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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 4 septembre 2025, n° 21/07639

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Digitab Solutions (SAS)

Défendeur :

Corhofi (SAS), Visudom (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dumurgier

Conseillers :

Mme Jullien, Mme Le Gall

Avocats :

Me Nouvellet, Me de Fourcroy, Me Pila, Me Garcia, Me Deboosere-Lepidi

T. com. Lyon, du 19 juill. 2021, n° 2019…

19 juillet 2021

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Corhofi a une activité de location de matériel professionnel qu'elle acquiert auprès d'un fournisseur pour les besoins du locataire.

Le 14 septembre 2018, la société Visudom a souscrit auprès de la société Corhofi un contrat de location n°18/0913 JPM-86298, portant sur deux tables tactiles Tabata 42' Humelab, moyennant un loyer mensuel de 835 euros HT versé sur trente-six mensualités.

La société Corhofi a alors acquis ce matériel auprès de la société Digitab Solutions, pour un montant de 26.400 euros TTC .

Après réception du procès-verbal de livraison-réception signé par la société Visudom le jour de la signature de la convention, la société Corhofi a facturé les loyers à la société Visudom dès le mois de septembre 2018.

Le 15 novembre 2018, la société Corhofi a adressé une mise en demeure à la société Visudom pour deux factures impayées alors que celle-ci le même jour, par courrier recommandé, contestait les paiements de ces factures et suspendait le règlement des loyers en invoquant l'absence de livraison des tables tactiles par la société Digitab Solutions.

La société Corhofi a saisi le juge des référés par exploit d'huissier du 8 janvier 2019 et par ordonnance du 11 décembre 2019, celui-ci a renvoyé l'affaire au fond.

Par actes introductifs d'instance des 25 juillet et 8 août 2019, la société Visudom a assigné les sociétés Corhofi et Digitab Solutions devant le tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement contradictoire du 19 juillet 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

- ordonné la jonction des affaires enrôlées sous les numéros 2019J01358 et 2019J01975,

- jugé la société Visudom recevable en ses demandes, fins et conclusions,

- jugé fondée l'exception d'inexécution soulevée par la société Visudom en vertu de l'article 1219 du code civil,

- prononcé la résolution judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société Digitab avec toutes les conséquences de droit y attachées,

- prononcé la résolution judiciaire du contrat de location souscrit par la société Visudom auprès de la société Corhofi des suites de l'absence de livraison et par l'effet de la résolution judiciaire du contrat avec la société Digitab,

- débouté la société Visudom de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société Digitab,

- débouté la société Visudom de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société Corhofi,

- condamné la société Corhofi à restituer à la société Visudom la somme de 1.339 euros correspondant au premier loyer indument réglé,

- condamné la société Digitab Solutions à devoir payer à la société Corhofi la somme de 26.400 euros en remboursement du prix d'acquisition des matériels objets du contrat de location n°18/0913/JPM-86,

- débouté la société Corhofi de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société Digitab Solutions et de la société Visudom,

- condamné la société Digitab Solutions à payer à la société Visudom la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Digitab Solutions à payer à la société Corhofi la somme de 3.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Corhofi, à payer à la société Visudom la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la société Digitab Solutions aux entiers dépens,

- débouté la société Digitab Solutions de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- débouté la société Corhofi de l'ensemble de ses autres demandes, fins et prétentions.

Par déclaration reçue au greffe le 18 octobre 2021, la SAS Digitab Solutions a interjeté appel de ce jugement.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 23 juin 2022, la SAS Digitab Solutions demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil, de :

- recevoir la société Digitab Solutions en son appel,

- l'en déclarer bien fondée,

- infirmer le jugement du 19 juillet 2021 du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a :

* prononcé la résolution judiciaire du contrat de location souscrit par la société Visudom auprès de la société Corhofi des suites de l'absence de livraison et par l'effet de la résolution judiciaire du contrat avec la société Digitab,

* débouté la société Visudom de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société Digitab,

* débouté la société Visudom de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société Corhofi,

* condamné la société Corhofi à restituer à la société Visudom la somme de 1 339 euros correspondant au premier loyer indument réglé,

* condamné la société Digitab Solutions à devoir payer à la société Corhofi la somme de 26 400 euros en remboursement du prix d'acquisition des matériels objets du contrat de location n°18/0913/JPM-86,

* débouté la société Corhofi de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société Digitab Solutions et de la société Visudom,

