut l'application de cet article qui ne régit que le cautionnement garantissant la dette du débiteur principal envers le créancier, l'article L.332-1 du code de la consommation ne pouvant être appliqué dans le cadre du présent litige,

lors de la souscription du contrat de prêt et des engagements de caution litigieux, elle n'avait pas encore la qualité de créancier, qualité qui ne lui a été attribuée qu'à compter de son paiement entre les mains de la banque, ce qui exclut toute qualité de créancier professionnel,

l'appelant est sous-caution du garant et ne peut se prévaloir de la qualité de consommateur envers celui-ci,

au surplus, il n'existe aucune disproportion manifeste dans les engagements de l'appelant, ce dernier indiquant un revenu mensuel de 4.000 euros dans sa fiche de renseignement, des économies à hauteur de 50.000 euros auprès de la [Adresse 6], outre un relevé de banque lors de l'engagement indiquant des avoirs d'un montant de 516.194 euros en juin 2016 outre la somme de 139.269 euros à la date de souscription soit le 20 avril 2017, ce qui démontre que l'engagement du 11 avril 2017 n'était pas disproportionné,

l'appelant ne démontre pas être impécunieux lorsqu'il est appelé en paiement, indiquant que son compte a été clôturé à la Banque Populaire le 5 septembre 2019, alors que le reliquat était transféré dans une autre banque, compte sur lequel aucun élément n'est fourni.

Sur ce,

L'article L.332-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dispose que : « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

M. [Y] entend faire valoir que la société Brasserie de [Localité 11] est un créancier professionnel, ayant agi comme tel en se portant caution des engagements de sa société, et s'étant comportée comme tel puisqu'elle trouvait un intérêt à se porter caution à titre principal pour ensuite se retourner contre lui, ce qui lui permettait de conclure un contrat de distribution exclusive mais aussi de s'assurer du paiement des sommes éventuellement déboursées à titre de caution principale.

La qualité de créancier professionnel s'entend de celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles même si celle-ci n'est pas principale.

Il est établi que l'intimée s'est portée caution solidaire de premier rang du prêt consenti à la société de l'appelant auprès de la banque CIC Lyonnaise de Banque [Localité 10]-Liberté, et, qu'en contrepartie du risque pris, une convention commerciale d'approvisionnement exclusif a été souscrite entre elle et M. [Y] en sa qualité de dirigeant de cette société, ce dernier ayant qualité de sous-caution.

La société Brasserie de [Localité 11], dans l'exercice de son activité professionnelle a obtenu le sous-cautionnement de M. [Y], mais n'a pas la qualité de créancier du débiteur principal au sens de l'article L. 332-1 du code de la consommation, ayant uniquement qualité de caution de premier rang susceptible de devenir créancière de la sous caution. Elle ne pouvait devenir créancière de M. [Y] que si elle était appelée à s'acquitter des sommes dues au titre de l'emprunt consenti par la banque.

Dès lors, l'article L.332-1 du code de la consommation, qui ne régit que le cautionnement garantissant la dette du débiteur principal envers le créancier professionnel, n'est pas applicable à l'engagement souscrit par M. [Y].

En conséquence, M. [Y] ne peut se prévaloir des dispositions du droit de la consommation relatives au caractère disproportionné de son engagement envers la société Brasserie de [Localité 11], seules les dispositions du code civil étant applicables en l'espèce.

Pour le surplus, il est constant que l'intimée s'est acquittée des sommes dues par la SAS Le Bacchus auprès de la banque créancière, et dispose d'une quittance subrogative datée du 17 avril 2018 à ce titre.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont écarté les prétentions de M. [Y] et l'ont condamné à payer à la société Brasserie de [Localité 11] la somme de 89 794,49 euros avec intérêt au taux majoré de 8,5% l'an à compter de la mise en demeure soit le 29 mai 2018 dans la limite de la somme de 90500 euros TTC, avec capitalisation.

La décision déférée sera donc confirmée dans son intégralité.

Sur les demandes accessoires

M. [Y] échouant en ses prétentions, il sera condamné à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

L'équité ne commande pas d'accorder à la société Brasserie de [Localité 11] une indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La demande présentée à ce titre sera donc rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, dans les limites de l'appel,

Confirme la décision déférée dans son intégralité,

Y ajoutant,

Condamne M. [Z] [Y] à supporter les entiers dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle,

Déboute M. [Z] [Y] de sa demande d'indemnisation sur le fondement des articles 35 et 75 de la loi du 10 juillet 1991,

Déboute la SAS Brasserie de [Localité 12] de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site