CA Versailles, ch. com. 3-2, 9 septembre 2025, n° 24/07408
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 34C
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
PAR DEFAUT
DU 09 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/07408 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W4QD
AFFAIRE :
S.A.R.L. LA FINANCIERE DE [Localité 15]
...
C/
[J] [E] [P]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Décembre 2016 par le Tribunal de Commerce de PARIS 04
N° Chambre : 01
N° RG : 2015068773
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Asma MZE
Me Dan ZERHAT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
DEMANDERESSES devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (Assemblée plénière) du 15 novembre 2024 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS - POLE 5 le 4 avril 2023.
S.A.R.L. LA FINANCIERE DE [Localité 15]
Ayant son siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2474972
Plaidant : Me Henri Louis DELSOL - SELARL DELSOL AVOCATS - Avocat au barreau de PARIS - Vestiaire : P 0513
S.A.S. LA VIERGE
Ayant son siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2474972
Plaidant : Me Henri Louis DELSOL - SELARL DELSOL AVOCATS - Avocat au barreau de PARIS - Vestiaire : P 0513
****************
DEFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI
Monsieur [J] [E] [P]
[Adresse 5]
[Localité 14]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078180,
Plaidant : Me Pierre-edouard GONDRAN DE ROBERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0210
Monsieur [D] [I] [P]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078180,
Plaidant : Me Pierre-edouard GONDRAN DE ROBERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0210
Monsieur [N] [B]
[Adresse 1]
[Localité 12]
défaillant - déclaration signifiée à étude
Madame [W] [M]
[Adresse 13]
[Localité 11]
défaillante - déclaration signifiée à domicile
Monsieur [F] [G]
[Adresse 3]
[Localité 9]
défaillant - déclaration signifiée à étude
S.A. AUDACIA
Ayant son siège
[Adresse 6]
[Localité 10]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2474972
Plaidant : Me Louis-marie ABSIL de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0030,
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Juin 2025, Monsieur Cyril ROTH, président de chambre ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN
EXPOSE DU LITIGE
La société à responsabilité limitée La Vierge a été créée en 1974.
Le 16 mai 2013, ses associés ont décidé de sa transformation en société par actions simplifiée.
Le capital de la société La Vierge s'est alors trouvé réparti entre MM. [D] et [J] [P], ses fondateurs, M. [B], M. [G], Mme [M] et la société Audacia, fonds représentant des investisseurs.
L'article 17 des statuts de la SAS prévoit que les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers.
Le 25 juin 2015, les associés ont désigné la société Financière de [Localité 15] en qualité de président.
Le 22 octobre 2015, en assemblée générale extraordinaire, ils ont décidé une augmentation de capital réservée à la société Financière de [Localité 15].
Le 24 novembre 2015, M. [B] a assigné la société La Vierge, ses autres actionnaires et la société Financière de [Localité 15] en annulation de cette délibération. MM. [P] se sont associés à cette demande. M. [J] [P] a sollicité en outre l'annulation de l'article 17 des statuts de la société et la désignation d'un administrateur provisoire.
Le 13 décembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a dit irrecevable la demande de M. [J] [P] en annulation de l'article 17 des statuts et a rejeté les autres prétentions de MM. [B] et [P].
Le 20 décembre 2018, sur l'appel de MM. [B] et [P], la cour d'appel de Paris a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions et constaté le désistement d'instance et d'action de M. [B].
Le 19 janvier 2022, sur le pourvoi de MM. [P], la Cour de cassation (Com, n°19-12.696, publié) a cassé et annulé l'arrêt du 20 décembre 2018, mais seulement en ce qu'il a débouté MM. [P] de leur demande d'annulation de la délibération litigieuse.
Le 4 avril 2023, la cour d'appel de Paris, saisie sur renvoi après cassation, a confirmé le jugement du 13 décembre 2016 en ce qu'il a débouté MM. [P] de leur demande d'annulation de la délibération du 22 octobre 2015 (RG 22/05320).
Le 15 novembre 2024, sur le pourvoi n°23-16.670 de MM. [P], en assemblée plénière, la Cour de cassation, affirmant, au visa des articles 1844, alinéa 1er, 1844-10, alinéas 2 et 3, du code civil et L. 227-9, alinéas 1 et 2, du code de commerce, que la décision collective d'associés d'une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite, a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de MM. [J] et [D] [P] en annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital, condamne M. [J] [P] à payer à M. [G] et aux sociétés La Vierge, La Financière de [Localité 15] et Audacia la somme de 7 500 euros, condamne M. [D] [P] à payer à chacun la somme de 500 euros au titre des frais exposés en première instance et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, l'arrêt rendu le 4 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
- dit n'y avoir lieu à renvoi sur la demande d'annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital ;
- infirmé de ce chef le jugement ;
Statuant à nouveau,
- annulé la délibération de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société La Vierge du 22 octobre 2015, portant augmentation du capital social de 586 206,92 euros par émission d'actions nouvelles ;
- renvoyé pour le surplus à la cour d'appel de Versailles ;
- condamné les sociétés La Financière de [Localité 15] et La Vierge aux dépens.
Le 27 novembre 2024, les sociétés La Financière de Rennes et La Vierge ont saisi la cour d'appel de Versailles.
Par dernières conclusions du 17 avril 2025, elles demandent à la cour de :
- prononcer l'inopposabilité à la société La Financière de [Localité 15] de la nullité de la délibération d'assemblée générale du 22 octobre 2015 prononcée par arrêt du 15 novembre 2024 ;
- déclarer irrecevable la demande de désignation d'un administrateur provisoire formulée par MM. [J] et [D] [P] ou à tout le moins mal-fondée ;
- débouter MM. [J] et [D] [P] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- condamner solidairement MM. [J] et [D] [P] à leur payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement MM. [J] et [D] [P] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL LX Paris - Versailles - Reims, représentée par Maître Mze.