* condamné la société Digitab Solutions à payer à la société Visudom la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Digitab Solutions à payer à la société Corhofi la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société Corhofi, à payer à la société Visudom la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

* condamné la société Digitab Solutions aux entiers dépens,

* débouté la société Digitab Solutions de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

statuant à nouveau,

- débouter les sociétés Corhofi et Visudom de toutes leurs demandes en ce qu'elles sont dirigées à son encontre,

- condamner in solidum la société Corhofi et la société Visudom au paiement d'une indemnité de 6 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum la société Corhofi et la société Visudom aux entiers dépens.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 18 juillet 2022, la société Corhofi demande à la cour, au visa des articles 1103, 1217, 1231-1, 1604 et 1610 du code civil de :

- la recevoir en toutes ses demandes, fins et prétentions et la déclarer bien fondée,

en conséquence :

à titre principal :

- infirmer le jugement du 19 juillet 2021 en ce qu'il a jugé fondée l'exception d'inexécution soulevée par la société Visudom en vertu de l'article 1219 du code civil, prononcé la résolution du contrat aux torts exclusifs de la société Digitab avec toutes les conséquences de droit y attachées, prononcé la résolution judiciaire du contrat de location souscrit par la société Visudom auprès de la société Corhofi des suites de l'absence de livraison et par l'effet de la résolution judiciaire du contrat avec la société Digitab, condamné la société Corhofi à restituer à la société Visudom la somme de 1.339 euros correspondant au premier loyer indument réglé et débouté la société Corhofi de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société Visudom, débouté la société Corhofi de l'ensemble de ses autres demandes, fins et prétentions,

et statuant à nouveau :

- prononcer la résiliation de plein droit aux torts exclusifs de la société Visudom du contrat de location n° 18/0913/JPM-86298 au 11 décembre 2018,

- ordonner à la société Visudom d'avoir à restituer à ses frais au profit de la société Corhofi et/ou de toute personne mandatée par elle, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir, les matériels loués suivant contrat n°18/0913/JPM-86298 soit :

2 Tables Tactile TABATA 42'' HUMELAB

N/S : HUME-TMA-9016M - HUME-TMA-9017M

- autoriser la société Corhofi en tant que de besoin à appréhender les matériels lui appartenant en quelque lieu et quelque main qu'il se trouve, et notamment au siège de la société Visudom sis [Adresse 4], par tout huissier de justice territorialement compétent, au besoin avec le recours à la force publique,

- condamner la société Visudom à payer à la société Corhofi la somme de 2.480,75 euros TTC au titre des loyers impayés échus et des frais et pénalités de retard afférents, à la date de résiliation de plein droit du contrat de location n° 18/0913/JPM-86298, outre les intérêts de retard contractuel au taux de 1,5 % par mois à compter du 15 novembre 2018, date de la mise en demeure et ce, conformément aux stipulations de l'article 7 des conditions générales,

- condamner la société Visudom à payer à la société Corhofi la somme de 33.066 euros TTC au titre de l'indemnité de rupture du contrat de location n°18/0913/JPM-86298, outre les intérêts de retard contractuel au taux de 1,5% par mois à compter du 11 décembre 2018, date du courrier de résiliation et ce, conformément aux stipulations de l'article 7 des conditions générales,

à titre subsidiaire :

- confirmer le jugement du 19 juillet 2021 en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire du contrat de vente aux torts exclusifs de la société Digitab Solutions avec toutes les conséquences de droit y attachées, condamné la société Digitab Solutions à devoir payer à la société Corhofi la somme de 26.400 euros en remboursement du prix d'acquisition des matériels objets du contrat de location n°18/0913/JPM-86 et débouté la société Visudom de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société Corhofi,

- infirmer le jugement du 19 juillet 2021 en ce qu'il a débouté la société Corhofi de sa demande de condamnation formée à l'encontre de la société Visudom et de la société Digitab Solutions à devoir lui payer la somme de 9.672 euros et en ce qu'il a débouté la société Corhofi de sa demande de condamnation de la société Visudom à devoir lui payer la somme de 26.400 euros TTC,

et statuant à nouveau :

- condamner solidairement la société Visudom à devoir payer à la société Corhofi la somme de 26.400 euros TTC,

- condamner la société Visudom et la société Digitab Solutions à devoir payer à la société Corhofi la somme complémentaire de 9.672 euros à titre de dommages intérêts,

en tout état de cause :

