CA Montpellier, ch. com., 9 septembre 2025, n° 24/00285
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 09 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/00285 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QC6K
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 21 NOVEMBRE 2023
TRIBUNAL DE COMMERCE DE RODEZ
N° RG 2022 00140
APPELANTE :
SAS CABINET [N] prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Eric NEGRE substituant Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Julien DUFET, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A.S. GOODWILL à laquelle vient aux droits la société IT SYSTEMES dont le siège social est sis [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Nolwenn ROBERT de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Aude DUCRET, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante
Ordonnance de clôture du 21 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Juin 2025,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Fabrice VETU, conseiller, chargé du rapport.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.
FAITS et PROCEDURE
Le 8 avril 2021, la SAS Cabinet [N] a accepté un devis de la SAS Goodwill d'un montant de 2 400 euros TTC aux fins de réaliser un audit préalable à une intervention de digitalisation du cabinet comptable.
Cet audit a été réalisé le 20 avril 2021 dans les locaux du cabinet [N].
Le 10 mai 2021, la société Goodwill lui a transmis le résultat de son audit dans un document intitulé « schéma directeur » comprenant 15 étapes divisées en 6 phases budgétisées.
Le 19 mai 2021, le cabinet [N] a validé un devis d'un montant total de 21 318 euros TTC mettant en 'uvre l'ensemble des étapes à l'exception de celles numérotées 7 et 9.
À ce titre, un acompte de 30% soit, 3 695,40 euros, a été versé.
Le Cabinet [N] a par ailleurs indiqué à la société Goodwill vouloir bénéficier de l'application « power apps Nestor » répertoriée à l'étape n°15.
Le 8 novembre 2021, la société Goodwill a facturé les étapes 1 à 6 au Cabinet [N] qui les a réglées.
Le 10 novembre 2021, la société Goodwill a adressé un devis actualisé pour les étapes 8 à 12 d'un montant cette fois de 27 894 euros TTC en raison de l'incompatibilité des API du logiciel Agiris, utilisé par le Cabinet [N], et l'application Microsoft Teams.
Le 3 mars 2022, la SAS Cabinet [N] a mis en demeure la société Goodwill de mener sa mission dans les conditions contractuelles initiales ou de procéder au remboursement intégral des sommes déjà versées.
Par exploit du 5 juillet 2022, la société Cabinet [N] a assigné la société Goodwill en résolution judiciaire du contrat et en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement contradictoire du 21 novembre 2023, le tribunal de commerce de Rodez a prononcé la résiliation en l'état du contrat,condamné la société Cabinet [N] à payer à la société Goodwill la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamné la société Cabinet [N] aux entiers dépens.
Par déclaration du 16 janvier 2024, la SAS Cabinet [N] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 20 février 2025, elle demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1193, 1194, 1195, 1217, 1218, 1223, 1227, 1229, 1231-1, 1353 du code civil et de l'article 9 du code de procédure civile, de :
déclare son appel recevable et bien fondé ;
la juger recevable et bien fondée en ses demandes.
Y faisant droit :
juger que le contrat n'a pas été négocié, formé et exécuté de bonne foi par la société Goodwill ; que la société IT Systèmes (venant aux droits de la société Goodwill) ne rapporte pas la preuve d'un cas de force majeure et pas davantage la preuve d'un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat et rendant l'exécution excessivement onéreuse pour cette dernière ; que la société Goodwill n'était aucunement empêchée d'exécuter ses obligations ; que l'engagement de la société Goodwill a été imparfaitement exécuté envers elle ; que les quelques prestations réalisées par la société Goodwill ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du projet commandé et validé par elle ; que la société IT Systèmes (venant aux droits de la société Goodwill) a manqué à ses obligations contractuelles, professionnelles et légales, notamment d'information, de mise en garde, de conseil, de loyauté et de bonne foi ;
En conséquence :
réformer le jugement déféré ;
Statuant à nouveau :
prononcer la résolution judiciaire du contrat les liant ;
condamner la société IT Systèmes (venant aux Droits de la société Goodwill) au paiement des sommes suivantes :
10 254 euros TTC au titre du remboursement des sommes d'ores et déjà acquittées par elle ;
6 500 euros à titre de dommages et intérêts destinés à réparer intégralement les conséquences de l'inexécution fautive de la société Goodwill ;
Et en toutes hypothèses :
ordonner la restitution par la société IT Systèmes (venant aux droits de la société Goodwill) de la somme de 1 500 euros versée au titre de la condamnation aux frais irrépétibles de première instance ;
condamner la société IT Systèmes (venant aux Droits de la société Goodwill) au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par conclusions du 4 mars 2025, la société IT Systèmes,venant aux droits de la société Goodwill, demande à la cour, au visa des articles 1104 et suivants, 1195 et 1186 du code civil et de l'article 700 du code de procédure civile, de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter le cabinet [N] de l'ensemble de ses demandes, et de le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 21 mai 2025.
