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Cass. crim., 10 septembre 2025, n° 23-82.847

COUR DE CASSATION

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Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. de Lamy

Avocat général :

Mme Chauvelot

Avocats :

SCP Waquet, SCP Farge, SCP Hazan, SCP Féliers

Bastia, ch. corr., du 22 mars 2023

22 mars 2023

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Une enquête relative au financement de la construction, par la société [3], de la maison de M. [W] [H], qui a occupé les fonctions de maire, de président du conseil général puis de sénateur, a été ouverte à la suite de la réception d'un renseignement par les services de police.

3. L'exploitation du compte bancaire de la société [3] a permis de constater la réalisation de paiements par M. [H] ainsi que l'existence de liens économiques avec les sociétés du [2] [D] appartenant à M. [C] [D].

4. Les investigations ont mis à jour que la construction de cette maison a empiété sur des parcelles appartenant à une société du [2] [D] sans que celle-ci ne demande un dédommagement et ont conduit les enquêteurs à s'interroger sur la prise en charge d'une partie du financement de cette construction par des sociétés appartenant au [2] [D] qui auraient bénéficié en contrepartie de l'attribution de marchés publics et qui auraient pu régler la société [3] au moyen de contrats de sous-traitance.

5. Renvoyé devant le tribunal correctionnel, M. [D] a été déclaré coupable des chefs d'abus de biens sociaux, corruption active et trafic d'influence actif.

6. M. [D] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, et le troisième moyen, pris en ses deuxième à cinquième branches

7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [D] coupable des chefs d'abus de biens sociaux, de corruption active et de trafic d'influence actif, alors « que nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ; qu'après avoir retenu, s'agissant des sociétés [4] (pp. 19-21) et [1] (pp. 21-22), que les factures payées par celles-ci à la société [3] seraient des factures fictives dont l'acquittement aurait permis le financement des travaux de construction de la villa de M. [H], la cour d'appel en déduit péremptoirement que M. [D] souhaitait s'attirer les faveurs d'un homme politique susceptible de lui octroyer des marchés publics et qu'en commettant en toute connaissance de cause ces abus de biens sociaux, il a favorisé son intérêt personnel et non l'intérêt de sa société (p. 22) ; qu'en statuant par ces seuls motifs, dont il ne ressort pas que le paiement des factures litigieuses serait le fait de M. [D], la cour d'appel n'a pas caractérisé la participation personnelle du prévenu à l'infraction, ni légalement justifié sa décision au regard des articles 121-1 du code pénal, L.241-3 et L.244-1 du code de commerce, et 593 du code de procédure pénale. »

9. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [D] coupable du chef d'abus de biens sociaux, alors :

« 1°/ que l'auteur du délit de biens sociaux ne peut être que le dirigeant de droit ou de fait de la société ; que pour déclarer M. [D] coupable de ce chef, la cour d'appel se borne à constater que les sociétés [4] et [1] sont détenues en majorité par la holding [2] [D], holding dont les parts sociales sont détenues à 99% par M. [D] (p. 19, § 1) ; qu'en statuant de la sorte, par des motifs qui ne permettent pas de caractériser la qualité de dirigeant de droit ou de fait de M. [D] des sociétés [4] et [1], la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 241-3, L. 241-9, L. 244-1 et L. 244-4 du code de commerce, et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. Pour dire le prévenu coupable de faits constitutifs d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué énonce que les sociétés [4] et [1] sont détenues en majorité par la holding [2] [D], dont 99% des parts appartiennent à M. [D].

12. Les juges retiennent qu'il ressort de documents trouvés lors des investigations l'existence de plusieurs fausses factures ayant pour finalité de financer une partie des travaux de la villa de M. [H].

13. Ils relèvent que ces fausses factures, contraires à l'intérêt social des sociétés du [2] [D], ont été réalisées à des fins personnelles, M. [D] ayant souhaité ainsi s'attirer les faveurs de M. [H], homme politique susceptible de faire bénéficier ses sociétés de marchés publics.

14. Les juges soulignent qu'il est acquis que, quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux, ayant pour seul objet de commettre le délit de corruption, est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose la personne morale à un risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même ainsi que ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation.

15. Les juges ajoutent qu'en commettant en toute connaissance de cause ces abus de biens sociaux, M. [D] a ainsi favorisé son intérêt personnel et non l'intérêt de sa société.

16. En se déterminant ainsi, dès lors que les juges ont caractérisé, dans l'exercice de leur souverain pouvoir d'appréciation, la réalisation par M. [D], en tant que dirigeant social au sens des articles L. 241-3, 4°, et L. 244-1 du code de commerce, d'actions constitutives d'abus de biens sociaux, la cour d'appel a justifié sa décision.