- condamner la société Digitab Solutions à relever et garantir la société Corhofi de toutes les éventuelles condamnations qui seraient prononcées à son encontre, y compris celles au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

- condamner la société Visudom et la société Digitab Solutions à payer à la société Corhofi la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de procédure dont distraction au profit de Me de Fourcroy, avocat au Barreau de Lyon, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

***

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 19 avril 2022, la société Visudom demande à la cour, au visa des articles 9, 132, 138 à 142 et 367 du code de procédure civile, L. 442-6 du code de commerce, 1106, 1134 et 1217 et suivants de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- débouter les sociétés Digitab et Corhofi de toutes leurs demandes, fins et conclusions en ce que celles-ci sont dirigées à l'encontre de Visudom,

y ajoutant,

- condamner la société Corhofi à régler à la société Visudom la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,

- condamner in solidum les sociétés Digitab et Corhofi à régler à la société Visudom la somme de 10.000 euros au titre de l'art 700 du code de procédure civile,

subsidiairement,

- avant dire droit au fond, enjoindre à la société Digitab de produire aux débats la facture d'achat du matériel commandé par la société Digitab auprès de son fournisseur visant le matériel objet du contrat, de l'état de ses stocks, et notamment de la justification dans ses stocks de l'existence dudit matériel, ainsi que son livre inventaire dans lequel doit figurer la commande dudit matériel ainsi que les documents visés dans la sommation interpellative transformée en sommation simple qui lui a été délivrée le 5 novembre 2020.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 janvier 2023, les débats étant fixés au 28 mai 2025.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le défaut de livraison invoqué par la société Visudom et ses effets

La société Digitab Solutions fait valoir que :

- la preuve de la livraison du matériel est établie ; la société Visudom ne conteste pas avoir signé le procès-verbal de livraison, mais prétend avoir signé ce procès-verbal par anticipation ; or cette version est contredite par sa lettre du 15 novembre 2018 adressée à la société Corhofi, où elle reconnaît l'avoir signé au jour de la livraison, en prétendant qu'il s'agissait d'un autre colis,

- la société Visudom ne verse pas la preuve de l'envoi de sa lettre du 3 janvier 2018, que la société Digitab Solutions n'a pas reçue,

- la société Visudom a utilisé le même argument d'absence de livraison dans une autre affaire, également concernée par la lettre prétendument envoyée, mais concernant un matériel financé par la société Investitel ; la cour d'appel de Paris, dans un arrêt confirmatif du 30 mai 2022, a condamné Visudom au paiement des redevances impayées en écartant ce moyen de défense,

- le constat d'huissier produit par la société Visudom a été établi tardivement, plus de 3 mois après la livraison,

- le tribunal de commerce a écarté à tort la valeur probatoire des bons de livraison signés, alors que la société Visudom n'a jamais fait valoir que sa signature a été contrainte ou soustraite de façon dolosive ; le tribunal ne pouvait par conséquent renverser la charge de la preuve et faire grief à la société Digitab Solutions de ne pas avoir répondu à sa sommation,

- le tribunal de commerce s'est contredit en reprochant à Corhofi sa négligence tout en considérant que cette négligence n'a pas pour effet de la priver sa demande de résiliation.

La société Corhofi fait valoir que :

- la signature du procès-verbal de livraison réception par Visudom prouve la bonne livraison des matériels ; selon l'article 1367 du code civil et la jurisprudence constante, la signature suffit à exprimer le consentement et fait présumer du bon accomplissement des prestations,

- par son arrêt du 30 mai 2022, la cour d'appel de Paris a jugé dans un dossier similaire concernant la société Visudom qu'en signant le procès-verbal, le locataire s'est engagé à la fois sur la réception du matériel et sur sa conformité,

- la société Visudom a attendu le 15 novembre 2018, soit deux mois après la signature du procès-verbal, pour prétendre s'apercevoir de l'absence livraison, précisément le jour où une mise en demeure lui était notifiée,

- la société Visudom a réglé la redevance de septembre 2018 et le loyer d'octobre 2018, prouvant que le contrat avait reçu un commencement d'exécution,

- le matériel livré ne constitue pas des 'machines complexes', de sorte que le procès-verbal de livraison signé sans réserve par la société Visudom est suffisant,

- la comparaison entre le procès-verbal communiqué par la société Corhofi et celui communiqué par la société Visudom montre qu'ils n'ont pas été signés le même jour, ce qui contredit l'argument de signature par anticipation,