MOTIFS
Sur l'existence de causes exonératoires de responsabilité
Moyens des parties :
1. La SAS Cabinet [N] fait valoir que, manifestement, la SAS Goodwill a usé, tout au long des relations contractuelles, de man'uvres déloyales en exposant des excuses fallacieuses pour tenter de légitimer ses carences, tout en exerçant un chantage financier inapproprié dans l'objectif de poursuivre l'exécution du projet commandé ; et que la SAS Goodwill n'a plus jamais effectué le travail pour lequel elle avait déjà été facturée, pour lequel il lui avait été promis « une solution complète et clé en main » ainsi qu'une « une vision globale du coût maximal du projet ».
2. S'agissant du changement de circonstances alléguées par son cocontractant qui auraient été imprévisibles, l'appelante fait valoir que :
l'article de presse versé aux débats par la SAS Goodwill précise en réalité que « plus de 90% des entreprises ont rapporté un incident de sécurité lié aux API en 2020 », c'est-à-dire, bien avant la conclusion du contrat pour lequel elle s'est engagée ;
la société Agiris n'a jamais décidé, durant l'été 2021, de modifier ses conditions d'interconnexion entre leurs logiciels et l'environnement global Microsoft, de sorte que l'argumentation de la SAS Godwill, qui n'a jamais produit d'élément permettant de prouver que des modifications des interfaces étaient nécessaires, est parfaitement mensongère et inopérante ;
même si les deux premiers éléments étaient avérés, la société IT Systèmes, venant aux droits de la SAS Goodwill, n'apporte pas la preuve que l'exécution du contrat lui était devenue excessivement onéreuse en méconnaissance de l'article 1195 du code civil.
3. Enfin, la SAS Cabinet [N] soutient que la force majeure invoquée par l'intimée fait totalement défaut dès lors l'évènement dont elle invoquait la survenance n'échappait pas à son contrôle et pouvait parfaitement être évitée par des mesures appropriées qu'elle proposait elle-même de mettre en 'uvre, moyennant une augmentation tarifaire substantielle.
4. La SAS Goodwill, pour s'exonérer de toute responsabilité plaide :
d'une part, l'absence de toute faute de sa part dans l'exécution du contrat et rappelle qu'elle a informé l'appelante, de bonne foi et en toute transparence, que la solution initialement validée ne pouvait plus être réalisée; et que cette circonstance était totalement indépendante de la volonté de la société IT Systèmes ;
d'autre part, qu'elle a proposé une nouvelle solution technique appropriée et fonctionnelle afin de permettre l'interconnexion avec les logiciels métiers dont Ageris et que cette solution a d'ailleurs été acceptée par de nombreux autres clients.
Réponse de la cour :
5. Aux écritures des parties, il est invoqué deux causes exonératoires de responsabilité, à savoir, le changement de circonstances imprévisible et la force majeure.
6. S'agissant de la force majeure, aux termes de l'article 1218 du code civil, celle-ci existe en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
7. En outre, si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue, à moins que le retard qui en résulterait, ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.
8. En l'espèce, l'appelante fait valoir exactement que la SAS Goodwill ne saurait se prévaloir de la force majeure dans ses rapports contractuels avec elle, dès lors qu'elle lui a proposé une autre solution moyennant une augmentation du prix de la prestation finale sans jamais s'étendre sur l'évènement qui empêcherait l'exécution du contrat, sauf à employer des termes généraux, ou techniques, mais qui, en tout état de cause, n'apportent aucune certitude sur ledit évènement.
9. Elle ne justifie donc pas avoir jamais été mise dans l'impossibilité, même temporaire, de réaliser la prestation.
10. Ainsi, dans un message électronique adressé a la SAS Cabinet [N] le 10 décembre 2021, la SAS Goodwill, après avoir assuré son interlocuteur de sa totale compréhension des raisons de son mécontentement et du sentiment mitigé sur le projet qui pouvait être le sien, explique :
« Les périodes successives de COVID ont fait prendre conscience aux éditeurs la nécessité d'évoluer, de changer ou de se révolutionner.
[']
Pour conclure, je me permets aussi de présenter nos excuses pour ces quelques semaines de tâtonnement ou nous n'avions pas la capacité d'être réactifs. Nous étions à 100% concentrés sur les clients en phase avancée de déploiement et pour lesquels nous avons rencontré des difficultés importantes avec les évolutions majeures des outils de production. Aujourd'hui, nous sommes prêts à nous investir totalement dans votre projet.
[']
A ce jour, nous avons réalisé, mis en 'uvre et livré les fondations d'une informatique d'entreprise moderne et sécurisée. Ses étapes sont essentielles pour tout projet informatique.
[']
Nous souhaitons mener à bien votre projet, nous vous garantissons que nous maîtrisons totalement ce nouveau périmètre et nous nous engageons à faire de votre cabinet une structure digitalisée et efficiente ».