Par dernières conclusions du 18 avril 2025, la société Audacia demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 13 décembre 2016, dans les limites de la cassation partielle prononcée par la Cour de cassation aux termes de son arrêt du 15 novembre 2024 ;
- déclarer irrecevable la demande de désignation d'un administrateur provisoire formulée par MM. [D] et [J] [P] en violation du principe de concentration des prétentions ;
- débouter MM. [D] et [J] [P] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
Y ajoutant,
- condamner solidairement MM. [D] et [J] [P] à lui verser la somme de 25 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner MM. [D] et [J] [P] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions du 24 avril 2025, MM. [D] et [J] [P] demandent à la cour de :
In limine litis,
- juger que la demande des sociétés La Financière de [Localité 15] et de La Vierge est irrecevable car ayant déjà été définitivement jugée par l'arrêt du 15 novembre 2024 ;
- juger la demande de la société Audacia irrecevable ;
En tout état de cause,
- infirmer le jugement du 13 décembre 2016 en ce qu'il a refusé la nomination d'un administrateur provisoire ;
- nommer tel administrateur qu'il plaira à la cour, avec pour mission de :
- tirer toutes les conséquences attachées à la nullité de l'assemblée générale extraordinaire du 15 novembre 2024 (sic), à savoir notamment :
remettre les parties en l'état ou elles étaient antérieurement à l'assemblée générale extraordinaire du 15 novembre 2022 (sic), notamment en ce qui concerne l'actionnariat et les statuts ;
convoquer une AGE, en fixer l'ordre du jour et la présider, à effet de statuer sur la révocation du président ;
prendre toute mesure utile pour procéder aux formalités afférentes aux décisions prises ;
prendre toute mesure conservatoire permettant la sauvegarde de la société La Vierge ;
- débouter les sociétés La Financière de [Localité 15] et Audacia de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions, en ce compris la demande incidente de condamnation pour procédure abusive ;
- condamner la société Audacia à leur payer 5 000 euros chacun au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamner la société La Financière de [Localité 15] à leur payer 50 000 euros chacun au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamner les sociétés La Financière de [Localité 15] et Audacia à 10 000 euros chacune, au titre de l'amende civile ;
- condamner la société La Financière de [Localité 15] à leur payer 20 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- condamner la société Audacia à leur payer 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'acte de saisine de la cour a été signifié à M. [B] le 10 décembre 2024 par remise à l'étude de l'huissier instrumentaire. Les conclusions lui ont été signifiées le 24 janvier 2025 selon les mêmes modalités. Celui-ci n'a pas constitué avocat.
L'acte de saisine de la cour a été signifié à Mme [M] le 10 décembre 2024 par remise à domicile. Les conclusions lui ont été signifiées le 24 janvier 2025 selon les mêmes modalités. Celle-ci n'a pas constitué avocat.
L'acte de saisine de la cour a été signifié à M. [G] le 10 décembre 2024 par remise à l'étude de l'huissier instrumentaire. Les conclusions lui ont été signifiées le 24 janvier 2025 selon les mêmes modalités. Celui-ci n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 mai 2025.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur la recevabilité des prétentions de la société Audacia
MM. [P] soutiennent que la société Audacia a perdu tout intérêt à agir, n'étant plus actionnaire de la société La Vierge, de sorte que sa demande est irrecevable ; que cette demande est également irrecevable comme se heurtant au principe de l'estoppel.
La société Audacia soutient que son droit à agir doit être apprécié au jour de l'acte introductif d'instance, comme l'a déjà tranché la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 4 avril 2023.
Réponse de la cour
La recevabilité d'une demande s'apprécie au jour où elle est formée (voir par exemple Com, 6 déc. 2005, n°04-10.287, publié.
Contrairement à ce que soutient la société Audacia, l'arrêt du 4 avril 2023 n'a pas tranché la question de la recevabilité de ses prétentions, mais celle de la recevabilité de l'action en annulation de la délibération du 22 octobre 2015 qui lui était soumise par MM. [P].
La société Audacia établit elle-même par la production d'un acte de cession du 29 avril 2019 que les porteurs d'actions de la société La Vierge qu'elle représentait ont cédé l'intégralité de leurs participations à la société Financière de [Localité 15].
Pour autant, à la date de l'assignation introductive d'instance, elle représentait ces actionnaires.
MM. [P] ne démontrent pas en quoi elle se serait contredite à leur détriment au cours de l'instance.
Les prétentions de la société Audacia sont donc recevables.
Sur l'opposabilité de la décision d'annulation d'augmentation de capital
La société Financière de [Localité 15] soutient que la nullité de la délibération de l'assemblée générale du 22 octobre 2015 prononcée par la Cour de cassation lui est inopposable ; qu'en effet, elle avait formulé devant la cour d'appel de Paris une demande subsidiaire d'inopposabilité de la nullité, sur laquelle la Cour de cassation n'a pas statué et renvoyé au fond ; qu'elle a la qualité de tiers de bonne foi au sens des articles L.235-12 du code de commerce et 1844-16 du code civil, puisqu'elle était étrangère à l'instauration de la majorité du tiers par les statuts de l'entreprise en 2013, n'étant à cette date ni présidente ni associée de la société ; qu'elle n'a pas émis de vote lors de l'AGE du 22 octobre 2015, son rôle se limitant à enregistrer les votes selon les conditions de majorité préexistantes ; que sa bonne foi est présumée.
Elle fait valoir que si la nullité lui était opposable, la société La Vierge lui serait immédiatement redevable d'un million d'euros, somme qu'elle lui a apportée.