- les attestations des propres salariés de la société Visudom et les procès-verbaux de constat établis plusieurs mois après sont sans valeur probante ; dans son arrêt du 30 mai 2022, la cour d'appel de Paris avait dans l'affaire similaire rejeté le caractère probant du constat d'huissier tardif,

- dans le cadre d'une location financière, il est courant qu'une clause prévoit le transfert au locataire des droits et actions du bailleur à l'égard du fournisseur, en contrepartie de quoi le locataire renonce à tout recours contre le bailleur ; la jurisprudence a jugé parfaitement valables ces clauses de renonciation ; en présence d'une telle clause, le locataire ne peut ni suspendre le paiement des loyers de sa propre initiative, ni exercer de recours contre le bailleur,

- les articles 1 et 9 des conditions générales stipulent clairement que la société Visudom a librement choisi le matériel sous sa seule responsabilité et dispose d'un mandat exprès pour faire valoir ses droits contre le fournisseur ; la société Visudom a renoncé à tout recours contre la société Corhofi 'pour quelque cause que ce soit', ce qui inclut l'absence de livraison,

- la clause de non-recours ne crée aucun déséquilibre significatif car l'absence de recours contre le bailleur trouve sa contrepartie dans la substitution du locataire pour agir contre le fournisseur ; d'autre part, les dispositions des articles 1719 et suivants du code civil ne sont pas d'ordre public,

- les dispositions du code de la consommation sur les clauses abusives ne sont pas applicables car le contrat a été souscrit par Visudom dans le cadre de ses activités professionnelles,

- l'article L.442-6-1 2° du code de commerce n'est pas applicable car les sociétés Corhofi et Visudom n'entretenaient aucune relation d'affaire préalable et le contrat constitue une opération ponctuelle,

- la société Visudom est donc irrecevable en toutes ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de la concluante.

La société Visudom réplique que :

- la livraison du matériel dont la société Digitab se prévaut n'a jamais eu lieu,

- la société Digitab fonde son appel essentiellement sur la production d'un bon de livraison signé par la société Visudom, qu'elle considère comme preuve suffisante de la livraison ; il a en réalité été signé initialement sans mention de date dans le cadre d'une liasse de documents pré-rédigés ; la société Digitab lui a fait signer ce document dans la seule perspective d'obtenir la mise en place du financement par la société Corhofi,

- il est matériellement impossible que le contrat ait été accepté, commandé auprès du fournisseur et livré le même jour,

- plusieurs procès-verbaux de constat d'huissier démontrent l'absence totale du matériel dans les locaux de la société Visudom ; des témoignages confirment l'absence de livraison,

- la sommation interpellative du 5 novembre 2020 qu'elle a adressée à la société Digitab demandant de produire la facture d'achat des matériels et d'autres documents est restée sans réponse ; il convient d'enjoindre à la société Digitab de produire ces documents en application des articles 9, 132, 138 à 142 du code de procédure civile,

- la clause de non-recours invoquée par la société Corhofi est abusive car elle crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en application de l'article L.442-6-I 2° du code de commerce ; le contrat de location est prérédigé et limite la liberté contractuelle, contraignant à adhérer sans possibilité de négocier les clauses ; l'article 9 du contrat qui transfère la responsabilité du bailleur sur le locataire via un mandat est léonin car les intérêts des parties sont antagonistes,

- la clause de non-recours est inapplicable car elle vise le caractère impropre de la marchandise et non l'absence totale de livraison,

- en tant que spécialiste de la location, la société Corhofi doit s'assurer de la bonne livraison de la marchandise.

Sur ce,

L'article 1217 du code civil énonce que 'La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- obtenir une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.'

Et selon l'article 1124 du code civil, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que le contrat de location conclu avec la société Corhofi a été signé par la société Visudom le 14 septembre 2018.

Cette dernière explique qu'elle a été démarchée par la société Digitab Solutions qui lui a fait signer tous les documents le même jour, y compris le procès-verbal de livraison, mais qu'elle n'a jamais reçu les tables tactiles commandées.

La société Visudom produit son propre bon de livraison qui ne comporte ni la date, ni la signature du fournisseur ou du bailleur, mais uniquement la signature de son dirigeant.