11. Il en résulte que le désinvestissement de la SAS Goodwill dans la poursuite du projet procédait d'un choix de s'occuper d'autres clients et que des solutions, enfin maîtrisées, avaient pu être trouvées, en quelques semaines, afin de livrer « une structure digitalisée et efficiente ».
12. Il n'est dès lors pas rapporté la preuve de l'existence d'un évènement, non-imputable à la SAS Goodwill, celui-ci étant seulement évoqué, et il n'est pas davantage démontré l'existence d'un évènement irrésistible et imprévisible empêchant l'exécution de la prestation.
13. La SAS Goodwill ne peut se prévaloir de la force majeure pour prétendre s'exonérer de sa responsabilité contractuelle.
14. Selon l'article 1195 du code civil, si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant.
15. Il appartient à celui qui invoque une telle imprévision de démontrer, d'une part, « un changement de circonstance imprévisible », dont les cocontractants n'avaient pas accepté « d'assumer le risque » lors de la conclusion du contrat, c'est-à-dire une évolution des circonstances qui doit être extérieure au débiteur, mais peut être de nature diverse, d'autre part, une exécution que ces circonstances ont rendu « excessivement onéreuse » pour cette partie.
16. En l'espèce, en premier lieu, la SAS Goodwill n'apporte la preuve de la survenance de circonstances imprévisibles dont elle n'avait pas accepté d'assumer le risque, les lettres de deux experts-comptables (pièce numéros 8 et 9) ayant accepté l'augmentation du coût de la prestation initialement convenue, ne pouvant en faire office.
17. En second lieu, cette société est également défaillante à rapporter la preuve de ce que la poursuite de l'exécution du contrat, telle que prévue à l'origine par les parties dans ses différentes phases, lui devenait excessivement onéreuse.
18. Enfin, il sera fait observer qu'aucune demande de renégociation du contrat n'a été proposée à la SAS Cabinet [N] au mépris des dispositions de l'article 1195 précité.
19. En effet, seuls des devis, toujours plus onéreux, se sont succédés, jusqu'au message électronique du 10 décembre 2021 précité adressé à « Monsieur [N] » faisant appel à son esprit de dirigeant pour comprendre qu'il est impossible de travailler à perte et qu'il devient nécessaire de revoir les engagements tarifaires précédemment souscrits.
20. Il est inopérant en conséquence de se prévaloir d'une renégociation du contrat sur le fondement de l'article 1195 du code civil, dont les conditions ne sont en aucune façon réunies.
21. Aucune cause exonératoire de responsabilité contractuelle ne peut servir la cause de la SAS Goodwill. A défaut, il y a lieu d'examiner le sort du contrat imparfaitement exécuté.
Sur le sort du contrat
Moyens des parties :
22. La SAS Cabinet [N], en vue d'obtenir la résolution du contrat fait valoir :
que par courriel daté du 10 décembre 2021, la société Goodwill a décidé unilatéralement de suspendre le rendez-vous fixé au 17 décembre 2021, échéance qu'elle attendait pourtant depuis plusieurs mois afin d'avancer dans l'architecture de la solution ;
que son prestataire, invoquant de prétendus « changements majeurs dans les principaux outils » ainsi que la soi-disant découverte « de nouvelles contraintes », son dirigeant a tenté (pour la quatrième fois) d'imposer un énième engagement tarifaire ;
qu'à la suite de nombreux échanges et pour mettre fin au litige, la SAS Goodwill a proposé, soit de de continuer la prestation, tout en précisant qu'elle ne fonctionnerait pas avec les outils tiers du cabinet (ce qui était pourtant tout l'intérêt de ladite prestation et l'essence même du contrat), soit un « avoir » d'un montant de 3 927 euros TTC avec un remboursement sous un délai maximum de soixante (60) jours, alors même qu'elle avait d'ores et déjà versé la somme totale de 10 254 euros TTC.
23. L'appelante conclut que manifestement, la SAS Goodwill a usé, tout au long des relations contractuelles, de man'uvres déloyales en exposant des excuses fallacieuses pour tenter de légitimer ses carences, tout en exerçant un chantage, le tout, sans effectuer le travail pour lequel elle avait d'ores et déjà été payée en regard d'une promesse d'une solution complète et clé en main qu'elle a attendue en vain.
24. L'intimée réplique qu'en application de l'article 1186 du code civil, le contrat est devenu caduc dès lors que l'une de ses obligations essentielles, (la mise en place d'une plateforme collaborative) ne pouvait plus être réalisée selon les modalités d'exécution de ce contrat, tant techniques que financières.
25. Dans l'hypothèse où il serait fait droit à cette demande de résolution judiciaire, la SAS Goodwill rappelle que les sommes versées pour l'audit préalable sont totalement indépendantes du projet prévu au contrat dont il est demandé la résolution judiciaire et qu'en outre, les phases réalisées ont une utilité indépendante de la mise en 'uvre totale du projet et sont d'ailleurs utilisées par le cabinet comptable.