MM. [P] soutiennent que la question de l'opposabilité de l'annulation ne se pose plus, car la Cour de cassation a annulé la délibération du 22 octobre 2015 et que sa décision a effet erga omnes ; que la société Financière de [Localité 15] est désormais un tiers dans ce dossier, puisque son entrée au capital a été annulée ; que sa demande d'inopposabilité de la Financière de [Localité 15] a été définitivement jugée et est donc irrecevable ; qu'elle a déjà présenté cet argument devant la Cour de cassation via un "avis spécifique".
La société Audacia ne conclut pas sur ce point.
Réponse de la cour
Les articles 1844-16 du code civil et L. 235-12 du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la cause, disposent en termes identiques que ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d'une nullité à l'égard des tiers de bonne foi.
Cette règle est applicable lorsqu'une juridiction annule la délibération d'un organe de la société (Com, 5 octobre 1999, n°96-20.939, publié).
L'article L. 229-149-5 du code de commerce issu de l'ordonnance du 12 mars 2025 portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés dispose que par dérogation à l'article 1844-16, la nullité de la décision d'augmentation du capital est opposable à tous les souscripteurs.
Ce texte nouveau n'est pas applicable à la cause.
Toutefois, il convient de retenir qu'en application des articles 1844-16 du code civil et L. 235-12, l'annulation d'une décision d'augmentation du capital doit être considérée comme par nature opposable aux souscripteurs, dès lors que cette décision a pour objet même de leur conférer la qualité d'associé.
Le tribunal de commerce de Paris n'a pas été saisi par la société Financière de Rennes d'une demande tendant à se voir déclarer inopposable la nullité de la délibération du 22 octobre 2015.
Cette demande a été formulée à titre subsidiaire en cause d'appel devant la cour d'appel de Paris qui, le 20 décembre 2018, n'a pas eu à statuer sur ce point dès lors qu'elle avait rejeté la demande d'annulation.
De même, statuant le 4 avril 2023, cette cour d'appel ne s'est pas prononcée sur cette demande subsidiaire, dès lors qu'elle a rejeté la demande d'annulation.
Contrairement à ce que laissent entendre MM. [P], l'arrêt de la Cour de cassation du novembre 2024 ne prononce pas sur ce point.
La demande de la société Financière de [Localité 15] ne se heurte donc à aucune autorité de chose jugée ; elle sera déclarée recevable.
Mais la délibération annulée ayant pour objet même son entrée au capital de la société, elle doit lui être déclarée opposable quand bien même, au jour du vote, elle n'avait pas acquis la qualité d'associé.
Sur la recevabilité de la demande de nomination d'un administrateur provisoire
La société Financière de [Localité 15] et la société Audacia avancent que le jugement du 13 décembre 2016 a rejeté cette demande, présentée par M. [J] [P] ; que MM. [P] ne l'ont pas formulée devant la cour d'appel de Paris ayant statué le 14 septembre 2018, ni devant cette même cour ayant statué le 10 mai 2022 ; qu'en application de l'article 915-2 du code de procédure civile (anciennement 910-4) et de l'article 631 du même code, la cour d'appel de renvoi reprend l'instruction en l'état de la procédure non atteinte par la cassation, si bien que le principe de concentration des prétentions s'applique non pas aux premières conclusions devant la cour de renvoi actuelle, mais aux premières conclusions devant la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé ; que la Cour de cassation n'a pas cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris sur le point précis du refus de désignation d'un administrateur provisoire ; que la demande est nouvelle.
MM. [P] soutiennent que l'arrêt de cassation du 15 novembre 2024 a notamment renvoyé sur le fond sur la demande de nomination d'un administrateur provisoire.
Réponse de la cour
Après une cassation, l'instruction est, aux termes de l'article 631 du code de procédure civile, reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation.
La déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation n'est pas une déclaration d'appel et n'introduit pas une nouvelle instance ; elle entraîne la poursuite de l'instance d'appel initiale, de sorte que c'est à la date de la déclaration d'appel initiale que s'apprécie la teneur du corpus de règles applicable à la procédure d'appel (2e Civ., 22 mai 2025, n° 22-22.868, publié).
Il résulte de l'arrêt du 20 décembre 2018 que les appels dirigés contre le jugement du 13 décembre 2016 ont été interjetés le 22 décembre 2016, le 20 janvier 2017 et le 7 février 2017.
Ces actes d'appel ne sont pas atteints par les cassations des 19 janvier 2022 et 15 novembre 2024.
Les dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile invoquées issues du décret du 6 mai 2017, qui a institué à peine d'irrecevabilité une obligation de concentration des prétentions dans les premières conclusions d'appel, est donc ratione temporis inapplicable à la cause.
A fortiori, les dispositions de l'article 915-2 du code de procédure civile, applicables aux appels formés à compter du 1er septembre 2024, sont inapplicables à la cause.
Ni les appelantes ni la société Audacia n'invoquent, même en substance, les dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile relatives à la recevabilité des demandes nouvelles en cause d'appel.
En revanche, l'arrêt du 20 décembre 2018 est irrévocable en ce qu'il a confirmé le chef du jugement du 13 décembre 2016 ayant écarté la demande de M. [J] [P] en nomination d'un administrateur provisoire.
Aucun élément nouveau n'est invoqué M. [J] [P], dont la demande doit en conséquence être déclarée irrecevable comme se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 20 décembre 2018.
Mais cette demande est recevable en tant qu'elle est présentée par son frère, M. [D] [P], qui a également la qualité d'associé.
Sur la nomination d'un administrateur provisoire
La société Financière de [Localité 15] et la société Audacia soutiennent que la preuve n'est pas rapportée de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société La Vierge et menaçant celle-ci d'un péril imminent ; que la Financière de [Localité 15] a réussi à redresser la situation financière du groupe ; qu'il n'existe pas de paralysie du fonctionnement de la société ; que si un administrateur était nécessaire pour tirer les conséquences de l'arrêt de la Cour de cassation, il pourrait être désigné à l'occasion d'une nouvelle instance ; que l'objectif de MM. [P] est de remettre en cause neuf années de décisions collectives par des nullités en cascade, ce qui conduirait la société La Vierge au dépôt de bilan.