Elle produit également une lettre qu'elle a adressée le 15 novembre 2018 à la société Corhofi, indiquant à celle-ci qu'elle suspendait le règlement des loyers car les tables tactiles ne lui avaient toujours pas été livrées. Elle justifie également avoir adressé une mise en demeure la société Digitab Solutions, par lettre du 3 janvier 2019, indiquant 'Suite à nos précédentes relances pour la livraison des deux tables tactiles HUMELAB, nous constatons qu'à ce jour nous n'avons toujours pas reçu le matériel que nous avions commandé'.

La société Digitab Solutions produit quant à elle un bon de livraison tamponné du bailleur Corhofi et signé par la société Visudom, daté du 14 septembre 2018 soit le même jour que la souscription du contrat de location.

Or, la société Digitabl Solutions ne donne aucune explication quant à la livraison des tables tactiles ni aucune autre justification de la bonne exécution de son obligation de livraison, et se borne à discuter, de façon obscure, les termes de la lettre de la société Visudom adressée à la société Corhofi le 15 novembre 2018 pour y voir une contradiction dans les déclarations de la société Visudom.

Toutefois, la cour estime, à la lecture de cette lettre du 15 novembre 2018, que la société Visudom ne se contredit aucunement lorsqu'elle soutient avoir signé le procès-verbal par anticipation le 14 septembre 2018 mais n'avoir jamais reçu les tables tactiles, étant observé que si la société Visudom avait cru recevoir ces tables tactiles lors de la réception d'un colis et avoir ainsi 'validé la livraison'

à tort, cette validation ne pouvait alors dater du 14 septembre 2018. Or, le procès-verbal de livraison produit par la société Digitab Solutions est daté du 14 septembre 2018, jour de la signature du contrat de location, et non d'une date postérieure à laquelle aurait eu lieu la livraison.

Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que le bon de livraison a manifestement été signé par anticipation par la société Visudom, de sorte que ce document n'établit pas la preuve de la livraison effective des tables tactiles commandées. A défaut pour la société Digitab Solutions de rapporter la preuve de l'exécution de son obligation de délivrance, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il prononce la résolution du contrat de fourniture aux torts exclusifs de cette dernière.

Comme l'a valablement jugé le tribunal, la résolution du contrat de fourniture entraîne celle du contrat de location, même si cet anéantissement par voie de conséquence doit être qualifié de caducité plutôt que de résolution.

Les développements figurant dans les écritures de la société Corhofi au titre de l'impossibilité pour la société Visudom de lui opposer une exception d'inexécution compte tenu de la clause de non recours figurant dans le contrat de location sont inopérants, dès lors que c'est bien contre la société Digitab Solutions, partie à la procédure, que la société Visudom a agi en résolution du contrat de fourniture. La caducité du contrat de location n'est qu'une conséquence de l'anéantissement du contrat de fourniture. Il s'avère ainsi, que la société Visudom, locataire, s'est parfaitement conformée aux dispositions de l'article 9 du contrat de location intitulé 'mandat- recours', en agissant contre le fournisseur et en appelant en la cause le bailleur.

La résolution du contrat de fourniture pour défaut de livraison étant nécessairement prononcée au jour de la formation du contrat, la caducité par voie de conséquence du contrat de location prend effet le même jour.

La résolution du contrat de fourniture entraîne la restitution du prix reçu par le fournisseur et la caducité du contrat de location au jour de sa conclusion entraîne la restitution par le bailleur des loyers versés.

Il en résulte que le jugement sera confirmé en ce qu'il condamne la société Corhofi à restituer à la société Visodum la somme de 1.339 euros au titre du premier loyer réglé.

Par ailleurs, si l'article 9 du contrat de location énonce que 'le locataire est tenu solidairement avec le(s) fournisseur(s) de toutes les sommes qui pourraient être dues au Bailleur et garantit au Bailleur le paiement du prix de vente', ces dispositions contractuelles ne peuvent trouver application dès lors que le contrat est caduc depuis l'origine. En conséquence, il ne sera pas fait droit à la demande de la société Corhofi tendant à la condamnation de la société Visudom, solidairement avec la société Digitab Solutions, à lui payer le prix de vente du matériel.

Il en résulte que le jugement sera également confirmé en ce qu'il condamne la société Digitab Solutions, seule, à payer à la société Corhofi la somme de 26.400 euros TTC en remboursement du prix d'acquisition du matériel.