26. Enfin, à titre subsidiaire, s'il était reconnu l'existence d'une inexécution fautive, l'intimée invoque l'absence de préjudice pour la SAS Cabinet [N] dans la mesure où les phases suivantes du projet n'auraient pas été mises en 'uvre, n'engageant ainsi aucuns frais ou désagrément pour ce cabinet, lequel a poursuivi ses activités au quotidien, sans être en rien impactée par l'arrêt du projet.
Réponse de la cour :
27. Selon l'article 1186 du code civil :
« Un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît.
Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie.
La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement. »
28. Ainsi, l'application de ce texte est subordonnée à la disparition fortuite d'un élément essentiel du contrat.
29. Or, comme il est dit supra, s'il est affirmé par la SAS Goodwill qu'une circonstance indépendante de la volonté de la société IT Systèmes aurait rendu totalement obsolète la solution technique initialement proposée, laquelle, de fait, n'avait plus aucune utilité et perdait son objectif principal, à savoir, la mise en place d'une plateforme collaborative, aucune production ne vient justifier l'existence d'un tel changement technique et, a fortiori, la disparition d'un élément essentiel du contrat.
30. Les conditions de la caducité du contrat ne sont pas réunies et il y a lieu de réformer le jugement déféré sur ce point.
31. Aux termes de l'article 1217 du code civil :
« La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter. »
32. Les parties s'accordent sur la réalisation par la SAS Goodwill des phases une à six d'un projet qui en comportait quinze et pour lequel, la SAS Cabinet [N] avait donné son accord, exception faites des phases sept et neuf (pièce n°4 de l'intimée : devis du 19 mai 2021 signé par l'appelante).
Les parties s'accordent également sur l'absence de réalisation de l'entier projet, lequel a avorté lorsque la SAS Goodwil a entendu faire accepter un devis final (le quatrième) comportant paiement d'une somme supplémentaire de plus de 6 000 euros.
33. Dès lors, la résolution du contrat sera prononcée aux torts de la SAS Goodwill.
34. En ce qui concerne les conséquences de cette résolution, si l'appelante affirme que l'exécution desdites premières phases étaient défectueuses, elle n'en rapporte pas la preuve.
35. L'appelante se réfère néanmoins à bon droit aux dispositions du troisième alinéa de l'article 1229 du code civil énonçant que « Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre ».
36. En effet, selon l'intimée elle-même (en page 4 de ses écritures), ces six premières phases étaient dédiées à l'installation « des fondations », c'est-à-dire à des prérequis indispensables pour tout projet de digitalisation et celle de la sécurisation « indispensable elle aussi à tout projet technique souhaité par le cabinet en l'occurrence la création d'une plateforme collaborative performante permettant d'interconnecter tous les outils métiers utilisés par le cabinet entre eux ; la dernière étape (n°15), intitulée « automatisation » étant la phase finale permettant cette interconnexion ».
37. Ainsi, au regard des propres explications de la SAS Goodwill, l'exécution des phases une à six ne trouvaient leur utilité qu'en regard de l'entière digitalisation du cabinet d'expertise comptable, c'est-à-dire, l'exécution complète du contrat, laquelle n'est pourtant jamais intervenue.
38. La résolution du contrat litigieux sera donc prononcée avec restitution de l'intégralité des prestations échangées, soit la somme de 7 854 euros, à laquelle s'ajoute la somme de 2 400 euros, afférente à l'audit préalable au contrat de prestation du 20 avril 2021, laquelle a également été engagée en vue d'obtenir la digitalisation complète du cabinet, l'intimée ne sollicitant pour sa part aucune restitution spécifique.
39. La décision sera réformée en ce sens.
40. S'agissant des dommages et intérêts sollicités à hauteur de 6 500 euros, l'appelante est fondée à invoquer la « perte d'énergie, de temps et d'argent dans la mise en place du projet souhaité », soit divers tracas qui seront entièrement réparés par l'octroi de la somme de 2 000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Prononce la résiliation du contrat liant la SAS Goodwill et la SAS Cabinet [N] et de la convention d'audit préalable nécessaire,
Condamne la SAS IT Systèmes, venant aux droits de la SAS Goowill, à payer la somme de 10 254 euros à la SAS Cabinet [N] à titre de restitution du prix et celle de 2 000 € à titre de dommages et intérêts,
Condamne la SAS IT Systèmes, venant aux droits de la SAS Goowill, aux dépens de première instance et d'appel,
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SAS IT Systèmes, venant aux droits de la SAS Goowill, et la condamne à payer à la SAS Cabinet [N] la somme de 3 000 euros.