M. [D] [P] fait valoir que l'annulation de l'assemblée générale extraordinaire par la Cour de cassation provoque la nullité en cascade de tous les actes de gestion et de toutes les délibérations auxquelles la société Financière de [Localité 15] a participé ; qu'un administrateur est indispensable pour gérer les conséquences de cette annulation et remettre les parties en l'état où elles étaient avant cette assemblée générale, révoquer le président, obtenir l'annulation du protocole transactionnel du 17 mai 2018. Il expose que les statuts de la société n'ont pas été mis à jour depuis la décision de l'assemblée plénière du 15 novembre 2024 ; que dans un dossier connexe, le 4 avril 2024, la cour d'appel de Paris a nommé Mme [O] [X] administrateur.
Réponse de la cour
Le juge ne saurait désigner un administrateur provisoire à une société qu'à la double condition d'une paralysie des organes sociaux et d'un péril imminent.
Il est constant que la société Financière de [Localité 15], que le présent litige oppose à certains des actionnaires de la société La Vierge depuis l'introduction de l'instance le 24 novembre 2015, soit depuis près de dix ans, a toujours la qualité de présidente de la société.
Le 4 avril 2024, en référé, au visa de l'article 956 du code de procédure civile et de l'urgence, le premier président de la cour d'appel de Paris a désigné à la société un mandataire ad hoc, à savoir la société AJRS, en la personne de Mme [X], administrateur judiciaire, afin de représenter la société dans l'instance opposant la société Financière de Rennes à M. [J] [P], agissant ut singuli en réparation de fautes de gestion.
Il est constant que les parties s'opposent sur la répartition même du capital de la société La Vierge résultant de l'arrêt de cassation du 15 novembre 2024 ; que cette société holding détient des participations dans plusieurs sociétés opérationnelles exploitant des boulangeries, lesquelles emploient des salariés.
Est ainsi caractérisée une paralysie des organes sociaux appelant une action urgente.
Il convient en conséquence d'accueillir la demande de nomination d'un administrateur provisoire selon les modalités précisées au dispositif.
Pour prévenir tout blocage, la provision à valoir sur la rémunération de l'administrateur judiciaire sera à la charge de MM. [P].
Sur les demandes indemnitaires
MM. [P] soutiennent que le comportement des sociétés Financière de [Localité 15] et Audacia est dilatoire et abusif.
La société Financière de Rennes fait valoir que la saisine de la cour d'appel de Versailles résulte simplement du renvoi ordonné par la Cour de cassation.
La société Audacia ne conclut pas sur la demande indemnitaire de MM. [P].
Réponse de la cour
Il ne peut être reproché aux appelantes d'avoir saisi la cour d'appel de Versailles dès lors que la Cour de cassation a opéré un renvoi devant cette juridiction.
MM. [P] n'invoquent de surcroît aucun préjudice au soutien de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive dirigées contre la société Audacia d'une part, la société Financière de [Localité 15] d'autre part.
Ces demandes indemnitaires ne peuvent en conséquence qu'être écartées.
Sur les demandes accessoires
Il n'est pas loisible aux parties privées de solliciter la condamnation de leur adversaire à l'amende civile prévue à l'article 32-1 du code de procédure civile.
L'équité commande de mettre les dépens solidairement à la charge des sociétés Financière de [Localité 15] et Audacia et d'allouer à MM. [P] l'indemnité de procédure prévue au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant par défaut,
Dit recevables les prétentions de la société Audacia ;
Dit l'annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital du 22 octobre 2015 prononcée par la Cour de cassation le 15 novembre 2024 opposable à la société Financière de [Localité 15] ;
Dit irrecevable la demande de M. [J] [P] en nomination d'un administrateur provisoire ;
Dit recevable cette demande en tant qu'elle est formulée par M. [D] [P] ;
Désigne la société AJRS, en la personne de Mme [X], en qualité d'administrateur provisoire de la société La Vierge, avec pour mission de :
- déterminer l'actionnariat actuel de la société ;
- mettre ses statuts en conformité avec la règle de majorité affirmée par la Cour de cassation ;
- convoquer et présider une assemblée générale en vue de la révision des statuts et de la nomination d'un nouveau président ;
- prendre toute mesure utile à la préservation des droits de la société ;
- dresser rapport de sa mission ;
Dit qu'en cas de difficulté dans l'accomplissement de cette mission, de nécessité de la prolonger, de la faire évoluer ou de procéder à son remplacement, l'administrateur provisoire pourra saisir le président du tribunal des activités économiques de Paris sur requête ;
Dit que les actionnaires de la société pourront saisir aux mêmes fins le juge des référés du tribunal des activités économiques de Paris ;
Fixe à 2 500 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'administrateur provisoire ;
Dit que cette provision sera versée par MM. [P] entre les mains de l'administrateur provisoire dans le délai de deux mois du prononcé du présent arrêt ;
Dit que la mission de l'administrateur provisoire, d'une durée de quatre mois, débutera au jour du versement de cette provision ;
Dit que les honoraires de l'administrateur provisoire seront taxés sur sa requête par le président du tribunal des activités économiques de Paris ;
Rejette les demandes de dommages-intérêts ;
Condamne solidairement les sociétés Audacia et Financière de [Localité 15] aux dépens d'appel ;
Condamne la société Financière de [Localité 15] à verser à MM. [P] la somme globale de 15 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;
Dit irrecevable la demande d'amende civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
DE
VERSAILLES
Code nac : 34C
Chambre commerciale 3-2
ARRET N°
PAR DEFAUT
DU 09 SEPTEMBRE 2025
N° RG 24/07408 - N° Portalis DBV3-V-B7I-W4QD
AFFAIRE :
S.A.R.L. LA FINANCIERE DE [Localité 15]
...