Sur la demande d'indemnisation complémentaire de la société Corhofi

La société Corhofi fait valoir que :

- elle est bien fondée à réclamer, en plus de la restitution du prix de vente, la réparation du préjudice qu'elle subit du fait de la résolution de la vente ; ce préjudice est constitué par la perte de la rémunération qu'elle pouvait escompter de son investissement, à savoir l'acquisition d'un matériel en vue de sa location ;

- ce préjudice s'élève à la somme de 9.672 euros TTC correspondant au montant des loyers qu'elle aurait dû percevoir, déduction faite du prix d'acquisition du matériel.

La société Visudom réplique que c'est la société Digitab Solutions qui a failli à son obligation de délivrance du matériel en cause.

La société Digitab Solutions ne fait pas valoir de moyen sur ce point.

Sur ce,

la résolution des contrats de fourniture et de location a pour effet de remettre les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la conclusion de ces contrats. Il en résulte que le préjudice dont se prévaut la société Corhofi au titre de la rémunération qu'elle aurait perçue si le contrat n'avait pas été résolu, ne constitue pas une perte mais seulement une absence de gain, ce qui relève d'un aléa de la vie des affaires et ne constitue donc pas un préjudice indemnisable en l'espèce.

Le jugement sera ainsi également confirmé en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par la société Corhofi contre les sociétés Visudom et Digitab Solutions.

Sur les demandes indemnitaires de la société Visudom

La société Visudom fait valoir que :

- du fait de la non exécution du contrat par la société Digitab Solutions qui n'a pas livré le matériel et des déboires occasionnés, elle a subi un préjudice qu'elle évalue à la somme de 35.000 euros,

- elle a également subi un préjudice évalué à 10.000 euros, en raison de la mauvaise foi de la société Corhofi à poursuivre l'exécution d'un contrat dont elle sait qu'il n'y a pas eu de livraison effective.

La société Corhofi réplique que :

- aucun manquement contractuel ni aucune mauvaise foi ne peuvent lui être reprochés ; elle a réglé à la société Digitab la facture d'achat des matériels sur la base du procès-verbal de livraison réception signé par la société Visudom ; si une partie subit un préjudice, c'est uniquement la société Corhofi,

- la société Visudom ne démontre ni l'existence ni le quantum du préjudice dont elle se prévaut, n'apportant aucun élément de preuve, ce qu'a reconnu le tribunal de commerce de Lyon, en soulignant que la charge de la preuve lui incombe.

La société Digitab Solutions conteste l'absence de livraison mais ne fait pas valoir de moyen relatif à cette demande en particulier.

Sur ce,

La société Visudom ne démontre aucunement les préjudices qu'elle allègue, tant dans leur principe que dans leur quantum.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il rejette ces demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Digitab Solutions succombant principalement à l'instance, elle sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Digitab Solutions sera condamnée à payer à la société Visudom et à la société Corhofi la somme 1.500 euros chacune.

Sur la demande de garantie formée par la société Corhofi

La société Corhofi fait valoir que ce sont les fautes de la société Digitab Solutions qui sont à l'origine des demandes de la société Visudom, de sorte que celle-ci doit la relever et garantir de toutes condamnations mises à sa charge au profit de la société Visudom, y compris celles au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Sur ce,

La condamnation de la société Corhofi à payer la somme de 1.339 euros à la société Visudom ne constitue pas une indemnisation, mais seulement la restitution du loyer devenu indu par l'effet de la caducité du contrat. Cette somme est donc due par le seul bailleur, sans qu'il y ait lieu de condamner la société Digitab Solutions à garantir la société Corhofi du paiement de cette somme.

Quant à la condamnation à l'indemnité de procédure prévue à l'article 700 du code de procédure civile, une telle condamnation de la société Corhofi au profit de la société Visudom n'est pas prononcée en appel, de sorte que la demande est sans objet. S'agissant de la condamnation prononcée en première instance, la condamnation de la société Corhofi à payer la somme de 3.500 euros à la société Visudom relève de la libre appréciation des premiers juges qui ont pu considérer, dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, que cette somme devait incomber à la société Corhofi.

Il n'y a donc pas lieu d'accueillir la demande de la société Corhofi tendant à être relevée et garantie par la société Digitab Solutions.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il rejette les demandes de la société Corhofi.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré, en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société Digitab Solutions aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement ;

Condamne la société Digitab Solutions à payer à la société Visudom et à la société Corhofi la somme de 1.500 euros chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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