La greffière La présidente
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 09 SEPTEMBRE 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 24/00285 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QC6K
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 21 NOVEMBRE 2023
TRIBUNAL DE COMMERCE DE RODEZ
N° RG 2022 00140
APPELANTE :
SAS CABINET [N] prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Eric NEGRE substituant Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Julien DUFET, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A.S. GOODWILL à laquelle vient aux droits la société IT SYSTEMES dont le siège social est sis [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Nolwenn ROBERT de la SELARL PVB SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Aude DUCRET, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante
Ordonnance de clôture du 21 Mai 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Juin 2025,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Fabrice VETU, conseiller, chargé du rapport.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Elodie CATOIRE
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Elodie CATOIRE, greffière.
FAITS et PROCEDURE
Le 8 avril 2021, la SAS Cabinet [N] a accepté un devis de la SAS Goodwill d'un montant de 2 400 euros TTC aux fins de réaliser un audit préalable à une intervention de digitalisation du cabinet comptable.
Cet audit a été réalisé le 20 avril 2021 dans les locaux du cabinet [N].
Le 10 mai 2021, la société Goodwill lui a transmis le résultat de son audit dans un document intitulé « schéma directeur » comprenant 15 étapes divisées en 6 phases budgétisées.
Le 19 mai 2021, le cabinet [N] a validé un devis d'un montant total de 21 318 euros TTC mettant en 'uvre l'ensemble des étapes à l'exception de celles numérotées 7 et 9.
À ce titre, un acompte de 30% soit, 3 695,40 euros, a été versé.
Le Cabinet [N] a par ailleurs indiqué à la société Goodwill vouloir bénéficier de l'application « power apps Nestor » répertoriée à l'étape n°15.
Le 8 novembre 2021, la société Goodwill a facturé les étapes 1 à 6 au Cabinet [N] qui les a réglées.
Le 10 novembre 2021, la société Goodwill a adressé un devis actualisé pour les étapes 8 à 12 d'un montant cette fois de 27 894 euros TTC en raison de l'incompatibilité des API du logiciel Agiris, utilisé par le Cabinet [N], et l'application Microsoft Teams.
Le 3 mars 2022, la SAS Cabinet [N] a mis en demeure la société Goodwill de mener sa mission dans les conditions contractuelles initiales ou de procéder au remboursement intégral des sommes déjà versées.
Par exploit du 5 juillet 2022, la société Cabinet [N] a assigné la société Goodwill en résolution judiciaire du contrat et en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement contradictoire du 21 novembre 2023, le tribunal de commerce de Rodez a prononcé la résiliation en l'état du contrat,condamné la société Cabinet [N] à payer à la société Goodwill la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamné la société Cabinet [N] aux entiers dépens.
Par déclaration du 16 janvier 2024, la SAS Cabinet [N] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions du 20 février 2025, elle demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1193, 1194, 1195, 1217, 1218, 1223, 1227, 1229, 1231-1, 1353 du code civil et de l'article 9 du code de procédure civile, de :
déclare son appel recevable et bien fondé ;
la juger recevable et bien fondée en ses demandes.
Y faisant droit :
juger que le contrat n'a pas été négocié, formé et exécuté de bonne foi par la société Goodwill ; que la société IT Systèmes (venant aux droits de la société Goodwill) ne rapporte pas la preuve d'un cas de force majeure et pas davantage la preuve d'un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat et rendant l'exécution excessivement onéreuse pour cette dernière ; que la société Goodwill n'était aucunement empêchée d'exécuter ses obligations ; que l'engagement de la société Goodwill a été imparfaitement exécuté envers elle ; que les quelques prestations réalisées par la société Goodwill ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du projet commandé et validé par elle ; que la société IT Systèmes (venant aux droits de la société Goodwill) a manqué à ses obligations contractuelles, professionnelles et légales, notamment d'information, de mise en garde, de conseil, de loyauté et de bonne foi ;
En conséquence :
réformer le jugement déféré ;
Statuant à nouveau :
prononcer la résolution judiciaire du contrat les liant ;
condamner la société IT Systèmes (venant aux Droits de la société Goodwill) au paiement des sommes suivantes :
10 254 euros TTC au titre du remboursement des sommes d'ores et déjà acquittées par elle ;
6 500 euros à titre de dommages et intérêts destinés à réparer intégralement les conséquences de l'inexécution fautive de la société Goodwill ;
Et en toutes hypothèses :
ordonner la restitution par la société IT Systèmes (venant aux droits de la société Goodwill) de la somme de 1 500 euros versée au titre de la condamnation aux frais irrépétibles de première instance ;
condamner la société IT Systèmes (venant aux Droits de la société Goodwill) au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par conclusions du 4 mars 2025, la société IT Systèmes,venant aux droits de la société Goodwill, demande à la cour, au visa des articles 1104 et suivants, 1195 et 1186 du code civil et de l'article 700 du code de procédure civile, de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter le cabinet [N] de l'ensemble de ses demandes, et de le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 21 mai 2025.