C/
[J] [E] [P]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Décembre 2016 par le Tribunal de Commerce de PARIS 04
N° Chambre : 01
N° RG : 2015068773
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Asma MZE
Me Dan ZERHAT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
DEMANDERESSES devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (Assemblée plénière) du 15 novembre 2024 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS - POLE 5 le 4 avril 2023.
S.A.R.L. LA FINANCIERE DE [Localité 15]
Ayant son siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2474972
Plaidant : Me Henri Louis DELSOL - SELARL DELSOL AVOCATS - Avocat au barreau de PARIS - Vestiaire : P 0513
S.A.S. LA VIERGE
Ayant son siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2474972
Plaidant : Me Henri Louis DELSOL - SELARL DELSOL AVOCATS - Avocat au barreau de PARIS - Vestiaire : P 0513
****************
DEFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI
Monsieur [J] [E] [P]
[Adresse 5]
[Localité 14]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078180,
Plaidant : Me Pierre-edouard GONDRAN DE ROBERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0210
Monsieur [D] [I] [P]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 24078180,
Plaidant : Me Pierre-edouard GONDRAN DE ROBERT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0210
Monsieur [N] [B]
[Adresse 1]
[Localité 12]
défaillant - déclaration signifiée à étude
Madame [W] [M]
[Adresse 13]
[Localité 11]
défaillante - déclaration signifiée à domicile
Monsieur [F] [G]
[Adresse 3]
[Localité 9]
défaillant - déclaration signifiée à étude
S.A. AUDACIA
Ayant son siège
[Adresse 6]
[Localité 10]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social
Représentant : Me Asma MZE de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 699 - N° du dossier 2474972
Plaidant : Me Louis-marie ABSIL de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0030,
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Juin 2025, Monsieur Cyril ROTH, président de chambre ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Ronan GUERLOT, Président de chambre,
Monsieur Cyril ROTH, Président de chambre,
Madame Gwenael COUGARD, Conseillère,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN
EXPOSE DU LITIGE
La société à responsabilité limitée La Vierge a été créée en 1974.
Le 16 mai 2013, ses associés ont décidé de sa transformation en société par actions simplifiée.
Le capital de la société La Vierge s'est alors trouvé réparti entre MM. [D] et [J] [P], ses fondateurs, M. [B], M. [G], Mme [M] et la société Audacia, fonds représentant des investisseurs.
L'article 17 des statuts de la SAS prévoit que les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers.
Le 25 juin 2015, les associés ont désigné la société Financière de [Localité 15] en qualité de président.
Le 22 octobre 2015, en assemblée générale extraordinaire, ils ont décidé une augmentation de capital réservée à la société Financière de [Localité 15].
Le 24 novembre 2015, M. [B] a assigné la société La Vierge, ses autres actionnaires et la société Financière de [Localité 15] en annulation de cette délibération. MM. [P] se sont associés à cette demande. M. [J] [P] a sollicité en outre l'annulation de l'article 17 des statuts de la société et la désignation d'un administrateur provisoire.
Le 13 décembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a dit irrecevable la demande de M. [J] [P] en annulation de l'article 17 des statuts et a rejeté les autres prétentions de MM. [B] et [P].
Le 20 décembre 2018, sur l'appel de MM. [B] et [P], la cour d'appel de Paris a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions et constaté le désistement d'instance et d'action de M. [B].
Le 19 janvier 2022, sur le pourvoi de MM. [P], la Cour de cassation (Com, n°19-12.696, publié) a cassé et annulé l'arrêt du 20 décembre 2018, mais seulement en ce qu'il a débouté MM. [P] de leur demande d'annulation de la délibération litigieuse.
Le 4 avril 2023, la cour d'appel de Paris, saisie sur renvoi après cassation, a confirmé le jugement du 13 décembre 2016 en ce qu'il a débouté MM. [P] de leur demande d'annulation de la délibération du 22 octobre 2015 (RG 22/05320).
Le 15 novembre 2024, sur le pourvoi n°23-16.670 de MM. [P], en assemblée plénière, la Cour de cassation, affirmant, au visa des articles 1844, alinéa 1er, 1844-10, alinéas 2 et 3, du code civil et L. 227-9, alinéas 1 et 2, du code de commerce, que la décision collective d'associés d'une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite, a :
- cassé et annulé, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de MM. [J] et [D] [P] en annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital, condamne M. [J] [P] à payer à M. [G] et aux sociétés La Vierge, La Financière de [Localité 15] et Audacia la somme de 7 500 euros, condamne M. [D] [P] à payer à chacun la somme de 500 euros au titre des frais exposés en première instance et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, l'arrêt rendu le 4 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
- dit n'y avoir lieu à renvoi sur la demande d'annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital ;
- infirmé de ce chef le jugement ;
Statuant à nouveau,
- annulé la délibération de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société La Vierge du 22 octobre 2015, portant augmentation du capital social de 586 206,92 euros par émission d'actions nouvelles ;
- renvoyé pour le surplus à la cour d'appel de Versailles ;
- condamné les sociétés La Financière de [Localité 15] et La Vierge aux dépens.
Le 27 novembre 2024, les sociétés La Financière de Rennes et La Vierge ont saisi la cour d'appel de Versailles.
Par dernières conclusions du 17 avril 2025, elles demandent à la cour de :
- prononcer l'inopposabilité à la société La Financière de [Localité 15] de la nullité de la délibération d'assemblée générale du 22 octobre 2015 prononcée par arrêt du 15 novembre 2024 ;
- déclarer irrecevable la demande de désignation d'un administrateur provisoire formulée par MM. [J] et [D] [P] ou à tout le moins mal-fondée ;
- débouter MM. [J] et [D] [P] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- condamner solidairement MM. [J] et [D] [P] à leur payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement MM. [J] et [D] [P] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL LX Paris - Versailles - Reims, représentée par Maître Mze.