17. Ainsi les moyens doivent être écartés.

Sur le deuxième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [D] coupable du chef d'abus de biens sociaux, alors :

« 3°/ que M. [D] faisait valoir dans ses conclusions aux fins de relaxe (pp. 4-5), visées par le président et le greffier, que le principe ne bis in idem faisait obstacle au cumul des qualifications d'abus de biens sociaux, d'une part, et de corruption et trafic d'influence, d'autre part ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire dont elle était régulièrement saisie, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

4°/ en tout état de cause, que le principe ne bis in idem fait obstacle au cumul de qualifications lorsque l'une de celles retenues incrimine une modalité particulière de l'action répréhensible sanctionnée par l'autre infraction ; qu'après avoir déclaré M. [D] coupable du chef d'abus de biens sociaux, la cour d'appel le retient dans les liens de la prévention des chefs de corruption et trafic d'influence, en caractérisant les dons visés à l'article 433-1 du code pénal par ces mêmes abus de biens sociaux ; qu'en cumulant ainsi les qualifications d'abus de biens sociaux, de corruption et de trafic d'influence, quand ces deux dernières incriminent une modalité particulière de la commission d'un abus de biens sociaux, la cour d'appel a violé le principe ne bis in idem. »

Réponse de la Cour

19. M. [D] a été déclaré coupable, d'une part, d'abus de biens sociaux pour avoir, sans contrepartie pour les sociétés qu'il dirige, laissé s'implanter sur un terrain appartenant au [2] [D] la villa de M. [H] dont les frais de construction et d'aménagement ont été pris en partie en charge par des sociétés du groupe, d'autre part, de corruption et de trafic d'influence pour avoir offert des dons et présents sous forme de paiement de travaux de sa villa à M. [H], titulaire de mandats électifs, en échange de marchés publics et de l'exercice de son influence.

20. Le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que l'arrêt attaqué n'a pas répondu au moyen tiré d'une méconnaissance du principe ne bis in idem et l'a condamné des chefs des délits précités dès lors que, les faits constitutifs de ces différents délits n'étant pas identiques, ce principe ne s'applique pas en l'espèce.

21. Ainsi, les griefs sont inopérants.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [D] des chefs de corruption et trafic d'influence passifs et corruption et trafic d'influence actifs, concernant le [2] [D] alors :

« 1°/ que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; que MM. [H] et [D] ont été renvoyés devant la juridiction correctionnelle pour des faits de corruption et de trafic d'influence commis entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2012 ; que la cour d'appel se fonde sur la circonstance que M. [D] et M. [H] ont chacun acquis des parcelles des époux [U] durant l'année 2004 à des dates concordantes, et qu'un plan topographique en date du 18 novembre 2004 fait apparaître un empiètement de M. [H] sur le terrain limitrophe propriété du [2] [D], pour en déduire que le début du pacte de corruption peut être daté au mois d'octobre 2004 (p. 23) ; qu'en se fondant ainsi sur des faits antérieurs au 1er janvier 2009, sans qu'il résulte des mentions de l'arrêt ou des pièces de la procédure que MM. [H] et [D] auraient accepté d'être jugés pour des faits distincts de ceux visés à la prévention, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine en violation de l'article 388 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

23. Pour déclarer M. [D] coupable des délits de corruption active pour la période du 1er janvier 2009 au 8 novembre 2010 et de trafic d'influence passif pour la période du 9 novembre 2010 au 31 décembre 2012, l'arrêt attaqué énonce notamment que le pacte constitutif de ces infractions ne peut se comprendre que par la connaissance des relations anciennes et solides existant entre MM. [H] et [D].

24. Les juges relèvent qu'une concordance de dates entre l'achat de terrains par M. [D], grâce à la connaissance à qui le vendeur a été présenté par M. [H], et la signature d'une promesse de vente avec une société gérée par la femme de ce dernier, permet de dater le début du pacte de corruption entre les deux hommes au mois d'octobre 2004.

25. Ils ajoutent qu'il ressort des pièces produites aux débats que dans le dossier de permis de construire de la maison de M. [H] figure un plan topographique daté du 18 novembre 2004 sur lequel l'édification de la maison de ce dernier est en partie sur un terrain qui est la propriété du [2] [D].

26. En prononçant ainsi, et dès lors que le prévenu n'a été déclaré coupable que pour des actes réalisés durant la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2012 visée à la prévention et que les faits de 2004 n'ont été pris en compte que pour l'administration de la preuve des seuls faits poursuivis, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

27. Ainsi, le moyen doit être écarté.

28. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

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