MOTIFS
Sur l'existence de causes exonératoires de responsabilité
Moyens des parties :
1. La SAS Cabinet [N] fait valoir que, manifestement, la SAS Goodwill a usé, tout au long des relations contractuelles, de man'uvres déloyales en exposant des excuses fallacieuses pour tenter de légitimer ses carences, tout en exerçant un chantage financier inapproprié dans l'objectif de poursuivre l'exécution du projet commandé ; et que la SAS Goodwill n'a plus jamais effectué le travail pour lequel elle avait déjà été facturée, pour lequel il lui avait été promis « une solution complète et clé en main » ainsi qu'une « une vision globale du coût maximal du projet ».
2. S'agissant du changement de circonstances alléguées par son cocontractant qui auraient été imprévisibles, l'appelante fait valoir que :
l'article de presse versé aux débats par la SAS Goodwill précise en réalité que « plus de 90% des entreprises ont rapporté un incident de sécurité lié aux API en 2020 », c'est-à-dire, bien avant la conclusion du contrat pour lequel elle s'est engagée ;
la société Agiris n'a jamais décidé, durant l'été 2021, de modifier ses conditions d'interconnexion entre leurs logiciels et l'environnement global Microsoft, de sorte que l'argumentation de la SAS Godwill, qui n'a jamais produit d'élément permettant de prouver que des modifications des interfaces étaient nécessaires, est parfaitement mensongère et inopérante ;
même si les deux premiers éléments étaient avérés, la société IT Systèmes, venant aux droits de la SAS Goodwill, n'apporte pas la preuve que l'exécution du contrat lui était devenue excessivement onéreuse en méconnaissance de l'article 1195 du code civil.
3. Enfin, la SAS Cabinet [N] soutient que la force majeure invoquée par l'intimée fait totalement défaut dès lors l'évènement dont elle invoquait la survenance n'échappait pas à son contrôle et pouvait parfaitement être évitée par des mesures appropriées qu'elle proposait elle-même de mettre en 'uvre, moyennant une augmentation tarifaire substantielle.
4. La SAS Goodwill, pour s'exonérer de toute responsabilité plaide :
d'une part, l'absence de toute faute de sa part dans l'exécution du contrat et rappelle qu'elle a informé l'appelante, de bonne foi et en toute transparence, que la solution initialement validée ne pouvait plus être réalisée; et que cette circonstance était totalement indépendante de la volonté de la société IT Systèmes ;
d'autre part, qu'elle a proposé une nouvelle solution technique appropriée et fonctionnelle afin de permettre l'interconnexion avec les logiciels métiers dont Ageris et que cette solution a d'ailleurs été acceptée par de nombreux autres clients.
Réponse de la cour :
5. Aux écritures des parties, il est invoqué deux causes exonératoires de responsabilité, à savoir, le changement de circonstances imprévisible et la force majeure.
6. S'agissant de la force majeure, aux termes de l'article 1218 du code civil, celle-ci existe en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
7. En outre, si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue, à moins que le retard qui en résulterait, ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.
8. En l'espèce, l'appelante fait valoir exactement que la SAS Goodwill ne saurait se prévaloir de la force majeure dans ses rapports contractuels avec elle, dès lors qu'elle lui a proposé une autre solution moyennant une augmentation du prix de la prestation finale sans jamais s'étendre sur l'évènement qui empêcherait l'exécution du contrat, sauf à employer des termes généraux, ou techniques, mais qui, en tout état de cause, n'apportent aucune certitude sur ledit évènement.
9. Elle ne justifie donc pas avoir jamais été mise dans l'impossibilité, même temporaire, de réaliser la prestation.
10. Ainsi, dans un message électronique adressé a la SAS Cabinet [N] le 10 décembre 2021, la SAS Goodwill, après avoir assuré son interlocuteur de sa totale compréhension des raisons de son mécontentement et du sentiment mitigé sur le projet qui pouvait être le sien, explique :
« Les périodes successives de COVID ont fait prendre conscience aux éditeurs la nécessité d'évoluer, de changer ou de se révolutionner.
[']
Pour conclure, je me permets aussi de présenter nos excuses pour ces quelques semaines de tâtonnement ou nous n'avions pas la capacité d'être réactifs. Nous étions à 100% concentrés sur les clients en phase avancée de déploiement et pour lesquels nous avons rencontré des difficultés importantes avec les évolutions majeures des outils de production. Aujourd'hui, nous sommes prêts à nous investir totalement dans votre projet.
[']
A ce jour, nous avons réalisé, mis en 'uvre et livré les fondations d'une informatique d'entreprise moderne et sécurisée. Ses étapes sont essentielles pour tout projet informatique.
[']
Nous souhaitons mener à bien votre projet, nous vous garantissons que nous maîtrisons totalement ce nouveau périmètre et nous nous engageons à faire de votre cabinet une structure digitalisée et efficiente ».