Par dernières conclusions du 18 avril 2025, la société Audacia demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 13 décembre 2016, dans les limites de la cassation partielle prononcée par la Cour de cassation aux termes de son arrêt du 15 novembre 2024 ;
- déclarer irrecevable la demande de désignation d'un administrateur provisoire formulée par MM. [D] et [J] [P] en violation du principe de concentration des prétentions ;
- débouter MM. [D] et [J] [P] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
Y ajoutant,
- condamner solidairement MM. [D] et [J] [P] à lui verser la somme de 25 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner MM. [D] et [J] [P] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions du 24 avril 2025, MM. [D] et [J] [P] demandent à la cour de :
In limine litis,
- juger que la demande des sociétés La Financière de [Localité 15] et de La Vierge est irrecevable car ayant déjà été définitivement jugée par l'arrêt du 15 novembre 2024 ;
- juger la demande de la société Audacia irrecevable ;
En tout état de cause,
- infirmer le jugement du 13 décembre 2016 en ce qu'il a refusé la nomination d'un administrateur provisoire ;
- nommer tel administrateur qu'il plaira à la cour, avec pour mission de :
- tirer toutes les conséquences attachées à la nullité de l'assemblée générale extraordinaire du 15 novembre 2024 (sic), à savoir notamment :
remettre les parties en l'état ou elles étaient antérieurement à l'assemblée générale extraordinaire du 15 novembre 2022 (sic), notamment en ce qui concerne l'actionnariat et les statuts ;
convoquer une AGE, en fixer l'ordre du jour et la présider, à effet de statuer sur la révocation du président ;
prendre toute mesure utile pour procéder aux formalités afférentes aux décisions prises ;
prendre toute mesure conservatoire permettant la sauvegarde de la société La Vierge ;
- débouter les sociétés La Financière de [Localité 15] et Audacia de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions, en ce compris la demande incidente de condamnation pour procédure abusive ;
- condamner la société Audacia à leur payer 5 000 euros chacun au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamner la société La Financière de [Localité 15] à leur payer 50 000 euros chacun au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamner les sociétés La Financière de [Localité 15] et Audacia à 10 000 euros chacune, au titre de l'amende civile ;
- condamner la société La Financière de [Localité 15] à leur payer 20 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- condamner la société Audacia à leur payer 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'acte de saisine de la cour a été signifié à M. [B] le 10 décembre 2024 par remise à l'étude de l'huissier instrumentaire. Les conclusions lui ont été signifiées le 24 janvier 2025 selon les mêmes modalités. Celui-ci n'a pas constitué avocat.
L'acte de saisine de la cour a été signifié à Mme [M] le 10 décembre 2024 par remise à domicile. Les conclusions lui ont été signifiées le 24 janvier 2025 selon les mêmes modalités. Celle-ci n'a pas constitué avocat.
L'acte de saisine de la cour a été signifié à M. [G] le 10 décembre 2024 par remise à l'étude de l'huissier instrumentaire. Les conclusions lui ont été signifiées le 24 janvier 2025 selon les mêmes modalités. Celui-ci n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 mai 2025.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux conclusions susvisées.
MOTIFS
Sur la recevabilité des prétentions de la société Audacia
MM. [P] soutiennent que la société Audacia a perdu tout intérêt à agir, n'étant plus actionnaire de la société La Vierge, de sorte que sa demande est irrecevable ; que cette demande est également irrecevable comme se heurtant au principe de l'estoppel.
La société Audacia soutient que son droit à agir doit être apprécié au jour de l'acte introductif d'instance, comme l'a déjà tranché la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 4 avril 2023.
Réponse de la cour
La recevabilité d'une demande s'apprécie au jour où elle est formée (voir par exemple Com, 6 déc. 2005, n°04-10.287, publié.
Contrairement à ce que soutient la société Audacia, l'arrêt du 4 avril 2023 n'a pas tranché la question de la recevabilité de ses prétentions, mais celle de la recevabilité de l'action en annulation de la délibération du 22 octobre 2015 qui lui était soumise par MM. [P].
La société Audacia établit elle-même par la production d'un acte de cession du 29 avril 2019 que les porteurs d'actions de la société La Vierge qu'elle représentait ont cédé l'intégralité de leurs participations à la société Financière de [Localité 15].
Pour autant, à la date de l'assignation introductive d'instance, elle représentait ces actionnaires.
MM. [P] ne démontrent pas en quoi elle se serait contredite à leur détriment au cours de l'instance.
Les prétentions de la société Audacia sont donc recevables.
Sur l'opposabilité de la décision d'annulation d'augmentation de capital
La société Financière de [Localité 15] soutient que la nullité de la délibération de l'assemblée générale du 22 octobre 2015 prononcée par la Cour de cassation lui est inopposable ; qu'en effet, elle avait formulé devant la cour d'appel de Paris une demande subsidiaire d'inopposabilité de la nullité, sur laquelle la Cour de cassation n'a pas statué et renvoyé au fond ; qu'elle a la qualité de tiers de bonne foi au sens des articles L.235-12 du code de commerce et 1844-16 du code civil, puisqu'elle était étrangère à l'instauration de la majorité du tiers par les statuts de l'entreprise en 2013, n'étant à cette date ni présidente ni associée de la société ; qu'elle n'a pas émis de vote lors de l'AGE du 22 octobre 2015, son rôle se limitant à enregistrer les votes selon les conditions de majorité préexistantes ; que sa bonne foi est présumée.
Elle fait valoir que si la nullité lui était opposable, la société La Vierge lui serait immédiatement redevable d'un million d'euros, somme qu'elle lui a apportée.
MM. [P] soutiennent que la question de l'opposabilité de l'annulation ne se pose plus, car la Cour de cassation a annulé la délibération du 22 octobre 2015 et que sa décision a effet erga omnes ; que la société Financière de [Localité 15] est désormais un tiers dans ce dossier, puisque son entrée au capital a été annulée ; que sa demande d'inopposabilité de la Financière de [Localité 15] a été définitivement jugée et est donc irrecevable ; qu'elle a déjà présenté cet argument devant la Cour de cassation via un "avis spécifique".
La société Audacia ne conclut pas sur ce point.
Réponse de la cour
Les articles 1844-16 du code civil et L. 235-12 du code de commerce, dans leur rédaction applicable à la cause, disposent en termes identiques que ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d'une nullité à l'égard des tiers de bonne foi.
Cette règle est applicable lorsqu'une juridiction annule la délibération d'un organe de la société (Com, 5 octobre 1999, n°96-20.939, publié).
L'article L. 229-149-5 du code de commerce issu de l'ordonnance du 12 mars 2025 portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés dispose que par dérogation à l'article 1844-16, la nullité de la décision d'augmentation du capital est opposable à tous les souscripteurs.
Ce texte nouveau n'est pas applicable à la cause.
Toutefois, il convient de retenir qu'en application des articles 1844-16 du code civil et L. 235-12, l'annulation d'une décision d'augmentation du capital doit être considérée comme par nature opposable aux souscripteurs, dès lors que cette décision a pour objet même de leur conférer la qualité d'associé.
Le tribunal de commerce de Paris n'a pas été saisi par la société Financière de Rennes d'une demande tendant à se voir déclarer inopposable la nullité de la délibération du 22 octobre 2015.
Cette demande a été formulée à titre subsidiaire en cause d'appel devant la cour d'appel de Paris qui, le 20 décembre 2018, n'a pas eu à statuer sur ce point dès lors qu'elle avait rejeté la demande d'annulation.
De même, statuant le 4 avril 2023, cette cour d'appel ne s'est pas prononcée sur cette demande subsidiaire, dès lors qu'elle a rejeté la demande d'annulation.
Contrairement à ce que laissent entendre MM. [P], l'arrêt de la Cour de cassation du novembre 2024 ne prononce pas sur ce point.
La demande de la société Financière de [Localité 15] ne se heurte donc à aucune autorité de chose jugée ; elle sera déclarée recevable.
Mais la délibération annulée ayant pour objet même son entrée au capital de la société, elle doit lui être déclarée opposable quand bien même, au jour du vote, elle n'avait pas acquis la qualité d'associé.
Sur la recevabilité de la demande de nomination d'un administrateur provisoire
La société Financière de [Localité 15] et la société Audacia avancent que le jugement du 13 décembre 2016 a rejeté cette demande, présentée par M. [J] [P] ; que MM. [P] ne l'ont pas formulée devant la cour d'appel de Paris ayant statué le 14 septembre 2018, ni devant cette même cour ayant statué le 10 mai 2022 ; qu'en application de l'article 915-2 du code de procédure civile (anciennement 910-4) et de l'article 631 du même code, la cour d'appel de renvoi reprend l'instruction en l'état de la procédure non atteinte par la cassation, si bien que le principe de concentration des prétentions s'applique non pas aux premières conclusions devant la cour de renvoi actuelle, mais aux premières conclusions devant la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé ; que la Cour de cassation n'a pas cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris sur le point précis du refus de désignation d'un administrateur provisoire ; que la demande est nouvelle.
MM. [P] soutiennent que l'arrêt de cassation du 15 novembre 2024 a notamment renvoyé sur le fond sur la demande de nomination d'un administrateur provisoire.
Réponse de la cour
Après une cassation, l'instruction est, aux termes de l'article 631 du code de procédure civile, reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation.
La déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation n'est pas une déclaration d'appel et n'introduit pas une nouvelle instance ; elle entraîne la poursuite de l'instance d'appel initiale, de sorte que c'est à la date de la déclaration d'appel initiale que s'apprécie la teneur du corpus de règles applicable à la procédure d'appel (2e Civ., 22 mai 2025, n° 22-22.868, publié).
Il résulte de l'arrêt du 20 décembre 2018 que les appels dirigés contre le jugement du 13 décembre 2016 ont été interjetés le 22 décembre 2016, le 20 janvier 2017 et le 7 février 2017.
Ces actes d'appel ne sont pas atteints par les cassations des 19 janvier 2022 et 15 novembre 2024.
Les dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile invoquées issues du décret du 6 mai 2017, qui a institué à peine d'irrecevabilité une obligation de concentration des prétentions dans les premières conclusions d'appel, est donc ratione temporis inapplicable à la cause.
A fortiori, les dispositions de l'article 915-2 du code de procédure civile, applicables aux appels formés à compter du 1er septembre 2024, sont inapplicables à la cause.
Ni les appelantes ni la société Audacia n'invoquent, même en substance, les dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile relatives à la recevabilité des demandes nouvelles en cause d'appel.
En revanche, l'arrêt du 20 décembre 2018 est irrévocable en ce qu'il a confirmé le chef du jugement du 13 décembre 2016 ayant écarté la demande de M. [J] [P] en nomination d'un administrateur provisoire.
Aucun élément nouveau n'est invoqué M. [J] [P], dont la demande doit en conséquence être déclarée irrecevable comme se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 20 décembre 2018.
Mais cette demande est recevable en tant qu'elle est présentée par son frère, M. [D] [P], qui a également la qualité d'associé.