11. Il en résulte que le désinvestissement de la SAS Goodwill dans la poursuite du projet procédait d'un choix de s'occuper d'autres clients et que des solutions, enfin maîtrisées, avaient pu être trouvées, en quelques semaines, afin de livrer « une structure digitalisée et efficiente ».
12. Il n'est dès lors pas rapporté la preuve de l'existence d'un évènement, non-imputable à la SAS Goodwill, celui-ci étant seulement évoqué, et il n'est pas davantage démontré l'existence d'un évènement irrésistible et imprévisible empêchant l'exécution de la prestation.
13. La SAS Goodwill ne peut se prévaloir de la force majeure pour prétendre s'exonérer de sa responsabilité contractuelle.
14. Selon l'article 1195 du code civil, si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant.
15. Il appartient à celui qui invoque une telle imprévision de démontrer, d'une part, « un changement de circonstance imprévisible », dont les cocontractants n'avaient pas accepté « d'assumer le risque » lors de la conclusion du contrat, c'est-à-dire une évolution des circonstances qui doit être extérieure au débiteur, mais peut être de nature diverse, d'autre part, une exécution que ces circonstances ont rendu « excessivement onéreuse » pour cette partie.
16. En l'espèce, en premier lieu, la SAS Goodwill n'apporte la preuve de la survenance de circonstances imprévisibles dont elle n'avait pas accepté d'assumer le risque, les lettres de deux experts-comptables (pièce numéros 8 et 9) ayant accepté l'augmentation du coût de la prestation initialement convenue, ne pouvant en faire office.
17. En second lieu, cette société est également défaillante à rapporter la preuve de ce que la poursuite de l'exécution du contrat, telle que prévue à l'origine par les parties dans ses différentes phases, lui devenait excessivement onéreuse.
18. Enfin, il sera fait observer qu'aucune demande de renégociation du contrat n'a été proposée à la SAS Cabinet [N] au mépris des dispositions de l'article 1195 précité.
19. En effet, seuls des devis, toujours plus onéreux, se sont succédés, jusqu'au message électronique du 10 décembre 2021 précité adressé à « Monsieur [N] » faisant appel à son esprit de dirigeant pour comprendre qu'il est impossible de travailler à perte et qu'il devient nécessaire de revoir les engagements tarifaires précédemment souscrits.
20. Il est inopérant en conséquence de se prévaloir d'une renégociation du contrat sur le fondement de l'article 1195 du code civil, dont les conditions ne sont en aucune façon réunies.
21. Aucune cause exonératoire de responsabilité contractuelle ne peut servir la cause de la SAS Goodwill. A défaut, il y a lieu d'examiner le sort du contrat imparfaitement exécuté.
Sur le sort du contrat
Moyens des parties :
22. La SAS Cabinet [N], en vue d'obtenir la résolution du contrat fait valoir :
que par courriel daté du 10 décembre 2021, la société Goodwill a décidé unilatéralement de suspendre le rendez-vous fixé au 17 décembre 2021, échéance qu'elle attendait pourtant depuis plusieurs mois afin d'avancer dans l'architecture de la solution ;
que son prestataire, invoquant de prétendus « changements majeurs dans les principaux outils » ainsi que la soi-disant découverte « de nouvelles contraintes », son dirigeant a tenté (pour la quatrième fois) d'imposer un énième engagement tarifaire ;
qu'à la suite de nombreux échanges et pour mettre fin au litige, la SAS Goodwill a proposé, soit de de continuer la prestation, tout en précisant qu'elle ne fonctionnerait pas avec les outils tiers du cabinet (ce qui était pourtant tout l'intérêt de ladite prestation et l'essence même du contrat), soit un « avoir » d'un montant de 3 927 euros TTC avec un remboursement sous un délai maximum de soixante (60) jours, alors même qu'elle avait d'ores et déjà versé la somme totale de 10 254 euros TTC.
23. L'appelante conclut que manifestement, la SAS Goodwill a usé, tout au long des relations contractuelles, de man'uvres déloyales en exposant des excuses fallacieuses pour tenter de légitimer ses carences, tout en exerçant un chantage, le tout, sans effectuer le travail pour lequel elle avait d'ores et déjà été payée en regard d'une promesse d'une solution complète et clé en main qu'elle a attendue en vain.
24. L'intimée réplique qu'en application de l'article 1186 du code civil, le contrat est devenu caduc dès lors que l'une de ses obligations essentielles, (la mise en place d'une plateforme collaborative) ne pouvait plus être réalisée selon les modalités d'exécution de ce contrat, tant techniques que financières.
25. Dans l'hypothèse où il serait fait droit à cette demande de résolution judiciaire, la SAS Goodwill rappelle que les sommes versées pour l'audit préalable sont totalement indépendantes du projet prévu au contrat dont il est demandé la résolution judiciaire et qu'en outre, les phases réalisées ont une utilité indépendante de la mise en 'uvre totale du projet et sont d'ailleurs utilisées par le cabinet comptable.
26. Enfin, à titre subsidiaire, s'il était reconnu l'existence d'une inexécution fautive, l'intimée invoque l'absence de préjudice pour la SAS Cabinet [N] dans la mesure où les phases suivantes du projet n'auraient pas été mises en 'uvre, n'engageant ainsi aucuns frais ou désagrément pour ce cabinet, lequel a poursuivi ses activités au quotidien, sans être en rien impactée par l'arrêt du projet.
Réponse de la cour :
27. Selon l'article 1186 du code civil :
« Un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît.
Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie.
La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement. »
28. Ainsi, l'application de ce texte est subordonnée à la disparition fortuite d'un élément essentiel du contrat.
29. Or, comme il est dit supra, s'il est affirmé par la SAS Goodwill qu'une circonstance indépendante de la volonté de la société IT Systèmes aurait rendu totalement obsolète la solution technique initialement proposée, laquelle, de fait, n'avait plus aucune utilité et perdait son objectif principal, à savoir, la mise en place d'une plateforme collaborative, aucune production ne vient justifier l'existence d'un tel changement technique et, a fortiori, la disparition d'un élément essentiel du contrat.
30. Les conditions de la caducité du contrat ne sont pas réunies et il y a lieu de réformer le jugement déféré sur ce point.
31. Aux termes de l'article 1217 du code civil :
« La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;
- obtenir une réduction du prix ;
- provoquer la résolution du contrat ;
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter. »
32. Les parties s'accordent sur la réalisation par la SAS Goodwill des phases une à six d'un projet qui en comportait quinze et pour lequel, la SAS Cabinet [N] avait donné son accord, exception faites des phases sept et neuf (pièce n°4 de l'intimée : devis du 19 mai 2021 signé par l'appelante).
Les parties s'accordent également sur l'absence de réalisation de l'entier projet, lequel a avorté lorsque la SAS Goodwil a entendu faire accepter un devis final (le quatrième) comportant paiement d'une somme supplémentaire de plus de 6 000 euros.
33. Dès lors, la résolution du contrat sera prononcée aux torts de la SAS Goodwill.
34. En ce qui concerne les conséquences de cette résolution, si l'appelante affirme que l'exécution desdites premières phases étaient défectueuses, elle n'en rapporte pas la preuve.
35. L'appelante se réfère néanmoins à bon droit aux dispositions du troisième alinéa de l'article 1229 du code civil énonçant que « Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre ».
36. En effet, selon l'intimée elle-même (en page 4 de ses écritures), ces six premières phases étaient dédiées à l'installation « des fondations », c'est-à-dire à des prérequis indispensables pour tout projet de digitalisation et celle de la sécurisation « indispensable elle aussi à tout projet technique souhaité par le cabinet en l'occurrence la création d'une plateforme collaborative performante permettant d'interconnecter tous les outils métiers utilisés par le cabinet entre eux ; la dernière étape (n°15), intitulée « automatisation » étant la phase finale permettant cette interconnexion ».
37. Ainsi, au regard des propres explications de la SAS Goodwill, l'exécution des phases une à six ne trouvaient leur utilité qu'en regard de l'entière digitalisation du cabinet d'expertise comptable, c'est-à-dire, l'exécution complète du contrat, laquelle n'est pourtant jamais intervenue.
38. La résolution du contrat litigieux sera donc prononcée avec restitution de l'intégralité des prestations échangées, soit la somme de 7 854 euros, à laquelle s'ajoute la somme de 2 400 euros, afférente à l'audit préalable au contrat de prestation du 20 avril 2021, laquelle a également été engagée en vue d'obtenir la digitalisation complète du cabinet, l'intimée ne sollicitant pour sa part aucune restitution spécifique.
39. La décision sera réformée en ce sens.
40. S'agissant des dommages et intérêts sollicités à hauteur de 6 500 euros, l'appelante est fondée à invoquer la « perte d'énergie, de temps et d'argent dans la mise en place du projet souhaité », soit divers tracas qui seront entièrement réparés par l'octroi de la somme de 2 000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Prononce la résiliation du contrat liant la SAS Goodwill et la SAS Cabinet [N] et de la convention d'audit préalable nécessaire,
Condamne la SAS IT Systèmes, venant aux droits de la SAS Goowill, à payer la somme de 10 254 euros à la SAS Cabinet [N] à titre de restitution du prix et celle de 2 000 € à titre de dommages et intérêts,
Condamne la SAS IT Systèmes, venant aux droits de la SAS Goowill, aux dépens de première instance et d'appel,
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SAS IT Systèmes, venant aux droits de la SAS Goowill, et la condamne à payer à la SAS Cabinet [N] la somme de 3 000 euros.
La greffière La présidente