Sur la nomination d'un administrateur provisoire
La société Financière de [Localité 15] et la société Audacia soutiennent que la preuve n'est pas rapportée de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société La Vierge et menaçant celle-ci d'un péril imminent ; que la Financière de [Localité 15] a réussi à redresser la situation financière du groupe ; qu'il n'existe pas de paralysie du fonctionnement de la société ; que si un administrateur était nécessaire pour tirer les conséquences de l'arrêt de la Cour de cassation, il pourrait être désigné à l'occasion d'une nouvelle instance ; que l'objectif de MM. [P] est de remettre en cause neuf années de décisions collectives par des nullités en cascade, ce qui conduirait la société La Vierge au dépôt de bilan.
M. [D] [P] fait valoir que l'annulation de l'assemblée générale extraordinaire par la Cour de cassation provoque la nullité en cascade de tous les actes de gestion et de toutes les délibérations auxquelles la société Financière de [Localité 15] a participé ; qu'un administrateur est indispensable pour gérer les conséquences de cette annulation et remettre les parties en l'état où elles étaient avant cette assemblée générale, révoquer le président, obtenir l'annulation du protocole transactionnel du 17 mai 2018. Il expose que les statuts de la société n'ont pas été mis à jour depuis la décision de l'assemblée plénière du 15 novembre 2024 ; que dans un dossier connexe, le 4 avril 2024, la cour d'appel de Paris a nommé Mme [O] [X] administrateur.
Réponse de la cour
Le juge ne saurait désigner un administrateur provisoire à une société qu'à la double condition d'une paralysie des organes sociaux et d'un péril imminent.
Il est constant que la société Financière de [Localité 15], que le présent litige oppose à certains des actionnaires de la société La Vierge depuis l'introduction de l'instance le 24 novembre 2015, soit depuis près de dix ans, a toujours la qualité de présidente de la société.
Le 4 avril 2024, en référé, au visa de l'article 956 du code de procédure civile et de l'urgence, le premier président de la cour d'appel de Paris a désigné à la société un mandataire ad hoc, à savoir la société AJRS, en la personne de Mme [X], administrateur judiciaire, afin de représenter la société dans l'instance opposant la société Financière de Rennes à M. [J] [P], agissant ut singuli en réparation de fautes de gestion.
Il est constant que les parties s'opposent sur la répartition même du capital de la société La Vierge résultant de l'arrêt de cassation du 15 novembre 2024 ; que cette société holding détient des participations dans plusieurs sociétés opérationnelles exploitant des boulangeries, lesquelles emploient des salariés.
Est ainsi caractérisée une paralysie des organes sociaux appelant une action urgente.
Il convient en conséquence d'accueillir la demande de nomination d'un administrateur provisoire selon les modalités précisées au dispositif.
Pour prévenir tout blocage, la provision à valoir sur la rémunération de l'administrateur judiciaire sera à la charge de MM. [P].
Sur les demandes indemnitaires
MM. [P] soutiennent que le comportement des sociétés Financière de [Localité 15] et Audacia est dilatoire et abusif.
La société Financière de Rennes fait valoir que la saisine de la cour d'appel de Versailles résulte simplement du renvoi ordonné par la Cour de cassation.
La société Audacia ne conclut pas sur la demande indemnitaire de MM. [P].
Réponse de la cour
Il ne peut être reproché aux appelantes d'avoir saisi la cour d'appel de Versailles dès lors que la Cour de cassation a opéré un renvoi devant cette juridiction.
MM. [P] n'invoquent de surcroît aucun préjudice au soutien de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive dirigées contre la société Audacia d'une part, la société Financière de [Localité 15] d'autre part.
Ces demandes indemnitaires ne peuvent en conséquence qu'être écartées.
Sur les demandes accessoires
Il n'est pas loisible aux parties privées de solliciter la condamnation de leur adversaire à l'amende civile prévue à l'article 32-1 du code de procédure civile.
L'équité commande de mettre les dépens solidairement à la charge des sociétés Financière de [Localité 15] et Audacia et d'allouer à MM. [P] l'indemnité de procédure prévue au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant par défaut,
Dit recevables les prétentions de la société Audacia ;
Dit l'annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital du 22 octobre 2015 prononcée par la Cour de cassation le 15 novembre 2024 opposable à la société Financière de [Localité 15] ;
Dit irrecevable la demande de M. [J] [P] en nomination d'un administrateur provisoire ;
Dit recevable cette demande en tant qu'elle est formulée par M. [D] [P] ;
Désigne la société AJRS, en la personne de Mme [X], en qualité d'administrateur provisoire de la société La Vierge, avec pour mission de :
- déterminer l'actionnariat actuel de la société ;
- mettre ses statuts en conformité avec la règle de majorité affirmée par la Cour de cassation ;
- convoquer et présider une assemblée générale en vue de la révision des statuts et de la nomination d'un nouveau président ;
- prendre toute mesure utile à la préservation des droits de la société ;
- dresser rapport de sa mission ;
Dit qu'en cas de difficulté dans l'accomplissement de cette mission, de nécessité de la prolonger, de la faire évoluer ou de procéder à son remplacement, l'administrateur provisoire pourra saisir le président du tribunal des activités économiques de Paris sur requête ;
Dit que les actionnaires de la société pourront saisir aux mêmes fins le juge des référés du tribunal des activités économiques de Paris ;
Fixe à 2 500 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'administrateur provisoire ;
Dit que cette provision sera versée par MM. [P] entre les mains de l'administrateur provisoire dans le délai de deux mois du prononcé du présent arrêt ;
Dit que la mission de l'administrateur provisoire, d'une durée de quatre mois, débutera au jour du versement de cette provision ;
Dit que les honoraires de l'administrateur provisoire seront taxés sur sa requête par le président du tribunal des activités économiques de Paris ;
Rejette les demandes de dommages-intérêts ;
Condamne solidairement les sociétés Audacia et Financière de [Localité 15] aux dépens d'appel ;
Condamne la société Financière de [Localité 15] à verser à MM. [P] la somme globale de 15 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ;
Dit irrecevable la demande d'amende civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Françoise DUCAMIN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT